samedi 10 novembre 2007

Gare au Loup

Le suspens a été intense. De deux douzaines de titres est sortie une poignée de cinq ouvrages de laquelle devait n'être retenus qu'un titre et naturellement son auteur. Le moment tant attendu de connaître la réponse du jury du 2007 Man Asian Literary Prize est enfin arrivée. Elle est apparue aujourd'hui sur le site du concours. La voici dans sa version originale :
Hong Kong, 10 November 2007 – A panel of three internationally acclaimed authors and experienced literary judges named Jiang Rong [姜戎] winner of the inaugural Man Asian Literary Prize for the novel Wolf Totem. Adrienne Clarkson, Chair of the judges for the inaugural prize praised Wolf Totem: « A panoramic novel of life on the Mongolian grasslands during the Cultural Revolution, this masterly work is also a passionate argument about the complex interrelationship between nomads and settlers, animals and human beings, nature and culture. The slowly developing narrative is rendered in vivid detail and has a powerful cumulative effect. A book like no other. Memorable. » The prize winner was announced at a celebratory dinner at Cipriani Hong Kong. Jiang Rong was awarded USD 10,000 and the book’s translator, Howard Goldblatt, was awarded USD 3,000.
Jiang Rong est donc le seul des 4 auteurs de langue chinoise dont Mo Yan, à avoir passé avec succès les différents niveaux de cette compétition. Sa réaction a été délivrée par son éditeur chinois, M. Li Bo, Changjiang Publishing. La voici :
« Asia is home to ancient and important cultural traditions. In historical terms, the world is home to four great cultural empires; three had their origins in Asia. The region is a cradle of culture that is unrivalled around the world. As society entered the latter half of the 20th century, Asian nations reemerged, rich and prosperous, walking the various roads towards freedom and democracy, with culture not developing so quickly. Now, with the establishment of the Man Asian Literary Prize, this benevolent organization is able to draw upon richly creative resources, playing a crucial role in supporting cultural exchange around the world. This is a key contribution to future world peace. My story of Mongolia’s wolves is the product of an ongoing study of the Inner Mongolian environment, and interpretation of the meanings behind the natural behavior of animals. Through this story, I also reflect upon the nature of Chinese people. That such a Chinese story can come to the attention of the Man Asian Literary Prize is a great thing. »
Le dossier de presse fournit, outre une photo de Jiang Rong (voir ici), la courte biographie suivante :
Chinese author Jiang Rong was born in Jiangsu in 1946, and graduated from the middle school attached to China Art College in 1966. In 1967, Jiang joined the first wave of intellectuals who moved to the countryside as volunteers, living with nomadic communities on the Chinese border of Inner and Outer Mongolia for 11 years. Following his return to Beijing in 1978, Jiang embarked on postgraduate studies in political science at the renowned Chinese Academy of Social Sciences, and assumed an academic position at a Beijing university. Now retired, he lives in Beijing, with his wife. Wolf Totem is a fictional account of life in the 1970s that draws on Jiang’s personal experience of the grasslands of China’s border region. Translated by Howard Goldblatt, Wolf Totem will be released worldwide by Penguin in March 2008.
Ainsi qu’un synopsis de son roman :
It is the final 1960s heyday for the people of the Inner Mongolian grasslands—a time when an age-old balance based on culture and tradition was maintained between the nomads, their livestock, and the wild wolves who roamed the plains. Beijing intellectual Chen Zhen volunteers to live in a remote nomadic settlement on the border of Inner and Outer Mongolia. There, he discovers life of apparent idyllic simplicity based on an eternal struggle between the wolves and the humans in their fight to survive. Chen learns about the rich spiritual relationship, and respect that only equals can feel, that exists between these adversaries. After many years of solitude, his peace of mind is shattered with the arrival of his kinfolk sent from the cities to bring modernity and productivity to the remote grasslands. Once the careful balance between the wolves and humans is disrupted, however, culture and tradition is damaged, and the environment suffers.
On devrait donc reparler de cet auteur et de ce roman dont une traduction française va voir le jour prochainement. Chacun pourra alors se faire une idée de Lang tuteng 狼图腾 et de la pertinence des jugements du jury du Man Asian Literary Prize qu'on retrouvera l'année prochaine pour sa deuxième édition. (P.K.)

