samedi 15 mars 2008

Fu Manchu de Sax Rohmer

Sax Rohmer alias
Arthur Henry Sarsfield Ward (1883-1959)
Source d'une partie des illustrations de ce billet :
The Page of Fu Manchu. The Sax Rohmer Research Web Site.

Je suis sorti - il y a bien longtemps maintenant, mais il est des lectures dont on ne se défait pas - de mon premier contact avec Palimpsestes. La littérature au second degré (Le Seuil, 1982) avec la sensation profondément ancrée en moi depuis, que, comme l'a si bien écrit Borges cité page 453 par Gérard Genette, « la littérature est inépuisable pour la raison suffisante qu'un seul livre l'est » (Enquêtes), que chaque livre en cache d'autres et que si on aime « vraiment les textes, on doit bien souhaiter, de temps en temps, en aimer (au moins) deux à la fois ». De là, découle l'idée qui a depuis guidé ma découverte de la littérature que chaque lecture en appelle d'autres et que, quelles que soient celles que l'on rencontre, on est toujours en prise avec la « Littérature en transfusion perpétuelle - perfusion transtextuelle -, constamment présente à elle-même dans sa totalité et comme Totalité, dont tous les auteurs ne font qu'un, et dont tous les livres sont un vaste Livre, un seul Livre infini. L'hypertextualité n'est qu'un des noms de cette incessante circulation des textes sans quoi la littérature ne vaudrait pas une heure de peine. Et quand je dis une heure ...».

Donc si on aime la littérature chinoise - c'est mon cas - , on doit pouvoir l'aimer jusque dans ses dérivations, ses déviations les plus imprévisibles, les plus inattendues dès lors que le produit final de la curieuse alchimie entrée en jeu livre une œuvre originale, à son tour source de mutations... Si vous me concédez cela, vous me pardonnerez je l'espère ce périlleux détour, dont vous apprécierez à sa juste valeur l'excès et les belles citations qu'il m'a permis de faire, juste pour justifier l'incartade que je m'octroie avec ce billet qui va vous entraîner sur les terres du Mystérieux Docteur Fu Manchu que les Editions Zulma (Paris, janvier 2008, 319 pages) viennent de ressusciter. En effet, ce titre initial d'une longue série - treize volumes publiés de 1912 à 1959 -, n'est pas d'un auteur chinois, mais de Sax Rohmer, pseudonyme choisi par le prolifique écrivain britannique Arthur Henry Sarsfield Ward (1883-1959) ; qui plus est, son action ne se passe pas plus en Chine qu'en Asie --- sauf au chapitre VII, avec une évocation de la révolte des Boxers ---, mais, pour l'essentiel, dans le Londres du tout début du XXe siècle.

N'étant pas Sax Rohmerologue, ni même un Fu Manchiste de la première heure, mon avis sur l'œuvre n'aura que de poids --- mon engouement, somme toute récent, pour la saga n'est après tout que le syndrome d'un mal sur lequel on ne gagnera rien à s'appesantir ; il n'empêche que je ne peux m'interdire de vous faire partager mon enthousiasme pour ce nouvel avatar hexagonal qui devrait renvoyer tous les précédents aux oubliettes. Comme quoi, s'il est abusif de dire que toute traduction est mortelle, on peut néanmoins penser que certaines sont vouées à disparaître ... Mais avant d'en administrer la preuve, voyons de quoi il retourne. Encore qu'il ne soit plus la peine de trop s'appesantir car --- comme j'ai un peu traîner : mea maxima culpa ---, la presse s'est déjà réjoui du retour des aventures de Fu Manchu dans les gondoles des librairies françaises et a déjà dressé dans ses grandes lignes le tableau de fond du chapelet d’aventures qui entraînent le lecteur à la poursuite du Docteur Fu Manchu : par exemple Le Monde avec Gérard Meudal, « Au bon temps du péril jaune » (11/01/08), Le Figaro, avec Jean-Claude Perrier, « L'abominable Fu Manchu est de retour » (28/02/2008). L'un (payant) et l'autre (gratuit), ces deux articles en ligne ont déjà développé les éléments de base qui figurent sous forme condensée sur les rabats de la belle couverture signée David Pearson et sur la page, pas moins élégante, que l'éditeur consacre à l'ouvrage sur son site :
Le mystérieux docteur Fu Manchu — le péril jaune incarné en un seul homme ! — a jeté son dévolu sur l'Occident.
Fu Manchu est un esthète du crime, il tue en série et en beauté. Pour l'empêcher de nuire: le brillant agent secret Nayland Smith, flanqué du discret docteur Petrie, sorte de Watson plutôt fleur bleue et chroniqueur des innombrables méfaits du terrible Chinois.
Sax Rohmer nous entraîne à leur suite dans un Londres nocturne, tout en chausse-trapes, où le moindre ponton cache un laboratoire clandestin, le moindre entrepôt un caravansérail, la moindre passante une princesse arabe...
Premier volume d'une série culte, dans une nouvelle traduction!
A ce résumé sommaire est venu s'ajouter une micro-biographie, et un document sonore de 27 mn et 50 secondes qui permet d'écouter grâce aux archives de l'INA, une nouvelle de Sax Rohmer : Les yeux de Fu Manchu. Bientôt un blog devrait venir entretenir la passion dévorante des nouveaux aficionados des péripéties de la lutte d'un détective très sherlock-holmessien contre « Le criminel le plus extraordinaire que le monde eut jamais connu » et qui représente « une menace pire que la Peste Noire » (p. 152).

