mardi 6 janvier 2009

Devinette (018)

Deux pages d'une belle édition du Qianjiashi 千家詩
qu'on peut, en partie, feuilleter à partir d'ici.


Pour cette première devinette de l'année, j'ai retenu un passage assez long d'un ouvrage lu pendant les vacances, ouvrage relativement récent qui, c'est mon avis, mériterait une réédition. Je n'en dis pas plus et vous laisse entrer dans l'esprit du personnage qui est, grâce à la qualité de l'écriture, miraculeusement ramené à la vie :
Je finis par me rendre à ses arguments, songeant, surtout, qu'une telle entreprise me servait d'abord à gagner ma vie et assurer l'avenir de ma fille. Je me mis donc en quête d'une œuvre qui flattât davantage les goûts primesautiers et volontiers lestes qui ont cours ici, malgré les protestations des hommes d'Eglise.
Cette recherche me causa bien du souci car mon bagage d'écolier chinois se composait surtout des ouvrages de morale et de philosophie : ceux que nos missionnaires s'attachaient, précisément, à tourner en français et en latin. Si je voulais arracher à M. Galland quelque miettes de son succès, je devais trouver non pas un ouvrage de littérature communément admiré, mais l'un de ces romans que les lettrés écrivent sous le manteau, pour leur divertissement et celui de leurs amis : les éducateurs, habituellement, n'aiment point à les placer entre les mains des adolescents ! Pour comble de malchance, sur ce point, j'avais bénéficié de la plus sévère éducation qui soit, loin d'une famille où les livres interdits peuvent se voler sans encombre aux adultes qui font semblant d'ignorer le larcin. J'étais donc parfaitement ignorant : les bons Pères qui m'avaient élevé se voyaient trop chargés de besogne pour aborder autre chose que le littérature classique. Quelles seraient donc mes ressources ? Je songeai aux richesse immenses de la littérature chinoise même dans ses aspects les plus convenables : je ne désespérais pas de marier la bienséance, mes connaissances et la réussite en ce pays.
Les récits historiques me parurent, dans un premier temps, receler de grands trésors : à d'interminables péripéties, rebondissant de chapitre en chapitre, ils ajoutaient ce parfum ambigu des choses dont on ne sait si elles furent véritablement vécues ou bien inventées. Pourtant, je changeai d'avis aussitôt ; moi-même, je n'avais jamais su me retrouver dans l'Iliade ou l'Odyssée par manque de familiarité avec les hommes et les lieux : tous me paraissaient avoir des noms imprononçables. J'imaginais mon lecteur parisien aussitôt submergé !
Je songeais ensuite aux pièces de théâtre dont la littérature chinoise est si riche depuis le XIVe siècle : genre dont les Français raffolent entre tous. Mais à la réflexion, je doutai que nos tragédies, mi-chantées, mi-parlées, laissent passer leurs grâces à travers une traduction et sans le recours de la scène. Je risquais aussi la censure des dames et de l'Eglise : que dire, ici, d'un drame tel le Dit du luth dont la conclusion heureuse est que le mari trouve le moyen de vivre le plus honnêtement du monde entre ses deux épouses ? Celles-ci, de plus, deviennent au dernier acte les meilleures amies que l'on puisse imaginer et s'entraident pour servir au mieux l'époux tout-puissant. De quoi me faire mettre à l'index !
C'est pourquoi je penchai bientôt pour nos romans à épisodes qui, brodant librement sur un thème historique, me parurent un fonds moins stérile. Je songeai à traduire le Roman du bord de l'eau, la geste des Trois Royaumes, le Récit du voyage vers l'Occident. Pourtant, j'en vins à la conclusion que de tels textes étaient, aussi, difficilement traduisibles. La trame en est faite de variations infinies et romanesques sur une histoire connue de tous et attestée par les annales dynastiques. L'habileté de l'auteur, ou des auteurs, consiste à transposer les faits pour leur donner une coloration philosophique, politique ou morale : le récit ainsi transformé devient, au fil des âges, plus authentiquement existant, dans la mémoire des peuples, que le réalité. Le plaisir que l'on prend à la Chine de cette littérature vient de ses arrangements, de ces interprétations d'un fonds bien connu. Mais les lecteurs d'ici ne sauraient en goûter la saveur pas plus que l'ampleur du style qui, par le biais de l'écriture idéogrammatique, parle autant aux yeux qu'à l'esprit.
En dernier ressort, j'imaginais de traduire les poèmes de l'anthologie que tous les écoliers chinois connaissent, le Qianjiashi, les Poésies de mille auteurs. Des générations de jeunes Chinois y ont appris et y apprennent encore les rudiments des meilleurs auteurs des Tang et des Song, fleurons de notre littérature médiévale. Mais il me parut difficile et presque au-dessus de mes forces de transcrire ces poèmes autrement que dans une prose française maladroite, où les mots chinois et leurs idéogrammes perdraient leur mystérieux pouvoir d'évocation et de correspondance.
Les recherches effectuées sur les layettes de la Bibliothèque du Roi ne firent qu'accroître mon découragement : pas un seul texte littéraire ne s'y trouvait, à l'exception d'un petit recueil de poésies anciennes [...]. Tout le reste n'était que philosophie, histoire, médecine, mathématique : en un mot, tout ce qui pouvait servir à l'avancement des sciences et des techniques, conformément à la tâche que le roi avait confié à ses mathématiciens. Je n'y pouvais, certes, découvrir la source des frivolités que je méditais !
J'attends vos réponses avec impatience et vous promets la solution pour la fin de l'année du rat. (P.K.)

