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jeudi 26 mai 2011

Ombres éclectiques

Comme annoncé dans un billet précédent, en même temps que les films du monde se disputaient la Palme d’Or à Cannes, un colloque sur le cinéma chinois - Les ombres éclectiques - a levé son rideau à l’Université Paul-Valéry (Montpellier III). Durant trois jours (19-21 mai 2011), dix-huit participants de différents domaines se sont réunis pour évoquer le cinéma chinois. Quel que soit leur rapport avec le septième art, qu’ils soient réalisateurs, professeurs, doctorants ou spécialistes, leurs interventions ont été aussi diverses qu’intéressantes.

En guise d’ouverture de ce colloque, les réalisateurs Hu Wei 胡伟 et Li Junhu 李军虎 nous ont présenté leurs films. Les projections ont été suivies d’un échange direct entre eux et les participants du colloque. Par la suite, j’ai eu le plaisir d’entendre de nombreuses interventions sur le cinéma chinois apportant des regards neufs et divers sur ce sujet. Aussi bien les réalisateurs, les acteurs, ainsi que les films et les sujets ont été abordés au cours de ce colloque. On peut organiser les présentations en quatre catégories : l’histoire du cinéma en Chine, le caractère social du cinéma chinois, l’adaptation cinématographique de la littérature chinoise, et enfin, des aspects propres à tous les cinémas comme la censure, la traduction et l’économie du cinéma.

L’histoire du cinéma en Chine à l’instar des autre pays est intimement liée à l’Histoire elle-même. L’évocation du Parti Communiste dans le cinéma chinois en est l’exemple parfait. Anne Jaures a étudié l’évolution du traitement du PCC dans les films chinois, depuis la propagande anti-communiste du gouvernement de Tchang Kai-Check 蒋介石 jusqu’au regard bienveillant actuel, en passant par la propagande communiste la plus enthousiaste des années 50, la censure la plus terrible de la Révolution culturelle, à la dénonciation des années 90. Patrick Doan a, pour sa part, abordé le sujet en étudiant l’image des héros communistes dans le cinéma. Pour ce faire il s’est appuyé sur deux films évoquant la vie de l’héroïne rouge, Liu Hulan 刘胡兰. Pour terminer avec l’aspect historique de ce colloque, on peut citer la présentation de Raymond Delambre qui a analysé les enjeux historiques et esthétiques du cinéma chinois en s’appuyant à la fois sur les films antérieurs à l’apparition de la RPC, et sur la carrière de l’actrice-chanteuse Zhou Xuan 周旋.

Une des forces du cinéma est de pouvoir traiter les sujets très légers comme les sujets les plus graves, tel que l’Histoire comme évoquée précédemment, ou des sujets sociaux-historiques. Le film Nü Fuma 女驸马 (Le gendre de l’empereur est une femme), présenté par Xia Dongchun, permet de découvrir le système des concours administratifs dans la Chine impériale : une femme se travestit en homme pour passer un examen mandarinal. Il est évident que l’on parle ici de fiction, dont le principal but est de dénoncer la condition de la femme. Ce thème a été d’ailleurs approfondi par Emilie Guillerez qui s’est intéressée à l’image des femmes dans le cinéma chinois des années 20 et 30. Parfois l’Histoire et le social se mêlent ; le film Vieilles histoires du sud de la ville (Cheng nan jiushi) 城南旧事 présenté par Du Lili est basé sur une autobiographie qui offre un panorama typique et pittoresque du Pékin disparu des années 20 du XXe siècle. D’une mégalopole à une autre, Shanghai a aussi été mis en scène au cinéma ; ce sont les différentes facettes de cette ville que nous a présenté Nancy Balard.

La question des adaptations cinématographiques des œuvres littéraires, elle non plus, n’a pas échappé à l’attention des participants. Chantal Séguy et Mme Carcaud Macaire ont fourni une analyse du film adapté de La véritable histoire de A-Q (A Q zhengzhuan) 阿Q正传 de Lu Xun 鲁迅. Solange Cruveillé a montré les influences littéraires et historiques dans les films de Zhang Yimou 张艺谋. Pour ma part, j’ai analysé les adaptations cinématographiques d’un recueil de conte chinois du XVIIe siècle, le Jingu qiguan 今古奇观 (Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois). En m’appuyant sur sept films adaptés du 33ème conte du recueil, à savoir « Tang jieyuan wanshi chu qi » 唐解元玩世出奇 (Tang "Premier à la licence" joue un destin extraordinaire), j’ai étudié comment les réalisateurs ont mis au goût du jour une matière vieille de plus de trois siècles.

Par ailleurs, les sujets intrinsèques au cinéma ont également été abordés. L’aspect économique du cinéma chinois a été traité par Jacques Choukroun au travers des statistiques d’articles traitant du cinéma chinois dans la presse française. Dans un pays tel que la Chine, où la liberté d’expression est restreinte, la censure demeure. Isabelle Anselme nous a présenté le cadre juridique très aléatoire de la création et de la diffusion cinématographiques en Chine. La traduction des films chinois en français n’est pas aussi facile que pour des films provenant de certains pays culturellement plus proches. En s’appuyant sur la traduction du film Le roi des masques (Bianlian) 变脸, Fabrice Lebert a évoqué la difficulté à traduire la langue, les concepts, mais aussi la gestuelle utilisée dans les films chinois. Enfin, Sandrine Chenivesse, à travers de son expérience personnelle, nous a offert un regard tout à fait original sur la création cinématographique de Jiang Wen 姜文 qui est à la fois acteur et réalisateur.

Tout au long de ces trois jours, des débats enthousiastes ont eu lieu pendant le colloque et en dehors. Toutes ces communications intéressantes ainsi que les discussions passionnantes offrent de nouvelles perspectives de recherche sur le cinéma chinois, qui est populaire et prolifique en Chine, mais si peu connu en France car peu traduit. Le cinéma chinois grâce à sa diversité et son dynamisme peut être un bon moyen de découvrir la Chine et la culture chinoise.

Huang Chunli

vendredi 13 mai 2011

Le cinéma chinois à Montpellier

Alors que le Festival de Cannes qui propose notamment à son programme un remake de Seppuku 切腹 (Hara-kiri) de Kobayashi Masaki 小林 正樹 prix spécial du jury 1963, Ichimei [Hara-kiri : Death of a Samurai] de Miike Takashi 三池 崇史, s'achèvera, se tiendra à Montpellier le colloque international

Cinéma chinois :
les ombres éclectiques

(19 au 21 mai 2011)

Au programme de ces trois journées consacrées au septième art chinois notons la présence de trois des membres de notre équipe. Le 20, Patrick Doan parlera de « Liu Hulan, héroïne rouge, dans des films d’époques différentes » (à 11h30) et Huang Chunli se penchera sur « Les adaptations cinématographiques d’un recueil de contes du XVIIe siècle, le Jingu qiguan » (à 15h45). Le lendemain, Solange Cruveillé traitera des « Influences littéraires et historiques dans les films de Zhang Yimou » (9h30).

