samedi 12 novembre 2011

De la littérature vietnamienne en traduction

Les premières œuvres de la littérature vietnamienne ont été traduites en français vers la fin du XIXe siècle. Des contes et des légendes, ainsi que quelques romans en vers tels que le célèbre Kim Vân Kiều de Nguyễn Du ou Lục Vân Tiên de Nguyễn Đình Chiểu, étaient sensés de donner des clés de « l’âme » du peuple vietnamien, enfin soumis à l’autorité française. Par la suite, après la déclaration de l’indépendance du pays en 1945, le gouvernement vietnamien accordait, en pleine guerre d’Indochine et guerre du Vietnam, une grande attention à la traduction d’œuvres vers des langues étrangères, notamment le français, l'anglais, le russe et le chinois. Leur publication et leur diffusion étaient confiées à une maison d’édition spécialement créée à cet effet : les Editions en Langues Etrangères, devenues plus tard les Editions Le Monde (Nhà Xuất Bản Thế Giới). 
L’ouverture économique et diplomatique du Vietnam, décidée en décembre 1986 dans le sillage de la perestroïka soviétique, est accompagnée par une nouvelle vague de traductions, avec le souci cette fois-ci de rendre compte des changements dans la société et dans la mentalité. Les noms de Nguyễn Huy Thiệp, Dương Thu Hương, Bảo Ninh et quelques autres sont désormais familiers aux lecteurs francophones. Cependant, malgré l’effort de quelques traducteurs passionnés, la littérature vietnamienne - classique en caractères chinois, moderne et contemporaine en écriture romanisée quốc ngữ – est toujours un peu un parent pauvre en pays francophone. Et pourtant, si l'on arrive à réunir toutes les traductions d’œuvres vietnamiennes en français, on verra sans doute l'importance du travail réalisé par quelques générations de traducteurs. Il faut donc recenser toutes ces traductions, souvent dispersées et mal distribuées. C’est le travail auquel nous sommes attelés, avec l’aide de collègues et d’amis, dans le cadre du projet d’Inventaire des Traductions des Littératures d’Extrême-Orient porté par l’équipe Leo2T.
Au Vietnam, la nécessité de faire connaître la littérature classique, moderne et notamment contemporaine, est ressentie d’une façon aigue. Le colloque Littérature et l’intégration mondiale (Văn học với xu thế hội nhập) organisé par l’Association des Ecrivains du Vietnam le 17 et 18 décembre 2008 a posé clairement cette question. Un an plus tard, un colloque international pour présenter la littérature vietnamienne a été organisé du 5 au 10 janvier 2010 à Hanoi en même temps qu’une exposition des traductions littéraires à la Bibliothèque Nationale du Vietnam. La Commission de la traduction littéraire (Hội đồng văn học dịch) de l’Association des Ecrivains du Vietnam (Hội Nhà văn) a publié à cette occasion un Inventaire d’œuvres littéraires vietnamiennes traduites en langues étrangères (Thư mục tác phẩm văn học Việt Nam được dịch ra nước ngoài) qui recense les publications conservées dans des bibliothèques publiques et privées. Concernant les traductions en français, on trouve cinquante-sept titres à la Bibliothèque Nationale du Vietnam et soixante-cinq titres à la Bibliothèque des Sciences de Ho Chi Minh-ville. 
Ho Chi Minh-ville, la mégapole du Sud, avec ses maisons d'édition dynamiques, semble vouloir jouer un rôle plus actif dans le domaine de traduction littéraire. Nguyễn Minh Phương, dont nous avons présenté sur ce blog destraductions de poèmes de Xuân Quỳnh, nous envoie son article remanié après avoir été publié dans le Courrier du Vietnam du 27 septembre 2011.
Nguyen Phuong Ngoc

