vendredi 30 novembre 2007

De l’intraduisible

En illustration : des pictographes Naxi (Yunnan, Chine, XVIIIe s.).
Source : The Schoyen Collection



L’Ecole doctorale « Langues, Lettres et Arts »
de l’Université de Provence
propose le lundi 17 décembre 2007,
une Journée doctorale sur le thème

« Traduire l’intraduisible »

pendant laquelle sont attendus neuf orateurs. Pour la plupart doctorants, ils partageront la vedette avec des professeurs de notre université et des chercheurs extérieurs à elle. En attendant sa version définitive, voici un rapide aperçu du programme de cette journée qui fera une place relativement importante à la littérature chinoise et à sa traduction.

Noël Dutrait ouvrira la journée avec une communication intitulée « Quelques exemples de difficultés dans la traduction des temps dans les romans de Gao Xingjian et de Mo Yan ». Juste avant la pause de la matinée, c’est He Hongmei (doctorante en littérature française) qui parlera des « Traductions de Proust en Chine ». Dans l’après-midi, à 16 h. précisément, Solange Cruveillé (doctorante en littérature chinoise) s’attachera à « La traduction des images érotiques dans un conte de Zhou Qingyuan ».

Il sera également question de Stanislaw Ignacy Witkiewicz (1885-1939) avec Ewa Adamusinska (9 h 35), des premières traductions de Don Quichotte en France avec Laurie Brun (10 h), de Primo Levi (1919-1990) avec Chiara Montini (16 h 25), d’Antonin Artaud (1896-1948) traducteur avec Claire Pegon (Professeur de littératures anglophones, Université de Provence, 16 h 50). Les autres communications toucheront à des sujets tels que « Traduire l’intraduisible : une approche post-coloniale » par Sabine Savornin (11 h 25), « La musique populaire dans le roman africain francophone et hispano-américain » avec Vanessa Chaves (11 h 50), de la traduction dans le contexte des consultations d'ethnopsychiatrie avec Lauriane Courbin (14 h 25), des « Normes de traduction et contraintes sociales » avec Gisèle Sapiro (CNRS, Centre de sociologie européenne, Paris) et, à 14 h, de « Saudade » avec Inès Oseki-Dépré (Professeur de littérature générale et comparée, Université de Provence) dont la riche bibliographie s’est enrichi au printemps dernier d’un nouveau titre De Walter Benjamin à nos jours… (Essais de traductologie) [Paris, Honoré Champion, 2007]. Plusieurs respirations sont prévues pour permettre d’amorcer des discussions entre tous les participants à cette journée, dont je vous communiquerai bientôt le lieu où elle va se dérouler.



De l’intraduisible, il en est également question dans un ouvrage qui devrait retenir l’attention de toute personne s’intéressant à la traduction, à la langue, à la littérature ... Il s’agit d’Ethique et politique du traduire qu’Henri Meschonnic vient de publier aux Editions Verdier (Lagrasse, 2007, 189 p.). Voici un cours passage de cet essai qui fait suite à de nombreux travaux sur la traduction et plus directement à Poétique du traduire (Verdier, 1999) qu’il convient, me semble-t-il, d’avoir fréquenté avant de s’embarquer dans la lecture de ce nouvel opus:
« Il n’y a pas de problème de traduction. Il n’y a pas d’intraduisible. Il y a seulement le problème de la théorie du langage qui est à l’œuvre dans l’acte de traduire, qu’on le sache ou non. Le résultat de cette activité est un produit qui varie en fonction de cette théorie, de telle sorte que toute traduction, avant même de montrer ce qui éventuellement reste de ce qu’elle avait à traduire, montre d’abord sa représentation du langage, et sa représentation de la chose nommée littérature, ou poésie. » [p. 38]
Loin de s’attacher à une simple approche pratique, le poète et traducteur, affirme [p. 38-39] que « l’enjeu du traduire est de transformer toute la théorie du langage » , « c’est-à-dire tout le rapport pensé entre le langage, la poésie, la littérature, l’art, l’éthique, la politique, pour en faire une poétique de la société. Cela passe inévitablement par le risque, ou plutôt la certitude, de ne pas être entendu sauf de quelques-uns, étant donné l’établissement de longue date des idées reçues, établissement qui ne conçoit ces activités que séparées les unes des autres, comme le montre l’état du savoir, l’état des sciences humaines et de la philosophie, l’état de l’Université. La théorie du langage, au contraire, est la pensée du continu et de l’interaction entre ces activités. »

