vendredi 14 mai 2010

La Fabrique des Traducteurs


Il y a peu nous vous avons signalé l'existence du blog du CITL. Voici, aujourd'hui, un message urgent en provenance de ce Collège international des traducteurs littéraires basé à Arles. Je vous le livre, tel quel, en insistant seulement sur l'intérêt qu'il peut présenter pour de jeunes traducteurs. Je vous remercie de lui assurer une publicité sans réserve.



Selon toute vraisemblance, le Collège international des traducteurs littéraires (CITL), à Arles, accueillera à partir du 30 août prochain « La Fabrique des traducteurs ». Ce programme a pour objectif de donner à de jeunes traducteurs en début de carrière l’occasion de travailler avec d’autres traducteurs expérimentés et de mieux connaître le paysage de la traduction et de l’édition dans les deux pays.

Les enjeux

Face au recul de l’enseignement du français dans le monde, face au vieillissement du vivier des traducteurs et aux difficultés qu’ils ont à exercer leur métier, l’émergence d’une nouvelle génération qualifiée, familiarisée avec les réalités des métiers du livre et apte à jouer un rôle de passeur entre le français et la langue d’origine est une nécessité. La Fabrique des traducteurs vise à renouveler les générations de traducteurs étrangers traduisant du français vers leur langue), en s’appuyant sur un travail en tandem. Les jeunes traducteurs traduisant vers le français y trouveront un précieux dispositif de perfectionnement : une situation de bilinguisme idéal où chacun bénéficie de l’apport d’un locuteur naturel.

L’objectif est aussi de développer le réseau des traducteurs professionnels, en constituant un noyau de traducteurs d’une même génération, qui formeront à moyen terme un réseau international d’entraide et de compétences. Pour chaque session linguistique, trois jeunes traducteurs traduisant du français vers leur langue travailleront avec trois jeunes traducteurs traduisant dans l’autre sens.

A plus long terme, la visée est enfin de favoriser le repérage ou l’émergence de structures qui apportent un soutien au travail des traducteurs dans leur pays, et de nouer de nouveaux partenariats.

Principes de fonctionnement :

La Fabrique des traducteurs repose sur un triple tutorat :
  • Un axe « vertical », grâce à la présence conjointe de deux traducteurs expérimentés traduisant respectivement du français et vers le français. Ces tuteurs guideront le travail.
  • Un axe « horizontal », les jeunes traducteurs se choisissant mutuellement pour traduire en tandem.
Chaque traducteur bénéficie ainsi pour son travail en cours de la compétence d’un locuteur naturel, ce qui apporte un enrichissement mutuel décisif.
  • L’inscription dans un réseau : Dix semaines du travail sur projets, où le travail en tandem alterne avec des séances plénières.
  • Des rencontres avec des professionnels du livre (éditeurs, directeurs de collection, responsable de droits étrangers, association de traducteurs, responsables) de revues ou opérateurs institutionnels ...
Public concerné :

Les langues concernées pour 2010 seront successivement le russe (du 30 août au 7 novembre 2010), le chinois (du 4 novembre 2010 au 12 janvier 2011). Suivront en 2011 l’arabe, l’italien, l’espagnol et le portugais. Le programme s’adresse à de jeunes traducteurs en début de carrière. Les candidats à ce programme seront porteurs d’un projet personnel de traduction. C’est sur ce projet et sur des critères d’excellence qu’ils seront choisis.

