Affichage des articles dont le libellé est Kim Young-ha. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Kim Young-ha. Afficher tous les articles

mardi 21 septembre 2010

Keul Madang, le n° 7 est en ligne


Le dossier du mois de la revue en ligne Keul Madang est consacré à l’auteur coréen KIM Young-ha, vu à Aix-en-Provence en octobre 2009 et juin 2010. On trouvera dans ce dossier une interview de l’auteur et une études sur les personnages de ses romans, signées Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo.

Dans le dossier sont aussi proposées la publication en intégralité de la nouvelle Le paratonnerre ainsi qu’une lecture textanalytique de l’œuvre, sous la plume de Choe Ae-young.

Ses trois romans parus en France chez Picquier et traduits par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel sont présentés par Thomas Gillant, Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo.

Dans les autres rubriques, les lectures du mois sont consacrées à l’ouvrage de Alexandre Guillemoz, chercheur au Cnrs, spécialisé dans le chamanisme coréen. La chamane à l’éventail est un recueil des entretiens menés par Alexandre Guillemoz avec la chamane avec laquelle il a travaillé durant plusieurs années. Ces entretiens sont suivis d’un retour d’expérience de l’anthropologue durant ses longues années d’immersion en Corée.

Les larmes bleues, roman coréen de Juliette Morillot, anthropologue par ailleurs, et auteur de plusieurs ouvrages sur la Corée, est lu par Dyenaba Sylla.

Deux poèmes de Choe Seung-ho et la préface de son recueil Alerte à la neige présentée par ses traducteurs No Mi-sug et Alain Génetiot ; le texte de la pièce de théâtre Qui êtes-vous ? de Yi Hyeon-hwa présenté par sa traductrice Cathy Rapin, et des extraits du roman de Yi In-seong, Interdit de folie, complètent la rubrique de littérature.

Dans ce n° 7 également, sont présentées des lectures de romans ou d’ouvrages ainsi que des travaux d’étudiants en Etudes Coréennes.

Bonne lecture sur www.keulmadang.com

Jean-Claude de Crescenzo

lundi 10 mai 2010

Rendez-vous de printemps

Voici en deux mots les deux prochains rendez-vous à ne pas manquer :

Le 4 juin 2010, Les Ecritures croisées et La Cité du Livre d’Aix-en-Provence vous invitent à rencontrer quatre écrivains coréens :
  • Shin Kyung-Sook
  • Hwang Sok-Yong
  • Lee Seung-U
  • Kim Young-Ha.
Ces rencontres animées par Jean-Claude de Crescenzo se dérouleront à 18h00 dans la Cour carrée de la Cité du Livre.

Pour en savoir plus sur cet événement sur lequel nous reviendrons prochainement, et télécharger la plaquette d’informations (format pdf),
veuillez cliquer ici ou sur le cliché ci-dessus.




L’autre rendez-vous est une série d’événements qui vont se dérouler entre le 25 et le 29 mai et qui tournent tous autour de l’œuvre et de la personnalité de Gao Xingjian.

Cette « Pérégrination autour du roman La Montagne de l’âme » s’inscrit dans le cadre de la manifestation « A vous de lire » et offrira outre des rencontres de type traditionnel (Mercredi 26 mai, 18 h, Cité du livre), des projections d’œuvres cinématographiques de Gao, des spectacles de danse, et le samedi 29 mai, entre 10 h et 17 h, une « déambulation » en 12 stations dans Aix-en-Provence, pendant laquelle la lecture de La Montagne de l’âme, entamée la veille sera poursuivie. La clôture de cette événement se tiendra à la Bibliothèque Méjanes (Cour carrée) et donnera lieu à une «Lecture performance/Lecture dansée ».

Le jeudi 27 mai, c’est, à partir de 17h45, vers la Bibliothèques des lettres et sciences humaines de l’Université de Provence, Espace de recherche et de documentation Gao Xingjian, que les regards se tourneront puisqu’y seront donnés Paysage en duo et Ecritures de bord, deux « événements dansés » par le groupe Bernard Menaut, puis une « Rencontre/lecture» en présence de Gao Xingjian. Il s’agira de la lecture d’un passage de La Montagne de l’Ame en français, chinois, allemand, arabe, anglais, italien, coréen, japonais, turc ... et en langue des signes.