Une mission réussie

Détail d'un double portrait du Prix Nobel de littérature 2000
par le Studio Harcourt-P.-A. Allard, mis en vente ici.


Comme nous l’avions annoncé il y a peu, une convention a été signée entre l’Université de Provence et son Service commun de documentation et la Bibliothèque de l’université chinoise de Hong Kong (CUHK). Cette coopération, initiée par l’équipe « Littérature chinoise et traduction » a pour but de créer à la bibliothèque universitaire du centre des lettres et sciences humaines de l’université de Provence un Centre de recherche et de documentation Gao Xingjian (高行健研究与材料中心) en collaboration avec le Fonds spécial Gao Xingjian de Hong Kong (高行健特藏).

Une fois la convention signée (voir - ci-dessous- les articles parus dans la presse de Hong Kong), les bibliothécaires d’Aix-en-Provence ont discuté avec leurs collègues de Hong Kong de l’ensemble des projets qu’ils ont l’intention de mener à bien : création d’un site miroir, achat et échange de documentation sur l’oeuvre du Maître, élaboration d’une bibliographie exhaustive sur son oeuvre…

D’ici peu, les chercheurs sur l’oeuvre polymorphe de Gao Xingjian devront donc absolument se rendre soit à Hong Kong soit à Aix-en-Provence pour trouver les matériaux dont ils auront besoin. (N. D.)

Articles publiés dans la presse de Hong Kong :

中大設高行健館藏

[Sing Tao Daily 星島日報, 2007-11-07 ]
集小說家、劇作家、導演及畫家於一身的高行健,幾年前為華人摘下首個諾貝爾文學獎。中文大學圖書館與法國普羅旺斯大學圖書館昨簽署合作協議,攜手建立有關高行健及其作品最全面的第一手資源,包括為高行健建立網頁、搜購其資料、交換雙方收集的資料、館際互借及館員交流等,促進世界各地的學者對高行健作品的研究。是次合作由中大翻譯系教授方梓勳及普羅旺斯大學教授杜特萊促成,杜特萊與高行健早於七九年相識,杜特萊亦是專注研究高行健的著作,他和夫人麗麗安曾將多部高的作品翻譯成法文。方梓勳則是研究高行健戲劇的專家,亦是多部高行健著作的英語翻譯者。
中大法大合作搜集高行健資料

[Wenweipo 文匯報, 2007-11-07]

【本報訊】中大大學圖書館系統與法國普羅旺斯大學圖書館在昨簽署了合作協議,共同為兩校圖書館收集及搜購有關2000年諾貝爾文學獎得主高行健及其作品的資料,以豐富兩館的相關館藏。兩館館長施達理及Martine Mollet 簽署協議,出席見證簽署儀式的人士包括中大副校長鄭振耀、法國駐香港領事代表及其他嘉賓。該合作協議涵蓋了5方面,包括建立高行健網頁、搜購資料、交換雙方收集之資料、館際互借及館員交流等。
Ajout du 20/11/07 : On peut également consulté le site du Consulat général de France à Hong Kong & Macao, qui revient sur la signature, par Mme Martine Mollet, conservatrice en chef de la bibliothèque universitaire de l’Université de Provence, et M. Colin Storey, son homologue pour l’Université chinoise de Hong Kong (CUHK), de la convention entre leurs deux universités lors d’une cérémonie officielle à Hong Kong. L'article, consultable ici, rappelle qu'« étaient également présents lors de cette cérémonie M. Noël Dutrait, professeur de langue et littérature chinoise, directeur de l’équipe de recherche « Littérature chinoise et traduction » et Vice-President de l’Université de Provence, Mme Magosha Seitz et Mr Jean-Luc Bidaux, de l’Université de Provence, le professeur Jack Cheng, Pro Vice-Chancellor de CUHK, Mme Rita Wong, M. T.C. Lam, et bien sûr, le professeur Gilbert Fong, spécialiste du théâtre de Gao Xingjian et de sa traduction en anglais. »

mardi 6 novembre 2007

Traduit du coréen (002)

