vendredi 21 novembre 2008

De l'intégrité du traducteur


Intéressante idée que celle de l'auteur hongrois Dezsö Kosztolányi (1885-1936) d'écrire une courte nouvelle (7 pages) sur un homme atteint à un tel point du virus de la cleptomanie qu'il ne peut s'empêcher de dérober subrepticement objets et sommes d'argent dans la traduction hongroise du roman policier anglais qu'il est en train de traduire : un certain nombre de fenêtres ou de lustres disparaissent de la version originale à la version traduite, tout comme les livres sterling données par un personnage à un autre, soit cent cinquante au lieu de mille cinq cents... Et son ultime ami de faire, lors de la relecture imposée par l'éditeur, le bilan de ses forfaits traducto-littéraires : « Où les avait-il mis, ces biens mobiliers et immobiliers, qui n'existaient tout de même que sur le papier, dans l'empire de l'imagination, et quel était son but en les volant ? »

Tel est le thème du Traducteur cleptomane (traduit par Ádám Péter et Maurice Regnaut, éd. Viviane Hamy, 1994, pp. 11-17). Au-delà du plaisir qu'on prend à lire cette nouvelle surprenante et originale, on ne peut s'empêcher de penser au travail somme toute très personnel du traducteur, parfois tenté de corriger les maladresses et les incohérences qu'il trouve dans le texte original, hésitant sur le degré d'élégance de la langue cible (parfois imposé par son éditeur), optant parmi les choix de traduction d'un mot ou d'une expression pour celui qui représente le plus sa vision d'un personnage ou d'une situation, et plus encore, ses sentiments à leur égard. De ce point de vue, tout traducteur peut se voir reprocher d'être, sinon cleptomane, du moins indifèle au texte original. Tel est le défi du traducteur : traduire sans trahir ! (Solange Cruveillé)

jeudi 20 novembre 2008

Deliciouseument vôtre

ou De la mise à disposition d'un fonds évolutif de marque-pages (ou bookmarks, favoris, signets, liens internet privilégiés ... ) en rapport avec la littérature chinoise ancienne, afin d'amorcer un mouvement d’ensemble, pour qu'à terme le visiteur de ce blog soit mieux armé pour aborder les littératures d'Extrême-Orient.

Les plus attentifs d'entre vous avaient sûrement noté la présence dans nos liens internet privilégiés [colonne de gauche de ce blog, rubrique « Bibliothèques/Ressources »], d'un lien hypertexte baptisé « Favoris de P[ierre]. K[aser] ». Celui-ci est toujours présent, mais il a été déplacé dans une nouvelle rubrique appelée « Les Favoris des membres de l'équipe ».

De quoi s'agit-il ? Rien de moins qu'une extension de ce blog, qui depuis deux ans déjà a pour double vocation d'être un organe maniable d'informations sur les activités de notre équipe, et de devenir un outil convivial et réactif pour une meilleure connaissance et appréciation des littératures d'Extrême-Orient.

Cette extension, qui je le souhaite trouvera auprès des membres de l'équipe un écho favorable et un accueil pas moins chaleureux de la part de ceux qui comme vous visitent ce blog à raison d'une moyenne de 100 visites par jour - plus 33500 déjà comptabilisées - , s'imposait. En effet, le nombre de liens méritants d'être signalés à votre attention est déjà très important et ne cesse de grandir.

L'internet est devenu, il faut bien le reconnaître, un outil indispensable pour l'étude des littératures d'Extrême-Orient, surtout si l'on est basé, comme nous, à plusieurs dizaines de milliers de lis des lieux de diffusion et de conservation des matériaux de la recherche. C'est aussi un formidable outil pour les étudiants suivant nos cours et travaillant sous notre direction (Master, Thèse), dont la curiosité et l'acuité ne peuvent se satisfaire des fonds mis à leur disposition à proximité.

Qu'ils n'oublient pas, néanmoins, que la bibliothèque universitaire et son personnel mettent toute leur énergie en œuvre pour leur faciliter l'accès à l'information, directement en alimentant les rayonnages ou via le prêt entre bibliothèques ; des séances de formation et d'information leur sont régulièrement proposées -- un grand merci, au passage, à Jean-Luc Bidaux et ses collègues, pour leur implication auprès des étudiants du Département d'Etudes Asiatiques et, également à Solange Cruveillé pour avoir récemment travaillé avec la diligence et le sérieux dont elle est coutumière sur le fonds chinois. Il y a aussi l'ensemble des ressources informatiques mises en place par la Bibliothèque Universitaire à partir de son site et celles que l’Université offre par l'intermédiaire de l'Environnement Numérique de Travail (ENT). Malgré tous ces efforts, une part des matériaux reste encore hors de portée ou engoncés dans la forêt touffue de l'internet savant.