En attendant, qui veut tout savoir sur lui, sur son créateur, les antécédents, les avatars, les éditions, les traductions, les adaptations au cinéma, à la télévision, en comics, en bibelots de toutes sortes, et bien d'autres choses encore, ira visiter The Page of Fu Manchu. The Sax Rohmer Research Web Site qui est une très riche base de données collective dirigée par Dr. Lawrence J. Knapp entièrement dévolue à ce terrifiant personnage et à son créateur : vous y découvrirez également une bibliothèque virtuelle avec les textes en anglais et aussi la liste exhaustive (?) des traductions à laquelle ne fait défaut que la nouvelle traduction française d’Anne-Sylvie Homassel [qu'on pourra entendre dans une émission radiophonique annoncée sur la page d'actualités de Zulma]

Sa traduction remplace avantageusement celle d'Henri Thiès en circulation chez divers éditeurs et dans divers formats depuis 1931, soit depuis 79 ans ! Elle avait néanmoins été revue à la fin des années 1970 par Robert-Pierre Castel pour ses dernières réapparitions comme en poche en « 10/18 » sous le titre Le mystérieux Dr Fu Manchu (n° 1973, 350 p.). Mais trêve de propos oiseux, rentrons dans le vif du sujet.



Le rapide survol que je vous propose sera aussi l'occasion de découvrir le style percutant et, souvent, hautement humoristique de Sax Rohmer. Pourtant, ses romans sont de ceux « à ne pas lire la nuit » - nom d'une collection des Editions de France qui en proposa dans les années 30. Le sentiment de peur qu'ils diffusent joue en partie sur l'effet que pouvait produire à une époque où l'on parlait beaucoup du Péril Jaune [j'y reviendrai dans un prochain billet], la menace – sans cesse rappelée - que faisait peser sur l'Occident, une Chine mystérieuse et cruelle : « Nous avons affaire à un Chinois, je vous le rappelle - à l'essence incarnée de la subtilité de l'Orient - au génie le plus sidérant que l'Asie moderne ait produit » [p. 51-52] ; un Chinois dont le caractère inhumain est proprement impensable pour un Occidental : « Aucun homme blanc, je crois, n’a de goût pour la cruauté froide des Chinois..... » (p. 108) ; avec lui c'est l'Orient qui fait peser sa menace sur l'humanité entière : « Nous étions entre les mains de l'Orient, tombés si l'on veut sous la coupe de cette nation chinoise incompréhensible entre toutes. » Ailleurs, une évocation ajoute à la fiction un degré supplémentaire dans l'horreur en s'appuyant sur la réalité telle que la rapporte les journaux qui imputent à la Chine lointaine la pratique courante de l'infanticide : « Les jeunes victimes de ces agissements sont pratiquement toutes des petites filles non désirées, et dans presque tous les cas, les parents attribuent immédiatement la cause du décès à la morsure d'un scorpion, et produisent sans difficulté la preuve de ce qu'ils avancent », et Petrie de conclure : « Peut-on s'étonner qu'un tel peuple ait produit un Fu Manchu ? Edifiante illustration des mœurs chinoises ! » (p. 63).


Cliché d’un opiomane provenant du site Opium Museum

Le chapitre VI, nous entraîne dans les bas-fonds de Londres, dans une fumerie d'opium, dans une scène d'anthologie dont voici un court extrait, avec dans l'ordre, (A) le texte original, (B) la nouvelle traduction française [p. 58-59], et enfin (C) l'ancienne [Thiès, « 10/18 », p. 78-79.] :
(A) From behind a curtain heavily brocaded with filth a little Chinaman appeared, dressed in a loose smock, black trousers and thick-soled slippers, and, advancing, shook his head vigorously.
« No shavee--no shavee, » he chattered, simian fashion, squinting from one to the other of us with his twinkling eyes. « Too late! Shuttee shop! »
« Don't you come none of it wi' me! » roared Smith, in a voice of amazing gruffness, and shook an artificially dirtied fist under the Chinaman's nose. « Get inside and gimme an' my mate a couple o' pipes. Smokee pipe, you yellow scum--savvy? »
My friend bent forward and glared into the other's eyes with a vindictiveness that amazed me, unfamiliar as I was with this form of gentle persuasion.
« Kop 'old o' that, » he said, and thrust a coin into the Chinaman's yellow paw. « Keep me waitin' an' I'll pull the dam' shop down, Charlie. You can lay to it. »
« No hab got pipee— » began the other. Smith raised his fist, and Yan capitulated. « Allee lightee, » he said. « Full up--no loom. You come see. »