Les Piquets de ma mère
(Ŏmmaǔi malttuk 엄마의 말둑 )
Roman de Pak Wansǒ (박 완서)
Traduit du coréen par Patrick Maurus et Mun Shi Yeun
(Arles : Actes Sud, « Lettres Coréennes», 2007)

Ce roman est paru une première fois chez Actes Sud en 1993 sous le titre Le Piquet de ma Mère (엄마의 말둑) (Traduction de Kang Geobae). Depuis, avec les rééditions, le texte initial a été augmenté d’une suite, pour paraître aujourd’hui en trois parties, dans une nouvelle traduction de Patrick Maurus et Mun Shi Yeun, et prendre un pluriel en titre : Les piquets de ma mère, (ce qui ne change rien au titre, la langue coréenne ignorant, la plupart du temps, la distinction singulier-pluriel).

Pak Wansǒ (1931-) est une romancière coréenne de premier plan, que la presse coréenne qualifie de « tardive » puisqu’elle a publié son premier roman à l’âge de 39 ans (!). Elle s’est rattrapée depuis, avec une trentaine d’ouvrages et plusieurs prix littéraires. Ses thèmes de prédilection tournent autour des conflits entre les générations ou entre la tradition et la modernité. En Corée, peut-être plus qu’ailleurs, à cause de la modernisation fulgurante du pays, les conflits cités plus haut vont souvent de pair. L’occupation japonaise et la guerre de Corée fournissent les autres sources, bien compréhensibles et inépuisables, de la littérature et du cinéma coréens.

Dans Les piquets de ma mère, Pak Wansǒ nous fait traverser presque un siècle d’histoire coréenne. Dans la première partie, celle de l’enfance, durant l’occupation japonaise (1919-1945), la narratrice, son frère et sa mère quittent le village natal près de Songdo (송도) [1] pour aller « planter les piquets » à Séoul, c’est-à-dire trouver une maison à l’intérieur des portes de la capitale. Avoir une maison « dans-les-murs » est alors considéré comme une marque de prestige social. Mais il n’est pas facile d’habiter Séoul (déjà, à l’époque !) et la famille devra se contenter d’une pièce dans une maison « hors-les-murs », maison au toit de chaume, au sommet d’une montagne environnante, à l’extérieur de Séoul. Cette déception, que la petite fille considérera comme une véritable trahison, va mobiliser toute l’énergie de la mère pour réaliser son ambition : habiter à l’intérieur de Séoul et faire de sa fille une « femme moderne ».

Dès lors, cette petite fille investie de cette terrible mission devra subir de multiples deuils, celui de la perte de ses cheveux longs d’abord, car « à Séoul, les petites filles vont à l’école avec les cheveux courts (et évitent le traditionnel chignon) et un cartable sur le dos ». Pertes progressives et discipline rigoureuse, jeux interdits et assignation à résidence pour cette enfant qui, au travers de la réussite scolaire, doit annoncer la venue d’une époque nouvelle : « Si ton frère réussit, c’est toute la famille qui s’en sortira. Mais toi, si tu travailles beaucoup et deviens une femme moderne, tu pourras t’épanouir. Tu comprends ? » (p. 72). Ce passage marque la rupture avec la tradition car ce n’est pas ici le premier fils qui est investi de la nécessité de réussir.

La deuxième partie du roman couvre la période de la guerre de Corée, vue de l’intérieur de leur village de montagne et des faubourgs crasseux de la ville. La narratrice, devenue adulte et femme moderne, oublie régulièrement sa petite famille, au cours d’interminables parties de hwat’u (화투), jeu traditionnel de cartes, tandis que la troisième partie, plus contemporaine, couvre les dernières années de la vie de la mère, jusqu’à sa mort, au moment où il faudra planter le dernier piquet, la stèle funéraire.