Si vous êtes à proximité de l’Université Paul Valéry – Montpellier 3, IRIEC, précipitez-vous salle C 020. Bien d’autres intervenants dont les réalisateurs chinois Li Junhu et Hu Wei vous y attendront.

jeudi 1 juillet 2010

Renards et renardes à l'honneur

Créature vulpine à neuf queues
(Yuan Ke 袁珂, Shanhai jing jiaozhu. 山海經校注 Shanghai, Shanghai guji, 1986)

Henri Doré (1859-1931) dont on peut lire en ligne le Manuel des superstitions chinoises (1926) grâce à Pierre Palpant, est également l'auteur de Recherches sur les superstitions en Chine, somme en 18 volumes parus à Shanghai entre 1911 et 1938, que les Editions You Feng ont eu la bonne idée de rééditer voici 15 ans en lui ajoutant un index fort utile. Dans un de ses nombreux chapitres consacrés aux pratiques superstitieuses et qui traite des « Diables renards. Hou-li-tsing 狐狸精 » [vol. 4, pp. 461-465], le père jésuite écrit :
« Les païens prétendent que le diable, sous la figure d'un Hou-li 狐狸 renard, monstre mi-belette et mi-renard, apparaît très fréquemment dans leurs maisons. Cet animal mystérieux est, disent-ils, plus gros que la belette ordinaire, il a des oreilles d'homme, monte sur les toits, se promène sur les poutres, et jette la terreur dans les familles. Le jour il est invisible, c'est la nuit qu'il exécute ses mauvais tours. On redoute beaucoup cet animal diabolique, et les familles païennes dépensent de grosses sommes à faire mille superstitions pour se mettre à couvert de ses malversations. » (p. 461)
C'est à cette créature qui faisait encore trembler dans les campagnes chinoises au début du siècle précédent, que Solange Cruveillé a consacré une thèse dont il a déjà été question dans ce blog et qui lui a valu de recevoir le vendredi 18 juin dernier le Prix de thèse accordé par l'Association Française d'Etudes chinoises.

(M. Lu Ching-long, Solange Cruveillé, Gilles Guiheux)

Voici pour ceux qui, comme moi, n'ont pu assisté à la cérémonie le court discours prononcé par Solange avant de recevoir ce prix entièrement mérité :
« Le renard est un animal à la charge symbolique très forte dans de nombreuses cultures et littératures à travers le monde, et à mon humble avis - après plusieurs années de recherche sur le sujet - en Chine plus qu'ailleurs, ce qui pousse les sinologues actuels à parler d'une véritable « culture vulpine » en Chine. C'est donc un sujet qui méritait bien un petit travail de 500 pages...

L'histoire du renard dans les textes chinois est une histoire vieille de plus de 2500 ans, qui remonte donc à l'époque pré-impériale : de simple animal offrant chaleur et prestige à l'homme par sa fourrure, servant à l'interprétation des augures et à l'illustration d'idées philosophiques, il devient au fil des siècles une créature légendaire anthropophage puis un démon, notamment sous l'influence des alchimistes et des taoïstes, donnant lieu sous le premier millénaire de notre ère à d'innombrables récits de forme zhiguai, présentés pour une grande partie dans le Taiping guangji, ou Vaste recueil de l'ère de la Grande Paix, d'époque Song. Et j'en profite pour remercier, plus de 1000 ans plus tard, tous ces lettrés courageux qui ont couché par écrit les contes et légendes d'époque, ce qui a permis à cette riche culture de parvenir jusqu'à nous...

C'est l'apparition également du personnage de l'esprit-renard, un être doté du don de métamorphose, en quête d'immortalité et profondément intelligent. Sous la dynastie des Tang, la vénération se mêle à la crainte et on assiste à la naissance du culte en la divinité renard, culte considéré comme subversif et dangereux pour le pouvoir politique en place. Les histoires et les personnages de renards se diversifient pour donner naissance à de grands récits restés célèbres, jusqu'à la dynastie des Qing, où des écrivains comme Pu Songling et Ji Yun vont porter à son apogée l'art des contes vulpins et où le personnage séduisant de la renarde va prendre son envol. Le renard de ces contes et fictions s'humanise, jusqu'à devenir le masque de l'être humain, de la société et de ses préoccupations.

Vaste programme donc, résumé ici en quelques lignes, que l'Histoire du renard dans les textes chinois, de l'époque pré-impériale à la fin de la dynastie des Qing, de la démonisation à l'humanisation, de la légende à la fiction. Un long travail de recherche, de sélection, de traduction, d'analyse et d'interprétation, effectué selon une double optique diachronique et thématique, poursuivi sur plusieurs années,... mais qui mériterait encore d'être poursuivi et complété. Un travail réalisé avec le souci constant de mettre en avant la complexité et la nature ambivalente du renard dans la tradition et dans l'imaginaire chinois, un renard qui, pour reprendre les termes de Zhang Yinde, exerce sur l'homme « le double pouvoir de terreur et de fascination, si bien que l'homme vacille entre la diabolisation et la divinisation, entre le rejet et l'identification ».

C'est un sujet qui me tient à cœur depuis presque dix ans : il m'a accompagnée durant mon année de Maîtrise à l'Université de Provence, où j'ai pu « entrer en contact » avec le personnage de l'esprit-renard ; durant mon année d'étude à l'Ecole Normale de Beijing – Beijing shifan daxue - où j'ai pu trouver de nombreuses sources chinoises ; durant mon année de Master à l'Institut des Langues Etrangères de Xi'an – Xi'an waiguoyu xueyuan - où j'ai effectué une recherche sur le renard dans les expressions de la langue chinoise ancienne et moderne ; et enfin durant mes années de doctorat, toujours à l'Université de Provence, au cours desquelles j'ai écrit différents articles et participé à divers colloques pour partager le résultat de mes recherches, avec notamment un court compte-rendu dans le numéro XXVI d'Etudes Chinoises (2007).

J'ai donc essayé, tout au long de ma thèse, de transmettre au lecteur ma passion pour ce sujet de recherche, avec l'idée de revaloriser l'image du renard dans la tradition chinoise, pour lui redonner la place qu'il mérite et qui lui revient. C'est pour toutes ces raisons qu'en plus d'être honorée par l'attribution de ce prix, je suis également touchée, touchée que mon travail ait été reconnu mais surtout qu'il ait plu aux membres du jury qui ont eu la bienveillance de le lire.

Je remercie en conséquence l'Association Française d'Etudes Chinoises et son président M. Gilles Guiheux, pour ce prix de thèse qu'elle délivre chaque année, mais aussi pour sa grande contribution aux études chinoises. Je remercie le jury, qui a eu la lourde lâche de départager des thèses de qualité.

