mercredi 19 août 2009

Traduit du coréen (007)

Les Boîtes de ma femme (아내의 상자)

de EUN Hee-Kyung (은희경), Editions Zulma, 2009,

traduit par Lee Hye Young (이혜영) et Pierrick Micottis

Les boîtes dont on parle dans ce recueil de nouvelles sont celles que l'on ouvre et que l'on referme, sans bien savoir si les personnages qu'elles abritaient ont eu le temps de s'éclipser ou bien d'être pris en flagrante tentative de se soustraire aux misères du monde.

Cinq nouvelles écrites dans un style alerte et fluide qui contraste avec la difficulté des thèmes travaillés puisque ces nouvelles sont toutes consacrées aux relations entre hommes et femmes, au sein de couples, légitimes ou non, dans la Corée contemporaine.

Dans la première nouvelle qui donne le titre au recueil « Les boîtes de ma femme », un homme découvre des boîtes appartenant à sa femme, en faisant l'inventaire d'un appartement qu'il va quitter, en raison de l'internement de sa femme. Et à partir du contenu hétéroclite de ces boîtes, il va déconstruire la relation avec sa femme et établir la genèse de l'échec, échec d'autant plus douloureux que l'amour ou plus exactement l’absence d’amour, n'est pas en cause.

Dans la deuxième nouvelle « Ma femme évanescente », un homme découvre le journal intime de sa femme et la vie qu'elle s'invente, notamment un prétendant qui lui ressemble étrangement.

Ces deux nouvelles illustrent la manière dont Eun Hee kyung abordent les relations hommes-femmes. Les personnages exposent leurs blessures et dissimulent leurs émotions. Et plongent le lecteur dans la position de l'observateur impliqué dans la situation qu'il est en train d'observer. Aucune économie du sentiment dans les propos de Eun Hee kyung. Même si elle esquisse une peinture au couteau de ses personnages, elle privilégie l'intensité plutôt que l'épaisseur, la densité plutôt que le chatoiement des couleurs. On s'aime, on se trompe, on se déchire, on se quitte, on regrette. Nul ne ressort vainqueur de cet affrontement où l'amour ressemble parfois à une arène dont le sort ne désignera ni vainqueur ni vaincu.

Dans la troisième nouvelle « Les beaux amants », la rupture de leur relation intervient naturellement à la suite... d'une méprise. Savante construction de la part des deux amants et leur séparation quasi-programmée, faute d'avoir su mettre en perspectives leur amour.

Dans la quatrième nouvelle, « On n'avait pas pensé à l'imprévu », une femme découvre l'amour qu'elle éprouve pour son mari, une fois mort.

Dans la cinquième nouvelle, une jeune fille découvre que sa soeur ainée, dont elle n’a jamais voulu élucider le rapport difficile qu’elle entretient avec elle, a subit un échec amoureux, qui la lui rend, paradoxalement plus proche.

L'optimisme ne règne pas dans les relations d'amour, dans cette Corée qui pour avoir vaincu ses ennemis n'en a pas fini avec ses vieux démons. la communication entre les personnes a changé de forme mais pas de nature. Elle y est toujours aussi délicate. Et la ville n’arrange rien. Dans une Séoul craintive, soucieuse de ressembler aux autres mégapoles, où pullulent les grands ensembles qui trimbalent avec eux leur lot d'inhumanité, dans la vie de tous les jours comme dans les relations les plus intimes. Les souffrances sont exposées à vif et les stratégies de chacun pour les dissimuler restent vaines. Point de salut, les histoires d'amour finissent toujours mal.