Pour l’intégralité du programme très fourni de cette manifestation sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir, veuillez cliquer ici ou sur la bulle ci-dessus
(document pdf de 5 pages).

dimanche 1 novembre 2009

L'Asie des Ecritures croisées (04)

Choses vues et entendues à la Fête du Livre d’Aix-en-Provence
« L’Asie des écritures croisées, un vrai roman »

Puisque les médias, à l’exception de la presse régionale, ont totalement boudé cette extraordinaire manifestation (je sais bien qu’en temps que co-organisateur, ce n’est pas à moi d’en faire le compte rendu… mais tant pis, si vous n’êtes pas d’accord avec mes propos ou si vous désirez les compléter, notre blog vous est grand ouvert…), je ne peux m’empêcher de vous livrer quelques impressions glanées au fil de ces rencontres avec des écrivains de Corée, Chine, Taiwan, Thaïlande, Vietnam et Japon.

Pendant la séance d’ouverture, chaque écrivain a laissé deviner quel était son caractère. Li Ang, par exemple, avec la fougue qu’on lui connaît, affirmait d’emblée que, comme Umberto Eco qui « voyage avec un saumon », elle voyageait avec un oreiller, en raison de douleurs dans le dos causées par une malencontreuse chute dans la mer Rouge lors d’un voyage en Arabie saoudite. Elle avait voulu voir le lieu précis où Moïse a séparé les eaux, et elle-même, à son corps défendant, a réussi le même exploit. Cette anecdote ne l’a nullement empêchée d’indiquer qu’après avoir écrit des romans dénonçant la condition féminine dans la société taïwanaise (le fameux La Femme du boucher), puis des romans montrant comment les femmes sont capables de vendre leur corps pour parvenir à grimper à l’échelle sociale (roman dont certaines pages la font rougir maintenant), elle s’intéressait surtout à la gastronomie du monde entier, et tout particulièrement à celle de la France. Yoko Tawada, elle, a souligné que la notion de roman asiatique lui rappelait trop la grande Asie de sinistre mémoire et qu’elle ne voyait pas forcément une cohérence dans cette invitation d’écrivains asiatiques, même si elle-même, qui habite en Allemagne, et qui écrit en allemand et en japonais, se déclarait très contente d’être là. Minaé Mizumura soulignait combien elle se sentait proche de la France dont elle comprend et parle la langue. Thuân, francophone elle aussi, expliquait que dans son roman Chinatown, écrit en vietnamien et traduit par Doan Cam Thi, le personnage principal était une Vietnamienne qui avait appris l’anglais à Moscou et s’installait à Paris où, pour gagner sa vie, elle enseignait cette langue à des élèves pour la plupart d’origine musulmane ! Qui dit mieux en matière de mélange et de mondialisation ? Chaque écrivain a ensuite exprimé sa joie d’être là pour parler de la chose qui lui tient le plus à cœur, la création littéraire.

Lors des master classes qui se sont tenues avec les étudiants de l’IUT Métiers du livre et ceux du Département d’études asiatiques de l’université de Provence, les écrivains ont parlé de leur vocation, de leur activité d’écrivain dans leur pays et de leur conception de la littérature. Kim Young-ha a expliqué que ses parents avaient toujours voulu qu’il devienne comptable. Lui-même voulait devenir écrivain et chaque fois qu’il écrit, il éprouve un grand plaisir à avoir l’impression de transgresser un interdit. Xu Xing a fait alors remarquer que Kafka aussi était destiné à devenir comptable… Pour Li Ang, la situation a été très différente. Elle a toujours été l’enfant gâtée de sa famille et a été soutenue par celle-ci, ce qui lui a permis de ne jamais avoir de problème pour vivre et de se livrer sans soucis matériels à son écriture. Même si elle a été très violemment critiquée, elle dit n’avoir jamais eu à faire de compromis et n’avoir jamais eu à s’autocensurer.

