Depuis quelques semaines, je partage mes lectures entre un roman fort plaisant Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants de Xiaolu Guo, paru chez Buchet Chastel et Le Totem du loup de Jiang Rong, paru chez Bourdin éditeur. Rien à voir entre les deux œuvres, si ce n’est qu’elles ont été écrites par des auteurs chinois !
Xiaolu Guo dont on avait pu lire La Ville de Pierre, traduit par Claude Payen, publié par les éditions Philippe Picquier, nous livre un nouveau roman écrit sous la forme d’un dictionnaire qui est traduit de l’anglais par Karine Laléchère. Notons que de la même manière que les éditeurs indiquent parfois « traduit de l’espagnol (Cuba) », l’éditeur indique ici traduit de l’anglais (Chine). Nous apprenons donc avec grand intérêt que l’anglais est manifestement l’une des langues en usage en Chine !
Ceci dit, ce roman en forme de dictionnaire est particulièrement amusant à lire et l’on peut saluer le tour de force de la traductrice qui a reproduit dans sa traduction la maladresse de l’anglais de débutant de l’auteur, une jeune fille chinoise fraichement débarquée de Chine à Londres sans savoir un seul mot de la langue de Shakespeare. Tout ce qu’elle possède, c’est un dictionnaire chinois-anglais qui parfois, comme tous les dictionnaires, n’explique pas tout…
Au fil des pages, l’anglais (traduit en français) de l’héroïne s’améliore. Depuis un paragraphe tel que celui-ci : « Les nourritures ici sont très confondantes. Les Anglais mangent et boivent des choses étranges. Même Confucius trouve l’anglais confondant s’il vient ici, je pense », en passant par l’évocation des « œufs brouillons » on arrive à une description du pays de Galles fort bien menée au chapitre intitulé « Phare ». Et au cours de ces pages, depuis l’entrée « Prologue » à l’entrée « Epilogue » en passant par « « Bisexuel », « Anarchisme », « Fatalité » « Humour » ou « Berlin », on mesure la distance culturelle entre la jeune chinoise un peu perdue et l’artiste anglais déprimé avec lequel elle se met en ménage, ainsi que l’ensemble des questions que se pose l’héroïne au sujet de sa nouvelle vie et des situations et villes nouvelles qu’elle découvre.
Le Totem du loup, c’est une autre affaire… L’éditeur indique sur la quatrième de couverture: « Vendu en Chine à plus de vingt millions d’exemplaires, Le Totem du Loup est un fascinant roman d’aventures. Mais c’est aussi le récit d’une initiation, celle de Chen Zhen, jeune étudiant chinois qui doit apprendre, au contact des tribus mongoles, comment survivre… Les hordes de loup règnent encore sur la steppe. Les cavaliers nomades, héritiers de Gengis Khan, craignent et vénèrent cet animal qu’ils ont choisi pour emblème. La rencontre avec cette culture va bouleverser le jeune Chinois. Il sera d’autant plus ébranlé que cet univers qui le séduit tant est sur le point de disparaître… »
En fait, ce roman est davantage le récit d’une longue interrogation d’un « jeune instruit » chinois, envoyé en Mongolie intérieure, au sujet de la supériorité ethnique des Mongols (qui ont dominé le monde à une époque donnée) par rapport à la faiblesse des Han (incapables de résister aux invasions étrangères à travers les siècles. Il élabore une théorie qui voudrait que les Mongols, peuple de nomades, se soient inspirés de l’organisation clanique des loups tandis que les Han, peuple de pasteurs, se soient comportés comme les moutons… que les loups dévorent. Le jeune instruit, Chen Zhen, va même jusqu’à élever un louveteau pour mieux étudier son comportement…
La campagne orchestrée pat l’éditeur français a porté ses fruits. Les grands quotidiens et les grands hebdomadaires français ont consacré une ou deux pages à ce roman, sans vraiment dire nettement s’ils appréciaient ce livre pour ses qualités littéraires ou pour les informations qu’ils nous apportaient sur ce mystérieux totem du loup. On y insiste surtout sur le fait que ce livre serait considéré dans certains milieux économiques chinois « comme une sorte de Bible dans laquelle ils voient une apologie de l’esprit de compétition, une arme dans la guerre économique contre l’Occident » (Voir « L’année du loup », par Pascale Nivelle, Libération du 7 février 2008.)
Je reviendrai sur ce roman prochainement, mais aujourd’hui j’aimerais savoir si parmi les lecteurs de notre blog, certains l’ont lu et ce qu’ils en pensent…
Au passage, signalons aussi l’article sur le roman de Yu Hua, Brothers (un titre en anglais pour un roman chinois, décidément l’anglais semble bien être l’une des langues de la Chine…) paru dans Le Monde des livres du 9 mai 2008.
Enfin, le colloque auquel j’ai participé à Louvain-la-Neuve était, comme on pouvait s’y attendre, passionnant. La traduction entre Orient et Occident : modalités, difficultés et enjeux, voilà le genre de problématique qui préoccupe beaucoup la jeune équipe dont vous lisez le blog qui, soit dit au passage, va très prochainement changer de nom, passant de « Littérature chinoise et traduction » à « Littératures d’Extrême-Orient, textes et traduction ».
Après que le professeur Paul Servais eut présenté la problématique de la journée, Marc de Launay, Chargé de recherches au CNRS et à l’Ecole Normale supérieure de Paris ouvrait les travaux avec une très stimulante communication intitulée « Le sens et le temps ». Il indiquait en introduction : « Une longue tradition européenne, souvent mal contrôlée, à peine discutée, situe la pratique de la traduction dans un réseau de connotations où dominent, du côté des récepteurs, le soupçon qu’elle serait une tâche peccamineuse, et, du côté des traducteurs, la culpabilité de n’avoir pas fait assez droit à l’original. Cette atmosphère explique le recours à des termes impropres comme ceux de « fidélité » ou de « trahison » qui n’ont, en fait, rien à voir avec la pratique traductive ; mais elle explique une certaine pusillanimité, chez nombre de traducteurs, qui les entraîne à tout à la fois sous-estimer leur fonction en lui refusant une dignité philosophique, par exemple, et à en surestimer le caractère personnel, néanmoins bien présent, en oubliant que toute traduction est vouée à la reprise. »
Ensuite, les différents participants ont disserté sur le choix des traductions, la manière de les présenter, la réception des œuvres traduites, les difficultés de communication d’une langue à l’autre et/ou d’une civilisation à l’autre. La question des concepts philosophiques occidentaux traduits en chinois en passant par le japonais, la traduction des textes canoniques du Bouddhisme, la traduction de la littérature occidentale vers le chinois et de la littérature chinoise vers l’Occident, autant de sujets qui ont été approchés et discutés au cours de cette journée. La publication des actes de ce colloque apportera certainement une petite lumière de plus pour éclairer ce long chemin qui permet la communication entre les cultures.
Noël Dutrait