samedi 23 mai 2009

Yu Hua sur un coussin d'AIR

Si ce blog vous avait averti de la tenue des Premières Assises internationales du roman, il avait failli à son devoir en sautant une édition. [Ce n'est pas trop grave puisque les actes des Assises 2007 et 2008 ont été édités et sont disponibles chez Christian Bourgois sous les titres respectifs de Roman et réalité et Le roman, quelle invention !] Voici, à la veille de l'ouverture des troisièmes A.I.R., « Le roman : hors frontières », le moment de nous rattraper. Encore s'en est-il fallu de peu que je manque à nouveau l'événement. Ma bouée de salut en ces temps de perte de repères chronologiques, fut l'édition électronique du Monde des livres du 21/05/09 qui en fait grand cas, puisque le quotidien est avec la Villa Gillet coorganisateur de ces manifestations qui devraient être encore plus médiatisées que les précédentes. Lisons, à ce propos, les mots du directeur, du Monde, Eric Fottorino :
De l'air. C'est un petit cube en équilibre sur une arête. Sur une face sont imprimées quelques phrases d'un texte, un peu comme sur la façade de l'immeuble du Monde boulevard Blanqui à Paris. Et sur une autre face, en majesté, trois grandes lettres façon tag forment ce mot : AIR, pour Assises internationales du roman, avec, au-dessous, « débats, tables rondes, lectures ». De l'air, en effet, et du bon. Tout est dit dans ce logo. Et c'est peu de le redire, pour la troisième année d'affilée : notre journal est fier de coorganiser à Lyon, avec la Villa Gillet, le soutien de la ville de Lyon, de la région Rhône-Alpes et de la DRAC, sans oublier le précieux partenariat de France Inter et des éditions Christian Bourgois, cette manifestation unique en son genre.
Un événement qui réunira en bord de Saône, du 25 mai au 31 mai, dans le site magnifique des Subsistances, une étourdissante palette d'écrivains venus parler non pas de leurs livres, mais de la littérature.
Avant de les lire, mon attention avait été attirée par l'annonce de la participation du « Philosophe et spécialiste de la Chine, François Jullien, samedi 30 mai à 15 heures, au débat sur l'épopée de la Chine contemporaine proposé par Philosophie Magazine », annonce inscrite en marge de l'entretien accordé par l'auteur des Transformations silencieuses (son dernier opus chez Grasset, 2009, 197 p.) à A. B.-M. pour le même Monde des Livres. Ce qui m'a surpris, c'est qu'aucune mention n'était faite d'une , d'un ou d'autre(s) interlocuteur(s). Pourtant qui dit « débat » dit aussi discussions, échanges, voire confrontations, donc la présence d'au moins deux débatteurs. Serait-ce que celle-ci, celui-ci, ou ceux-ci ne seraient que des faire-valoir et ne mériteraient pas même d'être mentionnés ?

Une rapide recherche m'a permis de télécharger le programme complet de l'événement à partir d'ici : soit un document pdf de 16 pages toutes annonciatrices de rendez-vous aussi nombreux que dignes d'intérêt (voir aussi page 22 du dossier de presse téléchargeable depuis la même page). La solution à mon interrogation se trouve page 8 : le débat qui durera 90 minutes et sera animé par Alexandre Lacroix rédacteur en chef de Philosophie magazine aura bien deux interlocuteurs, le deuxième sera l'écrivain Yu Hua 余华, auteur entre autres de Brothers dont il a été question à plusieurs reprises sur ce blog.

Ce sera peut-être pour lui l'occasion de dire quelle place le Zhuangzi 莊子 envisagé par le philosophe comme incontournable et une « ressource vive de l'œuvre de Gao Xinjiang [sic : Le Monde, « En Chine avec François Jullien et le "Tchouang-tseu" »] (Le Prix Nobel de littérature) » occupe dans sa propre création, voire d'exprimer que la nature même de l'expression romanesque chinoise n'est pas réductible à la vision que s'en font les Occidentaux. Mais il sera avant tout question pendant cette confrontation d'un tout autre sujet dont l'intitulé laisse quelque peu perplexe : « L'épopée de la Chine contemporaine ».