Chart Korbjitti a évoqué les heures sombres de la Thaïlande et ses massacres. Son envie d’écrire la vérité l’a amené à se demander comment il pourrait subvenir à ses besoins sans entraver son désir d’écrire. Il a commencé par fabriquer des sacs qu’il vendait sur les marchés, mais très vite, comme son commerce marchait trop bien, il lui a fallu cesser cette activité pour garder du temps, car il aurait dû employer des ouvriers et s’absorber totalement dans cette occupation ! Il a affirmé n’avoir besoin que de très peu pour vivre, habitant à la campagne, loin des tracas de la ville…

Bao Ninh a précisé le processus qui l’avait conduit à écrire Le Chagrin de la guerre. Selon la propagande communiste, la victoire du Viêtnam sur les États-Unis en 1975 était présentée comme un événement brillant provoquant la joie de tous. Tel un peuple de robots, les Vietnamiens fêtaient la victoire en oubliant les souffrances des combats. Du côté américain, on expliquait que la victoire vietnamienne était due au fait que les Vietnamiens étaient justement des robots et avaient pu résister à la guerre quelle qu’en fût la violence. Pour Bao Ninh, les Vietnamiens étaient avant tout des hommes, et lui qui fut soldat dans l’armée vietnamienne faisait un constat beaucoup plus douloureux. La guerre avait été atroce et les souffrances ne pourraient jamais être oubliées. Un peu plus « lettré » que ses camarades, il s’était senti le devoir de dire que la guerre, quels qu’en soient les motifs, était une monstruosité, et qu’elle ne devait plus jamais se reproduire. Il a aussi affirmé que son roman n’avait rien d’extraordinaire en lui-même, mais que s’il avait eu du succès, c’était seulement parce qu’il présentait les Vietnamiens comme des hommes et des femmes ordinaires et non comme des robots.

Au cours des entretiens, a aussi été abordée la question de la modernité. Kim Young-ha a rappelé que cette modernité a été imposée par les Occidentaux dans plusieurs pays d’Asie par la force. Ensuite, la littérature occidentale a dominé le monde et l’Asie en particulier. La forme romanesque dans sa version moderne n’a par exemple qu’un siècle d’histoire en Thaïlande ou au Viêtnam, où elle a supplanté la poésie ou le récit en vers. Dans la situation actuelle, un écrivain a fait remarquer que dans la plupart des pays d’Asie, un lycéen ne peut entrer à l’université que s’il connaît un certain nombre d’œuvres occidentales, alors que l’inverse n’est pas vrai.

À propos de la censure, chaque écrivain a évoqué la situation dans son pays. Au Japon, où seuls sont tabous la famille impériale et l’Empereur (pourtant plus démocrate que certains membres de l’extrême droite selon Minaé Mizumura…), la censure n’existe pratiquement pas. En revanche, Minaé Mizumura a indiqué combien persistaient des différences très fortes entre classes sociales… dont son roman Taro un vrai roman se fait amplement l’écho. En Thaïlande, selon Chart Korbjitti, certains sujets doivent être évités. Au cinéma, par exemple, jusqu’à une époque récente, on ne devait pas mettre en scène des « mauvais » policiers.

Lee Seung-u, quant à lui, s’est réjoui du fait qu’aujourd’hui les écrivains de Corée du Sud aient plus de latitude pour aborder des problèmes intimes, alors que, pendant les dernières décennies, les écrivains ne pouvaient pas ne pas se préoccuper des problèmes du pays et prendre position en faveur de telle ou telle position politique. C’est sans doute pour cela que son roman La Vie rêvée des plantes possède une telle force poétique.