Je remercie M. Lu Ching-long, ambassadeur de Taipei en France, ainsi que M. Lee Shu-cheng, directeur du service culturel, pour la belle récompense qu'ils vont nous remettre... Je crois que c'est une belle façon de terminer ses études supérieures, et un bel encouragement pour poursuivre dans la voie de la recherche, ce que je tâcherai de faire en prenant mes nouvelles fonctions à l'Université Paul Valéry de Montpellier dès la rentrée prochaine.

Je remercie également mes professeurs, M. Pierre Kaser et M. Noël Dutrait, qui me suivent et m'accompagnent depuis plus de 10 ans, et qui ont su me transmettre leur goût de la culture chinoise en général, et de la littérature en particulier. Je crois qu'un bon étudiant n'est rien sans de bons professeurs.

Merci enfin à mes proches et amis, et tout particulièrement à mon conjoint, qui m'a supportée, dans tous les sens du terme, durant toutes mes années de doctorat.
Souhaitons à Solange une brillante carrière et, pour nous tous, qu'un éditeur offre une tribune à sa thèse qui, qualité rare, se lit comme un roman. (PK)

Complément du 24/07/10 - Lien vers un article en chinois sur la remise des prix paru sur http://times.hinet.net/ : 法國漢學研究多元開放 [中央社 / 2010/06/18] >> ici.

vendredi 23 avril 2010

Renarde primée

« J'ai le plaisir de vous informer que Solange Cruveillé a obtenu le 1er prix de thèse décerné par l'Association française d'études chinoises. Ce prix lui sera remis à Paris le 18 juin par le représentant de Taiwan à Paris, M. Michel Lu. Au nom de notre équipe, j'adresse à Solange toutes mes félicitations ! Elle a montré que le personnage de la Renarde dans la littérature chinoise classique n'était pas si maléfique que ça et pouvait aussi apporter beaucoup de satisfaction ! »
C’est par ces mots que Noël Dutrait a annoncé à tous les membres de notre équipe l’heureuse nouvelle de l’attribution d’un prix prestigieux à Solange Cruveillé pour sa thèse dont il fut question sur ce blog lors de sa soutenance : « Le renard dans les textes chinois de l'époque pré-impériale à la dynastie des Qing : de la légende à la fiction, de la démonisation à l'humanisation ».

Je joins ma voix au concert de félicitations qu’a déclenché l’événement, et lui redis, officiellement cette fois, toute ma joie de voir son excellent travail reconnu comme il se doit. Je souhaite que prochainement une publication permette à un vaste public de lire ses pertinentes analyses sur la renarde chinoise et surtout ses excellentes traductions des rouleaux 447 à 455 du Taiping guangji 太平廣記 (Vaste recueil de l'ère de la Grande Paix), soit un ensemble de 83 histoires de renardes. (P.K.)

mercredi 25 novembre 2009

Studieux début de semaine

Le début de la semaine qui commence le lundi 30 novembre va être riche en événements savants de haute qualité grâce à deux membres associés de notre équipe de recherche (LEO2T), puisque lundi, justement, va se dérouler à partir de 14 h salle des Professeurs (Université de Provence, Centre des lettres, Aix-en-Provence), la soutenance de thèse pour l'obtention du grade de docteur dans la formation doctorale Langues, Lettres et Arts, discipline Langue et littérature chinoises de Solange Cruveillé. Le titre de ce travail d’un demi-millier de pages denses et érudites est

Le renard dans les textes chinois de l'époque pré-impériale à la dynastie Qing : de la légende à la fiction, de la démonisation à l'humanisation.
Résumé : La charge symbolique et culturelle du renard dans la langue et la littérature chinoises est si forte que les chercheurs chinois parlent désormais de véritable « Culture vulpine ». Si quelques travaux ont été récemment réalisés sur ce thème en Occident, ils se sont jusqu'alors limités aussi bien chronologiquement que thématiquement, n'offrant pas la possibilité d'apprécier avec justesse et impartialité l'importance du sujet. La présente thèse se propose de remonter aux origines des croyances sur le renard en Chine et d'analyser leur évolution au fil des siècles, à travers des textes produits entre l'époque pré-impériale et la fin de la dynastie des Qing. Ce long travail d'exégèse a permis de dégager les principales caractéristiques de l'animal renard mises en avant dans les œuvres anciennes, mais aussi les différentes facettes du renard dans les contes surnaturels du premier millénaire de notre ère puis dans les fictions vernaculaires des dernières dynasties impériales. À travers l'étude, la traduction, l'interprétation et la critique de récits anciens et classiques attenant à des genres aussi divers que la divination, la philosophie, l'Histoire ou l'érotisme, deux constatations majeures ont pu être faites : l'animal est passé du domaine de la légende à celui de la fiction, mais surtout il a été démonisé avant d'être humanisé. Tout l'enjeu de cette étude est de comprendre comment ces évolutions se sont opérées, de déterminer qui véhicule les principales croyances à l'égard du renard mais aussi de voir quelles sont les significations revêtues par les récits vulpins de forme classique. Les réponses à ces questions et à bien d'autres constituent la matière principale de cette monographie du renard dans la culture chinoise.
Le jury sera composé du directeur de thèse, Noël Dutrait et de Patrick Doan, Zhang Yinde, Nicolas Zufferey et Pierre Kaser.


Li Zhanyang 李占洋 , « Rent » 《"租"—收租院》
Collection Yard, History Observed, Joseph Beuys, Mao Zedong.
Résine époxy, 195 x 217 x 160 cm, 2007. Courtesy galerie Urs Meile, Lucerne- Pékin.

Le lendemain de cette fête du renard, soit le mardi 1 décembre 2009 à partir de 15 h, salle polyvalente du 1er étage du bâtiment de la scolarité, ce sera Anny Lazarus, doctorante dans notre formation, qui présentera les travaux qu’elle conduit sous la direction de Noël Dutrait pour sa thèse. Son exposé portera sur l’

« Art contemporain chinois, trois décennies : 1979-2009 »

traitant des « conditions d'une émergence » et de « l'actualité de l'art et ses débats », pour s’achever par une sélection d'œuvres récentes.