A côté de cet essai exigeant à l’écriture inspirée qui, au fur et à mesure que je le découvre, me semble essentiel, les Expériences de la traduction d’Umberto Eco [Dire presque la même chose. Paris : Grasset, 2007, traduction par Myriem Bouzaher de Dire quasi la stessa cosa. Esperienze di traduzione (2003)], que je peine à achever, passent pour un catalogue, certes foisonnant, instructif, parfois distrayant, mais un peu décevant et sans perspective, des bizarreries et des difficultés de la traduction. Certes l’ouvrage peut devenir un vade-mecum utile à tous les traducteurs amateurs ou confirmés, mais il lui manque une vision directrice qui pourrait faire oublier le point de vue égocentrique quelque peu asphyxiant de chacun des 14 exposés successifs présentés par le brillant professeur italien. Les approches sont à ce point éloignées que la riche bibliographie de 16 pages qui conclut ce Dire presque la même chose ne fait pas mention des essais d’Henri Meschonnic ou même de ses traductions. On imagine pas même un instant ce dernier se livrer à une campagne de promotion dans laquelle l’auteur du Nom de la rose s’est montré expert, quand il écrit (ibidem) :
« On me dit que c’est difficile à comprendre et qu’il faudrait écrire pour le grand public. C’est d’une méconnaissance profonde de ce qu’a toujours été le travail de la pensée. Ce qu’on appelle le grand public n’est autre que l’effet social de tous les académismes de cet établissement*, qui définissent leur horizon d’attente comme le territoire du pensable. Ce qui en diffère et qui s’y oppose est à la fois ce qui passe pour difficile et qui est aussitôt rejeté et mis au silence. Rien de nouveau sous le soleil, puisque la pensée est une folie qui veut changer le monde, par rapport au maintien de l’ordre. Mais c’est le poème de la pensée. » [* voir la citation précédente]
Il n’en reste pas moins que l’auteur d’une œuvre considérable où se croisent essais, poésie et traductions et qui fut professeur de linguistique et de littérature à l’université Paris VIII ne manque pas d’humour quand il écrit : « Nous pensons comme un saucisson coupé en tranches pourrait penser, s’il pensait. De fait, nous ne valons guère mieux. » (p. 19) Tentons, pour le moins, de ne pas finir en rondelles et de trouver, chez les uns ou les autres, selon ses goûts et ses aspirations, le liant qui permette de rester entier le plus longtemps possible. (P.K.)

Asia

Alors que la tendance du moment favorise la presse en ligne, deux titres viennent de voir le jour. Leur objet : l’Asie. Il convient donc de les connaître et de les mettre en observation !


Asia Magazine

m’a été signalé par Solange Cruveillé qui nous le présente :

Signalons l’arrivée dans les kiosques d’un nouveau magazine de société dédié exclusivement à l’Asie. Asia, qui nous propose de « comprendre l’Asie d’aujourd’hui », est né de la collaboration entre le journaliste Pierre-Yves Bénoliel (Directeur de la rédaction), le créateur d’entreprises Philippe Pascot (Directeur administratif), le sinologue et journaliste Alain Wang (Rédacteur en chef) et Philippe Hofstetter (ancien du groupe Bayard Presse, Directeur artistique). L’idée de publier un magazine consacré à l’Asie est née du constat de « l’absence en français d’un magazine grand public qui soit consacré à l’Inde, au Japon, à la Corée, à la Chine… à l’Asie dans toute sa globalité et sa diversité, alors que la mutation rapide de cette région du monde nous concerne de plus en plus. » Les chroniqueurs sont des spécialistes de divers pays asiatiques ainsi que des correspondants sur place (journalistes, chercheurs, traducteurs…). Ont notamment participé à ce premier numéro Joris Zylberman, philosophe de formation, sinologue et journaliste, Jean-Philippe Chameau, diplômé de l’Institut des Langues Orientales de Paris en japonais, et Cyrille J.-D Javary, traducteur du Yijing.

Le numéro de lancement nous livre un panorama social, politique et économique de pays en pleine évolution dans cette région du monde : la situation politique à Hong Kong et les bouleversements vécus ces dix dernières années (Hélène Guillez), les stratégies de croissance en Corée du Sud (Alain Wang), l’attrait économique de l’Inde (Michel Testard), le choix du libéralisme économique au Vietnam (Alain Wang), et enfin une interview de Jean-Luc Domenach (Directeur de recherche au CERI) qui donne des pistes pour Comprendre la Chine d’aujourd’hui, titre de son dernier ouvrage chez Perrin. D’autres sujets éveillent la curiosité et l’intérêt du lecteur : les Japonaises d’aujourd’hui (« Femmes au foyer… contre Business women », Anne Garrigue et Sylvie Chevallier) ou encore la vie animée à Shanghai (« Le retour des années folles », Joris Zylerman). Côté culture, à signaler un article dans la rubrique « Expo » intitulé « De l’Inde au Japon » (Geneviève Lamoureux), avec la présentation des dernières acquisitions du Musée Guimet, ou encore l’article de C. Javary sur « La modernité de Confucius ».