Conditions d’éligibilité :
  • être âgé de 35 ans maximum
  • être entièrement disponible du 30 août au 7 novembre 2010 pour la session "russe" et du 4 novembre 2010 au 12 janvier 2011 pour la session "chinoise"
  • justifier d’un projet de traduction autour du domaine linguistique défini
  • justifier d’une traduction publiée de la même langue : 1 ouvrage ou 2 textes en revue ;
  • ne pas avoir bénéficié d’une aide du CNL depuis au moins 2 ans.
Date limite de dépôt des dossiers :
  • 31 mai (langues : RUSSE et CHINOIS)
Déroulement du séjour :
  • Chaque session prévoit la venue de deux traducteurs expérimentés différents dans chaque sens, chacun venant 3 à 4 semaines. Le temps restant sera mis à profit pour le programme de rencontres professionnelles et la préparation de la présentation publique.
  • L’atelier se déroulera au Collège international des traducteurs littéraires (Arles). Le lieu offre à ses résidents la possibilité d’utiliser une bibliothèque spécialisée de 17 000 ouvrages. L’hébergement se fait soit sur place en studios individuels équipés d’une salle d’eau et d’un bureau, soit en appartement au centre ville d’Arles. Le Collège dispose enfin d’un équipement collectif permettant de prendre ses repas sur place (cuisine équipée, salon, salle à manger, terrasse).
  • Les textes traduits au cours des sessions feront l’objet d’une présentation publique de clôture. Cette présentation sera précédée d’un travail de mise en voix, encadré par un professionnel de la scène qui sera bilingue.
  • La publication d’une brochure diffusée à 300 exemplaires auprès des professionnels du livre et présentant les travaux réalisés donnera une visibilité au programme et à ses participants.
  • Les participants pourront assister aux événements littéraires organisés par le CITL (cycle de découverte la littérature française contemporaine, ...) et, pour les sessions russe et chinoise, participer au Assises de la traduction littéraire en Arles du 5 au 7 novembre 2010 (rencontres professionnelles ouvertes qui réunissent environ 250 participants et qui proposent des ateliers de traduction, lectures, conférences et tables rondes).
Renseignements et inscription :
  • Les dossiers de candidature sont à retirer auprès du Centre National du Livre (Hôtel d’Avejan. 53, rue de Verneuil. 75343 Paris cedex 07 Tél. : 01 49 54 68 68 / Fax : 01 45 49 10 21)
  • Les candidats retenus seront boursiers du CNL. Ils percevront un crédit de résidence d’un montant de 5 000 € pour un séjour de deux mois et demi
  • Le formulaire d’inscription sera téléchargeable sur le site http://www.centrenationaldulivre.fr
  • Les dossiers sont à retourner par fax ou par mail au Centre national du livre, à l’attention de : Valérie ICHOU. Bureau des Auteurs. 53 rue de Verneuil. 75343 PARIS CEDEX 07. Tél. 01 49 54 68 12. Mél. valerie.ichou@culture.fr
Financement
coproduction ATLAS-CITL - Culturesfrance - Centre National du Livre (CNL) -
Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) -
Région Provence Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA)
Le Collège international des traducteurs littéraires (CITL)
est géré par l’association ATLAS,
qui organise les Assises de la Traduction Littéraire en ArleS.
CITL - Espace Van Gogh, 13200 Arles - Tél. 04 90 52 05 50 Fax 04 90 93 43 21
www.atlas-citl.org

mercredi 12 mai 2010

La mort d’un poète

Jeudi dernier, 6 mai 2010, le poète Hoàng Cầm est décédé à Hanoï à l'âge de 88 ans.


Jeune artiste, Hoàng Cầm s'était, en effet, engagé, comme tant d'autres intellectuels, dans la lutte pour l'indépendance du Vietnam. La paix revenue, il avait appelé, aux côtés des poètes et des écrivains réunis dans le mouvement Nhân Văn Giai Phẩm (Humanisme-Belles Œuvres, 1955-1958), à la liberté d'expression et au respect de la démocratie --- la littérature sur ce mouvement étant abondante, notons seulement que les figures principales du mouvement ont été, après avoir été réduites au silence pendant quelques décennies, réhabilitées et dûment redécouvertes par le public au Vietnam.

Les médias francophones ont, pour leur part, largement rapporté la disparition du poète (comme par exemple, le site de la chaîne TV5 ; les brèves du Centre National des Lettres), alors que leurs contrepartie anglophones ont réagi moins rapidement (l’article présent sur le site MSN est, en fait, la version anglaise de la dépêche AFP signalée plus haut).

Les communautés vietnamiennes à l'étranger lui ont également rendu un dernier hommage (voir notamment à ce propos le site de l'Association d'Amitiés Franco-Vietnamienne, l'article de Nam Dao sur le site littéraire Talawas basé en Allemagne, et l'article de Thanh Thảo sur le Forum en ligne basé en France). On peut également écouter l’émission de Thy Nga sur le poète diffusée sur le site de Radio Free Asia.

Au Vietnam, les médias ont publié le jour même des portraits de Hoàng Cầm, essentiellement présenté sous l'angle d'un poète romantique. On peut, naturellement lire un grand nombre de textes le concernant : quand Kim Dung et Phan Chí Thắng s’attristent que « la guitare poétique de Hoàng Cầm se soit tu », Nguyễn Quang Lập estime que le poète « n'a fait que quitter un rêve pour aller dans un autre rêve », Thu Hà a écrit, de son côté, un émouvant « adieu au poète de La feuille Diêu Bông parti Sur l'autre rive de la rivière Đuống », etc.