Enfin, cette Fête du Livre a été marquée par le rôle considérable qu’ont joué les traducteurs-interprètes. Cinq langues (souvent appelées en France « langues rares » !) étaient utilisées et chaque fois qu’un écrivain prenait la parole, il fallait que les interprètes traduisent à chacun dans sa langue ce qui venait de se dire. Grâce à un ingénieux dispositif, le système a très bien fonctionné et le sens de chaque intervention a pu être rendu presque en temps réel en français puis dans les quatre autres langues. Et chaque fois, le public semblait charmé par la musique de chacune des langues…

Pour clore ces « choses vues et entendues », je ne résiste pas à l’envie de vous livrer la « version intégrale » d’une intervention de Chart Korbjitti – traduite par Marcel Barang et Louise Pichard-Bertaux :

« Je suis venu ici pour vous informer. Je ne suis pas venu comme représentant des écrivains thaïs mais à titre personnel. Je suis venu pour vous dire que mon pays a une langue, une culture et une tradition artistique. Et une littérature, tout comme dans chacun de vos pays. La différence, c’est que mon pays est petit et en voie de développement. Ou en d’autres termes un pays du tiers-monde.

Et quand on parle des pays du tiers-monde, les pays développés nous considèrent avec condescendance, qu’il s’agisse du mode de vie, des valeurs culturelles ou artistiques et considèrent les gens du tiers-monde comme des rustres, ce qui vaut aussi pour la littérature que nous lisons.

La littérature, à mon avis, est tout aussi importante que les vêtements que nous portons. Chaque pays a sa façon de se vêtir en fonction du climat et de l’environnement de façon à ce que chacun soit à l’aise et bien dans sa peau. Ce qui est au-delà de ça et dont on ne peut pas se passer, c’est la beauté ; en d’autres termes, c’est l’art.

Et chaque fois que vous regardez les vêtements que nous portons, vous vous dites que ces vêtements sont démodés, de coupe grossière et sont tout sauf branchés.

De la même façon, quand vous considérez notre littérature, vous vous dites que notre style est démodé, qu’il n’a rien d’excitant, et que nos thèmes sont répétitifs : la pauvreté du petit peuple, la corruption des politiciens, la prostitution et l’exploitation des enfants.

Je suis venu ici pour vous dire que même si mon pays n’est pas aussi développé que les vôtres, nous portons des habits confortables et qui nous conviennent tout autant que ceux que vous portez chez vous. Et n’allez surtout pas croire que ce n’est pas le cas !

Et si un jour vous en avez marre de porter les vêtements qui sont les vôtres, ou de suivre les modes qui sont les vôtres et qui changent en permanence, j’espère que vous essaierez les nôtres, et que dans vos penderies on trouvera un choix de vêtements parmi les quels les nôtres figureront.

De la même façon, j’espère que sur vos étagères et dans vos bibliothèques, il y aura un choix d’ouvrages littéraires parmi lesquels les nôtres figureront aussi.

Je suis venu ici pour faire mon devoir qui est de vous informer. Si ça se trouve, cette information ne servira à rien, je n’ai pas de grands espoirs à ce sujet.

Mon devoir est simplement de vous informer.

Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont convié à venir ici pour délivrer ce message. »

La force d’une telle intervention dès la soirée d’ouverture de cette Fête du Livre aurait pu justifier à elle seule la tenue de ces rencontres !

Noël Dutrait

dimanche 20 septembre 2009

Sensibilisation…



Comme nous l’avions annoncé, le 15 septembre 2009 a eu lieu la rencontre de sensibilisation de la Fête du Livre 2009 à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence. Du 16 au 18 octobre, alors que se déroulera du 15 au 16 octobre notre colloque sur le roman en Asie, la Fête du Livre intitulée « L’Asie des Ecritures croisées, un vrai roman » a invité des romanciers venus de plusieurs pays d’Asie (Chine, Japon, Corée, Taiwan, Thaïlande et Vietnam). Pour cette séance de sensibilisation, avait été invitée une écrivaine vietnamienne, Thuân, qui vit à Paris et dont le roman Chinatown a été traduit en français par Doan Cam Thi, qui était elle-même venue à notre dernier colloque sur la traduction du mois de mars. 
 