Ce Yazhou zhoukan 亞洲週刊 bimensuel à la française comporte en outre plusieurs rubriques vivantes et actuelles : un rapide état des lieux (« l’Asie en bref », qui passe en revue différents événements majeurs économiques et politiques de ces deux derniers mois), une rubrique « Evénements », qui nous informe des expositions, manifestations culturelles et artistiques (musique, danse, théâtre…), une rubrique « Coups de cœur » qui présente des lieux inédits aux voyageurs, un coin « Saveurs d’Asie » qui traite ici des « Plaisirs du washoku au Japon », et enfin une rubrique « Livres » avec les nombreuses nouveautés des maisons d’édition dont une présentation par Luce Petit du livre Couleurs de nuage de Feng Zikai 丰子恺 (1898-1975) traduit du chinois par Marie Laureillard aux Editions Bleu de Chine. Le tout est richement illustré, avec de nombreuses interviews et surtout des notes bibliographiques réparties au fil des pages. Enfin, on apprécie la présentation originale qui intègre dans chaque article le drapeau du pays dont il est question.

Le contenu de ce magazine est certes éclectique et vulgarisateur, mais a néanmoins le mérite de traiter de l’Asie dans son ensemble, que ce soit géographiquement ou thématiquement, pour la présenter à un public assurément croissant d’amateurs et de spécialistes. Souhaitons donc bonne chance à cette équipe novatrice. (S.C.)



Dans un tout autre registre mais avec un titre qui pourrait induire en erreur, voici une revue pour un public beaucoup plus restreint, Score Asia. Son projet est de « parler des cinémas d'Asie, qui connaissent actuellement une vague d'intérêt croissante en France et plus largement en Occident, mais qui restent étonnamment (et tristement) en retrait dans la presse hexagonale. » Seront, à travers le prisme du cinéma, également abordés d’autres aspects de ce que les promoteurs de cette publication appellent les « pop cultures d'Extrême-Orient », savoir la bande dessinée, la musique et également les sports de combat. Cette revue, dont le numéro 1 peut se feuilleter en ligne à partir d’ici, paraîtra tous les deux mois. Je vous recommande cette page qui est consacrée au dernier film de Ang Lee 李安, Lust, Caution《色,戒》, sur lequel nous reviendrons un de ces prochains jours. (P.K.)

jeudi 29 novembre 2007

A Writer For His Culture, A Writer Against His Culture

Appel à contribution / Call for papers:

A Writer For His Culture,
A Writer Against His Culture :

Gao Xingjian


International conference organised by
The Chinese University of Hong Kong
(CUHK),
the French Centre for Research on Contemporary China (CEFC, Hong Kong), and
the University of Aix-Marseille I

Dates : 28 - 30 May 2008

Venue : The Chinese University of Hong Kong

Organising Committee
Noël Dutrait, Gilbert C.F. Fong, Hardy Tsoi, Sebastian Veg

Proposal and Paper Submission
Please submit a title and a brief abstract of around 250 words by email to:
Hong Kong Drama Programme,
Sir Run Run Shaw Hall, The Chinese University of Hong Kong (srrsh@cuhk.edu.hk), or Sebastian Veg (sveg@cefc.com.hk)
Please include your position and institutional affiliation in your proposal. Abstracts should be written in English. Presentations may be made in English or Chinese (Putonghua).
Deadline for submission of proposals: 15 January 2008
Deadline for submission of papers: 1 May 2008

Gao Xingjian has in many ways cultivated a complex relationship with cultural identities. Born in China, where he lived until the age of 47, he then moved to Europe, finally settling in France after deciding not to return after 1989. He is the first Nobel laureate in literature to write in Chinese, but received the prize as a French citizen. His two full-length novels are both closely linked to China, One Man’s Bible because it deals with the episode of the Cultural Revolution, and Soul Mountain because it is, among other things, a deep-reaching confrontation with and reworking of southern Chinese popular legends and traditions. At the same time, Gao has repeatedly presented both of these works as a kind of final reckoning with China and Chineseness, asserting that he had severed all links with China and now considered himself a trans-national or trans-cultural writer.

«
Chineseness », if this is indeed a useful concept, is firstly linked to language. Gao is one of a very small number of writers who have authored works in more than one language, as did Samuel Beckett before him. But while Beckett moved chronologically from English to French, Gao continues to write simultaneously in both Chinese and French, choosing his native language for the longer novels, and his adopted language for the shorter dramatic works that he wrote during the 1990’s. As did Beckett, he takes an active interest in the translations of his works between French and Chinese, and has actually translated, and in fact rewritten, several theatrical works, baffling translators into third languages, who no longer know which version to work on.