Plus tard dans la même journée (21 h-23 h), l'auteur chinois bien connu du lectorat français sera l'hôte d'une table ronde intitulée « Portraits d'une génération » (voir le dossier de presse, p. 25) qui devrait offrir des réponses aux questions suivantes : « Comment un roman peut-il cerner une époque au travers d'une génération ? », « Peut-on être l'écrivain d'une génération, ou bien la position même d'écrivain restreint-elle l'appartenance à son époque ? »

Afin de vous préparer à la rencontre avec Yu Hua, je vous invite à regarder la brève interview (3mn11s) mise en ligne par The New York Times si vous n'avez pas déjà actionné le lien qui est installé depuis quelques jours déjà dans la colonne de gauche de ce blog dans une nouvelle rubrique intitulée « Revue de presse en ligne ». Y figurent également les liens vers deux articles dont Yu Hua et Brothers sont les points de mire et d'autres renvois vers des articles où s'affichent le dynamisme et la variété de la littérature chinoise contemporaine. (P.K.)

vendredi 22 mai 2009

Un destin à deux sous

Versions abrégées du Liezi 列子 avec un commentaire de Zhang Zhan 張湛 (IVe s.) et du Zhuangzi 莊子 avec un commentaire de Guo Xiang 郭象(252-312) Dynastie des Tang, règne de Xuanzong 玄宗 (685-762, r. 712-756) BNF, Manuscrits orientaux, Pelliot chinois 2495

Ne revenons pas sur le principe, il est bon --- choisir des passages représentatifs d'un ouvrage publié de longue date, en proposer une centaine de pages à un petit prix, pour susciter des curiosités et des envies de lecture, voire d'achats, est un procédé tout à fait louable. J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de me réjouir des choix réalisés par les ordonnateurs de la collection « Folio 2€ » (Gallimard) : c'était dans « L'eau à la bouche », billet du 13 janvier 2008 et plus récemment avec un extrait des savoureuses descriptions du Japon de Lafcadio Hearn (1850-1904). Aussi suis-je attentif à l'augmentation de son catalogue.

J'ai pourtant manqué la sortie de certains titres comme du n° 3696 qui s'attachait au Tao-tö king [comprendre le Dao de jing 道德經] de Lao-Tseu [comprendre Laozi 老子] publié en 2002. Ne l'ayant pas en main, je ne peux pas dire avec certitude ce que contient ce volume de 108 pages qui arbore un fier citron en couverture. Je suppose qu'il propose l'intégralité de la traduction que Liou Kia-hway avait offert à la collection « Connaissance de l'Orient » (n° 23, 1967) d'Etiemble (1909-2002) qui en avait signé la préface, avant de l'inclure dans le premier volume de la « Bibliothèque de la Pléiade » consacré aux Philosophes taoïstes (1980, 776 pages). Les quelque 50 pages d'« En relisant Lao-Tseu » seraient ainsi passées à la trappe, ce qui est, cela dit en passant, fort dommage pour le lecteur privé de ce texte liminaire enjoué et virevoltant qui s'achève sur le post-scriptum suivant :
J'oubliais : L'étymologie de tao n'a rien à voir, bien entendu, ni avec la barque d'Isis, ni avec l'échelle de Jacob, ni même avec les soucoupes volantes. Le caractères tao est formé de deux éléments dont l'un signifierait le chemin, marcher, l'autre : la tête. Le tao ce serait donc la grand-route ; Hauptweg, comme dit le sinologue allemand Forke. En fait, cette glose étymologique, elle non plus, ne convaincrait pas beaucoup de sinologues. Prenons-en notre parti. « Je suis le chemin », disait l'autre ; l'autre encore : « J'écris le Discours de la méthode. » Etc.
Je le cite, avec un plaisir teinté de nostalgie pour la liberté de ton et l'humour qui caractérisaient l'écriture de ce grand érudit humaniste, d'après le n° 179 (1979, 188 p.) d'une autre collection du même éditeur : la collection « Idées » qui défendit un demi-millier de titres entre 1962 et 1984, et qui m'a permis d'accéder à tant d'ouvrages stimulants dont ceux d'Etiemble justement : Connaissons-nous la Chine ? (n° 53, 1964, 185 p.) ou encore le savoureux Parlez-vous franglais ? (n° 40, 1964, 377 p.).