Plutôt que d'allonger avec l'inconfort que cela représente pour celui qui doit s’y atteler des listes de liens vouées à l'inertie [PiKaWeb n'a pas bougé depuis le 2 juillet 2007] -, j'ai choisi pour accomplir cette noble mission, d'utiliser l'outil le mieux adapté et le plus facile à prendre en main qui est, sans conteste possible, celui proposé par Delicious.com site de « Social bookmarking » (marque-page social) lequel vient justement de faire peau neuve.

Un blog dispensera aux plus hésitants informations et astuces - voir notamment le film du billet « Oh happy day — the new Delicious is here » -, mais c'est à partir du site que l'on peut s'inscrire et sans aucune difficulté se mettre à l'œuvre : en deux ou trois opérations très simples, vous allez vous retrouver à la tête d'une armée de liens en bon ordre de bataille prêt à l'usage et au partage - vous pouvez, en effet, charger vos marque-pages personnels directement depuis votre navigateur et même, si vous le souhaitez, choisir de gérer à plusieurs cet espace ; en plus, vous l'aurez noté, « It's free ! » : que demander de plus ?

Je fais le vœu que rapidement la liste des listes de favoris s'allonge et qu'à côté des « Favoris de Pierre Kaser », on puisse trouver les favoris des autres membres de l'équipe -- lesquels listes pourraient même un jour prochain fusionner. Ne serait-ce pas merveilleux d'avoir ces fenêtres ouvertes sur la littérature chinoise de ce siècle et du précédent grâce à Noël Dutrait, sur les arcanes du taoïsme grâce à Philippe Che, tout sur les renardes subtiles et terrifiantes qu’affectionne Solange Cruveillé, le meilleur de la littérature Coréenne grâce à Julie Kim et Jean-Claude de Crescenzo, etc.... ?

Je vous sens déjà impatient de créer votre espace aussi vais-je être bref. Un dernier mot, néanmoins, sur ma liste de favoris : elle trahit mon intérêt quasi exclusif pour la littérature chinoise ancienne et les matériaux que son étude conduit à explorer et à exploiter ; dans sa physionomie actuelle (un ensemble de 72 liens) elle est, en définitif, plus orientée vers des sujets en rapport avec la littérature narrative chinoise produite entre le Xe siècle et le début du XXe, avec un prédilection pour le roman en langue vulgaire des XVIIe et XVIIIe s.. Les étudiants de Master qui suivent mes cours sur ces sujets y trouveront notamment des pistes pour approfondir les thèmes qu'on envisage trop rapidement pendant l'année. Je m'engage à la perfectionner notamment en unifiant les mots clef en trois langues (français, anglais, chinois) - ce qui aura pour conséquence de modifier considérablement le nuage de mots clefs (« tags cloud ») ci-dessus - et, surtout, à l'alimenter régulièrement. A vous, après, d'en prendre possession : en jouant notamment sur les options de présentation, ou en découvrant, par exemple, les listes de liens de personnes qui partagent les mêmes centres d'intérêt que vous ....

C'est ainsi qu'en cliquant sur le « 7 » figurant à droite du nom de notre blog, j'ai pu découvrir que six autres personnes avait inscrit son adresse dans leur registre. Ainsi, quand vous aurez créé votre compte et commencé à organiser vos liens en fonction de vos exigences et de votre curiosité, n'oubliez pas, s'il vous plait, d'y ajouter notre blog. Merci d'avance. (P.K.)

mercredi 19 novembre 2008

Les œuvres littéraires, produits de consommation ?

A qui une œuvre littéraire appartient-elle ? A son auteur ?
A la maison d'édition qui la publie? Aux lecteurs ?
Au patrimoine culturel d'un pays ?
L'exemple de
Jin Yong 金庸 (6 février 1924 -),
écrivain chinois populaire et respecté,
pose la question de la boulimie littéraire actuelle et des lois de l'édition.

Jin Yong 金庸 est un des écrivains chinois dont les oeuvres sont le plus adaptées à la télévision. Mais si Jin Yong a déjà écrit un grand nombre de romans de chevalerie, wuxia xiaoshuo 武侠小说, il n'a jamais composé de scénarios pour séries télévisées. D'après nos informations, l'assemblée en charge des programmes d'arts martiaux de la Télévision centrale de Chine a pourtant invité Jin Yong à participer à leurs projets et à rédiger des scénarios pour séries télévisées, à hauteur de 100 000 yuan par épisode. Proposition à laquelle l'intéressé n'a pas encore répondu. Et ce silence est légitime : si Jin Yong avait dû donner une réponse, elle aurait de toutes façons été négative. Il ne faut pas oublier que l'écrivain est déjà âgé (84 ans), et qu'écrire des scénarios demande comme chacun le sait beaucoup d'énergie. Apporter quelques arrangements à ses œuvres passe encore, mais porter sur ses épaules un tournage complet, voilà qui serait au-dessus de ses forces. Jin Yong se pose en grand maître du monde de la chevalerie : pour ce qui est des décors et des personnages, il peut être de bon conseil, mais il ne peut s'occuper en personne de tout et de rien. Quant aux royalties, ce n'est de surcroît pas un argument attractif pour cet auteur qui a déjà négocié les droits d'adaptation de ses œuvres à la télé comme au cinéma avec Zhang Jizhong, pour la somme d'un yuan symbolique.