Anny Lazarus a présenté récemment pour l’obtention d’un Master, un mémoire intitulé « La critique d'art en Chine après 1979. Entre dépendance idéologique et recherche de liberté : le cadre de son émergence, les conditions de sa pratique. » ; la thèse qu’elle prépare porte le titre d’« Art contemporain en Chine : les outils conceptuels des critiques d'art chinois. Modèles théoriques et vision de l'histoire, légitimation et validation en œuvre dans le (re)-fondement de la discipline depuis 1979 ».
Résumé : L'état des lieux de la situation des critiques d'art en Chine continentale depuis 1979 révèle que ceux-ci présentent la critique d'art comme une nouvelle discipline qui s'est construite à partir des traductions d'ouvrages occidentaux publiés au milieu des années 1980, négligeant le riche héritage des traités picturaux classiques. De plus, pendant plus d'un siècle et demi, chez les intellectuels progressistes, modernité a résonné avec le savoir occidental. La culture classique, en particulier la langue et l'écriture, était considérée comme un fardeau féodal. Sous le régime maoïste, les intellectuels ont été les cibles d'une campagne visant à réduire à néant toute forme de pensée, avec comme point culminant la Révolution culturelle. La mission assignée à l'art était alors de servir la révolution. En 1979, le parti adopte une nouvelle politique accompagnée de la "libération de la pensée" et les critiques d'art se sont de suite engagés auprès des artistes non officiels en luttant contre la censure. Ma thèse cherchera à éclaircir comment ces intellectuels ont forgé leurs outils conceptuels pour aborder des œuvres novatrices, comment fonctionne aujourd'hui la relation très ancienne en Chine entre esthétique et politique, relation réactivée en 2003, avec la décision du Parti communiste de renforcer le nationalisme en "réhabilitant" le confucianisme. Un autre axe de ma recherche concernera certains auteurs français comme Foucault, Deleuze, Derrida ou Bourdieu, particulièrement estimés chez les jeunes artistes chinois, en tentant d'évaluer leur influence. Dans un premier temps, je travaillerai sur des textes en chinois de critiques d'art (Gao Minglu, Wang Lin, Li Xianting, Zhu Qi...). En faisant une synthèse de mes traductions je tenterai de présenter les démarches théoriques de ces auteurs et de comprendre comment ils légitiment leurs concepts en particulier vis-à-vis de l'histoire. Mon projet consiste aussi à comprendre dans la situation très particulière de la Chine à la fin du XXe siècle, l'influence des critiques dans le champ de l'art, ainsi que la fondation ou re-fondation de la discipline et son inscription dans l'enseignement supérieur en Chine après 1979.
Gageons que vous serez nombreux à venir écouter l’une et l’autre. (P.K.)

lundi 23 novembre 2009

Et de quatre

Nous signalons pour le mois de novembre la parution du volume 4 de la série Tigre et Dragon de l'auteur Wang Dulu 王度盧, traduit par les soins d'Amélie Manon, sous le titre Xiulian, l'épingle d'or. Ce tome ravira les amateurs du genre (wuxia xiaoshuo 武俠小說, ou romans de chevalerie chinois), et mène à leur terme les nombreuses intrigues commencées dans le volume 3 (Li Mubai, l'épée précieuse). C'est en effet avec bonheur qu'on retrouve notre jeune héros, dans « un Pékin d’intrigues et de complots », toujours tiraillé entre l'amour et le devoir, entre l'ambition personnelle et le triste destin réservé aux héros solitaires des Fleuves et des Lacs. Ce tome marque aussi la fin d'une aventure, la suite de la série (soit 6 volumes supplémentaires) n'étant pas programmée en traduction. Souhaitons néanmoins un avenir sinon prometteur, du moins meilleur, aux romans de gongfu 功夫 chinois offerts en traduction au public francophone, avec en premier lieu les oeuvres de Jin Yong 金庸, maître incontesté du genre. (Solange Cruveillé)

mercredi 5 août 2009

Lectures rafraîchissantes

L'été, se pose pour beaucoup d'entre nous qui de par le monde devons traverser ou séjourner dans des contrées écrasées par le soleil, la question de savoir comment faire tomber la température de quelques degrés ou, si ce n'est pas possible, où trouver le moyen de supporter des conditions climatiques défavorables. Outre, les solutions habituelles que vous connaissez, certaines désastreuses comme l'achat d'un appareil de climatisation, d'autres plus risquées pour la santé comme l'ingestion de liqueurs rafraîchissantes ou de sorbets délicieux, il y a encore celle de trouver un dérivatif puissant capable de détourner l'attention des souffrances du moment. J'avais l'année dernière opté pour la lecture des mésaventures à répétition de la belle Emily dans le château d'Uldophe. Cette année, je vous offre un nouveau baume littéraire qui devrait, pour le moins, vous permettre d'affronter vaillamment quelques heures caniculaires de ce mois d'août commençant.

Je regrette de n'avoir rien de nouveau de mon cher Li Yu 李漁 (1611-1680) à vous proposer, lui qui présentait ses fictions comme « une boisson rafraîchissante dans la maison en flammes » [火宅中清涼飲子] - cela viendra un jour prochain -, mais j'ai, sinon mieux, au moins tout aussi efficace et surtout immédiatement disponible et propre à la consommation, avec ou sans additif.

Il s'agit de quelques récits d'un auteur chinois - Yuan Mei 袁枚 (1716-1798) - dont on devrait entendre parler encore plus sous peu grâce à des publications d'envergure, mais dont on a déjà parlé et fort bien, notamment dans une enceinte prestigieuse et par une voix éclairée.

L'enceinte est le Collège de France ; la voix, celle de Pierre-Etienne Will qui y occupe la chair d'Histoire de la Chine moderne et consacre son cours de l'année 2009 à un sujet passionnant : « Documents autobiographiques et histoire 1640-1930 ». C'est donc dans le cadre précis de cet examen attentif et admirablement documenté de l'écrit autobiographique dans la Chine du XVIIe au début du XXe siècles, qu'il fut - c'était le 28 janvier dernier -, question pendant une demi-heure de Yuan Mei. Cette « longue digression » s'achevait sur la synthèse suivante dont la lecture devrait vous inviter à écouter attentivement l'intégralité du propos et l'ensemble de cette série de conférences aussi magistrale qu'enthousiasmante :

« Yuan Mei parfait exemple d'un individu complexe non dénué de contradictions et d'ambiguïtés mais dont les biographies conventionnelles nous laissent entrevoir qu'une très petite partie des multiples dimensions. Il a laissé sa marque dans des domaines aussi éloignés que la critique poétique et le droit ; c'était un fonctionnaire compétent et dévoué, très conscient des problèmes économiques et sociaux de son temps, et dont les préoccupations en matière d'éthique et de technique administrative ne se sont jamais démenties ; mais il s'est découragé dès que sa carrière à sembler piétiner, et il a préféré mener une vie confortable d'ermite comme on disait, anticonformiste, flirtant plus qu'à son tour avec le scandale mais réussissant toujours à s'en tirer grâce à ses innombrables relations, et à l'extraordinaire popularité de ses productions littéraires. »

[Ce second des 10 cours donnés est disponible comme les neuf autres en podcast directement sur le site du Collège de France ou à partir d'iTunes - mais vous êtes rodés à l'exercice qui consiste à récupérer ces fichiers et à les glisser dans votre ordinateur ou votre iPod (sinon voir ici, où une tentative d'explication !), mais on peut aussi plus simplement l'écouter en ligne à partir d'ici]

Alors même que P.-E. Will s'attachait à la suite d'autres (Camille Imbaut-Huart, Arthur Waley, Jérôme Bourgon) à faire revivre le souvenir de ce Chinois d'exception, nous étions plusieurs à nous pencher sur son œuvre avec, je le suppose, la même délectation ; l'ironie mordante de cette conjonction des intérêts fut qu'ils s'attachèrent au même ouvrage : le Zi bu yu 子不語 (« Ce dont le Maître ne dit mot »), collection de récits à faire frémir et à se tordre de rire que Yuan Mei avait pris un grand plaisir à compiler sur la fin de ses jours (1788) et auquel il avait même donné une suite tout aussi rafraîchissante (1797).