J'y avais aussi lu dans le français de Benedykt Grynpas un autre des trois « philosophes taoïstes » du volume « Pléiade », savoir Liezi 列子. Le numéro 14 de « Connaissance de l'Orient » de 1961 (228 p.), avait, longtemps avant de devenir le n° 36 dans le nouveau format (1989, 238 p.), fait un tour à la 347ème position du catalogue de la collection « Idées » : c'était en 1976 (288 p.). Voici ramené à la vie, sous le numéro de collection 4918, un petit tiers de cet ouvrage paru sous le titre suivant : Le Vrai classique du vide parfait. On y retrouve les livres IV, VI et VIII sous les mêmes titres et configuration qu'à l'origine, savoir respectivement « Confucius » (pp. 11-33), « Sur le destin » (pp. 37-56) et « Discours sur les conventions et le destin » (pp. 59-96). Ces trois des huit parties initiales du livre de Liezi sont livrées sans (ou peu s'en faut) les annotations qui les avaient jusqu'alors accompagnées – ne subsiste que la page d'introduction au Livre VIII. Exit aussi les 20 pages de la préface de la traductrice, il est vrai maintenant largement dépassées ; on a, par contre, droit à un nouveau titre -- Sur le destin et autres textes (« Folio 2€ », 2009, 112 p.) -- auquel une couverture répond en affichant un insolent caractère yùn 運 (sort, destin, fortune). Bref, je n'en aurais fait aucun cas si je n'avais porté mon attention à la quatrième de couverture qui porte une formule malheureuse dont le premier terme date de l'édition de 1976 : « L'un des textes les plus importants du taoïsme, des conseils pour une vie harmonieuse » ! Voilà qui mérite, vous en conviendrez sans doute, au moins deux rapides réactions.

Car enfin, le Liezi n'est pas, me semble-t-il, un texte de la même importance que ses deux autres compagnons en « Pléiade », savoir le Laozi/Dao de jing et le Zhuangzi 莊子avec lequel il partage une commune matière, soit près de la moitié de ses anecdotes. Sinon pourquoi Anne Cheng se contenterait-elle dans son Histoire de la pensée chinoise (Seuil, 1997, p. 103) de n'y faire qu'une référence marginale insistant sur le fait que « l'ouvrage qui porte actuellement ce titre [est] très composite et généralement considéré comme un faux des IIIe et IVe siècles de notre ère », confiant à la note de bas de page 4 du chapitre 4, le soin de conduire vers la traduction jugée « bonne » de A. C. Graham : The Book of Lieh-tzu. Londres : John Murray, 1961] ? Et pourquoi Nicolas Zufferey dans son Introduction à la pensée chinoise (Paris, Marabout, 2008) n'en dirait-il pas même un mot ? Doit-on les accuser de passer à côté d'un des monuments de la pensée taoïste, ou bien, modérer l'empressement de l'éditeur à nous en convaincre ?