(B) De dessous un rideau richement brodé de crasse apparut un petit Chinois, revêtu d'une blouse large, d'un pantalon noir et de chaussons aux épaisses semelles. Il s'avança au milieu de la pièce et secoua vigoureusement la tête.
« On ne lase pas ! On ne lase pas ! « caque-t-il, en nous considérant l'un après l'autre, l'œil torve et clignotant. « Tlop tald ! Magasin felmé ! »
« Dis donc voir ! On ne me la fait pas, à moi ! » rugit Smith d'une voix étonnamment râpeuse, en secouant un poing soigneusement maquillé de crasse sous le nez du Chinois. « Rentre dans ton trou et donne-nous deux pipes, à mon pote et à moi. Une pipe à fumer, face de citron - pigé ? »
Mon ami se pencha et darda vers le Chinois un regard d'une méchanceté qui me sidéra - je n'étais guère familier de cette méthode de négociation.
« Ramasse, l'artiste, ajouta-t-il, et il jeta une pièce de monnaie dans la patte du Chinois. Et t'as pas intérêt à m'faire attendre, sans quoi j'te démolis toute ta boutique, Charlie, sans blague. »
« Challie pas avoil pipe », commença l'autre. Smith leva le poing, et Yan capitula. « D'accol, d'accol... Magasin est plein... pas de place... Vous voil... »

(C) Un rideau lourdement décoré se souleva. Un petit Chinois apparut, vêtu d'un smoking déboutonné, d'un pantalon noir et de pantoufles à semelles épaisses. Il avança vers nous en secouant fortement la tête.
- Pas raser, pas raser, grimaça-t-il, tel un singe, en nous examinant l'un et l'autre, les yeux clignotants. Trop tard ! Boutique fermée !
- Assez causé ! hurla Smith avec une grossièreté déconcertante, tout en mettant sous le nez du Chinois un poing artistement sali. rentre tout de suite et donne-nous, à mon camarade et à moi, une paire de pipes. Fumer pipes, compris, rebut de Jaune ?
Et mon ami se pencha vers lui et le fixa dans les yeux avec une expression qui me surprit fort, peu habitué que j'étais à des arguments aussi gracieusement convaincants.
- Prends ça, ajouta-t-il en mettant une pièce dans la patte jaune. Fais-moi attendre encore un peu et je démolis ta baraque, Charlie. Méfiance !
- Nous pas pipes ..., commença l'autre.
Smith leva le poing et Yan capitula.
- Tlé bien, fit-il. Mais la maison pleine, pas de place. venez voir, venez.
Les exemples prouvant la supériorité de la nouvelle traduction (B) sur l’ancienne (C) pourraient être pris tout le long du roman : vous pouvez donc remiser vos vieux « 10/18 » et les compilations qui en ont été faites au placard -- sauf, peut-être, pour les savantes préfaces et autres avant-propos inspirés de Francis Lacassin --, et plonger dans ce beau volume Zulma en attendant impatiemment la suite : on connaît déjà le titre du prochain volume : Les Créatures du docteur Fu Manchu.


Serez-vous séduit par l'étrangeté du personnage, descendant supposé « d'une très vieille famille du Kiangsu » [Jiangsu 江蘇] (p. 289) ? « Le plus grand génie, peut-être des temps modernes ? On a dit de lui cent fois qu'il avait le front de Shakespeare et le visage de Satan. Il y avait dans sa présence même quelque chose de reptilien, d'hypnotique. » (p. 147) ; un personnage dont le regard, ébranle le Dr Petrie qui fait effort pour en rendre compte : « Comment décrire ce visage, ces yeux, qui me regardaient tranquillement par-dessus la table ? Ce visage était celui d'un archange du mal, et ces yeux, qui en étaient le trait souverain, étaient plus étranges qui eussent jamais reflété âme humaine - ils étaient étroits et longs, très légèrement obliques, et d'un vert étincelant. mais surtout - et je n'ai jamais vu cela chez aucun autre être humain, ils étaient, chose horrible, recouverts d'une sorte de film qui me fit songer à la membrana nictitans de certains oiseaux. Cette membrane était baissée lorsque je fis sauter la porte, mais elle sembla se rétracter quand j'eus pénétré dans la pièce, révélant les iris de l'homme dans tous leur éclat vert. » (p. 65-66)