Pak Wansŏ, malgré la longueur de la période couverte, s’écarte du roman fleuve, souvent cher aux auteurs coréens. Ce qui est perdu en précisions historiques est gagné en vigueur narrative. En 200 pages, la romancière aborde presque un siècle de l’histoire coréenne, en privilégiant la narration au détriment de la description, des faits historiques ou du commentaire psychologique. Ce style narratif, très épuré, est paradoxalement propice à la peinture de caractères. Il montre bien comment, lentement, l’identité de la petite fille va s’affirmer, au fur et à mesure que l’identité de la mère va se concentrer exclusivement sur son rôle parental. Cette mère, autrefois femme progressiste, qui n’a pas hésité à quitter son village de campagne (le début de l’exode rural en Corée) avec ses deux enfants, après la mort de son mari, et qui, sous le coup de son obsédante ambition va se dévouer à la réussite de sa fille, se confronter au choc urbain, fréquenter les pauvres bien malgré elle et s’humilier devant les bourgeois.

Cette lutte de chaque instant contre la pauvreté, ce souhait obsédant d’habiter l’intérieur de la ville, de voir sa fille devenir « moderne » montrent les bouleversements de la société coréenne. Nous sommes là, probablement face à la genèse de l’investissement massif et contemporain des parents, dans l’éducation des enfants, caractéristique frappante dans la société coréenne.

Bien que dans ce roman, les trois parties nous soient apparues comme inégales, dans leur densité, leur intérêt et leur style, (et ce, malgré une traduction unificatrice), nous recommandons la lecture à qui voudrait comprendre, au travers d’une écriture directe, une « écriture de femme », comme disent les traducteurs, les mutations douloureuses de la société coréenne, vues du côté de la pauvreté et de la simplicité.

La traduction de Patrick Maurus et Mun Shi Yeun illustre le parti pris signalé dans le texte de présentation de l’ouvrage. La concision narrative et la densité des caractères des personnages sont bien rendues par la traduction (dont nous ferons ultérieurement une approche comparée avec la précédente traduction). Pour notre plus grand plaisir de lecteurs, de nombreuses et savoureuses onomatopées ont été conservées dans la langue originelle et donnent au texte de bien intéressantes accélérations stylistiques, sǔkk, sǔkk…

(Hye-Gyeong Kim et Jean-Claude de Crescenzo)

[1] Songdo, petite bourgade près d’Incheon (aéroport international de Séoul) est situé à 60 km de la capitale coréenne. Ce bourg présente la particularité aujourd’hui d’être l’objet d’un investissement massif (25 milliards de $US) pour en faire la future plaque tournante de l’économie asiatique. Cette ville consacrée au dieu du business copiera le meilleur des plus grandes villes du monde et se voudra la U-ville, traduisez ville de l’ubiquité, où il sera possible d’être présent en plusieurs lieux en même temps, grâce à l’interconnection de tous les réseaux. Le projet devrait être terminé en 2014.

lundi 5 novembre 2007

Une belle journée

L’Equipe de recherche « Littérature d’Extrême-Orient, textes et traduction » a tenu sa journée de rentrée sur la traduction des langues et des littératures asiatiques, le 26 octobre dernier à l’Université de Provence (Aix-en-Provence).

Je profite de ce billet pour remercier au nom de l'équipe toutes celles et tous ceux qui y ont participé de manière active, sous les projecteurs en proposant une communication, ou de manière plus discrète en assurant, dans les coulisses, l’intendance et le bon déroulement de cette journée. Un grand merci aussi au public d’être venus nombreux, parfois de loin, assister aux onze exposés et pour avoir fait bon accueil aux intervenants en leur posant de fort pertinentes questions.