Résultats des courses : une attente --- celle de la publication d'une intégrale dans la prestigieuse collection consacrée à l'Orient d’un grand éditeur parisien ; une frustration, partagée avec notamment Alain Rousseau (un fidèle lecteur de ce blog), de devoir remiser un projet nourri de (trop ?) longue date ; une poignée de récits - 12 pour être précis -, à lire sans tarder --- encore vous faut-il, pour cela, relever un dernier défi : vous procurer le dernier numéro de la revue Le Visage Vert déjà évoquée ici [une piste : le commander directement chez l'éditeur Zulma]

De quoi s’agit-il ? Rien de moins que la traduction de quatre récits sans liens les uns avec les autres dont la réunion devrait offrir une petit idée de la diversité des anecdotes du Zi bu yu, traduction réalisée par moi-même, par ailleurs signataire d’une brève présentation de l’auteur, et de huit récits traduits par Solange Cruveillé qui a naturellement retenu des récits vulpins, histoire d'ajouter quelques spécimens originaux à sa déjà fort riche collection d'histoires de renard(e)s. Ce sont de loin les histoires qui ont le plus séduit les premiers lecteurs à dévorer la dernière livraison de cette remarquable revue entièrement consacrée aux franges du réel.

On le comprend facilement d'autant que ces récits, cocasses et terrifiants, qui offrent une tonalité particulière aux narrations mettant en scène ce personnage clef du fantastique chinois, sont accompagnés d'illustrations dues au burin inspiré et sauvage de Marc Brunier Mestas particulièment inspiré par ces histoires un peu folles. On peut également les voir sur son surprenant blog, ici, en compagnie d'une autre série de renards et d'une saisissante illustration qui s'attachait à la cruauté scatologique de « La vengeance du squelette » de Yuan Mei.

Notons que Marc Brunier Mestas n'a pas définitivement abandonné le thème du renard puisqu'il est passé à la couleur pour un conte vulpin contemporain qu'Anne-Sylvie Salzman a offert à la revue Le Zaporogue de Sébastien Doubinsky. Sachez que cette sixième livraison d'une revue sans égale est accessible en téléchargement et que vous trouverez pages 133 à 144, ce dérangeant « Fox into Lady » dont la lecture devrait faire baisser la température ambiante de quelques degrés supplémentaires. On pourra poursuivre la cure avec, du même auteur, un recueil de nouvelles qui ne peuvent vous laisser insensible. On peut se procurer Lamont directement chez l'éditeur vers qui il faudra également se tourner pour compléter ou constituer sa collection d'anciens numéros de la revue qui lui a donné son nom, Le visage vert.

Outre les récits de Yuan Mei qui constituent la première incursion en terre chinoise de la revue, ce volume 16 du Visage vert est plein de succulentes surprises, et comme l'écrit un de ses lecteurs « Bronzer en compagnie de ce Visage vert ne serait pas la moins bonne idée des amateurs de littérature, mais en goûter les joies inquiétantes derrière des persiennes fermées ajouterait au plaisir. » J'ajoute qu'il en va de votre survie, alors n'hésitez plus : lisez ! (P.K.)

mercredi 20 mai 2009

Et de trois

Après La vengeance de Petite Grue (2007) et La danse de la grue et du phénix (2008), traduction française du premier tome de la pentalogie de Wang Dulu 王度盧 (1909-1977) Tigre et Dragon (portée à l'écran en 2000 par Ang Lee), nous sommes heureux d'annoncer la parution de la première partie du tome deux, Li Mubai, l'épée précieuse, traduit par une ancienne étudiante du département d'Etudes Asiatiques de l'Université de Provence, Amélie Manon.

L'histoire se poursuit avec les aventures de Li Mubai, fils du défunt Li Fengjie, ami fidèle de Petite Grue, qui confia l'orphelin au chevalier Ji Guangjie, auprès duquel l'enfant apprit les rudiments des arts martiaux. Une fois adulte, le jeune homme va croiser la route d'un vieux garde d'escorte, l'Aigle aux ailes de Fer, qu'il va aider dans sa lutte qui l'oppose à une fratrie avide de vengeance. C'est ainsi qu'il rencontrera la magnifique Yu Xiulian, elle-même experte dans le maniement des armes, dont il tombera éperdument amoureux. Mais leur relation sera-t-elle sans nuage ?
Parmi les lanternes décorées, la courtisane,
A l'égal d'un chevalier, guette l'élégant jeune homme ;

Il est dur de renoncer à ses sentiments,
Dans l'alcool, il noie son chagrin.
Tout un programme... Ce troisième volet de Tigre et Dragon retrace donc l'épopée chevaleresque et l'histoire d'amour de la deuxième génération de héros de la pentalogie, et nous emmène dans la somptueuse ancienne ville de Pékin. Bonne lecture, et vivement la suite ! (Solange Cruveillé)

Bonne nouvelle de dernière minute : La vengeance de Petite Grue (2007) et La danse de la grue et du phénix (2008) ressortent en format de poche chez J'ai lu. Vous n'avez plus d'excuse pour ne pas les lire avant ce troisième volume. (21/05/09)

mercredi 22 avril 2009

Les aléas d’une identité divisée


Post-Scriptum.ORG, revue de recherche interdisciplinaire en textes et médias, « revue électronique indépendante et entièrement animée par des étudiant(e)s de cycles supérieurs », a été fondée en octobre 2002 par un groupe de doctorant(e)s du département de littérature comparée de l'Université de Montréal. Faisant preuve d'une grande ouverture d'esprit, elle vise « à offrir aux étudiants et chercheurs un forum international et interdisciplinaire ». C'est ainsi qu'elle publie des articles de qualité universitaire portant sur « les théories culturelles, les littératures internationales et les relations qu'entretient la littérature avec d'autres sphères ou d'autres supports médiatiques sans mettre de limites géographiques, ni linguistiques (sauf pour les langues de rédaction, le français et l'anglais) ».