Dans un premier temps, j’ai présenté les écrivains qui seront présents au mois d’octobre : les deux romancières japonaises, Minaé Mizumura [Minumura Minae 水村美苗] dont le roman Tarō, un vrai roman (Le Seuil, trad. Sophie Refle) vient de sortir en France (soit dit en passant, ce fut pour moi le roman de l’été… un vrai régal) et Yōko Tawada [Tawada Yōko 多和田葉子] qui a déjà publié plusieurs romans chez Verdier, soit traduits du japonais, soit traduits de l’allemand. Le romancier chinois Xu Xing 徐星, traduit par Sylvie Gentil aux éditions de l’Olivier, Li Ang 李昂, venue de Taiwan dont La Femme du boucher, republié sous le titre plus direct Tuer son mari chez Denoël (trad. Alain Peyraube et Hua-Fang Vizcarra) est bien connu à Taiwan et en France. Deux écrivains coréens déjà célèbres : Kim Young-Ha et Lee Seung-U dont les romans ont été recensés à plusieurs reprises sur notre blog. Enfin, venu de Thaïlande avec son traducteur Marcel Barang, l’écrivain Chart Korbjitti dont il faut lire La Chute de Fak (Le Seuil, 2003) et Bao Ninh, l’auteur du Chagrin de la guerre (traduit par Phan Huy Duong chez Picquier en 1994). Et bien sûr, Thuân, qui nous a confié mardi dernier qu’elle était en train d’écrire son sixième roman dont le sujet porte sur la mort sous les tropiques.


Doan Cam Thi, maître de conférences à l’Inalco et traductrice, a dressé avec maestria un tableau de la littérature vietnamienne depuis la fin de la guerre du Vietnam jusqu’à nos jours. Elle a montré les relations complexes qui existent entre le pouvoir et les écrivains, les écrivains restés au Vietnam et les écrivains exilés, la littérature vietnamienne et les littératures du monde. Ensuite, elle a présenté Thuân et son roman Chinatown, un roman très novateur par sa forme (utilisation du monologue intérieur, du roman dans le roman, clins d’œil à Marguerite Duras…) et passionnant par son contenu : les relations fratricides entre le Vietnam et la Chine dont la montée en puissance ne peut laisser personne indifférent, les relations entre les individus, la question de l’exil… Thuân elle-même a livré au nombreux public sa conception de l’écriture et du roman en des termes très émouvants. Questionnée sur les relations traducteur/auteur, Doan Cam Thi a révélé que Thuân et elle étaient sœurs jumelles, ce qui finalement ne peut que renforcer la bonne entente entre les deux et a fait monter encore l’élan de sympathie du public envers elles.

La réussite de cette soirée doit à la fois à l’érud
ition et à la spontanéité de nos deux invitées. Le public était conquis et j’ai conclu en affirmant que La Fête du Livre « L’Asie des Ecritures Croisées , un vrai roman » avait bien commencé ! Et pour arroser l’événement, un violent orage s’est abattu sur la Cité du Livre d’Aix-en-Provence, envahie rapidement par dix centimètres d’eau qui n’a empêché personne de boire le verre de l’amitié. (N. D.)

lundi 3 août 2009

Traduit du coréen (006)

L'Empire des lumières (빛의 제국)
de KIM Young-ha (김 영하) Editions Philippe Picquier, 2009
Traduction de Lim Yeong-hee (임 영희) et Françoise Nagel

Bien que le dernier roman de Kim Young-ha emprunte son titre à un tableau de Magritte, le héros Kiyeong se débat une journée durant dans l'obscurité des souvenirs et le dédale des choix à faire. Espion dormant, envoyé par la Corée du nord dans la Corée du sud, pour s'immerger dans la société et accomplir une mission le jour où il s'en fera besoin, il mène une vie des plus discrètes, au confins de l’ennui. La nécessité de se fondre dans les rouages d'une société qu'il ne connaît pas a supposé qu'il oublie d'où il vient et comment il y vivait.