Trois invités extérieurs, venant de Barcelone, Venise et Strasbourg, et une partie non négligeable des membres de notre équipe ont eu l’occasion de proposer leurs réflexions sur les sujets qui les mobilisent tout au long de l’année. Il s’agissait de faire sentir, à travers des exemples concrets, les difficultés que rencontre le traducteur dans sa pratique de la traduction littéraire et les solutions qu'il propose, sans restriction sur le choix de l’aire culturelle, le genre et l’époque. Il fut, ainsi, aussi bien question de prose narrative et de poésie classiques que de narration expérimentale pour un lectorat choisi ou de roman de cape et d’épée destiné au « grand public » ; nous avons, également, eu des aperçus sur la traduction du chinois (cinq communications), du japonais (deux communications), de l’hindi, du coréen, du vietnamien et du thaï.

Voici, comme promis, un court compte-rendu de cette journée : il est naturellement très imparfait et ne demande qu’à être complété ; vos commentaires et corrections seront, naturellement, les bienvenus.

Ouvrant la journée par un rapide exposé, j’ai fait état de travaux de traduction menés en collaboration avec mes étudiants de Master 1 et 2 sur deux courts récits en langue classique, savoir le « Yangxian shusheng » 陽羡書生 de Wu Jun 吳均 (469-520) et la version raccourcie qu’en a tirée Duan Chengshi 段成式 (ca. 803-863) pour son Youyang zazu 酉陽雜俎 (Mélanges de Youyang). Leur confrontation m’a permis de mettre plus clairement en évidence l’obligation faite au traducteur de ce type de récit d'intervenir en traduirant l’implicite et, l’impératif qui pèse sur lui de le faire avec le plus de doigté et de modération possibles.

Solange Cruveillé a, quant à elle, conclu la journée en offrant un inventaire très complet des difficultés rencontrées dans la traduction d’une œuvre d’un des plus fameux romanciers de roman de cape et d’épée contemporain [wuxia xiaoshuo 武俠小說], Wang Gulu 王度盧 (1909-1977), traduction qui vient de sortir chez Calmann-Lévy sous le titre Tigre et Dragon. Première époque : la vengeance de Petite Grue. [Voir ici]

Peu avant, Noël Dutrait nous avait plongé dans une page d’un roman de Mo Yan 莫言 (1956-), Les Quarante et Un Canons (Sishiyi pao 四十一炮, 2003), qu’il traduit en ce moment. Il a notamment attiré notre attention sur une phrase anormalement longue dans l’écriture chinoise. Il nous a proposé les choix retenus avec Liliane Dutrait avec laquelle il collabore pour rendre l’art de Mo Yan (entre autres auteurs majeurs) accessible et sensible à un public francophone de plus en plus connaisseur. Il répondait par la même occasion ainsi au « Petit exercice de traduction » qu’il avait proposé le 16 avril dernier sur ce blog (voir ici). Voici la solution proposée ce 26 octobre :
« Je ne pouvais pas voir son allure élégante à l’intérieur de la salle, mais je pouvais imaginer combien les regards de tous convergeaient vers lui quand il s’élançait avec grâce en enlaçant la plus belle femme du dancing, vêtue d’une robe de soirée blanc immaculé, vert bouteille ou cramoisie, dévoilant des épaules et des bras qui semblaient sculptés dans le jade blanc, couverte de bijoux étincelants, avec de grands yeux limpides et au-dessus de la lèvre un grain de beauté noir. »
Qui dit mieux ?

Jade Ngyuen Phuong Ngoc nous a fait quitter la Chine pour le Vietnam et un texte de l’écrivain Tô Hoài (1920-). La lecture d’une page du chapitre 1 de Cát bụi chân ai (1992) et de sa traduction sous le titre de Sables et poussières, traces de quelqu’un nous a convaincu qu’il fallait au traducteur du vietnamien littéraire une intime connaissance de la langue de départ et une grande maîtrise du français pour traiter judicieusement de l’expression de l’espace et surtout du temps.