Son dernier numéro mis en ligne, le numéro 9 (Hiver 2009), offre un bel exemple de curiosité et d'éclectisme. Il a pour sujet, les « Contradictions caractérielles », que Solange Cruveillé (LEO2T, Université de Provence) a finement illustré avec un article intitulé « Les sentiments contradictoires des démones renardes dans la littérature chinoise » que la rédactrice en chef de ce numéro, Marie-Hélène Charron-Cabana (Université de Montréal), présente de la manière suivante : « Son étude nous initie à une figure récurrente de la littérature chinoise depuis deux millénaires, celle du renard et des « démones » renardes. Au fil de leur développement historique, celles-ci oscillent entre animalité et anthropomorphisation, prenant tour à tour des allures bienveillantes et mauvaises. Les animaux entretiennent des rapports avec les hommes au gré de multiples masques et déguisements, selon une économie toute littéraire. L'auteure explique comment, dans deux contes de la fin des Ming, l'ambivalence de cette position se renouvelle et gagne en nuances. »

Pour lire cet excellent article qui « explore les aléas d’une identité divisée », il faut se rendre sur le site de la revue et télécharger un document pdf de 6 pages. C'est une mise en bouche goûteuse pour une thèse sur laquelle travaille Solange Cruveillé, qui, une fois de plus, manifeste brillamment la justesse de son appréciation sur cet aspect attirant de l'imaginaire chinois. (P.K.)

jeudi 12 mars 2009

Intraduisible légèreté du blogueur distrait

Dans un billet mis en ligne le 30 novembre 2007, j'annonçais la tenue le 17 décembre de la même année à l'Université de Provence d'une Journée doctorale sur le thème « Traduire l’intraduisible », journée pendant laquelle devaient intervenir neuf orateurs, jeunes doctorants, professeurs de notre université ou chercheurs extérieurs à elle. Parmi eux , trois nous sont plus chers : Noël Dutrait, He Hongmei et Solange Cruveillé.

Depuis, comme nous l'apprend Sophie Rabau sur Fabula.org, la revue e-LLA, Revue électronique des doctorants en Langues, Lettres et Arts, hébergée par le site de l'Université de Provence, a mis en ligne – c'était le 2 juin 2008 ! -, son premier numéro qui propose justement les actes de cette journée d'étude.

Il est donc grand temps de se rendre sur les pages donnant accès à ces communications en format pdf :
  • He Hongmei (doctorante en littérature française, CIELAM), « Les traductions de Proust en Chine » : La comparaison de deux traductions de Proust en chinois nous permet de mieux comprendre comment les traducteurs ont transféré dans cette langue hétérogène le style proustien et particulièrement ses deux aspects les plus importants : la phrase et la métaphore. Au lieu de se borner à signaler les défauts ou les qualités de chaque traduction, notre comparaison a pour but de trouver leurs différences, d’illustrer les problèmes auxquels se heurtent les traducteurs et la manière dont ils les résolvent.
  • Solange Cruveillé, « La traduction des images érotiques dans un conte de Zhou Qingyuan » : La littérature érotique chinoise classique a pour particularité de décrire beautés et scènes amoureuses en des termes élégants et poétiques, en usant d’un vocabulaire floral ou guerrier qui peut paraître totalement abstrait à un lecteur non averti. Quels choix le traducteur devra-t-il faire pour rendre fidèlement ces images, en veillant à garder à la fois beauté de la langue et contenu implicite ?
Notons qu'on retrouvera aussi bien Noël Dutrait que He Hongmei et Solange Cruveillé au colloque sur les « Littératures d'Asie : traduction et réception » qui va se tenir demain vendredi 13 mars 2009 et le jour suivant (voir le programme). Voilà un oubli réparé. (P.K.)

vendredi 20 février 2009

Enfer chinois (04)

Non !, la série sur les romans chinois anciens à l’index disponibles en traduction française n’a pas rendu l’âme le 31 juillet 2008. En voici, après une trop longue pause, un nouveau volet. Je vous rappelle que son but est de présenter de la manière la plus factuelle possible des traductions récentes, afin de vous laisser le loisir de les découvrir (ou non) et de les évaluer avec un regard averti.

Ce billet - le septième de cette série dont le mot référence [le tag pour parler la bloguolangue ], est « Eros chinois » -, grille au moins une étape, savoir l’évocation de plusieurs traductions signées Huang San & Co aux Editions Philippe Picquier (voir « Enfer chinois (03a) ») --- celle-ci viendra, en son temps, sous le numéro d’ordre « Enfer chinois (03-c) ». Pour l’heure, je vais m'en tenir à une sobre présentation de trois titres que j'ai eu le plaisir de réaliser sous la direction de Jacques Cotin pour la collection d'érotiques qu’il a créée en 1996 chez le même éditeur et qui a pour nom « Le Pavillon des corps curieux » [« PCC »].

Directeur littéraire à la « Bibliothèque de La Pléiade » (Gallimard) de 1987 à 1996 - il y a notamment accueilli Les Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois (Jingu qiguan [今古奇觀]) traduits par Rainier Lanselle en 1996 -, Jacques Cotin a notamment épaulé André Lévy, non seulement pour Fleur en Fiole d’Or (1985) et Pérégrination vers l’Ouest (1991), mais aussi plus récemment pour les Chroniques de l’étrange (Picquier, 2005) de Pu Songling 蒲松齡 (1640-1715). En plus d’être un orfèvre de l’édition, Jacques Cotin est aussi un expert ès curiosa et un fin connaisseur des littératures des marges, maniant fantaisie et rigueur dans une cordialité et une élégance irrésistibles. Son Dictionnaire des postures amoureuses (Arles : Picquier-Poche, « PCC », 2001, 434 p.) relève de ces deux facettes de sa personnalité et permet une approche originale d'un corpus que certains préfèrent éviter ou condamner sans appel.

Mais revenons à son « Pavillon » qui a ouvert ses portes non seulement à l’érotique littéraire chinois, mais également à celui de nos XVIIe et XVIIIe siècles (avec deux excellents ouvrages présentés par Patrick Wald-Lasowski). Plusieurs dépendances de choix ont naturellement été réservées à la littérature du Japon ancien, et une place non négligeable faite à un de ses auteurs majeurs, Ihara Saikaku 井原西鶴 (1642-1693). Notons aussi cette belle anthologie parue en 2002, Manuels de l’oreiller. Erotiques du Japon (809 pages), qui montre l’attention portée par Jacques Cotin aux ouvrages de sa collection et l’exigence, tant scientifique, qu’éditoriale dont il les entoure.


Comme tous les volumes de la collection, celui-ci est illustré avec des gravures d’époque tirées des meilleures éditions anciennes de ces livres que l'on cache d'ordinaire ou, pour reprendre le titre d'un livre qui aborde le versant français de cette production, Ces livres qu’on ne lit que d’une main [N.B. : L'ouvrage de Jean-Marie Goulemot, porte pour sous-titre Lecture et lecteurs de livres pornographiques au XVIIIe siècle (Alinea, 1991 ; Minerve, 1994)].