Formé à l’école des espions de Pyeongyang, depuis 10 ans, Kiyeong (기영)n'a jamais été contacté par ses chefs, jusqu'à ce jour, où il reçoit via sa messagerie, un poème japonais de Bashō (Matsuo Bashō 松尾芭蕉, Anthologie du poème court japonais. Traduit par Cotinne Atlan et Zéno Bianu, Gallimard, «Poésies ») : «Au fond de la jarre / sous la lune d’été / une pieuvre rêve » qui lui enjoint de rentrer en Corée du nord. Le roman tourne autour de cette journée et de la décision qu'il doit prendre : obéir ou non.

Marié et père d'une adolescente en pleine crise d'adolescence, il partage son temps entre son travail, sa famille et sa maîtresse, tandis que sa femme fait exactement la même chose, avec un jeune amant avide d'expériences sexuelles.

Que va faire Kiyeong ? Pourquoi est-il rappelé maintenant après 10 ans d'oubli ? Comment quitter une vie et un système politique (le sud) pour retourner en Corée du Nord, vers un destin inconnu, dans lequel il ne sait même pas s'il sera maintenu en vie ou assassiné (l'auteur n’évite pas la caricature, mais au fond, peut-être est-il vrai que les espions ne font jamais de vieux os..).

Mais le Nord existe-t-il toujours, lorsque l'on a vécu 10 ans dans l'abondante Corée du sud. Que va t-il se passer s'il refuse de rentrer ? S'il rentre ? Comment choisir entre son pays (sic) d'origine et son pays (sic) d'adoption? Et d'ailleurs, faut-il choisir ? L'homme moderne ne cesse de vouloir affirmer son libre-arbitre par le choix permanent qu'il doit effectuer au milieu d'une offre abondante en produits, en idées, en prêt-à-voir, en prêt-à-penser, conçus dans les laboratoires du social. Mais la seule issue nous dit Kim Young Ha n'est-elle pas au fond et seulement, de survivre :

« Je croyais que les gens aimaient comme moi réfléchir à des choses abstraites. Mais en réalité, tout ce qu'ils veulent, c'est survivre ».

Et l'humain, en nouveau démiurge quasi-occupé à faire valoir son individualité, ne s’aperçoit pas qu’elle est fabriquée en grande partie par ceux qui tirent les ficelles, d'où qu'ils soient. Dans cette Corée du sud hypermoderne, l'auteur joue avec les paradoxes en insistant sur la question du choix. Choisir au milieu de l'abondance ce qu'il y a de moins pire, finalement.

Ce roman conçu comme une parabole sur la nécessité, nous montre un Kiyeong enlisé dans son propre oubli de soi, occupé à se fondre dans la masse pour en faire partie. Pour obéir à l'injonction qui lui a été faite, voici 10 ans, Kiyeong n'a cessé de construire une image d'homme moyen, lisse au point qu'il semble vivre à partir du jour où il lui est demandé de rentrer au pays. Allusion probable au système dominant de pensée (de plus en plus souvent mis à mal de nos jours) en Corée, qui, dans ses moins bons côtés, propose à l'individu de s'effacer au profit de la communauté. Ici, Kiyeong est dans un double effacement, celui imposé par son statut d'agent infiltré et celui proposé par le système de pensée en vigueur. Lorsqu'il lui faut prendre sa décision, rentrer ou non en Corée du nord, c'est la totalité de cet individu effacé qui doit reprendre le contrôle de lui-même. La solitude imposée par le monde moderne nous renvoie à une thématique en cours dans la jeune littérature coréenne. Face aux désordres du monde, les choix à faire ne relèvent pas toujours du libre arbitre mais souvent de la capacité à circuler au milieu du moins pire. Ici, Kiyeong est appelé à quitter une société à laquelle il appartenait, mais dans une sorte de relief en creux. Il doit quitter la chaleur humaine d'une société organisée, hiérarchisée, au profit d'un retour vers l'inconnu. Car cette Corée du nord, il n'est pas certain de la reconnaître, il n'est même pas certain de reconnaître les idées qui ont été les siennes lorsqu'il était jeune et futur espion en formation. Kiyeong ne peut plus choisir, car il ne s'appartient plus. Car pour s'appartenir, il ne faut pas avoir consacré dix années de sa vie à s'oublier, à vouloir devenir transparent au point de s'être coupé de soi. Ici, nous pouvons trouver intéressante cette allégorie du monde moderne dans lequel les codes sociaux imposent de choisir à qui ou à quoi il faut appartenir et payer le tribut de cette appartenance, au point que la redevance puise un jour devenir insupportable. Les rites sociaux, les coutumes collectives fabriquées de toutes pièces, les réunions bariolées des entreprises, les manifestations couvertes par la musique d'un seul haut-parleur peuvent à un certain moment nous dire que nous appartenons, et dans cette appartenance, il y a nécessairement un peu de perte de soi. Fernando Pessoa, à l'ombre de la statue sous laquelle nous préparons ce billet, dans une Lisbonne au doux vent chaud, nous dit qu'il faut laisser au silence le soin d'être injuste. C'est dans le silence de sa conscience que Kiyeong doit prendre sa décision.

