vendredi 30 novembre 2007

De l’intraduisible

En illustration : des pictographes Naxi (Yunnan, Chine, XVIIIe s.).
Source : The Schoyen Collection



L’Ecole doctorale « Langues, Lettres et Arts »
de l’Université de Provence
propose le lundi 17 décembre 2007,
une Journée doctorale sur le thème

« Traduire l’intraduisible »

pendant laquelle sont attendus neuf orateurs. Pour la plupart doctorants, ils partageront la vedette avec des professeurs de notre université et des chercheurs extérieurs à elle. En attendant sa version définitive, voici un rapide aperçu du programme de cette journée qui fera une place relativement importante à la littérature chinoise et à sa traduction.

Noël Dutrait ouvrira la journée avec une communication intitulée « Quelques exemples de difficultés dans la traduction des temps dans les romans de Gao Xingjian et de Mo Yan ». Juste avant la pause de la matinée, c’est He Hongmei (doctorante en littérature française) qui parlera des « Traductions de Proust en Chine ». Dans l’après-midi, à 16 h. précisément, Solange Cruveillé (doctorante en littérature chinoise) s’attachera à « La traduction des images érotiques dans un conte de Zhou Qingyuan ».

Il sera également question de Stanislaw Ignacy Witkiewicz (1885-1939) avec Ewa Adamusinska (9 h 35), des premières traductions de Don Quichotte en France avec Laurie Brun (10 h), de Primo Levi (1919-1990) avec Chiara Montini (16 h 25), d’Antonin Artaud (1896-1948) traducteur avec Claire Pegon (Professeur de littératures anglophones, Université de Provence, 16 h 50). Les autres communications toucheront à des sujets tels que « Traduire l’intraduisible : une approche post-coloniale » par Sabine Savornin (11 h 25), « La musique populaire dans le roman africain francophone et hispano-américain » avec Vanessa Chaves (11 h 50), de la traduction dans le contexte des consultations d'ethnopsychiatrie avec Lauriane Courbin (14 h 25), des « Normes de traduction et contraintes sociales » avec Gisèle Sapiro (CNRS, Centre de sociologie européenne, Paris) et, à 14 h, de « Saudade » avec Inès Oseki-Dépré (Professeur de littérature générale et comparée, Université de Provence) dont la riche bibliographie s’est enrichi au printemps dernier d’un nouveau titre De Walter Benjamin à nos jours… (Essais de traductologie) [Paris, Honoré Champion, 2007]. Plusieurs respirations sont prévues pour permettre d’amorcer des discussions entre tous les participants à cette journée, dont je vous communiquerai bientôt le lieu où elle va se dérouler.



De l’intraduisible, il en est également question dans un ouvrage qui devrait retenir l’attention de toute personne s’intéressant à la traduction, à la langue, à la littérature ... Il s’agit d’Ethique et politique du traduire qu’Henri Meschonnic vient de publier aux Editions Verdier (Lagrasse, 2007, 189 p.). Voici un cours passage de cet essai qui fait suite à de nombreux travaux sur la traduction et plus directement à Poétique du traduire (Verdier, 1999) qu’il convient, me semble-t-il, d’avoir fréquenté avant de s’embarquer dans la lecture de ce nouvel opus:
« Il n’y a pas de problème de traduction. Il n’y a pas d’intraduisible. Il y a seulement le problème de la théorie du langage qui est à l’œuvre dans l’acte de traduire, qu’on le sache ou non. Le résultat de cette activité est un produit qui varie en fonction de cette théorie, de telle sorte que toute traduction, avant même de montrer ce qui éventuellement reste de ce qu’elle avait à traduire, montre d’abord sa représentation du langage, et sa représentation de la chose nommée littérature, ou poésie. » [p. 38]
Loin de s’attacher à une simple approche pratique, le poète et traducteur, affirme [p. 38-39] que « l’enjeu du traduire est de transformer toute la théorie du langage » , « c’est-à-dire tout le rapport pensé entre le langage, la poésie, la littérature, l’art, l’éthique, la politique, pour en faire une poétique de la société. Cela passe inévitablement par le risque, ou plutôt la certitude, de ne pas être entendu sauf de quelques-uns, étant donné l’établissement de longue date des idées reçues, établissement qui ne conçoit ces activités que séparées les unes des autres, comme le montre l’état du savoir, l’état des sciences humaines et de la philosophie, l’état de l’Université. La théorie du langage, au contraire, est la pensée du continu et de l’interaction entre ces activités. »

A côté de cet essai exigeant à l’écriture inspirée qui, au fur et à mesure que je le découvre, me semble essentiel, les Expériences de la traduction d’Umberto Eco [Dire presque la même chose. Paris : Grasset, 2007, traduction par Myriem Bouzaher de Dire quasi la stessa cosa. Esperienze di traduzione (2003)], que je peine à achever, passent pour un catalogue, certes foisonnant, instructif, parfois distrayant, mais un peu décevant et sans perspective, des bizarreries et des difficultés de la traduction. Certes l’ouvrage peut devenir un vade-mecum utile à tous les traducteurs amateurs ou confirmés, mais il lui manque une vision directrice qui pourrait faire oublier le point de vue égocentrique quelque peu asphyxiant de chacun des 14 exposés successifs présentés par le brillant professeur italien. Les approches sont à ce point éloignées que la riche bibliographie de 16 pages qui conclut ce Dire presque la même chose ne fait pas mention des essais d’Henri Meschonnic ou même de ses traductions. On imagine pas même un instant ce dernier se livrer à une campagne de promotion dans laquelle l’auteur du Nom de la rose s’est montré expert, quand il écrit (ibidem) :
« On me dit que c’est difficile à comprendre et qu’il faudrait écrire pour le grand public. C’est d’une méconnaissance profonde de ce qu’a toujours été le travail de la pensée. Ce qu’on appelle le grand public n’est autre que l’effet social de tous les académismes de cet établissement*, qui définissent leur horizon d’attente comme le territoire du pensable. Ce qui en diffère et qui s’y oppose est à la fois ce qui passe pour difficile et qui est aussitôt rejeté et mis au silence. Rien de nouveau sous le soleil, puisque la pensée est une folie qui veut changer le monde, par rapport au maintien de l’ordre. Mais c’est le poème de la pensée. » [* voir la citation précédente]
Il n’en reste pas moins que l’auteur d’une œuvre considérable où se croisent essais, poésie et traductions et qui fut professeur de linguistique et de littérature à l’université Paris VIII ne manque pas d’humour quand il écrit : « Nous pensons comme un saucisson coupé en tranches pourrait penser, s’il pensait. De fait, nous ne valons guère mieux. » (p. 19) Tentons, pour le moins, de ne pas finir en rondelles et de trouver, chez les uns ou les autres, selon ses goûts et ses aspirations, le liant qui permette de rester entier le plus longtemps possible. (P.K.)

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