Littérature : nécessité de créer un centre de traduction à Ho Chi Minh-ville
La littérature vietnamienne a besoin d'une stratégie en matière de traduction et de diffusion à l'étranger. Grand foyer de la littérature et de l'édition, qui sut réunir durant sa longue histoire nombre d'écrivains de différentes générations, Hô Chi Minh-Ville éprouve la nécessité pressante de créer un centre de traduction littéraire.
Jusqu'à maintenant, certaines œuvres littéraires vietnamiennes ont été traduites et publiées dans une langue étrangère. Mais Donne-moi un ticket pour l'enfance de Nguyên Nhât Anh est la première à l'être simultanément dans trois langues, en anglaise, thaïlandais et coréen. C'est un honneur pour cet auteur comme un encouragement supplémentaire pour les écrivains vietnamiens. De son invitation à une rencontre avec lecteurs et écrivains thaïlandais le 24 août dernier à l'Université de Chulalongkorn (Thaïlande) à l'occasion de la sortie de son livre, Nguyên Nhât Anh rapportera certainement des informations utiles sur le marché du livre thaïlandais.
En avril dernier, Ouvrir la fenêtre les yeux fermés de Nguyên Ngoc Thuân a également été traduit en anglais et diffusé par les Éditions Tre. Il s'agit d'une première afin d'explorer le marché. "C'est en effet un investissement assez aventureux. Nous estimons pouvoir diffuser à l'étranger quelques œuvres littéraires vietnamiennes dans les cinq années à venir en anglais ou en français", confie le poète Pham Sy Sau, directeur de la communication de cet éditeur, chargé de l'exploitation domestique des droits d'auteurs.
Plus aventureux encore que les Éditions Tre, certains auteurs ont essayé de publier à compte d'auteur leurs œuvres en version bilingue, notamment en anglais et vietnamien, afin de les rendre accessibles aux lecteurs de l'étranger. L'exemple le plus récent est le recueil de poèmes À zéro heure du poète Trân Huu Dung, publié début août dernier.
Qu'il s'agisse de financement personnel de l'auteur ou de publication par des éditions vietnamiennes en partenariat avec un homologue étranger, il est temps que les écrivains comme les éditeurs du pays prennent conscience de la nécessité de promouvoir la littérature vietnamienne à l'étranger.
Intégration mondiale
À la différence de l'économie, "l'intégration au monde de la littérature" - entendez par là sa diffusion comme d'autres littératures nationales - s'avère modeste. Or, de facto, l'histoire de la littérature vietnamienne ne se limite pas à des oeuvres classiques telles que le Roman de Kiêu de Nguyên Du ou les recueils de poésie de Nguyên Trai et de Hô Xuân Huong. Bien d'autres oeuvres, de littérature contemporaine surtout, mériteraient d'être traduites et diffusées afin de mieux faire connaître comme reconnaître dans le monde la littérature vietnamienne.
Le problème qui s'impose aujourd'hui, c'est de trouver les moyens de traduire et de promouvoir notre littérature de manière plus méthodique, et non plus "à la belle aventure". Lors du 3e congrès des écrivains de Hô Chi Minh-Ville qui a eu lieu récemment, ce point a été discuté avec intérêt sinon passion par de nombreux jeunes écrivains, sans toutefois pour autant aboutir à une réponse satisfaisante.
Après la Conférence sur la promotion de la littérature vietnamienne à l'étranger organisée en janvier 2010, un centre de traduction sous l'égide de l'Association vietnamienne des écrivains ait été créé. Mais à ce jour, peu connaissent ses modalités de fonctionnement, même les écrivains n'ayant été que fort peu nombreux à être informés de cette naissance...
Quant à l'Association des écrivains de Hô Chi Minh-Ville, la récente réorganisation de son comité exécutif n'a pas laissé place à un sous-comité de la traduction, cette dernière relevant du sous-comité de la création dirigé par un vice-président de l'association. De plus, à parler de traduction, encore ne s'agit-il exclusivement que de celle d'œuvres étrangères pour leur publication en vietnamien, et ce que ce soit au sein de l'Association des écrivains du Vietnam comme de celle de Hô Chi Minh-Ville...
Bien que méritoire, la démarche des Éditions Tre comme de quelques auteurs demeurent des actes "individuels", et tous les auteurs n'ont pas le talent ni la chance de Nguyên Nhât Anh.
Aussi, la littérature vietnamienne a-t-elle besoin de manière urgente d'une stratégie en matière de traduction et de promotion à l'étranger, à même de mobiliser gestionnaires, éditeurs et, bien sûr, écrivains. À Hô Chi Minh-Ville, grand foyer national de la littérature et de l'édition s'il en est, qui sut réunir durant sa longue histoire nombre d'écrivains de multiples générations, la création rapide d'un centre de traduction littéraire ne s'en impose que davantage.
Outre la traduction d'auteurs de cette ville comme du pays tout entier, ce centre pourrait également assurer la sélection et la traduction d'œuvres étrangères, avant d'envisager plus tard celle d'œuvres autres que littéraires...
La porte du monde est grande ouverte dans les deux sens, soyons donc plus actifs dans ce nouvel espace de créativité et d'expression artistique. Promouvoir le livre et la littérature, c’est promouvoir la culture et la communication entre les peuples. Dans le monde d’aujourd’hui, cela est plus qu’un simple plaisir intellectuel, mais une nécessité absolue.

