dimanche 30 septembre 2007

La Fureur de lire à Genève

La Fureur de lire à Genève
« Orients extrêmes »
(19-23 septembre 2007)

Invités par la ville de Genève, nous avons reçu un accueil chaleureux des organisateurs, et avons participé à quatre rencontres, soit comme spectateurs, soit comme « conférenciers ».

Le première séance réunissait deux historiens, Jérôme Bourgon (IAO-CNRS, université de Lyon) et Luca Gabbiani (Ecole française d’Extrême-Orient) qui étudient le supplice chinois et la représentation que s’en font les Chinois et les Occidentaux. Ils confrontaient leur point de vue avec celui de deux grands écrivains chinois, Mo Yan et Yu Hua, qui tous deux ont évoqué les supplices chinois dans leurs œuvres (Le Supplice du santal pour Mo Yan et 1986 pour Yu Hua). La démarche était originale et intéressante : projeter des photographies prises au début du XXe siècle des derniers supplices infligés en public (âmes sensibles s’abstenir…) et demander aux deux écrivains quel commentaire elles leur inspiraient. Là où les historiens soulignaient l’indifférence du public chinois qui assistait à ces exécutions (en contradiction avec les sources écrites qui reflètent une certaine liesse), les écrivains pensaient qu’il s’agissait de photos mises en scène qui n’avaient pas pu refléter l’excitation des spectateurs. Ils soulignaient aussi le fait que les Chinois présents voyaient peut-être pour la première fois de leur vie un appareil photo qui attirait leur curiosité et les laissait stupéfaits. Yu Hua a raconté avec une grande franchise comment pendant la Révolution culturelle, dans le bourg où il habitait, il avait assisté à plusieurs exécutions capitales (et sommaires), auxquelles une foule se pressait comme pour assister à un spectacle. Au fond, le document brut que constitue une photographie garde son mystère selon qu’il est étudié par les historiens ou les romanciers. Pour conclure, les deux historiens et les deux écrivains ont confronté leur approche de la question des supplices, Yu Hua confessant que lorsqu’il avait écrit son roman 1986, il avait longtemps été assailli la nuit par des cauchemars, tandis que l’historien Jérôme Bourgon indiquait que pour lui, il s’agissait de faits historiques qui ne le troublaient pas au point d’en faire des mauvais rêves. Et Mo Yan de conclure en disant qu’il était normal que l’écrivain fasse des cauchemars, car il se met dans la peau à la fois du bourreau et de celle des victimes. L’historien doit rester impassible face aux faits, tandis que l’écrivain fait marcher son imagination…

La deuxième séance réunissait Mo Yan, Yu Hua et moi-même pour une discussion a bâtons rompus sur la littérature chinoise contemporaine, le statut des écrivains chinois, la traduction de leurs œuvres. Le débat était dirigé par Nicolas Zufferey, professeur à l’université de Genève, et Paul Ghidoni, responsable des bibliothèques municipales de Genève. Dai Sijie, qui devait y participer, avait été empêché en dernière minute. Nicolas Zufferey, spécialiste du confucianisme, a précisé en introduction à quel point il trouvait important de connaître la littérature contemporaine chinoise et la haute estime qu’il portait aux écrivains présents à cette séance. Il leur a demandé ce qu’ils pensaient de l’appréciation du professeur Kubin (dont nous nous sommes fait l’écho sur ce blog) sur la littérature chinoise contemporaine digne, à ses yeux, d’être jetée à la poubelle. Quelque peu provocateur, Yu Hua a répondu que c’était sans doute exact, puisque à chaque époque paraissent des œuvres innombrables qui sombrent rapidement dans l’oubli. Il en sera de même pour la littérature chinoise des XXe et XXIe siècle dont on ne se souviendra plus tard que peut-être de 10 % des œuvres. Ce qui semblait davantage préoccuper Yu Hua, c’étaient les nombreux commentaires indignés contre les propos du professeur Kubin qui ont fleuri dans les médias chinois : pourquoi y attacher tant d’importance ?
Il a aussi été demandé aussi aux écrivains comment ils faisaient pour savoir si les traductions de leurs œuvres étaient bonnes puisqu’ils ne connaissent aucune langue étrangère. Mo Yan a dit qu’il se renseignait auprès d’amis capables de lire dans telle ou telle langue où ses œuvres sont traduites. Mais il a indiqué aussi avec son habituel humour que lorsque les traducteurs n’entraient jamais en contact avec lui, ne lui posaient aucune question, il s’interrogeait sur la qualité de leurs traductions. En effet, dans ses romans figurent de nombreux termes dialectaux typiques du Shandong que peu de traducteurs étrangers peuvent connaître.
J’ai moi-même indiqué comment Liliane Dutrait et moi traduisions « à quatre mains » les romans de Mo Yan. J’ai essayé de montrer quel plaisir extraordinaire nous avions à « écrire en français » ces œuvres magnifiques et quel bonheur c’était aussi de dialoguer avec leur auteur.

