« A l'heure de la toilette... »
IX° des dix gravures de Wang Chao Ki 王紹吉,
pour La Folle d'amour (Editions du Siao, 1949 - You-Feng, 2005, p. 84).
IX° des dix gravures de Wang Chao Ki 王紹吉,
pour La Folle d'amour (Editions du Siao, 1949 - You-Feng, 2005, p. 84).
On doit aux Editions You-Feng (Paris, 2005) d'avoir rendu largement accessible un livre que seuls quelques rares collectionneurs pouvaient encore consulter -- sachez qu'il vous en coûterait 350 euros pour vous rendre acquéreur de l'un des 204 exemplaires tirés sur « pages volantes sous couverture rempliée, chemise et étui cartonnés », dans un format 30 x 22 par les Editions du Siao en 1949. Pour beaucoup moins, soit 13,5 €, mais dans un format réduit (22,5 x 20 cm), l'éditeur-libraire du 45, rue Monsieur-le-Prince (Paris VI) a donc fait revivre dans ce qui semble être sa mise en page d'origine avec les dix illustrations de Wang Chao Ki [alias Ouang Shao Ki, soit Wang Shaoji 王紹吉, peintre originaire du Sichuan] l'ouvrage de 119 pages suivant :
Lo Mengli. La Folle d'amour.
Confession d'une chinoise du XVIIIe siècle.
Adapté et préfacé par Lucie Paul-Margueritte.
Confession d'une chinoise du XVIIIe siècle.
Adapté et préfacé par Lucie Paul-Margueritte.
Ce qui m'invite à vous le signaler trois ans après sa parution, c'est qu'il n'est pas sans rapport avec deux des sujets de prédilection de ce blog, savoir la littérature chinoise des temps anciens et les traductions françaises de cette même littérature, mais aussi que c’est un avatar intéressant et surprenant du Chipozi zhuan 癡婆子傳, roman qui a fait l'objet d'un billet de la série « Enfer chinois » (n° 03-a).
Sans un examen plus approfondi, il est risqué de dire d'où proviennent les plus criantes distorsions avec l'œuvre originale :
- d’une version différente du texte source ? Lucie Paul-Margueritte (née en 1886) explique à son lecteur que l'œuvre qu'elle lui propose est « interdite en Chine. Par un de nos représentants, nous avons pu nous procurer ce texte que les Chinois érudits font parfois imprimer clandestinement, et dans un très petit format, afin de pouvoir le dissimuler aisément. l'exemplaire qui me parvint n'était guère plus grand qu'un carnet de papier à cigarettes. Un agent des mœurs l'avait cueilli, me dit-on, dans le revers de manche d'un mandarin lettré. Cette œuvre était signée d'un pseudonyme [...], et le style, très classique, était d'un bon auteur. » (p. 5)
- le mode opératoire utilisé ? Lucie Paul-Margueritte indique avoir réalisé la traduction de La Folle d'amour avec « un grand érudit », le même avec lequel elle avait déjà travaillé vingt ans plus tôt, et avoue que « l'entreprise était délicate : la narratrice, complaisement, s'attarde sur ses brûlants souvenirs, et elle ne nous épargne l'aveu d'aucune de ses faiblesses, mais ses confidences scabreuses sont émaillées de poèmes de la bonne époque, et leur citation opportune vient agréablement poétiser l'instant d'aberration minutieusement décrit. Et, pour que la morale soit honorée, malgré tout, l'immorale héroïne se repent finalement et se fait ermite, ainsi le diable, en vieillissant. Quoiqu'il en soit, cette œuvre est des moins édifiantes ; j'ai hésité à la publier, et j'estime que si elle mérite d'être imprimée pour quelques-uns, elle doit être gardée dans l'Enfer des Bibliothèques. » (p. 6)
Le résultat pourrait rebuter, sinon faire sourire, celui qui vient de lire Vie d'une amoureuse, mais il est, justement grâce à tous ses défauts et ses zones d'ombre, digne d'intérêt pour l'historien de la traduction. Ce livre constituera donc un objet d'étude de choix pour le petit groupe de travail sur les traductions françaises de littérature chinoise ancienne qui se mettra en place à la rentrée. Celui-ci s'attachera aussi aux autres titres signés par Lucie Paul-Marguerite. En effet, Lucie Paul-Marguerite ne s'est pas contentée de cette Folle d'amour ; elle a adapté plusieurs autres écrits chinois : en plus du Ji Yun, déjà signalé, on peut lire, toujours grâce aux Editions You-Feng (2005), Ts'ing Ngai ou les Plaisirs contrariés. Conte chinois ancien Adapté des Kin-kou-ki-kouan (1927) et une version assez personnelle du Ershisi xiao 二十四孝 avec Amour filial. Légendes chinoises. Les vingt-quatre exemples de Pitié filiale (Editions du Siao, 1929).
Le passage suivant tiré de La Folle d’amour fournit, me semble-t-il, une piste pour envisager la manière somme toute assez « confuse » dont usait Lucie Paul-Margueritte pour toucher son lecteur sans le choquer :
« Elle soupira et se lança, l'infortunée, dans des explications d'autant plus confuses qu'elle essayait de les rendre décentes sur un terrain qui l'est fort peu. Pour me faire, en quelque sorte, toucher du doigt le « t'ou », sexe de l'homme, et m'en suggérer l'aspect, elle évoqua tour à tour, un reptile, la queue d'un scorpion, le pilon qui sert à décortiquer le riz, le poinçon dont on perfore les feuillets d'un livre. Enfin elle dressa, devant mes yeux agrandis d'effroi, une lame de poignard et le sabre avec sa coquille. Elle évoqua aussi le « wo », sexe féminin, conque marine, rose coquillage, pastèque ouverte, fleur vivante, creux humide et tiède qui recèle, en ses profondeurs, un pistil que vient féconder la semence, par l'office du pilon, du poignard, du poinçon, et du sabre enfoncé jusqu'à la garde. » (p. 23-24)