Effectivement, le poème Lá diêu bông, paru dans un recueil de poèmes éponyme publié en 1993 (faute de traduction en français, voici le texte en vietnamien ici) semble fixer définitivement les traits de celui qui « sut être amoureux dès l'âge de 8 ans ». Lá diêu bông, symbole du bonheur, pourrait être traduit par « La feuille merveilleuse » ou « La feuille magique », car la plante dont il parle n'existe que dans l'imagination du poète. La jeune fille du poème qui la cherche dit : « Celui qui trouvera lá diêu bông, je l'appellerai « Chéri » » ; elle croit à un moment au bonheur conjugal avant d'être finalement déçue et d’éprouver les rudesses de la vie. Le compositeur Nguyễn Tiến a mis ce poème en musique sous le titre de Chuyện tình lá diêu bông (L'histoire d'amour de lá diêu bông, voir ici sur la même page que le poème, mais à la fin). Il me semble que ce poème a inspiré une autre chanson, beaucoup plus célèbre, écrite par le compositeur Trần Tiến qui a choisi un titre plus explicite Sao em vội lấy chồng (Pourquoi t'es-tu mariée si tôt ?). Vous pouvez écouter cette chanson dans l'interprétation de Phuong Thao, en présence du compositeur, ici, et dans une autre interprétation lors d'un show très apprécié par les Vietnamiens d'Outre-Mer qui présente l'intérêt de proposer un sous-titrage français.

Les derniers recueils de poèmes de Hoàng Cầm Về Kinh Bắc (Au pays de l'ancienne capitale du Nord, 1994) et 99 tình khúc (99 poèmes d'amours, 2007) témoignent de la vitalité de cette source d'inspiration majeure dans l'œuvre du poète.

Décidément, Hoàng Cầm, intronisé « Prince de la poésie romantique » (Nguyễn Việt Chiến sur le site du journal Thanh Niên, Jeunesse) a tendance à éclipser le poète féru de la liberté de l'après-Dien Bien Phu.

Mais quelle est donc, au juste, l'œuvre poétique de Hoàng Cầm ? En attendant de trouver le temps de donner plus amples développements à sa présentation, je vous propose pour vous en faire une idée rapidement, de peut lire l'article du Wikipédia vietnamien et sa version raccourcie en anglais ; pour ceux qui pratiquent le vietnamien, s’impose la lecture des cinq études que Đặng Tiến, critique littéraire résidant en France, lui consacra en 1993 : « Thơ Hoàng Cầm – truyền thống và hiện đại » (Poésie de Hoàng Cầm – tradition et modernité) et à quelques poèmes en particulier.

Hoàng Cầm connut la notoriété avant 1945. Lycéen à Hanoï, il commença à se faire apprécier dans le milieu littéraire dans les années 1940, notamment grâce à sa première pièce de théâtre : Hận Nam Quan (Rancœur de la Porte du Sud, 1942) mettait en scène les adieux entre le Dr Nguyễn Phi Khanh déporté en Chine et son fils Nguyễn Trãi, brillant lettré qui s’engagea aux côtés de Lê Lợi, vainqueur de l'armée chinoise et fondateur de la dynastie des en 1428 (on peut en écouter un extrait mis en musique ici).

Il a écrit bien d'autres œuvres poétiques dont une histoire en vers Men đá vàng (qu'on peut traduire littéralement par Emaux de pierre d'or), et un recueil de poèmes « inspirés de Lamartine » intitulé Hận ngày xanh (Rancœur de notre jeunesse, 1940). En 1948, en pleine guerre d'Indochine, Hoàng Cầm, alors dans le maquis, écrivit le poème Bên kia sông Đuống (Sur l'autre rive de la rivière Đuống) qui sera chanté par tous les soldats partant au front combattre l'armée française. On sait ce qui lui advient après la victoire de Dien Bien Phu. Le poète sera finalement réhabilité en 2007 et recevra le Prix d'Etat Littérature et Arts, qui est la distinction la plus haute décernée par l'Etat Vietnamien aux artistes.

On trouvera quelques poèmes de Hoàng Cầm sur le site Thica.net (Poésie), ici. J'espère pouvoir vous signaler bientôt des traductions en français ou en anglais. En attendant, bonne lecture aux vietnamophones !
Nguyen Phuong Ngoc Jade

mardi 11 mai 2010

Fleurs dans le miroir


Vendredi 7 et samedi 8 mai à 20h30, le Grand Théâtre de Provence a accueilli les artistes de la troupe de l’Opéra du Sichuan (Chuanju 川剧) qui a donné un très beau spectacle en chinois surtitré en français : Les fleurs dans le miroir, Jinghua yuan 镜花缘 inspiré du roman éponyme de l'auteur chinois Li Ruzhen 李汝珍 (1763-1830).