Cette dernière problématique était également l’objet de l’exposé d’Elizabeth Naudou qui l’explorait dans la langue hindi et à partir des écrits de Nirmal Verma (1929-2005) et notamment de « Vîkend » (« Week-end ») monologue extrait du recueil Tîn Ekânt (Trois solitudes, New Delhi, 1990). Ce représentant du nouveau roman indien, traducteur de Milan Kundera, aimait à jouer sur l’ambiguïté des formes verbales qui peuvent en hindi se comprendre selon trois modalités temporelles différentes, ce que le français ignore.

La littérature actuelle qui en Thaïlande intègre l’anglo-thaï – langue en perpétuelle mutation-, réserve elle aussi, au traducteur, son lot de surprises. Louise Pichard-Bertaux a attiré notre attention sur ce problème à partir de l’examen de quelques bonnes feuilles d’une des dernières productions d’un des écrivains thaïlandais contemporains les plus en vogue, Win Liaw-warin lequel semble prendre beaucoup de plaisir à intégrer les trouvailles de ses compatriotes dans le registre littéraire.

Avec Julie Kim, nous nous sommes penchés sur les onomatopées et la manière de les rendre dans la traduction du roman coréen. L’exposé nous a permis d’entendre la prononciation idéale des transcriptions qui peuvent irriter l’œil lorsqu’elle apparaissent dans certaines traductions récentes (Voir ici]. Plusieurs stratégies ont été évoquées afin d’éviter les désagréments causés par une simple transposition, et surtout pour ne pas se priver de ce qui constitue un des charmes de la langue coréenne.

André Delteil nous a entretenu du haiku et des contraintes nombreuses qui pèsent sur ceux qui tentent de les faire vivre dans notre langue dans toute leur brièveté et leur subtile musicalité. Après avoir rendu hommage à deux traducteurs qui ont brillé chacun à sa manière dans ce périlleux exercice - René Sieffert (1923-2004) et Jean Cholley, récemment disparu -, il a évoqué son expérience personnelle de la traduction, mais aussi de la composition d’une forme poétique japonaise majeure sans équivalent chez nous.

Nous avions aussi le bonheur d’accueillir trois intervenants qui n’avaient pas hésité à franchir de nombreux kilomètres pour nous entretenir de leurs travaux et nous faire partager leurs réflexions, ce dont nous devons leur savoir gré, qui plus est, lorsque le français n’est pas leur langue maternelle comme pour Anne–Hélène Suàrez Girard de l’Universitat Autonoma de Barcelona et pour Paolo Magagnin de l’Université Ca’ Foscari de Venise.

Pas moins méritant fut Vincent Grépinet qui venant de Strasbourg nous a fait partager ses angoisses face à un problème qu’il a fort habilement et élégamment résolu. C’est celui de la traduction par un japonisant de textes en kanbun [tirés du Kôkan hitsudan 江關筆談(1711)], savoir écrits par des Japonais directement en chinois classique, textes faisant état de palabres diplomatiques entre des diplomates japonais et coréens à une époque tendue des relations entre les deux pays. A la rugosité d’un chinois de facture classique parfois quelque peu chahutée, s’ajoutent des références culturelles plus familières aux sinologues versés dans la Chine ancienne, qu’à l’historien du Japon.

Paolo Magagnin, pour sa part, a déployé sa réflexion sur la traduction de la passion amoureuse à partir d’un des rares textes de Yu Dafu 郁大夫 (1896-1945) - Qiuhe 秋河 -, a avoir été traduit en langue française. Son tour de force fut de nous faire sentir dans notre langue la finesse de tournures stylistiques propres à l’écriture de Yu Dafu qui ont, vraisemblablement, échappé au traducteur français [Stéphane Lévêque, Rivière d’automne, Picquier, « Pavillon des corps curieux », 2002].