For these reasons, in terms of biography, language, and aesthetic and cultural references, Gao Xingjian presents a very singular case for study. This conference will focus on the issues related to Chineseness in his work, without any limitations in terms of genre, examining his plays, novels, stories, paintings and film. The question of language may serve as a starting point: is there something distinctly Chinese in the works that Gao has authored in Chinese, as opposed to his French writings? What role does translation play in the evolution of his writing, especially in the case of texts that he has himself adapted into another language, but also more largely in terms of translating cultural references into another language and cultural context? In particular, how do Chinese traditional cultural references, but also allusions to modern and contemporary Chinese history (the early in 1980’s in his first dramatic works), fit into texts that purport to be situated beyond national borders?

More generally, the issue of Chineseness raises the question of aesthetics. How is one to assess Gao’s assertion that he is no longer a «
Chinese writer », but rather has attained a form of intercultural aesthetics that are not indebted to a particular national tradition? Few would deny that Gao’s works continue to engage with Chinese aesthetics in an unmistakable way. To name but a few, the recent opera Snow in August, which was staged in Taipei and Marseilles in 2004, is freely adapted from the legend of Huineng, the sixth patriarch of Chan/Zen Buddhism, a doctrine or method which plays a particular role in the structure of several of his texts. His paintings also draw on elements of Chinese aesthetics, using ink, brush and water to create a distinctive style that eschews any simple characterization in terms of national traditions. In this connection, one may wonder whether this particular style played a role in defining Gao’s syncretic form of writing.

Finally, the very categories of national literature and cultural tradition should probably not be viewed uncritically. While Gao deconstructs the idea of Chineseness in his texts and works, one may wonder to what extent this critical attitude is simply part and parcel of the contemporary situation of literature, in which national, linguistic and cultural borders tend to become blurred, as many writers aim to achieve a form of writing that can no longer be ascribed to a cultural tradition in any linear or direct way.


Contacts:
Gilbert C.F. Fong (cheefunfong@cuhk.edu.hk) or
Sebastian Veg
(sveg@efc.com.hk)

Happy Oh Happy

Vous avez perdu quelque chose de précieux

L’évènement est suffisamment exceptionnel pour être souligné. Une pièce de théâtre coréen était donnée à Paris (Théâtre de Ménilmontant) les 22 et 23 novembre dernier, Happy Oh Happy de la jeune et prometteuse Lee Yun Sǔl (이 운 설). Nous avons eu la chance d’assister à cette pièce, mise en scène par Lee Jong-il (이 정 일), traduite et sur-titrée par Han Yumi (한 유미) et Hervé Péjaudier.

Grand Prix 2005
du Festival International de Kǒchang (거창) (Corée du Sud), Happy Oh Happy présente une facette très intéressante du théâtre coréen contemporain , trop rare en France. Cette pièce n’interroge pourtant que de loin ce que certains nomment la « coranéitude », néologisme tendant souvent à se constituer en réponse automatique aux questions justement sans réponse. La portée de la pièce a une valeur bien plus universelle et il n’y a nul besoin de connaître la Corée et la langue coréenne pour l’apprécier (même si le non coréanophone passera à côté des onomatopées et des blagues ou jeux de mots).


Un curieux « Service des Objets Trouvés Réunis, filiale du service de consignation, filiale de Pandora, service de consignation », est tenu par un personnage au statut indéterminé, vaguement charlatan, aidé par un être humain transformé en chien savant, bavard et lettré, véritable « confuchiien ». Maître et chien sont chargés de retrouver des objets perdus par des insouciants, des paumés arrivés au bout d’un chemin sans trouver de nouvelles ressources. Défile alors une galerie de personnages savoureux et amochés, ayant perdu tour à tour l’amour, la confiance, le courage...

La jeune femme délaissée en a même oublié le visage de son mari, tant elle se consacre à la recherche de l’amour. Le chercheur scientifique lui, consigne toutes les questions et réponses de la vie dans un carnet qui ne le quitte jamais et dans lequel il puise les réparties possibles, mais rate son suicide, faute du courage nécessaire. Le policier qui manque de confiance en soi va chercher l’amitié du voleur, natif du même village, tandis que ce dernier tente d’échapper au fougueux coup de foudre de la jeune femme en mal d’amour. Et puis ce chien susceptible qui hésite entre le statut de chien et celui d’humain, tandis que son maître se prêtera de bonne grâce à la promesse faite de lui trouver une compagne, luimême en l’occurrence…

Ce beau monde perdu, en quête d’essentiel, de leur essentiel, est une formidable réflexion sur les conditions du bonheur dans un monde nourri d’illusions. Cette quête inlassable au travers des réclamations formulées au Bureau des Objets Trouvés est littéralement hilarante, car si personne n’arrive à retrouver l’objet de sa perte, les demandeurs reçoivent en revanche et en retour, des réponses hautement philosophiques de la part du chien, réponses faites dans un humour débridé, très peu encombré par la morale confucéenne.

