Pour dynamiser un blog qui attend toujours un nouveau souffle pour prendre son envol sur une plateforme plus adaptée à ses ambitions, je vous propose une nouvelle rubrique que chacun pourra alimenter au gré de ses lectures sans autre justification que de faire œuvre utile en signalant un passage d’une œuvre littéraire qui parle sous un jour inattendu et stimulant de l’espace culturel et géographique extrême-oriental de son choix. Je dois l’idée de cette initiative à Thomas Pogu, fidèle lecteur de ce blog auquel il contribua, qui m’a signalé plusieurs extraits de ses récentes lectures parlant de la Chine.
En effet, l’auteur du présent passage est trop connu pour que je réactive la rubrique « Devinette » qui n’est pourtant pas morte avec la 22ème, laquelle, en date du 1er avril 2010, n’a toujours pas été résolue ----- voici donc sans autre enjeu que le plaisir de la surprise et l’opportunité d'avoir un aperçu sur le regard que portait Honoré de Balzac (1799-1850) sur la Chine, un passage des Illusions perdues (Gallimard, coll. « Folio-Classique », n° 62, pp. 129-131) où le jeune David Séchard, fils d'imprimeur, parle de son projet de révolutionner l'industrie du papier en s'inspirant des techniques chinoises :
« Il y eut donc un jour dans mon cabinet une vive discussion sur les ingrédients dont on se sert en Chine pour fabriquer le papier. Là, grâce aux matières premières, la papeterie a, dès son origine, atteint une perfection qui manque à la nôtre. On s'occupait alors beaucoup du papier de Chine, que sa légèreté, sa finesse rendent bien supérieur au nôtre, car ses précieuses qualités ne l'empêchent pas d'être consistant ; et, quelque mince qu'il soit, il n'offre aucune transparence. (...) Le papier de Chine ne se fabrique ni avec de la soie ni avec le broussonatia ; sa pâte provient des fibres du bambou triturées. L'abbé Grozier possédait un livre chinois, ouvrage à la fois iconographique et technologique, où se trouvaient de nombreuses figures représentant la fabrication du papier dans toutes ses phases, et il nous montra les tiges de bambou peintes en tas dans le coin d'un atelier à papier supérieurement dessiné. (...) La main-d'œuvre n'est rien en Chine ; une journée y vaut trois sous : aussi les Chinois peuvent-ils, au sortir de la forme, appliquer leur papier feuille à feuille entre des tables de porcelaine blanche chauffées, au moyen desquelles ils le pressent et lui donnent ce lustre, cette consistance, cette légèreté, cette douceur de satin, qui en font le premier papier du monde. