samedi 4 avril 2009

Objet de collection

« The IIAS Newsletter celebrates its 50th issue » ! Pour fêter l'événement, une cérémonie se déroulera le 8 avril prochain, cérémonie pendant laquelle « the first copy of the 50th issue will be presented to Prof. Mr. P. F. van der Heijden, Rector Magnificus, Leiden University » !

Vous le savez sans doute déjà, l'International Institute for Asian Studies publie sa lettre d'informations depuis 1993 à raison de trois ou quatre numéros par an. Elle est reçue par quelque 26000 chercheurs et institutions basés en Europe, en Amérique du Nord, en Australie et à travers toute l'Asie. Elle permet à la communauté des spécialistes de l'Asie et des diverses ères culturelles qui la composent de faire connaître les recherches qu'ils entreprennent, les projets qu'ils conduisent seuls ou ou en équipes, et aussi d'annoncer les différents colloques, conférences qui rythment l'année, comme de diffuser largement des appels à contribution et à communication et d'informer sur les publications savantes. Elle n'existe plus seulement sous sa forme papier qui s'apparente à un quotidien d'une quarantaine de pages en moyenne dans un format relativement maniable de 303 x 420 mm, mais aussi sous forme numérique accessible sur le site de l'IIAS. On peut la recevoir gracieusement directement à domicile, mais aussi via e-mail pour la version numérique. Rien de plus simple, il suffit de remplir le formulaire en ligne.

Si les 49 précédents numéros sont également disponibles en ligne, il vous faudra encore attendre encore un peu pour découvrir le tout dernier volume.

Curieusement, la version papier de ce numéro 50 est déjà parvenue dans ma boîte aux lettres ! Je peux donc vous en dévoiler la couverture (voir ci-contre) et le contenu. Pas tout le contenu, car comme toutes les précédentes, cette livraison est copieuse, mélangeant travaux de chercheurs confirmés et de jeunes chercheurs. Elle propose 48 pages réparties en plusieurs rubriques. Après les pages 3 et 4 qui se penchent sur le renouveau et le passé de cette publication, on découvre la partie intitulée « The Study » (pp. 5-17), dont une part est consacrée au thème du « retour » ( « Return », pp. 5-9) avec cinq contributions qui l'envisagent dans sa dimension historique et aussi en rapport avec l'actualité brûlante, comme dans « Forced return : the deportation of former Cambodian refugees from the US » (S. R. Cowan, p. 9). Suit « The Focus » (pp. 18-29), partie sur laquelle nous allons revenir brièvement, qui précède « The Review » (pp. 30-39) faisant état de publications récentes et « The Network » (pp. 40-47) fournissant des informations pratiques et le calendrier des colloques à venir. « The Portrait » (p. 48) est consacré à une exposition qui se tient en ce moment au Kunstal de Rotterdam (28 mars au 21 juin) : « Silk Stories : Taishô Kimono 1900-1940 », avec une courte présentation illustrée des kimonos du début du XXe siècle dont ceux de l'ère Taishô 大正 (1912-1926).

Mais c'est surtout le dossier qui donne son titre au numéro, « CyberAsia », qui retient l'attention, avec notamment une couverture et un bandeau très accrocheurs : « Guest Editor Chris Goto-Jones guides us through CyberAsia, a brave new world offering new technologies, new knowledge and new ways of thinking about Asia. »

Le dossier est donc placé sous un emblème qui parlera d'abord aux plus jeunes, puisqu'il s'agit de Naruto ナルト , le héros du shōnen manga 少年漫画 (manga pour adolescent) et ses diverses déclinaisons dont le film animé qui est « sans nul doute l'un des plus importants succès commerciaux de ces dix dernières années » et que l'on doit à Kishimoto Masashi 岸本 斉史 (1974-).

Son maître d'œuvre est Chris Goto-Jones (Professor of Modern Japan Studies, Department of Japanese and Korean Studies, Leiden University), directeur par ailleurs du projet Asiascape, basé à l'Université de Leiden depuis sa création en septembre 2007 :
« Asiascape.net is the home of the Contemporary East Asian Media Centre (CEAMC). It is an attempt to build a new international research coalition in the rapidly emerging fields of cyberculture (New Media, Convergence Culture, Video Games and other related media, such as fan-culture) and animanga (Anime and Manga), especially as they relate to (or originate from) East Asia. It is well known that a large proportion of this type of media emerges from the East Asian region (Japan, China and Korea), and Asiascape seeks to sponsor and organize research into the importance of these media as a series of transformative, cutting edge, transnational global commodities, and/or as a series of cultural products that reveal much about East Asia itself. There is a scattered (and growing) group of international researchers working in this field and, in addition to conducting its own original research, Asiascape aims to provide a hub for the organization and direction of this rapidly emerging field. With an international advisory board of leading scholars, Asiascape will sponsor a series of ‘state of the field’ conferences and disseminate research using new and old media, including via this website and its associated news-blog, vistas. »
On retrouve parmi les signataires des contributions du dossier « CyberAsia » , un membre de son équipe : Thomas Lamarre (University McGill, Canada) : « What is Techno-region ? » (p. 19). Les autres viennent de lieux et d'horizons intellectuels très divers :
  • Fabian Schäfer (East Asian Institute, Leipzig University) : « Animalisation, subjectivity and the Internet » (pp. 20-21)
  • Cobus van Staden (South African Broadcasting Corporation) : « Heidi in Japan: what do anime dreams of Europe mean for non-Europeans ? » (p. 24)
  • Jeroen de Kloet (University of Amsterdam) : « Bloggers, hackers and the King Kong syndrome » (p. 25)
  • Bart Barendregt (Dept. Of Cultural Anthropology and Development Sociology, Leiden University) : « In the year 2020: Muslim futurities in Southeast Asia » (pp. 26-27)
  • Jens Damm (Jens Damm, Freie Universität, Berlin) : « Chinascape: moving beyond the People's Republic » (pp. 28-29).
Chris Goto-Jones intervient à deux reprises : « Alien autopsy: the science fictional frontier of Asian Studies » (pp. 22-23) et « CyberAsia » (p. 18) qui introduit ce dossier aussi riche et stimulant que la matière qu'il ausculte : « This special issue of The Newsletter offers a variety of lenses on the question of cyberAsia. Ths expansive neologism contains : allegations of Asia's technological superiority ; imaginations of Asias's utopian relationship with digital technology; and finally analyses of the concrete ways in wich high technolgies have transformed social and cultural practices inthe region (and permitted the region to ripple around the world). Hence, the term cyberAsia is confounded one, generating myriad possible meanings and implications, both empirically and theoretically. »

J'ai plus particulièrement apprécié l'article de Jeroen de Kloet qui évoque les célèbres bloggeurs chinois que sont Michael Anti 安替 (Zhao Jing 趙静, 1975-), Zuola [Zhou Shuguang 周曙光, 1981-] et Wang Xiaofeng 王小峰 (1960-) que j'ai déjà évoqué sur ce blog. En conclusion, ne manquez pas ce numéro dont Henk Schulte Nordholt (Chair of the IIAS Board) dit « Don't throw this issue away, it will become a collections item » (p. 2), et, bien entendu, tous les suivants, en regrettant, malgré tout, l'absence des caractères propres à chaque langue asiatique ainsi que la taille très réduite de la police utilisée. (P.K.)

mercredi 1 avril 2009

Réponse à la devinette (019)

Comme il l'a annoncé dans le commentaire par lequel il révélait des éléments prouvant qu'il avait correctement identifié l'auteur de l'extrait retenu pour la devinette numéro 19, Alain Rousseau « n'a pas volé sa place au tableau d'honneur » des participants à notre petit jeu. Il s'y trouve d'ailleurs tout seul, car personne d'autre que lui n'a fait de proposition. Bravo et surtout merci.

Cliché pris à proximité du Temple de la Déesse Kishimojindo 鬼子母神
(
Quartier d’Ikebukuro 池袋, Tôkyô) [PK, août 2007]

Le moment est donc venu, en ce 1er avril, de révéler que l'auteur à trouver était Lafcadio Hearn, né en Grèce (Leucade) en 1850 (le 27 juin) et mort à Tōkyō, le 26 septembre 1904 sous l'identité de Koizumi Yakumo 小泉八雲, le nom qu'il s'était choisi en se faisant naturaliser Japonais en 1896. Son œuvre (quelque 25 titres dont une dizaine seulement accessible en français) incidemment évoquée à deux reprises sur ce blog, mériterait plus d'attention qu'elle n'en reçoit actuellement chez nous [Voir la notice bibliographique que lui consacre Visage vert].

On peut certes assez facilement trouver une traduction de son ouvrage le plus connu : Kwaidan ou Histoires et études de choses étranges (1904). C'est vraisemblablement la traduction de Marc Logé datant de 1910 qui est toujours au catalogue du Mercure de France, mais dans une édition allégée (collection « Le petit mercure », 126 pages). Il est encore plus facile de lire l'ensemble de ces histoires bizarres en anglais sur internet (ici et ). On pourra aussi frissonner, voire plus, en regardant le film - 怪談 - qui en fut tiré par Kobayashi Masaki 小林 正樹 (1916-1996). La bande annonce d'époque (sous-titrée en français) de ce film primé à Cannes en 1963 est accessible sur Youtube ; ne la manquer pas : attention âmes sensibles s'abstenir.

Le Serpent à Plumes (2007) propose pour sa part « une cinquantaine d'histoires recueillies par Lafcadio Hearn d'après le folklore japonais [et qui] révèlent un éventail thématique très ouvert, allant du conte de fées aux histoires d'ogres et de vampires... » sous le titre de Fantômes du Japon. La même année, les Editions Gallimard avaient remis en circulation deux courts textes extraits d'un recueil traduit en 1932 par Marc Logé et qui parut à nouveau au Mercure de France en 1960, puis en 1993. Il constitue le numéro 4668 de la collection « Folio 2 € ».

Suivi de Kizuki le sanctuaire le plus ancien du Japon, on retrouve donc Ma première journée en Orient qui fait revivre la découverte par Hearn de Yokohama 横浜 et de ses environs en 1890. Parmi les diverses évocations de ces premiers moments, j'aime beaucoup celle-ci :
« Dans chaque paire de socques japonaise, l'une des deux fait, en marchant, un bruit légèrement différent de l'autre, de même que kring est différent de krang. De sorte que l'écho des pas d'un marcheur a un rythme alterné de tons. Sur le trottoir d'une gare, par exemple, le son acquiert une sonorité immense. Et la foule se met parfois inconsciemment à marcher au pas, d'où résulte le plus drôle des sons traînants de bois imaginable ». (pp. 27-28)
Une dernière chose avant de quitter cet auteur aussi attachant et original que curieux : le passage à identifier se trouve pages 23 à 25. Le texte complet (pages 11 à 52) constitue, me semble-t-il, une excellente introduction à une œuvre sur laquelle nous ne pourrons pas ne pas revenir et une irrésistible invitation à découvrir de nouveaux horizons. (P.K.)

Confucius de retour sur Broadway

A peine remis de l'émotion procurée par la sortie d'une nouvelle adaptation cinématographique du Sangguozhi yanyi, j'apprends, grâce au site Danwei.org que je n'avais pas consulté depuis des lustres, qu'un film allait faire revivre rien de moins que Confucius.