Ainsi, il y a vraiment peu de chance de voir un jour Jin Yong en scénariste. Mais ce que montre ce projet, c'est que la « consommation » des œuvres de Jin Yong devient un véritable phénomène dans le monde du divertissement culturel. Notons par exemple qu'à l'occasion de la grande fête internationale de Confucius organisée dernièrement dans la province du Shandong, Jin Yong a été sollicité pour écrire l'oraison funèbre au grand Maître, avec des phrases en quatre caractères, dans un chinois à moitié classique, mais faisant néanmoins référence aux secours apportés aux sinistrés du séisme, aux Jeux Olympiques, à la bienveillance, à la protection de l'environnement, au rayonnement de la culture chinoise dans le monde... Un débat s'est engagé sur la toile concernant le bien-fondé d'une rédaction d'un tel discours par Jin Yong, choix qui s'avère à présent plutôt bon (et ce parmi toutes les personnalités importantes sur le plan culturel).

Tout le monde aime accommoder Jin Yong à toutes les sauces, ce qui n'est pas pour lui déplaire. Ces dernières années, dans les fréquentes interviews qu'il a accordées, il a débattu avec des spécialistes de jeux vidéos de kungfu, participé à des colloques universitaires, encadré des doctorants etc. Auteur respecté par son lectorat, Jin Yong a toujours arboré un air franc et souriant, fait preuve dans sa façon de parler de modestie et de discrétion. Il a notamment déclaré à l'occasion du séminaire international sur ses romans : « Je viens ici pour solliciter modestement des avis. J'ai déjà révisé quelque peu mes romans, et j'espère que chacun m'aiguillera sur leurs points faibles et leurs lacunes. [...] On trouve en effet dans mes ouvrages beaucoup de passages inaboutis, je vous invite à m'en faire part : j'en prendrai note et ainsi je pourrai apporter les corrections nécessaires. » Un bel exemple pour tous les spécialistes en arts et en lettres pressés de devenir des Maîtres reconnus.

En tant qu'objet d'étude, les œuvres de Jin Yong sont déjà devenues des classiques dans le coeur de tous, avec leurs erreurs et leurs omissions. D'ailleurs, s'il les corrigeait, cela pourrait en mécontenter plus d'un : ses romans ne lui appartiennent déjà plus. Pourtant, Jin Yong a consacré beaucoup d'énergie à repriser une quinzaine de ses romans, alléguant l'idée de Lu Xun 魯迅 (1881-1936) « [qu'] un bon roman doit être révisé cinquante fois ». Il lui faudrait ainsi dix années de travail ininterrompu pour reprendre la totalité de ses œuvres. Mais pour les lecteurs conservateurs et résolus, cette nouvelle fait froid dans le dos. Si Jin Yong décidait de publier de nouveau ses romans révisés, son lectorat pourrait même ne pas s'y intéresser, et d'après les enquêtes, les ventes seraient mauvaises.

D'aucuns ont avancé comme critique que si Jin Yong corrigeait ses propres romans, c'était pour répondre à la demande des maisons d'édition désireuses de vendre plus. Peut-on le leur reprocher ?

Si les ventes ne suivent pas, cela ne veut pas dire que le blason de Jin Yong a perdu en éclat, mais simplement que le jeune public se lasse des romans de chevalerie. Si on considère la première parution du roman de Jin Yong, Shujian enchou lu书剑恩仇录, dans le Nouveau journal du soir, Xin wanbao 新晚报 en 1955, on se rend compte que les romans de l'écrivain ont été populaires pendant plus d'un demi-siècle. Mais ce qui marche en ce moment sur internet, ce sont des chevaliers d'un genre nouveau, avec des auteurs post années 80 et 90 : de l'intrigue au style d'écriture, les romans de gongfu sont déjà entrés dans une ère nouvelle, et même si les œuvres de Jin Yong restent un classique du genre, à cette époque de lecture de masse sur internet, même un écrivain respectacle comme lui ne peut rien contre la perte de son lectorat.

Le succès d'un roman dépend donc peut-être simplement de courants, de modes, de l'offre et de la demande du moment... Alors, le roman simple produit de consommation ? Le débat est ouvert. (Solange Cruveillé)
[Source Zhongguo qingnianbao 中国青年报, 07/10/2008,
repris sur Xinhuanet.com]