Mais ces éditions soignées offrent encore plus à l'esprit qu’aux yeux puisque chaque traduction (ou résurrection de texte oublié) est accompagnée d’un riche appareil critique, avec sa préface ou son introduction, ses avertissements, sa ou ses bibliographies, et, ce qui constitue la marque de fabrique de la collection, un répertoire parfois très copieux qui allège les notes de bas de page, qui ne font pourtant pas défaut. Dans l'avant-propos de Manuels de l’oreiller (p. 12), l'architecte en chef, amoureux forcené du bel ouvrage, explique :
« Les œuvres publiées dans ce volume font souvent allusion à des faits de société qui appartiennent en propre à la civilisation du Japon et dont les manières de vivre ont été perdues depuis longtemps. Ces mots ou ces expressions - qui demandent d’être éclairés pour procurer au texte toute son intelligibilité - font l’objet d’une rubrique dans un Répertoire qui figure à la fin du volume. Ils sont signalés par un astérisque. »
Mais abrégeons en prodiguant un conseil : quand vous aurez lu ce billet jusqu’au bout, allez vite ausculter le catalogue en ligne de la collection et laissez-vous surprendre [N.B. : il semblerait que, si certains titres ont été réimprimés en version de poche, d’autres ont bel et bien disparu dans les oubliettes de l’éditeur].

Mais venons-en à l’examen sommaire de trois des titres à avoir intégré le « Pavillon des corps curieux » entre 1998 et 2005. Il s’agit de trois romans chinois anciens en langue vulgaire, tout trois totalement inédits en traduction.


Les ayant déjà abondamment évoqués en ligne ainsi que dans une volumineuse encyclopédie spécialement consacrée à ce registre de la littérature mondiale publiée sous le titre d’Enclycopedia of Erotic Literature chez Routledge (New York - London, 2006), je me contenterai de faire des renvois vers les pages internet ad hoc dont certaines fournissent les versions françaises de ces notices, finement mises en anglais par Victor Thibout. L’ensemble des 27 articles consacrés à la littérature chinoise dans ces deux beaux et gros volumes a déjà lui aussi fait l’objet d’une rapide présentation à laquelle je vous renvoie. Je dirai, tout aussi brièvement, ce qui m'a, à l’époque où j’ai réalisé ces traductions, conduit à retenir ces textes parmi tant d'autres. On sait que je n’avais que l’embarras du choix [Voir à ce sujet ma présentation de la collection « Siwuxie huibao » 思無邪匯寶 sur laquelle je me suis naturellement appuyé].


Le Moine Mèche de lampe
(Dengcao heshang zhuan 燈草和尚傳)

Avant tout, je vous prie de noter (ce qui devrait ravir les amateurs de curiosités éditoriales), l’hésitation de l’éditeur sur la nature de l’ouvrage qu’il proposait alors (en 1998) à ses lecteurs : quand la page de titre indique (selon la volonté du traducteur) « Roman pornographique du début des Qing », la couverture opte pour un plus pudique « Roman érotique traduit du chinois ». Le passage en format de poche en 2002 (« Picquier Poche », n° 173) entérina ce non-choix.

Il n’en reste pas moins que l’intrigue de ce roman ne laisse pas indifférent. J’en veux pour preuve l’échange entre un critique de l’Enclycopedia of Erotic Literature et ses concepteurs dans les colonnes du Times Literary Supplement [TLS] au début de l’année dernière. Voici un rapide rappel des faits : le très respecté et influant Professeur émérite de la SOAS (Londres), M. Robert Graham Irwin (1946-) signe le 6 février 2008, une critique qu'il titre : « Erotic qualifications. An admirably serious but decidedly untrashy encyclopedia of erotic literature makes sex seem less fun than one might suppose » ; 14 jours plus tard, Gaëtan Brulotte (Department of French, University of South Florida) et John Phillips (London Metropolitan University), les éditeurs, lui répondent dans une courte lettre intitulée « Fun out of sex » ( TLS Letters du 20/02/08) :
« We are grateful to Robert Irwin for acknowledging the high quality of the entries, the intelligent choice of thematic subjects and the overall seriousness of the scholarship in The Encyclopedia of Erotic Literature. However, we find some of his other observations at the very least surprising. Mr Irwin contends that we have taken the fun out of sex. Ironic, then, that he should react so earnestly to the little fellow who leaps out of candles for the pleasure of lonely Chinese women (Dengcao Heshang Zhuan’s The Candlewick Monk), and to the many other amusing novelties to be found in this literature. »
Il est vrai que l’historien, spécialiste de littérature arabe ancienne, s’était justement laissé aller à confesser son engouement pour l’intrigue ce roman :
« The Chinese Dengcao Heshang Zhuan (“The Candlewick Monk”), a long novel about a little fellow who leaps out of candles and expands to fill the desires of the women he falls on, has one of the strangest plots I have ever come across. »
Je n’ose imaginer l’effet qu’aurait produit sur lui la lecture du texte intégral. S’il avait eu connaissance de la version française, il en aurait sans doute apprécié la belle édition conduite par Jacques Cotin qui, aux rares illustrations anciennes, avait préféré un jeu de sceaux érotiques de source non identifiée que je lui avais signalé.

Il est vrai que cette farce érotico-fantastique particulièrement débridée, permettait toutes les audaces, comme de la faire précéder d’une introduction dialoguée entre un Aloïs Tatu imbu de sa science et un naïf futur lecteur bien disposé à supporter son humour potache, facétie diversement appréciée et à laquelle je n’oserais plus me livrer ; enfin, presque plus ...

Sollicité pendant l’été 1996 par Jacques Cotin, j’avais passé en revue l’ensemble des volumes encore inédits de la collection éditée par Chan Hing-ho, et n’avais pas mis longtemps à isoler le Dengcao heshang zhuan. Pas rebuté par son style sans fard, j’avais tout de suite apprécié cette métaphore du godemichet littéraire qu’on peut deviner derrière les aventures de ce coquin de moine à géométrie variable. Le roman est, me semble-t-il encore maintenant, le prototype même du roman érotique chinois ; et puis, il porte, au cinquième chapitre (p. 70), la revendication sans ambages d'un droit au plaisir pour les femmes :
« C’est que, voyez-vous, nous quatre avons bien sûr chacune un mari, mais aucune d'entre nous n'accepte de subir sa domination. Du reste, pour parler franchement, quelle femme de nos jours ne rêve pas de se faire quelques beaux gars ? La seule chose qui les retienne, c'est la crainte d'être aperçues par ceux qui les entourent. Quand celles qui n'ont ni de quoi se vêtir ni de quoi faire ripaille n'ont que leurs yeux pour pleurer, incapables qu'elles sont de concrétiser l'envie qui les attise, les autres, les nanties, n'ont pas d'autre idée en tête : se faire mettre. »
Mais au delà de son érotisme humoristique qui peut satisfaire et ravir un lecteur simplement curieux de l’eros chinois, le roman me semble, encore aujourd’hui, mériter toute l’attention du sinologue ; l’urgence de la publication m’avait fait, je m’en suis aperçu depuis, négliger quelques pistes que je me propose d’explorer un de ces jours prochains afin de compléter les éléments déjà signalés dans la notice : on reparlera donc, ici, ou ailleurs de ce très réjouissant Moine Mèche de Lampe. Encore une promesse !