S'il est souvent paralysé par « la force mauvaise qui émanait de cet individu », Petrie, narrateur attentif des événements qu'il vit un peu malgré lui, est aussi sensible au charme de Kâramanèh, la belle esclave du Docteur Fu Manchu, nous offrant quelques beaux moments à la sensualité très datée, mais remarquablement efficace, comme ici : « Une jeune fille enveloppée dans une cape de soirée se tenait tout contre moi. Lorsqu'elle leva les yeux, je découvris le visage le plus adorablement, le plus étrangement séduisant que j'eusse jamais vu. Une peau de blonde, et cependant les yeux et les cils noirs d'une Créole, les lèvres rouges et sensuelles - la belle étrangère dont la caresse m'avait surpris n'était pas native de nos rivages du Nord. » (p. 22-23) ; plus loin : « Elle ouvrit grand son manteau, et je me frottai littéralement les yeux, ne sachant pas si je rêvais ou si j'étais éveillé. Car elle était revêtue d'un ensemble de soie légère et transparente qui soulignait abondamment la sveltesse de sa silhouette ; une large ceinture enchâssée de pierres précieuses et maints joyaux précieux rehaussaient encore sa beauté : elle n'eût pas déparé le jardin clos d'Istanbul ; et dans le banal décor de mon bureau, elle était sublimement déplacée. » (p. 133-134)

Bref, je ne dis rien des décors et des situations dont les descriptions font froid dans le dos, et du suspens qui vous saisira, car vous l'avez deviné, Sax Rohmer a réussi une bien étonnante combinaison d'éléments qui hisse ses fictions au rang des œuvres accomplies --- si l'on est frileux, disons qu'elle les met en bonne place dans la catégorie que la critique se pique de redécouvrir, de la littérature dite populaire ou du second rayon ou paralittérature. Les meilleurs de ses romans et nouvelles s'y retrouvent du reste en excellente compagnie avec tant d'autres ouvrages qui ont fait rêver et frémir tant de générations d'amateurs de fiction romanesque ; ils y côtoient nombre de romans chinois des XVIIe et XVIIIe vers lesquels je vais me pencher à nouveau en attendant le retour du « génial et maléfique organisateur d'une prise de contrôle de l'Europe par les Asiatiques » [voir Régis Poulet, « Le supplice oriental de Fu Manchu aux Perses », in Le supplice chinois dans la littérature et les arts. Les Editions du Murmure, 2005, pp. 19-30 - article mis en ligne, le 31 mars 2008, sur le site La revue des ressources], dont je vous parlerai sûrement à nouveau : Ah ! Fu Manchu, quand tu nous tiens ! (P.K.)

vendredi 14 mars 2008

Onze bis

Vrai ou faux unique manuscrit du poète Li Bai 李白 (701-762)
analysé par Jean-François Billeter
dans L'art chinois de l'écriture (Skira, 1989, p. 193-195) qui traduit le poème
« Sur la terrasse Yang » (« Shang Yangtai »
上陽臺, vers 742-744) :
Les monts se dressent, les eaux s'écoulent,
et de là naissent des figurent sans nombre.

Sans un pinceau parfaitement exercé,

comment épuiser ce surgissement limpide ?
Ecrit le 18e jour, après être monté sur la terrasse du Yang.
山高水長,物象千萬,非有老筆,清壯可窮。
十八日,上陽臺書,太白。


Non, il ne s’agit pas de la douzième devinette qui viendra en son temps, mais d'une interrogation que je souhaite vous faire partager. En effet, je me demande qui est le sinologue dont William Somerset Maugham dresse le portrait dans ce passage du Paravent chinois que je vous livre dans la traduction de Madame E. R. Blanchet (Paris : Les Editions de France, 1933, pp. 233-234) :
Le sinologue.

Un colosse, mais boursouflé comme s’il prenait trop peu d’exercice. Des taches rouges plaquent son visage glabre. Ses cheveux grisonnent. Il parle très vite, et sa voix de fausset étonne dans ce corps puissant. Il occupe dans un temple, à la porte de la ville, l’appartement réservé aux hôtes de passage. Trois prêtres bouddhistes assistés d’un acolyte desservent le sanctuaire et accomplissent les rites. Dans les chambres, quelques meubles chinois, des livres partout : peu de confort. Le temps est froid. Un poêle à pétrole chauffe mal le bureau où nous sommes assis. Il sait mieux le chinois que personne en Chine. Depuis dix ans, il travaille à un dictionnaire destiné à éclipser celui d’un lettré célèbre. Voilà un quart de siècle qu’il cherche à démolir ce concurrent exécré. Ainsi, tout en se distinguant dans la sinologie, il satisfait sa rancune. Il parle d’un ton doctoral. Sans doute finira-t-il dans une chaire de chinois de l’université d’Oxford, où sa place est tout indiquée. Sa culture dépasse celle de la plupart de ses confrères qui savent peut-être le chinois, il faut, du moins, le croire, mais rien d’autre. Ses remarques sur la pensée et la littérature du Céleste Empire ont donc une portée assez rare. Ses études l’absorbent au point de l’éloigner des courses et de la chasse. Aussi les Européens le traitent-ils d’original. Comme ceux qui ne partagent pas les goûts de tout le monde, il inspire la méfiance et même la crainte. On va jusqu’à le soupçonner d’avoir l’esprit dérangé et de fumer de l’opium. Le blanc, passionné par la civilisation du pays lointain où doit se poursuivre sa carrière, passe souvent pour un fou. Une courte visite dans sa cellule d’ascète, et vous savez que cet homme vit exclusivement par l’esprit. Existence de spécialiste. La vie et la beauté semblent ne pas le toucher et tandis qu’il exalte la poésie chinoise, je me demande si les meilleurs de nos plaisirs ont jamais existé pour lui. C’est seulement par la page imprimée qu’il a pris contact avec la réalité. La splendeur tragique du lotus ne l’émeut que décrite par Li Po et le rire argentin d’une jeune Chinoise ne parle à son cœur qu’à travers un quatrain sans défaut.
Si vous avez une idée, n’hésitez surtout pas à la partager. (P.K.)