Le jeu des acteurs et la mise en scène, souvent typique du théâtre coréen, dans laquelle on retrouve musique, acrobaties, 3 costumes colorés, masques et parfois arts martiaux sont autant d’interrogations sur notre société encombrée d’objets de consommation, courant après le bonheur mais oublieuse des valeurs fondamentales qui constituent la communauté des hommes, au-delà de l’illusion de la possession. La pièce empreinte de valeurs bouddhistes ne verse jamais dans la morale. Pas plus qu’elle n’est une pièce purement « coréenne ». Le travail du metteur en scène aide bien, de ce point de vue, à dépasser le message singulier pour aller vers un théâtre à vocation universelle.

On rit du début à la fin, grâce aussi à la traduction et au surtitrage de Han Yumi et Hervé Péjaudier prouvant ainsi que l’on peut très bien, si les conditions techniques sont réunies, sur-titrer une pièce de théâtre, sans nuire à sa réception. Ce travail de traduction restitue le texte coréen à l’humour corrosif et à la portée philosophique non dissimulée, même si on peut reprocher à ce dialogue humour-philosophie, quelques faiblesses d’écriture. Mais ne boudons pas notre plaisir !


La Cie Ipche (입재) composée d’une quarantaine de personnes présente la particularité de travailler sur la base d’un projet collectif, bien éloigné du star system. Elle s’est déjà venue en France l’an dernier, à Avignon et Paris où elle a présenté la pièce Muldoridong, A la Courbe des Eaux (물도리동), un texte de Ho Kyu (호 규) et une mise en scène du même Lee Jong-il. Elle se produit régulièrement à l’international, et c’est sans doute dans ce cadre qu’elle pourrait bien venir un jour à Aix-en-Provence.
(KIM Hye Gyeong et Jean-Claude de Crescenzo)

lundi 26 novembre 2007

Petit rappel

Si vous êtes un fidèle de ce blog, vous savez déjà que notre équipe a inscrit dans ses projets pour 2008, la création d'une revue en ligne dédiée à la traduction des littératures d'Asie et baptisée

Impressions d'Extrême-Orient.

Je ne reviens pas en détail sur les objectifs visés et les règles édictées pour y parvenir, car on les trouvera ici, sur ce blog, ou sur le site de l'équipe. Je me conterais pour l'heure de rappeler à ceux qui seraient tentés de participer activement à cette aventure que le thème retenu pour se numéro initial est le voyage : voyage réel ou virtuel, onirique ou d’exploration, et que la date limite fixée pour la réception des propositions est, jusqu'à nouvel ordre, le 15 décembre.

Pour l'heure seule, Solange Cruveillé a répondu à l'appel, en traduisant la deuxième anecdote d'introduction du 21e conte d'un recueil de contes chinois en langue vulgaire du XVIIe siècle intitulé Xihu erji 西湖二集, montrant un lettré qui, en s'égarant sur le chemin le conduisant à la capitale où il va passer les examens impériaux, rencontre une aimable renarde.

De mon côté, j'ai finalement arrêté mon choix sur un texte du Xianqing ouji 閑情偶寄 dans lequel Li Yu 李漁 (1611-1680) parle, à sa manière, forcément originale, du voyage.

Et vous, quelle merveille inédite avez-vous l'intention de nous faire découvrir ? Je vous encourage à faire rapidement vos propositions, car vos traductions, une fois acceptées, devront suivre un long parcours qui passe par une évaluation devant le comité de rédaction, leur mise en forme, avant d'être accessibles, au début du printemps prochain, aux lecteurs amateurs de surprises littéraires venus de l'Orient extrême. (P.K.)

Ajout du 30/11/07 : Noël Dutrait vient de faire connaître son choix par un commentaire attaché à ce billet dont voici le texte : « Les étudiants de Master 1 de chinois préparent une traduction d'un texte de Cao Naiqian 曹乃谦 (1949-) intitulé « Jujube sauvage ». Il y est question d'un voyage réel, d'un voyage onirique,... et de la dure réalité. Et je pense que vous n'oublierez pas, après lecture, le personnage de la jeune femme appelée Yesuanzao, Jujube sauvage... » On en a l'eau à la bouche ?