Certes, s'il n'a pas la stature des œuvres avec lesquelles on l'apparente d'ordinaire, cet ouvrage en huit parties (biàn 遍) reconstitué par Liu Xiang 劉向 (77-6 av. JC.), avant de tomber plus ou moins dans l’oubli avant d'être remis en vogue grâce au commentaire de Zhang Zhan 張湛 (IVe s.) à l'époque des Six Dynasties, pour être finalement hissé au rang de « classique » du taoïsme officiel par la cour des Tang en 742 [Chongxu zhenjing 沖虛真經, Véritable classique du vide parfait], ne manque assurément pas d'intérêt. Le texte dont l'authenticité a été suspectée de longue date notamment par Gao Sisun 高似孫 (vers 1160-1220), lequel doutait de l'existence de ce Lie Yukou 列禦寇 à qui on l'attribue sur la foi d'une mention dans la 32e section du Zhuangzi 莊子 mais que Sima Qian 司馬遷 (vers 145-90) ignore, n'est certes pas plus homogène dans le fond que dans la forme. S'il garde la trace d’additions tardives, il n’en conserve pas moins des éléments d'une grande valeur, comme un chapitre entier (le septième) consacré à Yang Zhu 楊朱, penseur individualiste et hédoniste de l'Antiquité, que l’on ne connaîtrait autrement que par les attaques et les pics que lui adresse Mengzi 孟子 (Mencius, IV° s. av. JC.). Au delà de cet aspect documentaire sur certaines des tendances les plus originales de la pensée chinoise pendant la période pré-impériale, le Liezi est aussi un trésor d’anecdotes célèbres, parmi lesquelles on trouve celle qui a fourni l’un des trois articles les plus lus de Mao Zedong 毛澤東, « Yugong yi shan » 愚公移山 (Yu gong déplace les montagnes,), malheureusement absente de ce choix puisque faisant partie du chapitre V [Liezi, V. 3]

Xu Beihong 徐悲鴻 (1895-1940), « Yu gong yishan tu » 愚公移山圖 (1940)

Si le Liezi ne peut, malgré ses qualités et son apport, être véritablement envisagé comme « l'un des textes les plus importants du taoïsme », comment considérer le deuxième élément de l'accroche publicitaire clamant qu'il dispense des « conseils pour une vie harmonieuse » ?

C'est sans doute un peu vrai comme de tout ouvrage de cette nature, encore faut-il permettre au lecteur curieux mais pas forcément préparé de pouvoir tirer bénéfice de ce qu'il lit. Ce qu'on lui propose là offre bien matière à réflexion et à enrichissement personnel, mais la manière dont on le lui procure n'est, je le regrette, loin d'être la mieux adaptée. L'absence de toute contextualisation, le choix de chapitres entiers, de ces trois chapitres au détriment d'autres plus parlants, l'absence des notes explicatives comme de bibliographie complémentaire, etc., rendent bien délicate sa manipulation. La frustration n'est jamais très loin. Elle saisira quiconque tombera, page 30, sur le 13eme « chapitre » du « Livre IV » qui porte le titre suivant « Sophismes (résumé) ». Je cite in extenso :
[Ce chapitre est un exposé, sous forme de dialogue, de quelques paradoxes du sophiste Kong-souen Long (fin du IVe siècle avant J.-C.). L'œuvre de ce dernier ne nous est connue que par des fragments. Les paradoxes conservés ici n'ont d'intérêt que dans une étude d'ensemble de la sophistique chinoise ; certains semblent d'ailleurs n'être que des jeux purement verbaux. Le paradoxe « un cheval blanc n'est pas un cheval » est le plus célèbre et est souvent cité. On trouvera les textes de la sophistique chinoise, ainsi qu'une traduction, une préface et des notes dans : Ignace Kon Pao Koh, Deux sophistes chinois, Houei Che et Kong-souen Long, Paris, P.U.F., 1953.]
La consultation du 5eme chapitre de L'Histoire de la pensée chinoise serait sans doute plus adaptée et pratique pour prendre la mesure de l'apport de Hui Shi 惠施 (env. 380-305) et de Gongsun Long 公孫龍 (début du IIIe siècle av. J.-C.), que la lecture et la quête d'un ouvrage dorénavant difficile à trouver [repris (?) dans Mélanges. Bibliothèque de l'Institut des Hautes Etudes chinoises, Vol. XI et XIV. Tomes I & 2., 1957-1960] qu'Anne Cheng ne signale même pas. Et pourquoi ne pas, tant qu'à faire, remonter encore plus haut dans le temps pour lire, grâce à Pierre Palpant, l'article consacré en 1901 par le sinologue allemand Alfred Forke (1867-1944) au « Chinese Sophists ».