Le Pavillon des jades
(Bi Yu Lou 碧玉樓)

Comparé à ce feu d’artifice à la bonne humeur communicative, Le Pavillon des jades paraîtra beaucoup plus terme -- il ne méritait pourtant pas d’être retiré du catalogue ! Certes moins original - mais peut-on l’être plus que le précédant dans ce registre ? -, il n’en est pas moins attachant dans sa rusticité et dans les rapports qu’il tisse avec d’autres œuvres romanesques dont le Rouputuan 肉蒲團 (Chair, tapis de prière) de Li Yu 李漁 (1611-1680) dont il sera pochainement question.

Pour vous faire regretter sa disparition, je vous propose une version légèrement allongée de la quatrième de couverture (dont je suis le rédacteur : loin de moi l'idée de me comporter comme certains éditeurs indélicats en pillant sans crier gare ---- voir ici et ) :

« Tout à la fois miroir déformant de la réalité, palimpseste à la sensualité torride, comédie faussement naturaliste et féerie érotisante, ce petit roman qui pourrait dater du début des Qing (1644-1911) offre par un jeu de références plus ou moins cachées à parcourir un vaste éventail des contrées familières à l’amateur de roman chinois en langue vulgaire. Son auteur, toujours inconnu, y réussit le tour de force de convoquer toute une palette de situations cocasses et de personnages hauts en couleur. Son rythme soutenu, sa sexualité aussi sportive que dégagée de toute mystique et sa morale libérale nettement favorable aux femmes même volages, aux renardes immortelles et surtout aux marchands, révèlent un aspect original et attachant du roman coquin. Les lettrés qu’on y croise - mais en sont-ils vraiment ? -, instruments efficaces et dociles du plaisir féminin y perdent leur superbe, condamnés autant pour leur incapacité à tenir parole que pour leurs actes pendables dont le viol assassin d’une soubrette, épisode décrit par le menu comme pour mieux appuyer la dénonciation d’une pratique courante dans la Chine confucéenne. Plaisamment dérageant, Le Pavillon des Jades nous fait accepter comme allant de soi ce renversement des valeurs qui à lui seul justifiait qu’il soit rendu à la vie par la première traduction jamais réalisée. »

Pour en savoir plus sur ce roman dont la traduction est toujours attribuée à Aloïs Tatu, tandis que j’assume le reste, je vous propose de lire le brouillon français de la notice pour Routledge et ma très sage introduction, suivie de son avertissement. L’absence d’illustrations anciennes nous avez amené à nous rabattre sur un jeu d’illustrations de Huang Yikai 黃一楷 (1580-1622) pour un Su E pian 素娥篇.

Quoi qu’il en soit, ce choix est de beaucoup plus satisfaisant que celui arrêté pour le livre suivant dont la couverture, elle aussi, ne m'a jamais satisfait. Peu importe, l’ouvrage me manque pas d’intérêt.


Galantes chroniques de renardes enjoleuses
(Yaohu yanshi 妖狐艷史)

En effet, pour ces Galantes chroniques de renardes enjoleuses (Traduction : Aloïs Tatu, présentation et annotation : Pierre Kaser, 2005, 166 p.) au sous-titre programme - Féerie érotique et morale des Qing -, que je comparais dans l’introduction à un gâteau cent fois bon, l’auteur ne lésine sur aucun effet. Jugez en vous-même par le résumé de la première partie :

« Il propulse sans ménagement aucun son héros, Mingmei, un jeune homme faussement naïf et inexpérimenté, dans les pattes lubriques de deux fées renardes qui, de longue date – cinq siècles !-, renforcent leur pouvoir en pompant l’énergie sexuelle de leurs amants. Ayant pris l’apparence de deux irrésistibles beautés, l’une d’elle se livre aux fantaisies badines de Mingmei, pendant que l’autre observe les ébats amoureux de deux jeunes démons-renards ayant des relations sodomites. Plus tard, lorsque les quatre démons se retrouvent autour de Mingmei, celui-ci prend conscience de sa déchéance et assiste incrédule et terrifié à leur procès par la divinité en charge des créatures de l’Au-delà : quand les mâles sont occis sans détour, les femelles sont condamnées à deux siècles d’inactivité. Une fois débarrassé de ces néfastes fréquentations, Mingmei rencontre une nouvelle renarde. Fort heureusement pour lui, celle-ci, plus proche de l’immortalité, ainsi que son mentor, l’Immortel Hu, vont le rendre au monde des humains et se charger de le protéger lui et les siens. C’est que pendant son absence, ..... [lire la suite ici] »

Ce roman manifeste son originalité par l’importance qu’il accorde aux d’esprits renards qu’il présente dans toute leur diversité. Ces figures vulpines renvoient à d’autres lectures qui sont savamment présentées dans une érudite postface intitulée « Les renardes par l’une d’elles » (pp. 121-132) composée par Solange Cruveillé qui, outre qu’elle traduit fort bien Wang Dulu 王度盧 (1909-1977), se consacre, pour une thèse de doctorat, à ces personnages injustement décriés. L’autre curiosité est l’évocation, au premier chapitre, d’un théâtre érotique plus qu’improbable dans le contexte chinois du début de la dynastie mandchoue [voir page 29 ou à la fin de la notice].

Si je regrette, avec le recul, d'avoir presque à chaque fois manqué de temps - plusieurs poèmes de mirliton sont ainsi passés à la trappe -, j’ai déjà eu l’occasion de dire combien la nécessité de travailler dans l'urgence a, me semble-t-il, contribué à donner à ces traductions une tournure, un souffle, qu’elles n’auraient pas eu si je les avais envisagées dans le temps universitaire ; je ne me serais sans doute pas permis certaines audaces, telles que celle (très discutable) de donner aux personnages des noms de mon cru, ou de chercher à m'inspirer de mes lectures du moment. C'est ainsi que Le Moine doit beaucoup à l’Anti-Justine (1798) de Restif de la Bretonnne (1734-1806) et Le Pavillon à Andréa de Nerciat (1739-1800) (Mon noviciat ou les Joies de Lolotte, 1792 et Félicia ou mes fredaines, 1775). Quant aux Galantes chroniques, c’est curieusement le Roman Comique du bon Scarron (1610-1660) qui a soutenu mes efforts pour (j'ose le croire) éviter d'infliger à ces romans, somme toute remarquables, un style ingrat et plat.

Il n’empêche que m’étant naguère poser la question de la réception de ces trois traductions, j’avais été amené à dresser un bilan pour le moins mitigé dans le billet, un peu amer, qui annonçait la disparition d’Aloïs Tatu.

Plus récemment, un son de cloche différent, ô combien plus argumenté et amical, est venu tinter à mes oreilles. Il s'agit d'un billet sur le blog du Visage Vert qu’Anne-Sylvie Homassel a plaisamment intitulé « L’empire, c’est leste » et dont je la remercie à nouveau. Sa lecture m’a fait penser que je n’avais pas complètement fait fausse route et regretter la studieuse spontanéité de feu Aloïs Tatu. Qui sait si, un jour prochain, on ne va retrouver de lui un tapuscript propre à l'édition, un « tatuscrit » en attente de lecteurs ! Qu'en dites-vous ? (P.K.)