jeudi 13 mars 2008

Réponse à la devinette (011)

Une fois de plus vous m'avez surpris, agréablement surpris. Postée le 18 février, les interrogations de la onzième devinette avaient trouvé pour un tiers leur solution le 26 par un commentaire de Françoise P., et complètement, le jour même par la remise d'un post-it qui anticipait l'arrivée sur le blog d'un commentaire, judicieusement retenu jusqu'au 1 mars. Bravo, à nos deux expertes, car une fois de plus, ce n'était pas facile. Vous pardonnerez, je l'espère, mon retard à valider l'ensemble de ces réponses ; j'attendais pour le faire l'arrivée d'ouvrages sans aucun doute riches d'informations dont je voulais vous faire profiter, mais ceux-ci tardent à me parvenir. Il me faudra donc revenir à la charge dans un avenir que je souhaite assez proche et me contenter, pour aujourd'hui, de l'essentiel.

Or donc, la triple identification aurait dû - je le pensais -, vous tenir en haleine un peu plus longtemps. En effet, le texte soumis à la sagacité générale n'est plus en librairie depuis belle lurette et qui se souvient que son auteur, William Somerset Maugham (25 janvier 1874-16 décembre 1965), présenté par ses biographes comme « le mieux payé de son époque », « né et mort en France » comme le souligne Liliane D., respectivement à Paris et à Nice, se rendit en Chine entre 1919 et 1921 et qu'il en ramena On a Chinese Screen, collection de portraits publiée en 1922 [en octobre à New York, Doran et en novembre à Londres, William Heinemann, réédité fin 2007 chez Kessinger Publishing, Whitefish (MT)].


Couverture de l'édition française du Paravent chinois,
Texte français de Madame E. R. Blanchet.
Paris : Les Editions de France, 1933, 248 pages.
« Le philosophe », pp. 148-160.


Je n'ai trouvé qu'une seule édition en ligne du texte original. Elle figure sur le China History Forum et ce depuis le 14 novembre 2005, grâce à un internaute basé à Singapour portant le pseudonyme de Snowybeagle. Celui-ci a utilisé l’édition d’Oxford University Press de 1985 dont un exemplaire figure au catalogue de la Singapore Polytechnic Library. Que ses efforts soient remerciés. Ils ont suscité des réactions dont l'une d'entre elles, datée du 4 août 2006, livre la synthèse des informations fournies par Lydia Liu dans un ouvrage consultable partiellement grâce à GoogleBooks : The Clash of Empires. The Invention of China in Modern World Making. Cambridge : Harvard U.P., (2004) 2006, 334 p.

Pour elle, comme pour Hu Shui-Qing 胡水清 qui défend la même thèse dans un article intitulé « Zai Zhongguo pingfeng shang zhong de Zhongguo wenren »《在中国屏风上》中的中国文人 (The China's Scholars in On a Chinese Screen) (Zhangzhou shifan xueyuan xuebao (Zhexue shehui kexue ban) 漳州師範學院學報(哲學社會科學版), vol. 20, n° 1 (mars 2006), pp. 79-83), le « philosophe » de Maugham n'est autre que Gu Hongming 辜鴻銘 (1857-1928), alias Kou Houng Ming, Kou-Houng-Ming ou Ku Hung-Ming.

Ceux qui connaissent un peu ce personnage étonnant pour l'avoir lu en français lors de la réédition en 1996 aux Editions de l'Aube de la problématique traduction française que P. Rival donna en 1927 (Librairie Stock, Delamain et Boutelleau) de The Spirit of the Chinese People (1915) sous le titre L'esprit du peuple chinois ou grâce à Pierre Palpant qui a eu la bonne idée d'intégrer cet ouvrage dans son irremplaçable collection de matériaux sur la civilisation chinoise en ligne, ne devraient pas remettre en cause cette théorie. On retrouve dans ce seul texte presque tous les traits de caractère esquissés par le fin observateur britannique. Un des rares clichés que l’on conserve de Gu confirme la description qu’il en fit, voyez plutôt :

Gu Hongming 辜鴻銘 (1857-1928)

Vous en conviendrez, je l'espère, le personnage méritait bien une telle attention et assurément plus que deux lignes à la fin d'un billet. Du reste, la masse de documents le concernant ne cesse de grandir et impose de prendre le temps de l'analyse après celui de la collecte. En effet, son pays d'accueil - car ce Chinois-là n'est pas né sur la terre de Confucius, mais est un métis polyglotte qui a grandi en Malaisie, étudié en Europe avant de s'installer définitivement en Chine en 1885, après avoir un temps travaillé à Singapour et plus tard au Japon -, le redécouvre : une demi-douzaine de livres lui ont été consacrés ces dernières années et internet rend abondamment hommage à certains aspects de sa personnalité et encensent certains de ses engagements, mettant l'accent sur l'extraordinaire parcours qui fut le sien. Moqué de son vivant, puis dénigré jusqu’à il y a peu encore à cause de sa fidélité indécrottable à la dernière dynastie impériale et aux préceptes du sage de Qufu, serait-il en passe de devenir un repère pour une Chine qui en a tellement besoin ?