In fine, Sur le destin n'est pas, pour ces raisons et bien évidemment ce qui transparaît de son contenu à travers ce rendu ancien (presque un demi-siècle), le self-help book, le manuel de développement personnel, que la formule « des conseils pour un vie harmonieuse » promettait. Certaines pages risquent même de faire tourner cette quête de la quiétude en cauchemar.

La traduction n'y sera peut-être pas complètement étrangère. Dans un compte-rendu publié l'année suivant sa publication dans le Journal of the American Oriental Society (Vol. 82, No. 4 (Oct. - Dec., 1962), pp. 593-594), Richard B. Mather (University of Minnesota) relevait, entre autres défauts plus techniques touchant à la réorganisation du Liezi, ce qui lui semblait être une de ses nombreuses formules dénuées de sens et éloignées du texte : « Eprouver vraiment (ce qui est réel) n'est pas un vain mot (mais) croire aux rêves, c'est ne pas comprendre les rapports des réalités changeantes. » Il est vrai que le recours très fréquent à des parenthèses afin de faire apparaître l'implicite n'est pas la solution idéale pour un texte qui, il est vrai aussi, n'est pas toujours sans obscurité.



Mais, plutôt que de gloser sans fin sur les carences qui entourent la mise en circulation sur ce segment du marché du livre d'une partie des écrits attribués à Liezi réunis autour du thème du destin, je vous propose de confronter plusieurs traductions de la même anecdote.

D'abord, le texte : j'ai choisi la dernière anecdote du dernier livre [« Shuōfú » 說符, VIII. 36] :
昔齊人有欲金者。清旦衣冠而之市。適鬻金者之所。因攫其金而去。吏捕得之。問曰。人皆在焉。子攫人之金何。對曰。取金之時。不見人。徒見金。
Pour vous aider dans votre lecture ne manquez pas d'utiliser les perfectionnements que le site Chinese Text Project a mis à votre disposition, et son dictionnaire (voir ci-dessous) qui permet d'accéder en un clic à des emplois des caractères élucidés dans les autres textes saisis dans sa très riche base de données textuelles.