Considéré comme l’un des plus grands classiques de la littérature chinoise de la dynastie Qing (1644-1911), Jinghua yuan (Les Destinées des fleurs dans le miroir) raconte l'exil d’une déesse parmi les mortels, la fée des Cents Fleurs, et sa quête pour regagner son immortalité perdue avec l'aide du lettré Tang Ao 唐敖, personnage central du roman.

Dans la riche mythologie chinoise, cette fée des Cent Fleurs est une sorte de haut fonctionnaire du royaume céleste dont la fonction est de veiller scrupuleusement à ce que toutes les espèces de fleurs n’éclosent que pendant la saison appropriée. Elle est déchue de ses fonctions puis renvoyée parmi les mortels suite à un manque de vigilance qui a amené un dérèglement des saisons sur la terre : l'impératrice Wu Zetian 武则天 (625-705) aurait, en effet, ordonné aux fleurs de pousser en plein hiver pour son bon plaisir, car ici, l'imaginaire se mêle à la réalité historique.

Avec ce roman fantastique autant par le contenu que par le format (100 chapitres), Li Ruzhen a offert à ses lecteurs un passionnant voyage à travers des mondes imaginaires, peuplés de créatures et de peuples aux mœurs étranges, roman qui rappelle par moment l'écriture d'un Rabelais, la liberté d'un Sterne (avec de fréquentes digressions dont la plus longue occupe 25 chapitres) et l'imagination du Swift des Voyages de Gulliver.


Détenteurs d’une tradition ancestrale, les artistes de la troupe de l’Opéra du Sichuan ont montré leur maîtrise des techniques très particulières de l’opéra chinois : kung-fu, chant, danses, acrobaties, costumes, changement de visage et maquillages, etc. Ils ont su donner un magnifique spectacle grâce à l’excellence de leur performance. Quelques extraits typiques ont été choisis parmi les cent chapitres du roman : l'exil de la Fée des Cents Fleur et sa réincarnation en fille de Tang Ao, puis les aventures de Tang Ao, d’abords au pays des Junzi (Gentilshommes), Junzi guo 君子国 où l'honnêteté fait loi, puis au pays des Double-Visages, Liangmian guo 两面国 où chacun a deux faces, et enfin aux pays des Femmes, Nü'er guo 女儿国 où les rôles des hommes et des femmes sont inversés.

Ces quelques extraits ont suffit pour permettre au public d'apprécier ce grand roman chinois et, en piquant leur curiosité, leur donner envie de lire l'ouvrage dans son intégralité. A la fin de la représentation, les applaudissements des spectateurs ont repris plusieurs fois et ont longtemps retentit dans la salle. Ce succès prouve que ce spectacle de la tradition chinoise a su toucher le cœur d’un public français !

Huang Chunli

lundi 10 mai 2010

Rendez-vous de printemps

Voici en deux mots les deux prochains rendez-vous à ne pas manquer :

Le 4 juin 2010, Les Ecritures croisées et La Cité du Livre d’Aix-en-Provence vous invitent à rencontrer quatre écrivains coréens :
  • Shin Kyung-Sook
  • Hwang Sok-Yong
  • Lee Seung-U
  • Kim Young-Ha.
Ces rencontres animées par Jean-Claude de Crescenzo se dérouleront à 18h00 dans la Cour carrée de la Cité du Livre.

Pour en savoir plus sur cet événement sur lequel nous reviendrons prochainement, et télécharger la plaquette d’informations (format pdf),
veuillez cliquer ici ou sur le cliché ci-dessus.




L’autre rendez-vous est une série d’événements qui vont se dérouler entre le 25 et le 29 mai et qui tournent tous autour de l’œuvre et de la personnalité de Gao Xingjian.

Cette « Pérégrination autour du roman La Montagne de l’âme » s’inscrit dans le cadre de la manifestation « A vous de lire » et offrira outre des rencontres de type traditionnel (Mercredi 26 mai, 18 h, Cité du livre), des projections d’œuvres cinématographiques de Gao, des spectacles de danse, et le samedi 29 mai, entre 10 h et 17 h, une « déambulation » en 12 stations dans Aix-en-Provence, pendant laquelle la lecture de La Montagne de l’âme, entamée la veille sera poursuivie. La clôture de cette événement se tiendra à la Bibliothèque Méjanes (Cour carrée) et donnera lieu à une «Lecture performance/Lecture dansée ».