dimanche 4 janvier 2009

En audio ou en vidéo

Il est encore temps si vous lisez ce billet avant les 19 coups d'horloge de ce 4 janvier 2009, de vous précipiter sur le poste de radio le plus proche ou bien d'actionner le lien suivant ici, pour écouter For intérieur sur France Culture qui va consacrer 59 minutes de son antenne à la sinologue Catherine Despeux.

S'il est déjà trop tard, vous pourrez vous rattraper en écoutant ce programme en podcast après avoir consulté la page internet de l'émission d'Olivier Germain-Thomas. Il y sera question des sujets de prédilection de cette sinologue, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), qui est ainsi présentée :
Après avoir appris le chinois Catherine Despeux complète sa formation en ethnologie et en sciences humaines. Puis elle décide de partir quatre ans à Taiwan où elle suivra l'enseignement d'un Maître pour appronfondir l'art martial et la médecine chinoise. Elle fera paraître de nombreux articles et de nombreux ouvrages dont : Taiji Quan - Art Martial, Technique De Longue Vie (G. Trédaniel, 1981) et Prescriptions D'acuponcture Valant Mille Onces D'or - Traité D'acuponcture De Sun Simiao du VIIe siècle (G. Trédaniel, 1987), Taoïsme et corps humain (G. Trédaniel, 1994), Traité d'alchimie et de physiologie taoïste (Deux Océans, 1999) et enfin Soutra de l'éveil parfait (Fayard, 2005).
Ceci fait, pourquoi ne pas consacrer une autre heure à écouter l'exposé de Rémi Mathieu (CNRS) sur le Dao de jing 道德經 : « Lao zi, Daode jing : le livre de la voie et de la vertu », que propose Canal U (la vidéothèque numérique de l'enseignement supérieur). Ce sera une excellente introduction à la lecture de la nouvelle traduction qu'il a donnée de cette œuvre fascinante : Lao tseu, Le Daode jing, « Classique de la voie et de son efficience », Nouvelle traduction d'après les trois versions complètes : Wang Bi, Mawangdui, Guodian. Paris, Entrelacs, 2007. 280 pages.

Mais Rémi Mathieu n'est pas le seul de nos plus éminents sinologues à avoir l'honneur de figurer dans la base documentaire de Canal U qui ne néglige pas la Chine [voir ici].

On peut notamment y croiser Léon Vandermeersch avec un exposé intitulé « Droit et rites en Chine » donné en 2003, et Anne Cheng, pour deux exposés : « La pensée chinoise contemporaine : entre modernité et invention d'une tradition » (2003) et « Confucianisme, post-modernisme et valeurs asiatiques » (2000).

Complément 1 : L'urgence à publier le texte qui précède m'a fait oublier de vous signaler une autre source d'informations sinologiques de grande qualité, que l'on trouve cette fois sur le site de la Cité des Sciences. A partir de la page suivante (ici), on peut accéder à un ensemble de conférences données en janvier 2006 sur l'histoire des sciences. Outre Catherine Despeux qui y intervenait sur « Les fondements de la médecine chinoise traditionnelle », on peut entendre Karine Chemla sur « L'histoire des sciences en Chine », les « Mathématiques de la Chine ancienne », ainsi qu'Alain Peyraube sur « Humanités, sciences et société dans l'histoire de la Chine ».

Complément 2 : N'oublions pas non plus que les cours de Pierre-Etienne Will au Collège de France sont également accessibles en podcast ou directement en ligne à partir de la page suivante - ici. On peut prendre connaissance de la thématique traitée en consultant la page consacrée à la chaire d'Histoire de la Chine moderne ; le cours a pour intitulé « Ingénieurs, philanthropes et militaristes dans la Chine républicaine ». Les résumés des cours anciens (depuis 1999) sont également consultables. Souhaitons que l'on puisse rapidement disposer de la même manière des leçons d'Anne Cheng sur l'Histoire intellectuelle de la Chine. (P.K.)

