Intéressante idée que celle de l'auteur hongrois Dezsö Kosztolányi (1885-1936) d'écrire une courte nouvelle (7 pages) sur un homme atteint à un tel point du virus de la cleptomanie qu'il ne peut s'empêcher de dérober subrepticement objets et sommes d'argent dans la traduction hongroise du roman policier anglais qu'il est en train de traduire : un certain nombre de fenêtres ou de lustres disparaissent de la version originale à la version traduite, tout comme les livres sterling données par un personnage à un autre, soit cent cinquante au lieu de mille cinq cents... Et son ultime ami de faire, lors de la relecture imposée par l'éditeur, le bilan de ses forfaits traducto-littéraires : « Où les avait-il mis, ces biens mobiliers et immobiliers, qui n'existaient tout de même que sur le papier, dans l'empire de l'imagination, et quel était son but en les volant ? »
Tel est le thème du Traducteur cleptomane (traduit par Ádám Péter et Maurice Regnaut, éd. Viviane Hamy, 1994, pp. 11-17). Au-delà du plaisir qu'on prend à lire cette nouvelle surprenante et originale, on ne peut s'empêcher de penser au travail somme toute très personnel du traducteur, parfois tenté de corriger les maladresses et les incohérences qu'il trouve dans le texte original, hésitant sur le degré d'élégance de la langue cible (parfois imposé par son éditeur), optant parmi les choix de traduction d'un mot ou d'une expression pour celui qui représente le plus sa vision d'un personnage ou d'une situation, et plus encore, ses sentiments à leur égard. De ce point de vue, tout traducteur peut se voir reprocher d'être, sinon cleptomane, du moins indifèle au texte original. Tel est le défi du traducteur : traduire sans trahir ! (Solange Cruveillé)
1 commentaire:
Une perquisition chez Ádám Péter et Maurice Regnaut s'impose : sept pages seulement pour traduire une nouvelle ? C'est louche ! (P.K.)
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