François Cheng à la croisée de la Chine et de l’Occident


« Sur terre, seule l'écriture permet de tendre vers le tout de son vivant. » (Extrait d'une interview dans Cyberpresse - 15 Mars 2002).
Six essais sur la pensée et l’esthétique chinoises, neuf livres d’art, deux romans, douze recueils de poésie écrits en français, l’écrivain et académicien depuis 2002, François Cheng, incarne la rencontre entre deux langues et deux cultures, chinoise et française.
Un colloque franco-chinois, organisé par la BNF, en partenariat avec l’Association pour la diffusion de la recherche littéraire et l’Université de Fu Dan à Shanghai s’est tenu récemment à Paris sur le site François Mitterrand en hommage à François Cheng, cet écrivain français venu de « l’Orient de tout». C’était la première fois que des spécialistes français et chinois se réunissaient pour présenter au public leur lecture croisée de l’œuvre de François Cheng.
Trois thèmes majeurs du corpus : le poète, le romancier et le critique d’art, avaient été choisis pour étudier la création de François Cheng dans la première partie du colloque. Convaincu qu’il faut « habiter poétiquement la terre », François Cheng se positionne parmi ceux qu’on pourrait appeler les « poètes de l’être ». La poésie de Cheng fait l’objet de quatre contributions. Pierre Brunel, a d’abord invité  les auditeurs à découvrir une constellation de 24 poèmes de François Cheng Vraie lumière née de vraie nuit paru en 2009, dans toute sa splendeur et sa simplicité. Selon Pierre Brunel, c’est un livre de vérité en retournant au meilleur de soi. Cheng Pei, ensuite, a proposé une lecture « circulaire » sur la poésie de François Cheng en insistant sur son lyrisme et son métalangage original. D’après Cheng Pei, depuis les années 1970, François Cheng a choisi le français comme langue de création,  il a toujours renouvelé une symbiose unique entre le chinois et le français. Sa poésie embrasse ainsi l’héritage d’une double tradition, la langue littéraire et artistique de son « terreau natif »  n’a cessé de l’inspirer, tandis que la France l’enrichissait de sa « meilleure part ». En comparant François Cheng avec Paul Claudel, Dominique Millet-Gérard, a prolongé cette caractéristique biculturelle avec d’autres airs artistiques comme la peinture pour pénétrer le secret de la création personnelle de François Cheng, l’unification du sens et de la beauté. Retour à la source chinoise, Li Yuan, a montré la  beauté éthique dans la traduction poétique de François Cheng.
A propos des romans de François Cheng, trois exposés matinaux nous ont fait comprendre que Le Dit de Tianyi et L'éternité n'est pas de trop, ont uni à la fiction la vision poétique et spirituelle que Cheng a longuement mûrie, ouvrant sur le mystère de l’univers. A travers les personnages féminins, Madeleine Bertaud a souligné que l’œuvre de François Cheng  s’interroge avec passion sur le mystère du destin. Pour le langage romanesque dans Le Dit de Tianyi, Chu Xiaoquan a mis l’accent sur une vision philosophique chez François Cheng sur l’art et sur la vie. Et Luc Fraisse a employé le terme « hors roman » pour définir le caractère singulier du roman poétique L'éternité n'est pas de trop. En fin de matinée du colloque, l’organisateur a annoncé une nouvelle concernant le troisième roman de François Cheng qui est en cours de préparation.
Pour ce qui est du critique d’art, deux communications ont dessiné son nouvel espace de relations harmonieuses entre Orient et Occident, une nouvelle rencontre entre sa voix poétique et la voie picturale. A travers les écrits de François Cheng sur la peinture chinoise, Eric Lefebvre a relevé la modernité de François Cheng. Lise Sabourin, de son coté, a dégagé les rapports très étroits entre poésie et peinture dans l’œuvre de François Cheng, elle a qualifié son art d’écrire d’une pensée en action.
Cette journée d’étude française s’est terminée par  la venue discrète de François Cheng, qui est salué par les applaudissements des centaines d’auditeurs au petit auditorium, il a remercié le public et tous les intervenants en répondant modestement aux questions du public sur sa création littéraire. Il a affirmé qu’il est entré dans la langue française, non pas pour dire la Chine en français, mais pour devenir un créateur, cette transfiguration lui a permis de scruter le propre mystère de l’être et de l’existence dans le langage, c’était le destin d’un homme d’une double culture.
La deuxième partie de la rencontre aura lieu le mardi 22 novembre à l’université Fudan à Shanghai. Les actes du colloque final seront également publiés en France et en Chine.
Guo Yingzhou