« Voilà un mois que mon mari est mort [...] mais si au lieu de mourir, il était resté paralysé [...] à présent, si elle pouvait le ramener à la vie, ne serait-ce qu'un instant, elle lui dirait : « Mon chéri, je ne voulais pas me disputer avec toi. Cela paraît bien paradoxal, mais c'est pour cette raison que je me mettais si souvent en colère. »

Dans ces nouvelles où l'un est le spectateur de l'affaissement progressif de l'autre, tout l'amour qu'ils se portent n'est pas suffisant pour sauver la relation d'une issue fatale :

« Une jour, elle s'est écriée : « Tout se fane chez nous [...]. Même les pommes se ratatinent au bout d'une nuit. Le ciment des murs absorbe tout l'humidité. Moi aussi, je me fanerai un jour. Je sens toute l'eau de mon corps s'en aller. »

Impossible de vous cacher plus longtemps la réponse du mari : « Le lendemain, j'ai commandé un humidificateur pour l'intérieur ».

Avec Eun Hee kyung, l'humour est ainsi, il intervient au moment où on s'y attend le moins. Et, dérouté par cet à-propos, chacun d'entre nous se sent d'un coup meilleur, bien meilleur que le personnage qu'elle fait agir. Eun hee Kyung nous confiera dans une interview que nous publierons ultérieurement, que ses lecteurs lui avouent régulièrement qu'ils ressortent gonflés à bloc de leur lecture, tant ils se sentent bien meilleurs que la plupart des personnages exposés. L'ennui est que ces personnages ne sont pas des monstres. Ou alors des monstres particuliers, difficiles à détecter, cachés sous des masques ressemblant étonnamment à des personnages réels, mille fois vus, tant ils nous ressemblent.

On pense à Kundera ou à Kafka, auteurs fétiches de Eun Hee kyung, avec ces personnages dans l'incapacité de se racheter. Eun Hee kyung pose un regard tendre et détaché, mais implacable, refusant toute solution au lecteur, qui doit, tout comme elle en tant qu'auteur, se débrouiller.

Il faut lire ce petit livre où l'on découvre que les relations ente les hommes et les femmes n'ont jamais été aussi problématiques dans la Corée en modernisation à marche forcée. Hier soir encore, en sillonnant les ruelles* étroites de Séoul, toutes en cours de destruction, voyant hommes et (rares) femmes boire, manger et discuter à s'échauffer, nous nous demandions où était la part de vérité dans tout cela.

Eun Hee kyung est née en 1959 à Kochang, dans le sud de la Corée. Elle débute sa carrière littéraire à 35 ans avec son premier roman Cadeau d'un oiseau en 1995, et obtient le Prix des Romans, prix suivi depuis de six autres. Les boîtes de ma femme est son premier roman traduit en français.

Kim Hye gyeong et Jean-Claude de Crescenzo

* Ruelle très étroite appelée Pitmagol (피 맛 골), où deux personnes se croisent avec difficulté. Autrefois créées pour éviter au peuple d'avoir à saluer en se prosternant devant l'aristocratie qui défilait dans les grands boulevards parallèles. Ces ruelles sont bordées de restaurant populaires où on peut manger à bas prix et de bistrots (술 집, littéralement maisons à alcool), d'où il est possible de ressortir en titubant. Bien entendu, ces ruelles étaient un lieu de bouillonnement social. Comme un peu partout en Asie, elles sont détruites, en sacrifice aux dieux de la modernité. Elles laisseront bientôt la place à des buildings dans lesquels nous n'entreront sans doute jamais.

mardi 18 août 2009

Pour quelques degrés de moins

Peut-être n'avez-vous pas remarqué que le billet offrant aux amateurs de littérature chinoise en surchauffe une voie de salut avait reçu un commentaire signé Alain Rousseau, et que ce commentaire amical fournissait le moyen d’aller lire des récits de Yuan Mei 袁枚 (1716-1798) mis gracieusement en ligne par lui-même sur Scribd.com.