Un de ses dirigeants actuels et pas des moindres, savoir le premier ministre Wen Jiabao 溫家寶, a récemment fait preuve d'érudition en le citant. C'était à l'occasion de la visite du rédacteur en chef du Figaro, Pierre Rousselin et de son correspondant à Pékin Jean-Jacques Mével. L'échange qui remonte au 3 décembre 2005 est piquant car, me semble-t-il, plein de sous-entendus incompréhensibles pour qui n'a pas souvenir du livre dont les propos sont tirés. La seule trace que j'en ai gardé provient d'une page du site de la Mission of the People's Republic of China to the European Union qui le transcrit, hélas !, en anglais :
« It is a great pleasure for me to be interviewed by Le Figaro. The newspaper enjoys a long history and significant influence around the world. The next year marks the 180th anniversary of the creation of your newspaper. I would like to congratulate on the occasion. Meeting with French friends, I cannot help thinking of a saying by Gu Hongming, a renowned Chinese thinker at the end of the 19th century. He said, « It seems that only the French people could understand China and the Chinese civilization because the French share an extraordinary quality with the Chinese, namely, delicacy. » So when I meet French friends including the two of you, I do not feel there is estrangement between us. »
Wen Jiabao à l’occasion de sa visite à
l’Ecole polytechnique de Paris, le 6 décembre 2005.
Cliché Y. Deng mis en ligne sur Flickr.com


La citation en gras provient de ce Spirit of the Chinese People que Gu composa en 1915, en anglais justement. Vous la retrouverez dans le passage entier que je vous laisse méditer tranquillement, et longuement, en attendant que je trouve à nouveau du temps à consacrer au « dernier philosophe de la Chine » :
« Les Américains, qu'on me permette de le dire, ne comprennent pas facilement les Chinois parce que si, dans l'ensemble, ils ont l'esprit étendu et simple, ils manquent de profondeur. Les Anglais ne peuvent pas comprendre la Chine : leur esprit est profond et simple mais il manque d'étendue. Les Allemands, eux non plus, ne peuvent pas nous comprendre car, surtout lorsqu'ils sont cultivés, ils possèdent la profondeur et l'étendue, mais n'ont pas la simplicité. Je crois que ce sont les Français qui ont le mieux compris les Chinois, qui sont le plus aptes à apprécier la civilisation chinoise. Les Français, il est vrai, n'ont pas la profondeur des Allemands, ni la largeur d'esprit des Américains, ni la simplicité des Anglais ; mais ils ont à un degré tout à fait supérieur une qualité qui manque aux trois autres peuples que nous avons mentionnés, une qualité nécessaire avant tout pour comprendre la Chine, c'est la délicatesse. Car aux trois traits principaux de la civilisation chinoise, je dois en ajouter un quatrième, la délicatesse, qui est le plus caractéristique. Cette délicatesse, les Chinois la possèdent à un degré si éminent qu'on n'en trouve nulle part l'équivalent, excepté peut-être chez les anciens Grecs.
D'après ce que j'ai dit, on peut comprendre que les Américains, s'ils étudient la civilisation chinoise, manqueront de profondeur, que les Anglais manqueront de largeur d'esprit, et les Allemands de simplicité et qu'en outre ces trois peuples manqueront d’une qualité qu'ils ne possèdent pas à un degré éminent : la délicatesse. Quant aux Français, ils manqueront tout à la fois de profondeur, de largeur d'esprit et de simplicité ; ils manqueront même d'une certaine délicatesse d'un ordre encore supérieur à celle qu'ils possèdent actuellement. Aussi, je suis amené à penser que l'étude de la civilisation et de la littérature chinoises sera certainement profitable à tous les peuples d'Europe et d'Amérique. »
Mais, vous, qu'en pensez-vous ? Merci d'avoir la délicatesse de nous en faire part dans un commentaire. (P.K.)

lundi 10 mars 2008

Vingt ans de littérature chinoise

Cliché P.K. : Xinhua shudian fermée à proximité du Temple du Ciel, Beijing (28/12/06)

Comme nous l’avions annoncé le 12 février, la revue Perspectives chinoises a fêté le 5 mars dernier son numéro 100. La littérature n’a pas été absente de cette journée et, à l’issue de ma présentation, j’ai informé le public de l’existence du blog de notre équipe. M. Jean-François Huchet, le directeur du CEFC de Hong Kong, m’a autorisé à mettre en ligne le bref panorama de la littérature chinoise que j’ai brossé. En un quart d’heure, l’exercice était difficile et je le livre ici pour que chacun de nos lecteurs puisse donner son avis et l’enrichir…