Ajout du 12/12/07 : Louise Pichard-Bertaux a choisi une nouvelle de Chat Kopchitti (1954-) publié en 1983 sous le titre de « Klap ban kuet » (De retour au village) qui est un voyage à la fois dans l'espace, de la ville à la campagne, le temps, avec un retour vers l'enfance, et « aussi un voyage intérieur qui fait réfléchir le narrateur à la construction de sa vie urbaine entièrement tournée vers la consommation. »

Super Toby

Encore un billet au titre douteux ! Mais, ne m'en veuillez pas, je n'ai pu résister : mettez cela sur le compte d'une privation d'université pendant de longues semaines sans date de réouverture annoncée. Ce titre est en fait le condensé de celui d'un billet de Danwei (et oui encore !) intitulé « Super-agent Toby Eady on the importance of agents for Chinese authors » (24/11/07) qui donne la parole à M. Toby Eady que Jeremy Goldkorn présente ainsi : « Guest contributor Toby Eady is a London-based literary agent who represents Jung Chang [Zhang Rong 張戎 (1952-)] (Wild Swans [Three Daughters of China, 1991]) and Xinran Xue (The Good Women of China).» C'est aussi, peut-on ajouter, le fils de la romancière Mary Westley (1912-2002).

Voici donc les meilleurs moments de ce plaidoyer en faveur de l’exclusivité de l’agent littéraire en milieu chinois [c'est moi qui souligne] :

Chinese Authors – beware when fools rush in.
« I have a Chinese author whose work I and everyone at my agency all admire tremendously. Over the course of four years, after countless rejections from commercial publishers, we persuaded a respected university press in the US to buy the book and pay for a top translator. That process took meetings in New York, Frankfurt and in Beijing with the author. On the back of this, Penguin US bought the paperback rights and will distribute throughout the world. The book had recently sold to a very good publisher in France and Italy. We were beginning to get the right sort of reviews, attention and interest. And then I found out the author had been approached by a new literary agency based in Hong Kong and persuaded to sign a contract with them to represent his new novel. »
« From having worked with Chinese authors for the last twenty years, I know that publishing culture is different in China. It is a sign of success to have five different publishers and of failure to have one. In China there are many different cities with their own publishing house. In the West, the most important thing is
continuity; an author who is shopping around, changing publishers, agents is either a « celebrity » or an author who will soon be without a publisher.
For a publisher in the west to make a success of a Chinese author they have to find the right translator – not all translators are suitable for an author’s style.
To edit a translation takes time – at least 6-8 months, in many cases years - and a fine eye and ear and the time to use them. There are very few corporate publishers who can offer that.
To most Western publisher - and agents- all of this time, travel and energy would not be worthwhile. So a Chinese author has to find an agent who has the experience to give your book that attention, put that work in: find you a top translator and a publisher who believes in continuity and understands how to publish Chinese authors and there are precious few of those about, with honourable exceptions. Always remember, it is a relatively small market: translation makes up
5% of most publisher’s lists. Most translations into English sell more copies in Australia, Canada than England and certainly more than the US, with certain high-profile exceptions. (...)
Publishing in the west – like driving – can be frustratingly slow for the Chinese. But if you are translated properly, published intelligently you can sell in up to thirty languages, earn money over years from royalties that you never imagined. If not, you will sink with little trace. (...) ... having two agents representing one author might cause confusion. This makes me worry a great deal for the future of authors who sign up with these new agencies that have sprung up. Their attitude is evidence of dangerous clash of publishing cultures. Most of us publishing in the west know each other and know the dangers I’ve outlined. No publisher wants, or is happy to buy and give their time to an author who is being shopped around by different agents. What they want is continuity and authors would be wise to want it too. » [Pour l'arti
cle entier, voir ici]
Vous aurez noté avec satisfaction que Toby Eady conçoit que le temps est un des éléments majeurs à prendre en considération pour obtenir une bonne traduction et devrez également apprécier ce qu’il a dit dans un article de CNN.com :
« Time is the greatest and most imposing factor, » Eady says. « In order to get a book published you have to be ready for it to take three years. » Preparing a manuscript for publication leads to the inevitable « Westernizing » of a Chinese work, he says. Chinese is a « pictorial » language, structured differently from Western languages, Eady says. « It's a completely different way of thinking. Inevitably, some minor alterations will be made. » Additionally, there are few translators available to publishing houses who can provide top-level, nuanced translation, Eady says. « Most are young and underpaid. »
Il n'en fallait pas plus pour renforcer ma sympathie et aiguiser ma curiosité : dans un premier temps, je me suis demandé qui était l'auteur dont il est question dans le paragraphe liminaire de son intervention ? A cette question, je n'ai pas de réponse définitive : le commentaire posté par Fritz (le 24/11/07 à 12:03PM) pourrait mettre sur une piste ; je le cite : « Is Mr. Eady's client the one that wrote the chairman bio ? » Dans ce cas ce serait Zhang Rong/Jung Chang co-auteur avec Jon Halliday de Mao. The Unknown Story (2005). Mais ce pourrait tout aussi bien être Zhu Wen un des auteurs de Toby Eady dont une œuvre a été publiée par les Presses de l'Université Columbia. Mais il ne s'agit là que de conjectures. Si vous avez des lumières, merci de nous en faire profiter.