Quelques notes en ce changement d’année…

Liu Xiaobo 刘晓波 en 2006.
Copies d'écran réalisées à partir d'un document audiovisuel

mis en ligne par le Pen American Center sur YouTube (31/12/08).

Ces derniers jours, on a pu lire dans les journaux la nouvelle de la publication en Chine de la « Charte 08 » signée par des milliers de citoyens chinois issus de milieux variés qui réclament une réforme politique de leur pays pour que celui-ci puisse faire face plus efficacement aux graves problèmes auxquels il est confronté. Cette Charte s’inspire de la Charte 77 de Tchécoslovaquie qui avait ouvert la voie à la fameuse « révolution de velours ». Nombreux sont les écrivains qui ont signé cette pétition et nombreux sont ceux qui, de ce fait, ont été inquiétés par la police.

C’est le cas de Liu Xiaobo 刘晓波, un intellectuel essayiste qui n’avait pas hésité à critiquer vers 1985 la nouvelle littérature chinoise dite « de retour aux racines » en raison de son orientation insuffisamment moderniste à son goût… Par la suite, il avait soutenu le mouvement de la place Tian’anmen en 1989 et avait écopé de quatre ans de prison… Des sinologues du monde entier ont envoyé une pétition au président Hu Jintao pour dénoncer les conditions dans lesquelles Liu Xiaobo a été arrêté, sans qu’aucun motif clair ne lui ait été notifié. Aux dernières nouvelles, la femme de Liu Xiaobo a pu le rencontrer et indiquer qu’il était en bonne santé, mais il reste en état d’arrestation…

Lorsque Gao Xingjian indique que la situation politique en Chine n’a pas changé (voir par exemple sa conférence prononcée à Barcelone récemment), il déclenche souvent des réactions dubitatives des Occidentaux, mais la réalité montre une nouvelle fois qu’il est loin d’avoir tort…

Cette courte pause d’hiver m’a permis aussi de découvrir une bande dessinée japonaise : Le Journal de mon père [Chichi no koyomi (父の暦), 1994] de Jirô Taniguchi [Taniguchi Jirô 谷口 ジロー (Casterman, 2007). J’ai trouvé cette œuvre excellente, tant elle arrive à nous montrer la psychologie de son héros dans ses relations avec son père et le reste de sa famille. La force de cette BD n’est pas moindre que celle d’un roman et permet de comprendre, loin des clichés occidentaux sur la civilisation japonaise, la nature des relations sociales dans ce Japon du début des années 1950.

Mais comme je ne suis pas un grand lecteur de BD en général et des BD japonaises en particulier, je ne fais peut-être là que découvrir des choses très banales aux yeux des amateurs qualifiés.



Lu aussi dans Libération du 31 décembre 08 et 1er janvier 09, une explication de Marie Darrieussecq au sujet de sa traduction récemment publiée chez P.O.L. des célèbres lettres d’Ovide Les Tristes et Les Pontiques, ici traduites Tristes Pontiques en hommage à Lévi-Strauss...

Les questions que notre équipe de recherche LEO2T se pose souvent au cours de ses journées d’études apparaissent nettement dans cet entretien. En effet, ces textes avaient déjà été retraduits récemment par Danièle Robert chez Actes Sud (2001, 700 pages), dans une « excellente édition bilingue, bien annotée » (Libération dixit). Marie Darrieusscq indique comment elle a procédé pour livrer cette nouvelle traduction « d’une beauté nue, proche d’un texte passé au décapage, sans ponctuation ni notes » (re dixit Libération). Marie Darrieusscq déclare : « J’ai voulu qu’un lecteur contemporain soit aussi peu arrêté par mon texte qu’un lecteur de l’époque par la langue d’Ovide. Parfois j’ai éliminé des passages trop redondants, parfois je n’ai pas osé ou su les réduire. (…) J’ai cherché à trouver le point d’équilibre entre la justesse du sens et le naturel de l’expression ».

On voit que les problèmes sont les mêmes, que l’on traduise du latin du début de l’ère chrétienne ou du chinois ancien ou contemporain…


Pour finir, notons que Gao Xingjian a fait parvenir à l’ERD Gao Xingjian la version définitive de son dernier film « Après le déluge », tourné en 2008 à l’occasion de l’exposition du même nom qu’il a présentée à Barcelone en novembre 2008 ainsi qu’une abondante documentation à ce sujet.

Un catalogue de son exposition vient d’être publié : Gao Xingjian, Después del diluvio, La Rioja, Museo Würth, 2008. On y trouve en quatre langues (espagnol, allemand, anglais et français) le texte « De l’esthétique de l’artiste » publié en chinois en 2008 dans le recueil Chuangzaolun. Un texte dans lequel Gao Xingjian prolonge sa réflexion sur l’art et l’artiste, commencée dans Pour une autre esthétique (Flammarion, 2001).

Noël Dutrait.