Les traductions (françaises uniquement) maintenant. Il y en a trois : celle du missionnaire Jésuite, le Père Léon Wieger (1856-1933) dans Les pères du système taoïste (1913, Paris : Les belles Lettres, 1950) (p. 151) [I] ; celle de Benedykt Grynpas (1961) (1976, p. 282 ; 2009, p. 96) [II] et celle, la plus récente, que l'on doit à Jean-Jacques Lafitte et que l'on trouve dans Lie Tseu (Liezi), Traité du vide parfait. Paris : Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », n° 149, 1997, 229 p., p. 182) [III] :
[I] Un homme de Ts’i fut pris soudain d’un tel désir d’avoir de l’or, qu’il se leva de grand matin, s’habilla, se rendit au marché, alla droit à l’étalage d’un changeur, saisit un morceau d’or et s’en alla. Les gardes le saisirent et lui demandèrent : Comment as-tu pu voler, dans un endroit si plein de monde ? Je n’ai vu que l’or, dit -il ; je n’ai pas vu le monde.
[II] A Ts'i vivait un homme d'une grande avidité pour l'or. Tôt le matin, il mit ses vêtements, se coiffa et courut ensuite au marché. Il s'approcha de la table d'un changeur, s'empara de l'or et s'enfuit. L'agent de l'autorité qui l'arrêta le questionna : « Comment, dit-il, avez-vous pu saisir de l'or en public ? » L'autre répondit : « Lorsque je me suis emparé de l'or, je n'ai plus vu les hommes … Je ne voyais que l'or. »
[III] Un Qien voulait de l'or. Il se vêtit dès l'aube, mit un chapeau et alla au marché. Il s'approcha de la table d'un changeur d'or, prit l'or et s'enfuit. Il fut arrêté et questionné : « Comment as-tu pu prendre l'or devant tout ce monde ? » Il répondit : « En prenant l'or, je ne voyais pas le monde, je ne voyais que l'or. »
Petit bonus : la même anecdote figure également dans ce qu'Ivan P. Kamenarović, son traducteur français, appelle « un véritable testament philosophique de l'Antiquité chinoise », le Lüshi Chunqiu 呂氏春秋, Printemps et automnes de Lü Buwei (Paris : Cerf, « Patrimoine-confucianisme », 1998, p. 298), [XVI.7/j. 91.3.: « Qù yoù » 去宥 « Eviter les étroitesses » (voir ici) :
Un homme du pays de Qi fut pris un jour du soudain désir d'avoir de l'or. Il se leva de bon matin, mit ses vêtements et son couvre-chef et alla droit chez un changeur. Voyant des gens qui maniaient de l'or, il avança la main vers un lingot dont il s'empara. Les gardes l'ayant arrêté et attaché, ils lui demandèrent : « Comment avez-vous pu vous saisir devant tout le monde d'un or qui ne vous appartient pas ? – Je n'ai pas vu les gens, répondit l'homme, je n'ai vu que l'or. »
A vous de juger quelle est la meilleure et d'évaluer les avantages des unes par rapport aux autres, et, pourquoi pas, de proposer une nouvelle traduction pour ce passage dont chacun tirera, je n'en doute pas, des enseignements pour sa propre existence. (P.K.)

mercredi 20 mai 2009

Et de trois

Après La vengeance de Petite Grue (2007) et La danse de la grue et du phénix (2008), traduction française du premier tome de la pentalogie de Wang Dulu 王度盧 (1909-1977) Tigre et Dragon (portée à l'écran en 2000 par Ang Lee), nous sommes heureux d'annoncer la parution de la première partie du tome deux, Li Mubai, l'épée précieuse, traduit par une ancienne étudiante du département d'Etudes Asiatiques de l'Université de Provence, Amélie Manon.

L'histoire se poursuit avec les aventures de Li Mubai, fils du défunt Li Fengjie, ami fidèle de Petite Grue, qui confia l'orphelin au chevalier Ji Guangjie, auprès duquel l'enfant apprit les rudiments des arts martiaux. Une fois adulte, le jeune homme va croiser la route d'un vieux garde d'escorte, l'Aigle aux ailes de Fer, qu'il va aider dans sa lutte qui l'oppose à une fratrie avide de vengeance. C'est ainsi qu'il rencontrera la magnifique Yu Xiulian, elle-même experte dans le maniement des armes, dont il tombera éperdument amoureux. Mais leur relation sera-t-elle sans nuage ?
Parmi les lanternes décorées, la courtisane,
A l'égal d'un chevalier, guette l'élégant jeune homme ;

Il est dur de renoncer à ses sentiments,
Dans l'alcool, il noie son chagrin.
Tout un programme... Ce troisième volet de Tigre et Dragon retrace donc l'épopée chevaleresque et l'histoire d'amour de la deuxième génération de héros de la pentalogie, et nous emmène dans la somptueuse ancienne ville de Pékin. Bonne lecture, et vivement la suite ! (Solange Cruveillé)

Bonne nouvelle de dernière minute : La vengeance de Petite Grue (2007) et La danse de la grue et du phénix (2008) ressortent en format de poche chez J'ai lu. Vous n'avez plus d'excuse pour ne pas les lire avant ce troisième volume. (21/05/09)