Le lendemain, les mêmes écrivains se retrouvaient à l’université de Genève pour un débat avec les étudiants et les enseignants du département. Cette discussion a bâtons rompus ayant lieu tout en chinois, sans traduction, les auteurs étaient plus détendus et ont livré sans retenue leur point de vue sur beaucoup de questions passionnantes : le statut de l’écrivain en Chine, la censure, les droits d’auteurs, les grandes questions qui se posent à la société chinoise : la corruption, la montée de la délinquance, les difficultés de la vie quotidienne…

En fin d’après-midi, une autre séance réunissait à la Fondation Baur Mo Yan et ses traducteurs… Liliane Dutrait et moi-même. Mo Yan a pu visiter les magnifiques collections d’art asiatique de la fondation, accompagné par Mme Estelle Niklès van Osselt qui parle parfaitement chinois, puis il a dialogué avec un public acquis à son talent d’écrivain et connaisseur de ses œuvres. Liliane Dutrait a évoqué quelques-unes des difficultés que nous rencontrons dans la traduction des romans de Mo Yan dans un petit inventaire loin de rendre compte de tous les questionnements, affres, incertitudes… et bonheurs qui jalonnent ce travail. Difficultés liées aux spécificités de la langue chinoise, mais aussi propres à l’œuvre qui développe une grande variété de registres, voire de styles (ou parodies de styles), qui foisonne d’éléments récurrents d’un roman à l’autre – thèmes, lieux, expressions, proverbes… –, qui est teintée d’une « couleur locale » très forte, etc.
Nous avons exposé notre méthode de travail en commun en insistant sur l’ultime étape, le moment où nous lisons à haute voix la dernière mouture de la traduction pour en gommer les aspérités, en trouver la « musique » et s’assurer que le texte passe bien à l’oral. Mo Yan a aussitôt réagi en rappelant que Flaubert lisait à haute voix ses œuvres dans une pièce appelée « le gueuloir »… et il nous a demandé si dans notre maison du Puy-Sainte-Réparade, où il est venu en 2004, nous en avions aussi un !
A une question sur la manière dont il écrivait, Mo Yan a répondu qu’il avait abandonné l’ordinateur pour écrire et était revenu au stylo. L’ordinateur le freinait dans son rythme d’écriture et constituait une barrière entre lui et sa page (il était aussi « distrait » par les messages qui lui arrivaient par e-mail et par les tentations qu’offrait Internet). Il a indiqué que son dernier roman Shengsi pilao, qui ne compte pas moins de 539 pages, a été écrit en 43 jours ! Après y avoir réfléchi pendant de nombreux mois, il s’est enfermé et l’a écrit presque d’un seul jet. Ensuite, un de ses étudiants l’a saisi sur l’ordinateur et il a alors effectué quelques corrections. Il a aussi précisé qu’il écrivait à présent en caractères non simplifiés, pour la beauté du geste…

A Genève, nous avons pu aussi visiter la belle exposition de Ye Xin, Palais d’été, dans laquelle le peintre calligraphe met en scène Victor Hugo et rend hommage à ce géant des lettres qui avait su s’élever contre les Français et les Britanniques, auteurs du sac du palais d’Eté. Et nous sommes repartis trop vite, frustrés de n’avoir pu assister à toutes les rencontres avec des écrivains indiens, des illustrateurs coréens et bien d’autres encore…

Soulignons aussi l’efficacité des traducteurs mobilisés pour animer ces séances, Frédéric Wang de l’ENS de Lyon, Laure Zhang et Grace Poizat de l’université de Genève. (Noël Dutrait)

1 commentaire:

fls a dit…

Bonjour, je suis étudiant de université de genève en lettres dans les disciplines de Français et Chinois. Je cherche un travil de traduction fr-ch en littérature chinoise.
Merci de me contacter.
fanleshan@gmail.com