Au programme de cette publication généreuse et sympathique, cinq anecdotes tirées du Zi bu yu 子不語, avec dans l’ordre « La bande du Dragon Noir » [« Qinglongdang » 青龍黨, ZBY, j. 4: 18] - un récit dans lequel Yuan Mei se montre inflexible vis-à-vis d’un brigand pourtant revenu à résipiscence, « Pas de retour pour le lettré Wu » [« Wusheng bu gui » 吳生不歸, ZBY, j. 7 : 13 ] tout à la fois fable drolatique et invitation au libertinage, « Yao, le génie de l’épée » [« Yao jianxian » 姚劍仙, ZBY, j. 8 : 25], facétie mettant en scène un maître magicien, « Une bonbonne d’huile pour faire frire un fantôme » [« Youping peng gui » 油瓶烹鬼, ZBY, j. 15 : 12] qui prouve l’inflammabilité des guǐ 鬼 et « Le Miroir précieux de la médecine orientale contient une méthode pour venir à bout des renardes » [« Dongyi baojian you fa zhi hu » 東醫寶鑒有法治狐, ZBY, j. 19 : 33], une « vulpinade » qui fait intervenir une curiosité littéraire.

Bref, tout ceci est très plaisant et fort bien rendu -- on en redemande ! Des cinq, c’est, bien évidemment, la seconde histoire que je préfère. Elle est du même tonneau que « Minuscule outil du plaisir » [« Fengliu ju » 風流具, ZBY, j. 23 : 23,in Le Visage vert, 16 (Zulma, pp. 68-70)]. J’ai aussi été sensible à l’évocation du Dongyi baojian 東醫寶鑒 sensé proposer un remède propre à réduire à quia les démons renards. Une note nous apprend qu’il s’agit en fait du Tongui pogam une « encyclopédie médicale rédigée au début du XVIIe siècle par le célèbre médecin coréen Ho Chun (en chinois : Xu Jun) ». On peut trouver sur internet des renseignements complémentaires sur ce Dongui Bogam 동의보감, achevé en 1610 après quatre ans de labeur et édité pour la première fois en 1613 - voire même des clichés d’éditions anciennes (ici et ), et ceci en chinois, en coréen, en japonais et aussi en anglais. Son auteur Heo Jun 허준 / 許浚 (1546-1615) fait aussi l’objet de notices sur la même encyclopédie ouverte : en anglais, en chinois, en coréen et en japonais. Il fut aussi, voici dix ans, la vedette d’une série TV en 64 épisodes (voir ici, et encore ).

La référence à cette œuvre marquante de la médecine coréenne et extrême-orientale dans Zi bu yu n’est signalée nulle part. Remercions Alain Rousseau de nous l’avoir mise sous les yeux et souhaitons qu’il continue à nous procurer de belles surprises de cet ordre. (P.K.)

lundi 17 août 2009

Loup de poche

Le Totem du Loup (Lang tuteng 狼图腾) de Jiang Rong 姜戎 , dont on a parlé sur ce blog avant et après sa sortie en France, est depuis cinq mois déjà accessible en format de poche (LGF, 634 p.). Ce passage dans ce format économique (8 €) lui offre une nouvelle vie. Il lui a notamment permis d’être tout récemment retenu dans la sélection du mois d’août du Prix des Lecteurs du Livre de Poche. Pour en savoir plus sur ce prix littéraire estival, voir ici et . Sur le site de l’éditeur, on peut lire des avis de lecteurs (ici), mais ne manquez pas le compte rendu que Noël Dutrait a publié dans la deuxième livraison de l’année du magazine Perspectives chinoises. Il y est notamment question des réserves émises par le plus farouche détracteur de Jiang Rong et de son œuvre, le sinologue Wolgang Kubin dont on peut découvrir les critiques ici [en chinois].

Ironie du sort, les liens commerciaux d’un site de vente en ligne tendraient à montrer que les lecteurs de ce livre apprécient les animaux puisque ils auraient acheté deux romans de Katherine Pancol intitulés : Les Yeux jaunes des crocodiles et La Valse lente des tortues. Une bien curieuse ménagerie en définitive.

PS. : Merci de nourrir les poissons que nous hébergeons pendant les vacances dans la colonne de gauche de ce blog en cliquant le plus souvent possible dans leur bocal virtuel. Ils vous en seront reconnaissants. (P.K.)