La surprise fut d'autant plus brutale que l'acteur retenu pour personnifier le sage chinois n'est autre que Chow Yun-Fat 周潤發 (Zhōu Rùnfā 周润发) dont on fêtera les 54 ans, le 18 mai prochain. Vous avez déjà sûrement vu ce célèbre acteur qui a pas moins de 80 longs métrages à son actif, dans Tigre et Dragon (Wòhǔ cánglóng 卧虎藏龙 de Ang Lee, 2000). C'était aussi le roi Mongkut dans Anna and the King (1999) et il sera Kame Sennin (亀仙人) alias Muten Rôshi (武天老師) soit Tortue géniale dans Dragonball Evolution, long-métrage américain, réalisé par James Wong qui devrait bientôt sortir en France : il s'agit, dit-on, d'une « adaptation live du célèbre manga du même nom par Akira Toriyama ». Quelle belle mise en jambe.

Les projections les plus raisonnables, dont notre illustration ci-dessus rend compte, font redouter le pire. Mais les avis seront à nouveau très partagés et chacun pourra le moment venu évaluer la validité de ce nouvel avatar moderne du Maître de Qufu. Rien ne dit que le film sera distribué dans notre pays, mais nous ne perdons rien à nous y préparer en lisant ce billet dont le titre pose une partie des questions que cette initiative va immanquablement générer : « Exploiting Confucius For fun and profit ». Il offre la traduction anglaise - « Filming Confucius for Cash or for Myth are Both Mistakes »- d'un article que Xie Xizhang 谢玺璋 a fait paraître dans le Beijing Daily (Beijing ribao 北京日报) du 20 Mars 2009 : « Laoqian he zaoshen pai Kongzi you wuqu » 捞钱和造神拍孔子有误区. [NB : Les allergiques à l'anglais pourront le lire directement en chinois et même télécharger la page en format pdf]

Mais ne manquez surtout pas le préambule de ce billet dans lequel le réalisateur se veut rassurant : « My Confucius will not know Shaolin kungfu. However, the Confucius of history was not merely a moral teacher, a bookworm who only knew how to read and preach. He was a living person, a vibrant person, a humorous person. He could drive a chariot, he could handle a bow on horseback, and he once directed a battle. His disciples Zilu and Ranyou were swordsmen and archers of the highest caliber. You can find all of this in reliable history texts. »

Il est aussi touchant d'apprendre que « Chow [Yun-Fat] was reportedly « moved to tears » by the script, which has gone through 23 revisions ». L'avenir dira si la version finale sera ou non en mesure de nous émouvoir aux larmes. Je ne sais si Anne Cheng se penchera sur elle dans l'examen minutieux et passionnant auquel elle se livre pendant ses leçons au Collège de France. Les huit premiers cours de « Confucius revisité : textes anciens, nouveaux discours » sont déjà disponibles en podcast. Il serait stupide de s'en priver.

NB : On peut y accéder par la page ad hoc du site du Collège de France : choisir « Histoire » et laissez iTunes faire le reste, ou bien partez d'iTunes, entrer dans l'iTunes Store (en toute confiance car il ne vous en coûtera pas un seul centime d'euro), choisissez « Podcats », puis dans les « Catégories », optez pour « Enseignement ». A partir de là, vous allez trouver plusieurs icônes « Collège de France » , sélectionnez celui qui vous intéresse – pour Anne Cheng, c'est « Histoire » -, et maintenant vous vous abonnez aux séries de votre choix (je vous conseille aussi celle de Pierre-Etienne Will, « Ingénieurs, philanthropes et militaristes dans la Chine républicaine (suite) »). Visez les huit premiers éléments du cours « Confucius revisité : textes anciens, nouveaux discours » et cliquer sur le bouton « Obtenir l'épisode », laissez charger et écouter. Tout est dit, à vos manettes. (P.K.)

Du poisson, encore du poisson

Le 1er avril est vous le savez, chers habitués de ce blog, l'occasion d'y fêter les poissons. En 2007, c'était avec un passage du Zhuangzi ; l'année dernière, c'était avec l'évocation des écrits de Simon Leys dont Le bonheur des petits poissons. Lettres des Antipodes (Paris, J.-C. Lattès, « Essais et documents », 2008, 214 pages) venait de paraître. C'est à nouveau avec cet auteur que je tiens à saluer ce grand rendez-vous annuel. L'occasion m'en est fournie par la réédition récente du Bonheur des petits poissons (LGF, 2009, 147 p.) en format de poche, avec une nouvelle couverture qui met bien naturellement le poisson à l'honneur.

Mais, Simon Leys/Pierre Ryckmans est aussi présent dans l'actualité de la revue Textyles. Revue des lettres belges de langue française dont le n° 34 annoncé de longue date a été récemment publié. Je n'en connais pour l'heure que le sommaire. Voici en attendant plus, une idée de la portion concernant notre homme providentiel :
Pierre PIRET, « Introduction »
Philippe PAQUET, «Le grand Tisonnier »
Sebastian VEG, « Simon Leys et la Chine : dedans et dehors »
Matthieu TIMMERMAN, « Les Essais sur la Chine: le frivole et l'éternel »
Jacques DEWITTE, « Culture et humanité »
Laurent SIX, « Aux origines d'Ombres chinoises : une mission de six mois au service de l'ambassade de Belgique en République populaire de Chine »
Nicolas IDIER, « Présence chinoise et réflexion sur l'art dans l'œuvre de Simon Leys»
Pierre PIRET, « Conditions et fonctions de l'écriture chez Simon Leys »
Simon LEYS, « Dans la lumière de Simone Weil : Milosz et l'amitié de Camus »
Bibliographie de Simon Leys

Simon Leys mérite d'être, également, évoqué en cette circonstance car il n'a pu s'empêcher de réagir à la récente publication aux Editions du Seuil des Carnets du voyage en Chine de Roland Barthes (2009, 245 p.). C'était dans La Croix. Le dernier paragraphe de cette intervention magistrale, à lui seul, vaut toutes les critiques et polémiques sans substance suscitées par cette publication inutile :
Dans le dernier numéro du Magazine littéraire, Philippe Sollers estime que ces carnets reflètent la vertu que célébrait George Orwell, « la décence ordinaire ». Il me semble au contraire que, dans ce qu'il y tait, Barthes manifeste une indécence extraordinaire. De toute manière ce rapprochement me paraît incongru (la « décence ordinaire » selon Orwell est basée sur la simplicité, l'honnêteté et le courage ; Barthes avait certainement des qualités, mais pas celles-là). Devant les écrits « chinois » de Barthes (et de ses amis de Tel Quel), une seule citation d'Orwell saute spontanément à l'esprit : «Vous devez faire partie de l'intelligentsia pour écrire des choses pareilles; nul homme ordinaire ne saurait être aussi stupide.»
Ce 1er avril 2009 est également le jour du 80ème anniversaire de Milan Kundera dont sort ces jours-ci Une Rencontre (Gallimard, 203 pages). Si vous désirez marquer l'événement , ne manquez pas ce document en accès libre et gratuit sur le site de l'I.N.A., soit 9 minutes et 21 secondes pendant lesquelles « Milan Kundera, tout en se balançant dans un fauteuil gonflable, parle (en français) de son premier roman La plaisanterie ». C'était le 31/10/1968. (P.K.)

lundi 30 mars 2009

Duong Thu Huong à la Méjanes

Mercredi 25 mars, le public est venu nombreux à la Cité du Livre pour la rencontre organisée avec l’écrivain vietnamienne Dương Thu Hương qui recevait le prix 2009 des lycéens et apprentis de la Région Paca pour Itinéraire d'enfance (Voir l'annonce). Publié à Hanoi en 1985 et traduit en français en 2007, ce roman raconte « les tribulations d'une gamine espiègle et entreprenante, au Viêtnam, à la fin des années cinquante ».

Je tiens à remercier les organisateurs qui m’ont donné
l’autorisation de filmer cette rencontre animée par
le journaliste Renaud Prat, dont vous pouvez
regarder deux extraits de respectivement
3mn59s
(extrait 1) et 3mn44s (extrait 2)
Dương Thu Hương est très connue en France qui lui a décerné le titre du Chevalier des Arts en 1994 et où elle s’est installée finalement en 2006 pour se consacrer à l’écriture. Elle vient de publier un autre roman chez Sabine Wespieser, Au Zénith, qui bénéficie d’un très bon accueil à la fois des médias, comme on peut le voir dans l’article de Claire Devarrieux paru dans Libération, des professionnels du livre (voir à ce propos la note de lecture par Mathias Roux), mais aussi des lecteurs ordinaires, comme le montre la réaction enthousiaste de bloggeurs : voir ici et . Au Zénith (dont la version vietnamienne Đỉnh cao chói lọi a été téléchargée des milliers de fois) raconte une histoire d’un homme et d’un peuple – un peuple « malchanceux » comme Dương Thu Hương a indiqué plusieurs fois lors de la rencontre aixoise.

A cette occasion, elle est aussi revenue sur Itinéraire d’enfance et a confié à ses lecteurs, qu'elle avait écrit d’un seul trait en très peu de temps ce roman autobiographique destiné à un public d'adolescents. Il avait, à sa sortie en 1985, été très chaleureusement accueilli par le public vietnamien qui continue de le lire en nombre à partir de sa version en ligne. Le résumé qu'en fournit Pascale Arguedas donnera, à ceux qui ne le connaissent pas encore, envie de découvrir ce lumineux roman. C'est un des six résumés consacrés à Duong qui accompagnent une interview inédite de cette auteur majeur de la littérature vietnamienne contemporaine. Bonne lecture à tous ! Nguyen P. Ngoc

dimanche 29 mars 2009

Un ovni dans le ciel littéraire coréen

La baleine (고래)
de Ch’ŏn Myŏnggwan (천 명관)
Editions Actes Sud – Novembre 2008,
traduit par Yang Jung-Hee (양 정희) et Patrick Maurus.


Rendons hommage aux Éditions Actes Sud et aux traducteurs de nous donner à lire ce merveilleux roman La Baleine, de Ch’ŏn Myŏnggwan, auteur quadragénaire, il est né en 1964, dans les environs de Séoul.

Cet épais roman de près de 500 pages, le premier livre de l'auteur à être traduit en France, nous arrive dans la magie de la nouveauté et de l'inhabituel. La Baleine est le grand roman picaresque, d’un auteur contemporain, que nous attendions depuis longtemps.

La Baleine est l’histoire de Kŭmbok, maman pas très belle de la tout aussi laide et muette Chun’hŭi. Partie de son village natal, elle va traverser quelques vies d’hommes, destins soudainement bouleversés par cette femme à l’étrange odeur, entêtante, attirante au point de transformer un puissant voyou en amoureux transi ou un colosse en légume avachi. Kŭmbok est de la race des femmes qui contestent, sans aucun discours, le statut de la femme coréenne, assigné par l’ordre confucianiste aux tâches secondaires.

La Baleine, c’est Chun’hŭi, enfant d’une corpulence et d’une force phénoménales (pensez, 7kg à la naissance !), laide, muette et demeurée. Sur ce dernier point, on ne sait pas bien, mais tout porte à le croire. Son seul ami est un éléphant, un vrai, plein de sagesse, avec qui elle fait le tour du village, chaque jour sur son dos, et qui par delà la mort continuera d’être son conseiller et son confident. Au fil du roman, Chun’hŭi se prend d’amour pour la fabrication des briques, sous la conduite de Mun, beau-père délaissé par Kŭmbok. Chun’hŭi va, jour après jour, fabriquer des briques, et sa réputation va grandir autant que sa propension à couvrir la Corée de briques de qualité, qu’elle continuera de fabriquer même lorsque le ciment de construction va faire son apparition et remplacer peu à peu la brique rouge, celle qui aura servi à reconstruire en partie la Corée d’après-guerre, sous l’influence et avec l’aide des américains. Chun’hŭi ne sait pas faire autre chose que des briques, pas plus qu’elle saura se disculper, après que, accusée à tort, cette fille simple et muette va finir en prison. Elle remplira de bonheur les parieurs, lors de tournois de force où elle gagne contre les hercules locaux, avant qu’un gardien – chef défiguré par Chun'hŭi - en fasse l’objet de son sadisme. Pendant ce temps, Kŭmbok, sa mère, trop occupée à monter des affaires, à s’enrichir et s’appauvrir consécutivement, pour s’enrichir à nouveau et construire une ville entière, dont un cinéma en forme de baleine.

Dans ce roman, les situations foisonnent, au travers de personnages très peu dépeints au plan psychologique mais qui se révèlent d’une profondeur et d’une épaisseur étonnantes, propres à nous familiariser immédiatement avec chacun d’eux. En toile de fond, l’histoire de la Corée est présente, mais en touches légères, partielles, jamais pesantes ni militantes. Histoire survolée et satirique d’une Corée passée en très peu de temps de la pauvreté à l’abondance sélective. Cette alternance de pauvreté et de richesse, exaltation de la libre entreprise, pousse Kŭmbok à entreprendre sans cesse, pour ne jamais rester pauvre. A courir après la fortune, la gloire et les hommes, qu’elle consomme sans modération, elle va devenir homme elle-même.

Ch’ŏn Myŏnggwan fait partie de cette génération d’auteurs qui n’a pas connu la guerre de Corée et qui ignore donc ce qu’est un pays divisé. De même que les dictatures militaires et la dictature du développement ne peuvent que laisser une empreinte fugitive chez l’enfant ou l’adolescent qu’il fut. Ch’ŏn Myŏnggwan ne se sent donc pas obligé d’emprunter les figures habituelles de la littérature coréenne, en abordant de front l'historique tragédie coréenne. En se séparant des conventions narratives de ses aînés, il invente une propre langue pour dire la joie et la souffrance de ce pays paradoxal. Ch’ŏn Myŏnggwan porte une littérature décomplexée, qui affranchie de l’influence formant le soubassement d’une littérature récente, avance au milieu de formes narratives nouvelles, avec un culot qui fait plaisir à lire, et qui annonce une nouvelle vague d’auteurs dont nous parlerons ici prochainement.

Ch’ŏn Myŏnggwan privilégie l’outrance, la farce, le burlesque qui pointent régulièrement au milieu des drames et des tragédies. Il promène sur un registre large de formes narratives, compilant scènes érotiques, gags, fantastique, polar, et le conte même, qu’il réinvente à sa manière. On rit beaucoup dans ce roman, même si dans les multiples fonctions du rire, celle qui consiste à désamorcer une angoisse sourde, n’est pas la moins visible. En multipliant les figures, Ch’ŏn Myŏnggwan réinvente une littérature luxuriante, abordant des horizons étranges, sur lesquels malgré tout, il ne s’attarde pas. On l'a souvent comparé à Garcia Marquez.

Mais le doute n’est pas permis, nous sommes bien dans un roman coréen, que la traduction restitue parfaitement, ne gommant rien des sons, des couleurs et des images, grâce auxquelles la coréité reste présente, bien que cette question de l’exotisme en littérature continue de faire débat, comme lors du dernier colloque de l’équipe de recherche Leo2T.

Ce roman fait partie des romans à lire à petites doses pour ne pas finir trop vite, trop tôt.

Hye-Gyeong Kim et Jean-Claude de Crescenzo