samedi 3 novembre 2007

Wang Dulu, enfin !

Dans un article intitulé « De Confucius à Jin Yong » et publié dans l'indispensable volume édité par Anne Cheng, La pensée en Chine aujourd'hui [Paris : Gallimard, « Folio/essais », 2007, pp. 75-102], Nicolas Zufferey écrit :
« La littérature d'arts martiaux, que l'on peut rapprocher de nos romans de cape et d'épée, a connu un important renouveau à Hong Kong à partir du milieu des années 1950. Cette dernière phase dans l'histoire du genre, appelé parfois « nouveau roman d'arts martiaux » (xin wuxia xiaoshuo [新武俠小說]), a donné quelques bons auteurs, dont précisément Jin Yong [金庸, Louis Cha, Zha Liangyong 查良鏞 (1924-)]. La plus grande partie de l'œuvre de ce dernier n'est pas traduite en langues occidentales, et cette constatation vaut pour la littérature d'arts martiaux dans son ensemble ; mais le public européen n'est pas ignorant de l'atmosphère et des codes du genre, grâce au cinéma de Hong Kong et à des films récents comme Tigre et dragon (2000) ou Le Secret des poignards volants (2004), qui ont rencontré un succès certains en Occident. » (p. 90)
« Jin Yong est », poursuit Nicolas Zufferey, « l'un des monstres sacrés de la littérature chinoise du XXe siècle » et il signale, en note, qu'un seul de ses ouvrages est disponible en français, savoir La Légende du héros chasseur d'aigles [Wang Jiann-Yuh (trad.) Paris : Editions You-Feng, 2004] mais, note-t-il, « il s'agit malheureusement d'une traduction bâclée, surtout dans le second volume ». (p. 401). [Sur cette traduction, voir ici ou ]

Wang Dulu 王度盧 [Wang Baoxiang 王葆祥 (1909-1977)] aura donc plus de chance puisque son introduction sur le bout de terre qui a vu naître Alexandre Dumas, ne pouvait mieux se réaliser.

Ecrivain autodidacte qui a trouvé très tôt sa voie de salut dans l'écriture, Wang Dulu est une personnalité pas moins importante que Jin Yong et un auteur pas moins prolixe. Il laisse plus d'une vingtaine d'ouvrages grand public dont la plupart sont ce que les spécialistes et les amateurs aiment à appeler le wuxia yanqing xiaoshuo 武俠言情小說 (roman d'amour et de chevalerie). Ils sont d'une nature plus nettement « romantique » que les constructions de son célèbre cadet ; ils sont donc plus appréciés du public féminin. Même plus d'un demi-siècle après la réalisation de sa pentalogie (1938-1942) : He Tie xilie 鶴鐵系列 [rebaptisée pour l'occasion Tigre et Dragon] fait toujours mouche. L'adaptation cinématographique par Ang Lee [Li Ang 李安 (1954-)] du quatrième volet, Wohu Canglong 臥虎藏龍, a ainsi relancé l'intérêt pour cet auteur inventif et attachant considéré comme un des Quatre grands maîtres de l'école du nord 北派四大家. C'est cette saga mouvementée capable de tenir en haleine le plus blasé des lecteurs de romans de cape et d'épée qui va enfin être rendue en français.

Datant de 1938, He jing Kunlun 鶴驚崑崙, le premier volet, nous est présenté sous le titre de La Vengeance de Petite Grue, première partie de cette aventure éditoriale à l'avenir incertain lancée en cette fin d'année par les Editions Calmann-Lévy qui le présente ainsi :
« Alors que le règne de la dynastie Qing sur la Chine a atteint son apogée en ce début de XIXe siècle, le trouble s’empare du clan Kun Lun, l’un des plus fameux de l’empire du Milieu. Son chef, Maître Bao, vient de tuer l’un de ses disciples pour le punir d’avoir eu une aventure avec une femme mariée, une pratique absolument proscrite sous son pouvoir. Il songe aussi à tuer Jiang Xiaohe, le fils de sa victime, pour éviter que celui-ci ne revienne réclamer vengeance par la suite. Mais le jeune garçon parvient à s’enfuir, et sur le chemin de son exil rencontre un maître du mont Jiuhua qui l’accepte comme disciple et entreprend de lui enseigner les arts du combat. Douze ans plus tard, Jiang Xiaohe, désormais âgé de 26 ans, est devenu lui aussi un expert en arts martiaux. S’il a juré de venger la mort de son père, l’amour qu’il porte à Bao Aluan, son amie d’enfance mais aussi la petite-fille de Maître Bao, le plonge en plein dilemme. Comment, en effet, concilier son honneur et l’urgence de ses sentiments ? Comment, dans cette Chine mandchoue désormais confrontée à la modernité occidentale, démêler l’écheveau de passion et de haine qui lie les deux jeunes gens ? Avec Tigre et Dragon, écrits entre 1938 et 1942, Wang Dulu nous propose une inoubliable galerie de portraits plus grands que nature sur trois générations, mélange exotique d’amour, de haine, de rédemption et de vengeance. Une série historique pleine de merveilles et d’exotisme, magnifiquement adaptée au cinéma en 2000 par Ang Lee. »
La fiche oublie, et c'est fort regrettable mais si courant, de mentionner que ce premier tome a été traduit, comme le prochain, par Solange Cruveillé qui mérite nos applaudissements à au moins deux titres :
  1. d'avoir accepté de quitter pour un temps les renards et les renardes qu'elle suit dans le champ littéraire chinois, principalement ancien, pour une thèse de doctorat : les lecteurs de Galantes chroniques de renardes enjôleuses (Picquier, « Le Pavillon des corps curieux », 2005) pour laquelle elle avait réalisé une postface - « Les renardes par l'une d'elles », pp. 119-132 -, savent que rien de ce qui est familier à ces personnages inquiétants ou charmeurs qui peuplent l'imaginaire chinois ne lui est étranger.
  2. d'avoir rempli sa tache de traductrice avec talent, doigté et en toute conscience des dangers qu'elle affrontait, ce dont elle nous a convaincu pendant la communication qu'elle a donnée lors de notre journée sur la traduction du 26 octobre dernier. Non seulement, elle a réussi le tour de force de me faire lire d'une traite les onze chapitres de ce volume, mais aussi celui d'imposer à son éditeur des notes de bas de page et la liste des quelque 125 personnages de ce récit à rebondissements qu'elle a si bien servi en rendant palpable la souplesse nerveuse du style de Wang Dulu. Chapeau ! Le deuxième tome de cette Première époque, sortira en janvier 2008 sous le titre La Danse de la Grue et du Phénix. Ne le louper pas !
Maintenant, à chacun de juger, en connaisseur ou en amateur, mais en toute impartialité, de l'accueil à réserver à ce projet qui ne devrait pas souffrir de la concurrence du manga d'Andy Seto 司徒劍僑 [8 tomes déjà publiés aux Editions Tonkam], projet dont la réalisation sera pris en charge à partir du troisième volume par une autre traductrice - à qui l'on souhaite bon courage. Les renards et les renardes chinois sont des êtres très possessifs. (P.K.)

A lire en complément, l'article de Bertrand Mialaret sur Rue89.com : « Romans d'arts martiaux : des contes de fées pour adultes ? » (voir ici). (23/01/08, P.K.)

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