L’évolution de la littérature chinoise
du début des années 1990 à 2008

Noël Dutrait


Après les événements de Tian’anmen de 1989, le départ à l’étranger de quelques grands noms influence l’évolution de la littérature. En fait certains écrivains ou penseurs étaient à l’étranger au moment des événements et ne sont jamais rentrés. C’est le cas de Liu Binyan 刘宾雁 qui avait mis son œuvre littéraire au service de la dénonciation des défauts de la société communiste, Gao Xingjian 高行健 qui avait présenté en Chine le roman et le théâtre occidentaux, Ma Jian 马建, qui avait osé décrire les funérailles célestes au Tibet dans la revue Renmin wenxue , Bei Dao 北岛, célèbre représentant de la poésie obscure de la fin des années 1970 qui va être à l’origine de la rénovation littéraire de Chine continentale, ou encore Liu Zaifu 刘再复 qui avait joué un rôle très important au cours des années 1980 dans le domaine des idées.

Dès le début des années 1990, on voit paraître des textes réalistes ou néo-réalistes qui se font l’écho des problèmes de fond de la société chinoise. En France, ces textes, souvent des nouvelles, ont été publiés pour beaucoup dans Perspectives chinoises et repris en volumes par des éditeurs comme Bleu de Chine. Souvent, la lecture d’une de ces nouvelles permet de comprendre une réalité qu’un long article peine à rendre de manière aussi explicite. La dénonciation n’est pas frontale comme avec Liu Binyan, mais elle est implicite dans les nouvelles et les romans publiés à cette époque. Sur le plan formel, des écrivains comme Yu Hua 余华 ou Su Tong 苏童 font le détour par une écriture qui sera qualifiée par les critiques d’avant-gardiste pour refléter l’absurdité de la société et revenir vers la description d’une réalité chaque jour plus difficile. De la littérature avant-gardiste au néoréalisme ou à l’hyperréalisme, le chemin n’est pas long et souvent emprunté par de nombreux auteurs. C’est sans doute pour cela que la censure ne s’y retrouve pas et laisse passer des textes très audacieux dans la dénonciation des contradictions du régime.

La colère de Mo Yan 莫言 par rapport à l’état de la société à cette époque et par rapport aux événements de Tian’anmen est exprimée dans Jiuguo 酒国, Le Pays de l’alcool. La corruption des cadres près à tout, y compris à manger des enfants de boucherie, renvoie à la dénonciation de la société cannibale par Lu Xun 鲁迅(1881-1936). Dans le maniement de la parodie, Mo Yan va même jusqu’à parodier l’écriture de Lu Xun pour exprimer son opinion sur la société dans laquelle il vit. De la sorte, il contourne la censure et remporte un succès important à l’étranger : Japon, USA, France, Italie… qui lui donnera une certaine latitude pour écrire les romans suivants et qui, à mon avis, dominent largement la scène littéraire chinoise de toute cette époque.

Il faut aussi évoquer l’apparition très marquante des questions refoulées ayant trait à la sexualité. Feidu 废都, La Capitale déchue, publiée par Jia Pingwa 贾平凹 en 1993, déclenche une violente polémique. S’agit-il du nouveau Jin Ping Mei 金瓶梅, ou n’est-ce qu’un roman pornographique de bas étage ? Avant sa mort en 1997, Wang Xiaobo 王小波 obtiendra aussi un très grand succès avec ses romans inclassables, entre politique fiction, science fiction et surréalisme dans lesquels la question du sexe est aussi omniprésente.

Yu Hua, quant à lui, dans Le Vendeur de sang, Xusanguan maixueji 许三官卖血记, évoque la question du don du sang, moyen très lucratif de gagner sa vie, un procédé qui mènera quelques années plus tard à l’origine du scandale de la transmission du sida en Chine, scandale dénoncé récemment par Yan Lianke 阎连科.

L’histoire récente de la Chine et la nature de la société ancienne sont aussi des thèmes qui n’ont pas échappé à des écrivains comme Mo Yan, Su Tong ou Yu Hua.