Le jeudi 27 mai, c’est, à partir de 17h45, vers la Bibliothèques des lettres et sciences humaines de l’Université de Provence, Espace de recherche et de documentation Gao Xingjian, que les regards se tourneront puisqu’y seront donnés Paysage en duo et Ecritures de bord, deux « événements dansés » par le groupe Bernard Menaut, puis une « Rencontre/lecture» en présence de Gao Xingjian. Il s’agira de la lecture d’un passage de La Montagne de l’Ame en français, chinois, allemand, arabe, anglais, italien, coréen, japonais, turc ... et en langue des signes.

Pour l’intégralité du programme très fourni de cette manifestation sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir, veuillez cliquer ici ou sur la bulle ci-dessus
(document pdf de 5 pages).

dimanche 9 mai 2010

Xuân Quỳnh, poétesse vietnamienne


Traduire les littératures extrêmes-orientales n'est pas une chose aisée, surtout quand il s'agit de la poésie. Je tiens à remercier chaleureusement Mme Nguyễn Minh Phương qui a eu un jour l'audace, ou la folie…, de se lancer, avec l’aide de son ami français Đặng Trần Thường, dans la traduction d'une sélection de 32 poèmes de Xuân Quỳnh réunis dans un recueil intitulé Nếu ngày mai… Si demain… qui sera publié prochainement à Hanoi en version bilingue.


Considérée comme une des figures les plus représentatives de la poésie vietnamienne moderne, Xuân Quỳnh (1942 - 1988) (voir l'article en vietnamien sur le site officiel du Ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme vietnamien) est en même temps une poétesse très populaire. Ses poèmes d'amour les plus célèbres ont été mis en chanson, comme par exemple le poème Thuyền và biển (Le bateau et la mer) dont on lira la traduction plus loin. Rémi Camus, auteur de la présentation de la poétesse sur Wikipédia estime « qu'ils abordent les éléments (la mer, le sable, le vent...), un chemin durant les années de guerre ou la ville de son enfance, les textes de Xuan Quynh transfigurent l'histoire singulière de l'auteure en expérience universelle. L'amour, la maternité, la solitude, la souffrance sont exprimés sur le ton de la confidence sincère, sans apprêts, et suscitent l'empathie du lecteur ».


Xuân Quỳnh est l'auteur de quelques centaines de poèmes publiés entre 1968 (le recueil Hoa dọc chiến hào, Les fleurs le long des tranchées) et le volume posthume Thơ Xuân Quỳnh (Poésie de Xuan Quynh) publié en 1992. Elle a expérimenté également le genre ancien de « histoire en vers » avec Truyện Lưu Nguyễn (Histoire de Luu Nguyên) publié en 1985.


Xuân Quỳnh a écrit également des « histoires pour enfants », par exemple Mùa xuân trên cánh đồng (Le printemps dans la rizière, 1981), Vẫn có ông trăng khác (Il reste encore une autre lune, 1986).


La poétesse a obtenu plusieurs prix littéraires, notamment le Prix de littérature enfantine de l’Association des Écrivains vietnamiens (1982 - 1983) pour son recueil de poésie Le ciel dans un œuf, et le Prix de poésie de l’Association des Écrivains vietnamiens (1990) pour son recueil Les fleurs de chrysopogon. En 2001 lui fut décerné à titre posthume le Prix d'État vietnamien Littérature et Arts.


Décédée le 29 août 1988 dans un accident de la route dans lequel ont péri également son mari, le célèbre auteur et metteur en scène Lưu Quang Vũ, et leur fils Lưu Quỳnh Thơ, Xuân Quỳnh est devenue en quelque sorte une icône. En 2008, la Télévision du Vietnam a diffusé un émouvant reportage intitulé Lưu Quang Vũ - Xuân Quỳnh gửi lại (Luu Quang Vu - Xuân Quynh : ce qu’ils nous lèguent).