Enfin, avec la même finesse d’esprit et une aussi parfaite maîtrise de la langue, la nôtre, la chinoise, et la sienne – l’espagnol -, Anne–Hélène Suàrez Girard nous a fait pénétrer dans une forteresse littéraire réputée imprenable : la poésie classique chinoise. Qui plus est, elle n’a pas choisi la facilité puisqu’elle l’a abordée en se confrontant à ses deux difficultés majeures : la forme, avec un poème de Li Bai 李白 (701-762) de facture originale, et, le contenu, avec un poème de Luo Binwang 駱賓王 (640 ?-684 ?) invitant à tisser des relations intertextuelles avec le lointain passé historique et littéraire chinois.

D’une manière générale, les intervenants ont présenté des traductions inédites en insistant sur le fait qu’elles n’étaient « pas encore abouties », ou qu’elles nécessitaient « une révision », trahissant par là le sentiment douloureux de l’artisan, jamais ou rarement, satisfait par son ouvrage. Chacun des intervenants et des traducteurs présents, a, me semble-t-il, pu profiter des interrogations et surtout des solutions apportées par les autres pour affiner sa perception intime du travail de traducteur et la faire progresser. Cette journée aura également favorisé, ce qui n’est pas son moindre intérêt, des rencontres amicales entre chercheurs et amoureux de littérature évoluant souvent isolés dans des contrées pas toujours suffisamment hospitalières.

Il n’en reste pas moins que les questions posées à l’issue des interventions montrent que le public friand des littératures d’Asie se passionne moins pour les problèmes liés à la traduction que pour les messages envoyés par les auteurs et les textes traduits. L’équipe devrait en tenir compte dans ses prochaines activités, bien décidée qu’elle est à poursuivre son travail afin rendre mieux compréhensibles et indispensables ces littératures d’Extrême-Orient. (P.K.)

dimanche 4 novembre 2007

Et de cent !

Ce « Baizitu » 百子圖 (Cent enfants) vient illustrer ce billet qui est, vous l'avez deviné, le 100e publié sur ce blog depuis sa création le samedi 18 novembre 2006.

100 billets déjà ! 100 billets de teneur et de longueur différentes livrés selon les nécessités et l'inspiration du moment au cours des douze derniers mois. 100 billets ou notules ou posts, composés par, en tout et pour tout, six personnes : Liliane [1] et Noël [15] Dutrait, Kim Hye-Gyeong et Jean-Claude de Crescenzo [5], Solange Cruveillé [3] et moi-même [le reste]). En tout neuf pages à faire défiler pour revivre, avec un peu de recul, certains des événements littéraires qui ont marqué l'année écoulée et la vie de notre équipe.

100 billets, c'est aussi quelques rubriques auxquelles vous êtes habitués : des devinettes – elles sont déjà au nombre de sept - et reçoivent un bon accueil de la part d'un petit groupe de fidèles ; des « Miscellanées » - déjà 5 -, qui permettent de proposer de manière rapide des informations et des liens à exploiter ou à stocker ; d'autres rubriques pourraient s'étoffer dans le cas où la bonne volonté régulièrement exprimée par les uns et les autres finirait par se concrétiser : je ne pense pas forcément à la rubrique « Avatars », pourtant riche de promesses – l’époque ne préfère-t-elle pas le succédané à l’original ?-, mais plutôt à la rubrique « Traduit de ... »…

Ce blog, c'est aussi : quelque 140 libellés pour s'orienter dans la petite forêt de ses billets - dont certains sont plus fournis : je pense notamment à Gao Xingjian, forcément à égalité avec Mo Yan [chacun 11 occurrences], à la traduction [21] ; et, aussi, seulement 45 commentaires - j'en reste sans voix !

Dans le même temps, ou presque, vous avez étés plus de 8500 à activer, parfois en vain - notamment lorsque vous vous y risquez depuis la République populaire de Chine -, ce lien devenu familier pour certains : http://jelct.blogspot.com/. Si cette adresse vous reste chère, ce sera pour nous une grande satisfaction.

Promis, le 101e billet aura un contenu moins « blogocentriste » ; il présentera un compte-rendu de notre journée sur la traduction du 26 octobre dernier ! (P.K.)