Dans Beaux seins belles fesses 丰乳肥臀 publié en 1995, Mo Yan montre comment se sont comportées pendant la guerre civile au Shandong les armées communistes et nationalistes. Son analyse n’était pas « politiquement correcte » et son roman a été interdit, non pas comme on l’a dit parfois en raison de scènes érotiques trop crues, mais du fait qu’on y voyait des soldats communistes se livrer à d’atroces exactions. Ensuite, infatigablement, Mo Yan a pris à bras le corps la question de la torture dans Le Supplice du santal, déclarant qu’il renonçait au réalisme magique à la Garcia Marquez pour revenir à un réalisme absolu, plus à même de rendre compte de la réalité. (En fait, comme l’ont montré Jérôme Bourgon ou Zhang Yinde, de nombreux faits relatés dans ce roman sont issus de l’imagination débordante de l’auteur. Dans le cas du Supplice du santal 檀香刑, ce réalisme rend parfois la lecture de ce roman difficile…

Enfin, avec Les Quarante-et un canons 四十一炮, publié en 2003, à travers 41 récits, Mo Yan raconte l’histoire d’un jeune garçon un peu après la fin de la révolution culturelle jusqu’à nos jours. A travers cette histoire, on voit avec une extrême précision apparaître la société chinoise des années 1990 et du début du XXIe siècle avec ses bouleversements économiques incroyables, l’apparition des nouveaux riches, le développement tentaculaire des relations et de la corruption et aussi, la fascination pour le sexe et parfois même le retour à la religion. Ce roman est magnifiquement construit et révèle un contenu très précieux dans la connaissance de l’évolution de la société chinois des 30 dernières années.

De la même manière, dans Xiongdi 兄弟, Frères, Yu Hua prend à bras le corps l’histoire récente de la Chine et raconte l’histoire de deux frères depuis la Révolution culturelle jusqu’à présent. Ce roman a eu un succès considérable, malgré une critique spécialisée défavorable, jugeant le roman bâclé sur le plan du style.

Naturellement, on ne peut parler de cette période sans évoquer le coup de tonnerre que fut en 2000 l’attribution du prix Nobel de littérature à Gao Xingjian. Attendu depuis si longtemps par les écrivains chinois et surtout par l’administration chargée des affaires culturelles de Chine, l’attribution de ce prix à un écrivain très controversé pendant les années 1980, qui n’était pas revenu en Chine après 1989, qui avait déclaré à une chaine de télévision française qu’il ne rentrerait en Chine que lorsque le régime politique aurait changé et qui, de surcroit a affirmé dans son discours de Stockholm que Mao Zedong avait fait mourir plus d’écrivains que tous les empereurs de Chine réunis… tout cela était insupportable. La question « Gao Xingjian » restera encore longtemps en suspend, malgré les déclarations de nombreux écrivains chinois qui ont approuvé l’attribution de ce prix. Gao Xingjian continue à s’exprimer dans toutes les zones sinophones de la planète sauf en Chine continentale et ses propos sont amplement relayés grâce par Internet. Sa voix totalement indépendante est à mes yeux très importante dans le débat littéraire et politique de notre époque, même si elle reste en partie marginalisée.

Ce bref panorama laisse bien sûr de côté de nombreuses œuvres extrêmement intéressantes. Je pense par exemple, aux recherches et à la réflexion très fouillées de Han Shaogong 韩少功 sur le langage et l’anthropologie à travers son désormais célèbre Maqiao cidian 马桥词典, le Dictionnaire de Maqiao. Je pense aussi au roman Le Totem du Loup, Langtuteng 狼图腾 de Jiang Rong 姜戎, un extraordinaire succès de librairie dans lequel l’auteur, un ancien jeune instruit, développe une réflexion sur la manière dont les Mongols, influencés par la société des loups, ont su conquérir le monde, tandis que les Chinois, seulement influencés par des stratèges philosophes, n’auraient jamais su sortir de leurs frontières… L’intérêt fondamental de ce roman tient avant tout, à mon avis, au fait qu’un jeune Han réfléchisse à son histoire en la confrontant à celle d’une ethnie minoritaire.

L’évolution de la littérature chinoise depuis la fin des années 1980 est donc caractérisée par l’apparition d’écrivains puissants dans leur style, qui ne craignent pas d’aborder tous les thèmes, qui se confrontent aussi bien à la critique de leur pays qu’à celle de l’étranger. Je ne partage pas l’avis du sinologue allemand Wolfgang Kubin qui a déclaré en 2006 que la littérature contemporaine chinoise n’était pour la plupart que bonne à être mise à la poubelle, ce qui a provoqué un tollé en Chine. Pourtant, récemment, à Genève, Yu Hua a approuvé cette déclaration en indiquant que de toute façon, il ne resterait de la période récente au mieux que deux ou trois noms d’écrivains et que tout le reste irait effectivement « à la poubelle ».

Quant à moi, j’estime que l’ensemble de la littérature en langue chinoise, qu’elle soit écrite en Chine continentale, à Taiwan, Hong Kong, Macao, en Asie du Sud-est et dans le reste du monde, est une littérature absolument passionnante dont émergent déjà d’immenses écrivains qui marquent en profondeur leur propre culture, mais qui commencent déjà à marquer et influencer des écrivains d’autres pays. Cette littérature s’est libérée en grande partie du poids politique et, si à présent elle doit lutter contre le poids du commerce, elle garde une santé rassurante grâce à son lectorat qui, ne l’oublions pas, est énorme, partout dans le monde.

Pour une présentation approfondie et élargie, on lira
Noël Dutrait
,
Petit précis à l'usage de l'amateur de
littérature chinoise contemporaine (1976-2006),
Arles : Editions Philippe Picquier, 2006.