Par acquis de conscience, je me suis rendu sur le site de Toby Eady Associates pour voir qui sont leurs auteurs chinois. La page d'accueil indique que la société a été créée en 1968, et elle en fournit la philosophie : « As a smaller, more personal agency we believe that books should be published with commitment, passion and imagination. We are looking for stories that demand to be heard. » Mais, alors que je m’attentais, et vous aussi sans doute, à trouver une longue liste d’auteurs chinois, le site n’en propose que trois (voir ici) ! Les voici :

Trois clichés du Weiminghu (Université de Beijing) pris en septembre 2006.

Diane Wei Liang

« [She] was born in Beijing. She spent part of her childhood with her parents in a labour camp in a remote region of China, and the other part in Beijing with her mother when her parents were forced to live and work in different cities. She studied psychology at Peking University. In 1989 she took part in the Student Democracy Movement and was in Tianamen Square. Later that year, she left China for the USA. Diane has a Ph.D in Business Administration from Carnegie Mellon University and was a business professor in the USA and UK for over ten years. » Elle vit maintenant à Londres avec son mari et ses deux enfants. Son premier roman a été publié en 2003. C'est Lake With No Name qui a été traduit de l'anglais par Elise Argaud, sous le titre Les Amants de Tiananmen sortis dans la collection « Regards croisés » aux Edition de l'Aube (2006, 368 p.) qui le présentent ainsi :
« Lentement, la place Tiananmen se déploya devant nous comme un vieux livre de contes de fées. Au nord, la magnifique porte de la Paix céleste (Tiananmen) surplombe la place dans sa splendeur pourpre et or. […] Plusieurs milliers de gens devaient y déambuler, mais la place me paraissait déserte. Dans mes souvenirs, tout était différent : sept ans plus tôt, cet endroit avait été un champ de bataille envahi par de jeunes Chinois avec du sang sur la chemise, sur le bandeau et dans les yeux. Les drapeaux flottaient au vent. Où étaient passés tous ces jeunes gens de dix-huit ans, où étaient-ils à présent ? »
Le 4 juin 1989, à Pékin, les chars entrent sur la place Tiananmen – et les jeunes rêves de démocratie et de liberté basculent, en même temps que la vie de Wei, une jolie étudiante promise à un bel avenir. Elle se réfugie aux États-Unis où elle a obtenu une bourse, cœur et espoirs brisés.
Sept ans après, Wei rentre à Pékin, prête à retrouver parents, amis et amours…, et nous confie un roman passionnant, tant par l’Histoire que par son histoire. »
The Eye of Jade (2007), le dernier roman de Diane Wei Liang, dont je n'ai pas réussi à identifier le nom chinois, devrait voir le jour cette année aux Editions Robert Laffont. Peut-être en reparlera-t-on ?


Zhu Wen

D'un an le cadet de Diane Wei Liang , Zhu Wen est quant à lui du Fujian et diplômé de l'Université de Nanjing en 1989. « From 1989 to 1994 he worked as an engineer in a thermal power plant, during which time he began writing fiction. Since he became a full-time writer in 1994, his work has been published in many of Mainland China's most prestigious literary magazines, and he has produced several poetry and short story collections, a full-length novel and three films. Over the course of his writing career, Zhu Wen has established himself as a pivotal figure in Post-Mao Chinese literature, to whom other authors of his and younger generations look for inspiration. His success in recreating on the page the brutal absurdities of contemporary China has turned him into a representative voice of the 1990s and beyond. »