Selon Nguyễn Minh Phương, « plus d’une génération de Vietnamiens a feuilleté avec intérêt et passion le journal intime ouvert de la poétesse – appellation qui a été donnée à son oeuvre poétique. Partie trop jeune (46 ans), Xuân Quynh nous a pourtant laissé quelques centaines de poèmes d’amour et de réflexions, dont certains ont été mis en musique et sont ensuite devenus des chansons tout aussi célèbres, d’autres sont entrés dans des manuels de littérature scolaires du Vietnam. Sa poésie a séduit les lecteurs par une simplicité remarquable et un lyrisme original qui venait directement du cœur, comme si les sentiments de la poétesse débordaient et s’épanchaient sur le papier. Plusieurs de ses poèmes trouvent une place particulière comme des reliques poétiques chez les couples amoureux : Thuyền và biển (Le bateau et la mer), Sóng (Les vagues), Thơ tình cuối mùa thu (Poème d’amour en fin d’automne), Tự hát (Chant en solitaire)... Auteure de poèmes d’amour parmi les plus ardents et les plus tendres de la littérature du pays, elle reste pourtant très peu lue, pour ne pas dire inconnue, des lecteurs étrangers. »


Souhaitons que les lecteurs francophones réservent un bon accueil à la poétesse Xuân Quỳnh et à ses traducteurs Nguyễn Minh Phương et Đặng Trần Thường.


Voici, en avant-première, la traduction de deux poèmes (le texte original en pdf, ici).

Le bateau et la mer

Je vais à l’instant te conter

L’histoire du bateau et de la mer :

« Un jour, dire lequel nul ne saurait,

Le bateau, à l’écoute de la mer,

Se laissait mener de lieu en lieu

Par les albatros et les vagues bleues.

Le bateau est plein d’aspirations,

Et la mer d’une immense affection.

Il navigue sans cesse, sans fatigue,

Elle s’ouvre toujours et encore sur l’infini.

Les douces nuits baignées de lune,

Comme une jeune fille, la mer

Vient auprès du bateau s’épancher

Au beau milieu des clapotis d’écumes.

Mais il arrive aussi que, sans raison,

La mer déchaîne ses flots sur le bateau.

(Car l’amour, comme nous le connaissons,

N’a-t-il pas toujours des bas et des hauts ?)

Le bateau est le seul à concevoir

À quel point la mer est immense ;

La mer est la seule à savoir

D’où vient le bateau, vers où il avance.

Les jours où ils ne se rencontrent pas,

La mer languit à se blanchir d’écume ;

Les jours où ils ne se rencontrent pas,

Le bateau souffre à se briser lui-même.

Si un jour le bateau s’en allait,

Il ne resterait à la mer que l’orage violent. »

Si un jour loin de moi tu partais,

Il ne me resterait que l’ouragan.

4-1963


Les vagues

Tantôt violentes, tantôt tendres,

Parfois calmes, parfois agitées,

Perplexes sur elles-mêmes, à la mer

Les vagues cherchent à se rendre.

Ô vagues d’hier, vagues de demain

Mais qui ne se distingueront point :

L’aspiration à l’amour bouillonnant

Dans les poitrines des jeunes gens !

Devant l’immensité des vagues,

Je pense à nous deux, toi et moi ;

Je pense à l’océan des eaux :

– D’où montent tous ces flots ?

Les flots sont formés par le vent ;

Mais le vent, de quoi est-il né ?

J’ignore aussi tout du moment

Où notre amour a commencé.

Ô vagues au fond des eaux,

Ô vagues en surface des flots

Qui, songeant au rivage éloigné,

Restent jours et nuits éveillés !

Mon âme, de toi languissante,

Même en rêve passe des nuit blanches.

Et que je monte vers le Nord

Ou que je descende vers le Sud,

Vers toi, vers mon unique bord,

Mes pensées vont chaque minute.

Là-bas ondulent en plein large

Des centaines, des milliers de vagues.

Elles vont toutes atteindre le rivage

Malgré l’infinité des obstacles.

La vie s’avère certes longue,

Pourtant les mois, les années passent.

De même, l’océan est bien vaste,

Les nuages volent toujours à l’horizon.

Puissé-je me briser un jour

En une centaine de petites vagues

Au milieu de l’océan d’amour

Pour clapoter à jamais sur le rivage.

La mer Diêm Diên, 29-12-1967

En guise de conclusion, signalons que le poème Thuyền và biển a été traduit par deux autres traducteurs. La traduction de Do-Hurinville Danh Thanh peut être lue ici, et celle de Jean-Claude Renoux, .

Ce poème mis en musique est devenu une très belle chanson que vous pouvez écouter interprétée par trois chanteurs différents : 1, 2 & 3.


Nguyen Phuong Ngoc Jade