vendredi 7 décembre 2007

Une visite à Singapour

Une grande exposition des peintures de Gao Xingjian se déroule en ce moment à l’iPreciation Gallery de Singapour. Ce fut l’occasion pour notre prix Nobel 2000, de s’entretenir publiquement en différents endroits de la citée-Etat.

Ce fut le Lycée français de Singapour qui a accueilli le premier jour Gao Xingjian et moi-même pour une rencontre avec les lycées français et leurs professeurs. Gao Xingjian a retracé son parcours d’écrivain, de traducteur, de peintre, d’auteur d’opéra, et même de film… J’ai moi-même raconté comment j’avais rencontré Gao Xingjian dès 1978, comment j’avais commencé à traduire ses œuvres, comment Liliane Dutrait et moi avions entretenu une longue relation avec Gao Xingjian tout au long de notre travail de traduction. Les lycéens et leurs professeurs ont été séduits par la gentillesse et la disponibilité de Gao Xingjian et ont posé de nombreuses questions auxquelles Gao Xingjian a répondu avec beaucoup d’enthousiasme.

Puis le Lycée français a organisé une rencontre avec les élèves de l’option théâtre qui avaient travaillé avec leur professeur sur la pièce de Gao Xingjian Quatre quatuors pour un week-end. Malheureusement, le Maître avait dû partir, happé par les nombreuses interviews sollicitées par les médias. Une rencontre avec les élèves de chinois et leurs professeurs m’a permis de leur transmettre quelques idées au sujet de la traduction du chinois et de les encourager à progresser dans l’étude de cette langue. Pour pouvoir un jour peut-être traduire un roman chinois, une occupation excellente selon Heine

Cette visite de Gao Xingjian à Singapour a été aussi pour lui l’occasion de montrer son film La Silhouette sinon l’ombre (Silhouette/Shadow) réalisé avec Alain Melka et Jean-Louis Darmyn en 2006 (ce film avait été présenté en avant-première à Aix-en-Provence en juin 2006, en présence des réalisateurs). Un très beau livre de Fiona Sze-Lorrain aux éditions Contours [Silhouette/Shadow. The Cinematic Art of Gao Xingjian, Paris] a été présenté à cette occasion, dans lequel on trouve un texte de Gao Xingjian au sujet de sa conception esthétique du cinéma. Une fois de plus, Gao Xingian a créé une oeuvre totalement nouvelle, en dehors de la mode et des tendances actuelles.


Un autre moment fort de cette visite a été la cérémonie au cours de laquelle Gao Xingjian a fait don au Musée d’Art Moderne de Singapour (le SAM) d’un tableau géant intitulé Day and Night. Cette encre de Chine sur papier mesure 193 x 471 cm !


Enfin, une conférence/dialogue de Gao Xingjian et moi-même a été organisée à la National University of Singapore par l’Ambassade de France et l’East Asian Institut de cette université. (Voir ici) Gao Xingjian a réaffirmé sa position d’artiste « mondial », qui n’attache pas d’importance particulière à sa nationalité. Il a réaffirmé aussi que la littérature et l’art ne servaient pas à « sauver le monde » et n’y parviendraient jamais.


Individu isolé et fragile, Gao Xingjian a passionné son nombreux public aussi bien lors de la rencontre au Musée d’art moderne de Singapour qu’à l’université. La notion de « nation chinoise » est très forte dans l’esprit des intellectuels de Singapour et nul doute que la tranquille assurance de Gao Xingjian qui montre son indépendance d’esprit par rapport à la grande Chine a interpellé les participants à ces rencontres.

Le succès de cette visite, amplement rapportée par les medias de Singapour et d’autres régions d’Asie, montre que la voix originale de Gao Xingjian reçoit un grand écho auprès du public partout dans le monde ... (Noël Dutrait)

Ajout du 10/12 : on peut voir une vidéo de la rencontre du 24/11, sur Youtube >> ici.

mercredi 5 décembre 2007

Réponse à la devinette (008)

En illustration, les deux autres gravures reproduites par Pierre Palpant d'après l'édition originale des Deux cousines.