dimanche 6 novembre 2011

Le poète coréen Ko Un à l’Université de Provence

A l’initiative des Etudes Coréennes du Département d’Études Asiatiques, cent cinquante personnes étaient rassemblées le lundi 24 octobre, dans la Salle des Professeurs de l’Université de Provence, devant la table où siège Ko Un, vêtu d’une veste bleu azur. Il avait l’air paisible de l’habitué de ce genre de manifestations, ce qui n’est pas le cas de nombre de spectateurs, qui ne savent pas trop à quoi s’attendre.
« Je suis arrivé à Aix-en-Provence il y a deux jours, et j’ai tout de suite pu sentir cette odeur caractéristique qu’est l’odeur de la mer. Je suis sûr que dans quelques 120 ans, je serai né dans cette ville. La Provence est le pays natal de l’homme. C’est pour ça que c’est une bénédiction d’être ici. Il ne faut pas oublier que la Provence est le berceau de la poésie. Pour cela, il faut remonter au début du Moyen Age, à l’époque où les poèmes étaient encore chantés. La poésie se tenait alors loin de la capitale. Paul Valery est un bon exemple pour illustrer ce propos. Il a sans doute choisi de retrouver les origines de ses ancêtres. C’est en Provence que l’on retrouve des traces des poètes errants du Moyen Age. Plus tard, leur travail s’est prolongé avec les troubadours.

Et j’ai enfin pu mettre les pieds en Provence ! Je suis donc devenu un troubadour d’aujourd’hui. Je me suis rendu hier sur la tombe de Paul Valery à Sète, et j’ai ôté mon chapeau devant lui. A Sète, j’ai vu et entendu les vagues. Les vagues insufflent la vie et se brisent des millions de fois par jour, d’après ce qu’on dit. Ici, au bord de la mer, les oiseaux chantent. Mais, en Corée, les oiseaux pleurent, comme les grillons, comme les cochons. Et moi aussi je pleure. Les poèmes suivent ces pleurs. »
La lecture des poèmes commence. Deux voix, deux langues se répondent, pour présenter et faire aimer de mêmes poèmes. Des images se forment dans l’esprit de celui qui écoute, des impressions se bousculent dans sa tête. Il suffit d’un texte, d’un mot, d’un son. Parfois c’est un murmure, un souffle, qui demande à chaque oreille de se tendre. Parfois c’est un cri. Rage ? Douleur ? Désespoir ? Le sens reste muet mais l’émotion s’exprime. Elle parcourt notre corps au rythme saccadé que prend la voix, pour finir par ralentir et se fondre au plus profond de nous-même quand la voix se tait. Le poète vit son texte, il le déclame ; il est son texte quand le texte se fond en lui. Les gestes accompagnent la voix et le spectateur est subjugué.
« C’est l’époque d’aujourd’hui qui a construit ce moi individuel et solitaire. Cela voudrait dire que moi, je suis moi, et seulement moi ? Non, je ne crois pas. »
Une voix grave et posée envahit la salle muette d’attention. Les premières notes sont faibles, mais très vite le ton monte. La voix gagne en puissance et les paroles se déversent. En face, l’assemblée reste bouche bée. Ici, personne ne s’attendait à un concert. L’émotion transcende la pièce en écho à cette voix impressionnante qui ne s’arrête pas. Cette chanson est bien plus qu’un hymne national, c’est le cri du cœur d’un poète qui aime son pays et qui a payé cher pour le défendre. Nul besoin de préciser le tonnerre d’applaudissements qui a suivi cette prestation… La soirée touche à sa fin, mais une petite surprise attend encore Ko Un. Assis à sa gauche, M. De Crescenzo se tourne vers lui, un livre à la main. Le temps d’un poème, les rôles s’inversent. L’émotion de Ko Un se lit sur son visage, mais aussi dans ses gestes qui accompagnent un de ses textes une fois de plus, bien que cette fois il lui soit lu dans sa propre langue. La rencontre se termine par une cession de dédicaces. Immédiatement, une ligne d’étudiants et de passionnés se forme devant la table où Ko Un s’est assis, le stylo à la main. Remerciements, signatures, photos : c’était une belle soirée qui restera dans les mémoires.   Lucie Angheben