Kim Young-ha ne tombe pas dans le piège d'un choix qui n'est pas à faire, entre un capitalisme dur mais où un artefact de liberté règne et un pays socialiste où la liberté est une illusion, même s’il évite de présenter la Corée du nord telle que se plaisent à le faire les journaux, soucieux de produire une information standardisée, repérable au confort réflexif qu'elle apporte aux moins exigeants.

Pourtant cet épais roman nous laisse perplexes. Il fait partie des livres que l'on veut sauver à tout prix dans sa propre mémoire, au regard des autres livres de l'auteur que nous avons aimés dans le passé. Nous lisons et relisons, doutons de nous et de notre capacité à discerner l’invisible du roman, mais force est que notre insatisfaction monte avec le nombre des lectures. Ce n'est pas un mauvais roman bien entendu. Construit en autant d'heures de la journée, sous l'influence d'une série américaine (24 heures chrono, que toutefois nous ne connaissons pas.) présente des défauts de construction. Notamment, l'absence d'une trame forte qui relie les chapitres et éviterait au roman l'instabilité que nous avons ressentie, sensation de parties éparses, tenant entre elles par un mince fil. Et pour notre goût, peut-être un développement réflexif plus soutenu que celui qui nous est présenté. Un roman n'est certes pas un essai, mais dans la critique esquissée des deux Corées des quarante dernières années, Kim Young-ha ne délivre finalement qu'une réflexion que nous ne manquons pas de trouver un peu convenue, en ce qu'elle dénonce même. Kim Young-ha avoue avoir eu recours à un personnage d'espion parce qu'il le pense mieux placé pour observer la société coréenne, dont il fait au passage un portrait pas très tendre. Mais il n’est pas certain qu’un personnage tout en retenue et en censure puisse être à même de porter un regard aigu sur la nouvelle puissance de l’Asie.

L'empire des lumières est le 3e roman de Kim Young-ha traduit en français. Le premier paru en 2002 chez Picquier, La mort à demi-mots a eu un beau succès d'estime en France. Le deuxième Fleur noire, toujours chez Picquier (2007), tout comme L'empire des ténèbres. Pour ses trois premiers romans coréens, Kim Young-ha a reçu les plus grands prix littéraires coréens, telle que nous l’indique la documentation. La référence à l'obtention de prix littéraires prestigieux tient toujours une place de choix dans les coupures et dossiers de presse. Cela pourrait, laisser supposer que ce soit une condition dans le choix de traductions des romans coréens, ce qui à terme pourrait poser quelques difficultés de lisibilité dans la production littéraire coréenne en langue française.

Kim Young-ha a aussi publié six recueils d'articles et trois de nouvelles. Nous espérons le voir bientôt en France.

Kim Hye-Gyeong et Jean-Claude de Crescenzo