I Love Dollars and other Stories in China (trad. et préface par Julia Lovell) a été publié par les Columbia University Press en 2007. Un excellent compte rendu en a été donné par Sébastian Veg dans le n° 98 de Perspectives chinoises ; il est disponible en ligne ici et s'achève ainsi :
« Notre hypothèse est que Zhu Wen, au-delà du cynisme de ses narrateurs, cherche à développer une critique de la société de consommation qui ne soit pas simplement moralisante – un positionnement qu’il a le mérite de ne jamais adopter. Tout en soulignant la liberté relative, en particulier dans la vie individuelle, qu’a permis la libéralisation économique, il montre l’écrasement des individus sous une multiplicité de structures de pouvoir, dont l’unité de travail socialiste continue à faire partie, mais qui englobent aussi la structure familiale traditionnelle, et la violence économique du capitalisme débridé. L’humour et l’ironie des narrateurs donnent corps à cette résistance diffuse qui, si elle comporte une part de cynisme, ne se réduit pas à une posture. En somme, l’édition opportune de ce recueil, servie par une excellente traduction, nous permet d’entendre la voix d’un écrivain et réalisateur novateur, qui contribue à construire le monde littéraire chinois actuel. »

Wu Fan 吴帆

« Fan Wu grew up on a farm in southern China, where her parents were exiled during the Cultural Revolution. she moved to the United States in 1997 to study at Stanford University and began to write in 2002. (...) She lives and works as a web editor in California. She writes in both English and Chinese and is working on a second novel and a short story collection. » Son premier roman, February Flowers (2006) devrait voir prochainement le jour en traduction chez Philippe Picquier. Une visite à son site (ici) vous permettra de mieux faire connaissance avec cette auteur qui vit à San Jose en Californie et travaille dans l'édition de sites internet. On y trouve notamment des jugements très enthousiastes sur ses écrits (ici), dont celui-ci sur February Flowers signé par Xinran :
« An original and unforgettable story. Just like the flowers referred to in the title, Fan Wu's novel is brimming with passion, vitality, and hope. The girls in this book are the daughters and granddaughters of The Good Women of China, and are products of the society both modern, expansive, and communistically introvert. »


Justement un mot sur (Xue)
Xinran 欣然 (1958-), journaliste-écrivain et âme de l'association « The Mothers’Bridge of Love ». Elle est connue en France pour ce The Good Women of China, qui est devenu Chinoises dans la traduction de Marie-Odile Probst (Picquier, 2003) et Funérailles célestes traduit de l'anglais par Maïa Bhaâratî (Picquier, 2005). On peut encore lire (ici) une interview réalisée le 13 mars 2005 par Emmanuel Deslouis pour le site Eurasie. Son dernier livre, Miss Chopsticks devrait sortir en français sous le titre Baguettes chinoises (début 2008). Dans un article du Guardian (13/07/2002), où Xinran est chroniqueuse, Angela Lambert citait Jung Chang : « When [Xinran] told me her stories I found them so interesting that I introduced her to my agent, Toby Eady. » Elle en est devenue l'épouse.

Pour en revenir à Toby Eady, on apprend ailleurs, qu'il est aussi l'agent de Ma Jian 馬健 (1953-), auteur bien connu des Français grâce à cinq traductions. La dernière en date étant ce bol de Nouilles chinoises traduit par Constance de Saint-Mont (Flammarion, 2006). Certains d’entre vous y ont-ils trempé les lèvres ?

Ceci dit, que penser des choix de Toby Eady qui semblent faire la part belle à des auteurs chinois, qui, mis à part Zhu Wen, vivent tous en dehors de Chine dans un environnement anglo-saxon et écrivent tout ou partie de leur œuvre en langue anglaise ? (P.K.)

P.S. : De son côté, Ha Jin 哈金
[Jin Xuefei 金雪飞 (1956-)], présent dans nos librairies avec quatre titres déjà, a les honneurs du Sunday Book Review (25/11/07) du New York Times pour son nouveau roman écrit en anglais, A Free Life (Pantheon Books, 660 p.), dont on peut découvrir le premier chapitre ici [Ajout du 30/11 : Rebelote dans The New Yorker daté du 3 décembre avec rien de moins qu'un long compte rendu signé John Updike (1932-) qu'on lira ici.] Le spécialiste de littérature chinoise ne peut donc plus se contenter du chinois pour embrasser la création littéraire chinoise de notre début de siècle. Mais jusqu'à quand ces auteurs chinois-là - on peut, entre autres, ajouter dans cette liste les noms de Qiu Xiaolong et d'Amy Tan, déjà évoqués sur ce blog (voir ici) - seront-ils considérés comme des auteurs chinois ? La blague des Two Stupid chickens reproduite plus haut exprime très bien, me semble-t-il, la perplexité dans laquelle nous plongent ces questions. (P.K.)

Ajout du 12/12 : On lira avec grand plaisir et attention le billet que Bertrand Mialaret a consacré au dernier opus de Ha Jin sur Rue89.com :
« Le premier roman "américain" du "chinois" Ha Jin » (11/12/07), voir ici.