C'était pourtant bien parti. Le jour même de la publication de cette huitième devinette, Mathieu X. avait déjà identifié le roman chinois dont le titre traduit était proposé dans sa formulation française des Deux cousines comme étant le Yu Jiao Li 玉嬌梨. C'était le plus facile. J'en avais, en effet, déjà parlé ici et où je fournissais une illustration qui devait lever les dernières hésitations, et avait promis de rendre, un jour prochain, justice au traducteur Abel-Rémusat (1788-1832) en mettant en exergue ses avis sur la traduction des romans chinois - j'y travaille.

Il ne restait plus qu'à trouver le signataire de cette lettre dans laquelle celui-ci avoue son engouement pour ce roman. Lui aussi avait fait l'objet d'un billet, mieux, d'une devinette, la cinquième qui vous avait tenu en haleine au début de l'été [Voir ici et ]. Et puis, depuis dix jours, plus rien ! Alors, ne perdons plus de temps, il s'agissait (à nouveau) de Heinrich Heine (1797-1856) qui avait écris cette lettre de Potsdam, le 5 juin 1829.

Certes, L.D. l'avait deviné grâce, a-t-elle avoué, à Gallica2 qui propose une édition française de la correspondance de Heinrich Heine [Correspondance inédite. Paris : Michel Lévy Frères, 1866. Voir page 38/39 du livre ou 45/46 du document pdf], mais elle avait eu la délicatesse de ne révéler que le prénom de l’auteur ; Mathieu, de son côté, avait fait preuve d'une grande perspicacité en postulant que le rédacteur avait écrit en allemand, et de persévérance en proposant le peintre autrichien Koloman Moser (1868-1918), dit Kolo, comme destinataire possible.

Effectivement, Heine, qui maîtrisait parfaitement notre langue, avait écrit en allemand car il s'adressait à son ami Moses Moser (1796-1838) dont la Jewish Encyclopedia en ligne [qui pour l'occasion - voir ici - met à contribution G. Karpeles, Heinrich Heine, Aus Seinem Leben und Seiner Zeit, pp. 66 et seq. - merci à N.I. pour l'information] nous apprend qu'il fut un « German merchant (...), educated for a business career, and was for a time an assistant of the banker Moses Friedländer in Berlin. Afterward he became the confidential cashier of Moritz Robert there. Moser had considerable mathematical talent; and he also studied philology. With [Eduard] Gans [(1797 ou 1798-1839)] and [Leopold] Zunz [(1794-1886)] he helped to found the Verein für Kultur und Wissenschaft des Judenthums. He thus became friendly with Heine, who had a high opinion of his ability and character. (…) Many of Heine's most intimate letters were addressed to Moser, who was his closest friend up to the year 1830. »

Le texte original de la lettre se trouve sur Das Heinrich-Heine-Portal avec ses notes et ses gloses, voir ici. On y lit notamment la note suivante : « den beiden Cousinen – Heine las den Roman des französischen Sinologen Abel Rémusat, Fu-kiao-li, ou Les deux cousines, Paris 1826. Er war in Deutschland unter dem Titel »Ju-kin-li oder die beiden Basen« (Stuttgart 1827) erschienen. »

Voici pour conclure, voici la fin de la lettre de Heine de sa version allemande :
« Ich bitte Dich, laß das Sanskritt liegen u lerne chinesisch u überstze mir einen chinesischen Roman; das ist das beste was einer thun u lesen kann. Seit meiner Bekanntschaft mit den beiden Cousinen ist meine Seele in Peking, Nangink u To-tzong, ja in Orten die meine Zunge nicht einmahl aussprechen kann. Ich umarme Dich; leb wohl. Dein Freund. H. Heine. »
Et vous, pensez-vous que Heinrich Heine a raison lorsqu'il conseille à son ami d'apprendre le chinois et lui demande de traduire un roman chinois, car « c'est ce qu'il a de mieux à faire et à lire » ? (P.K.)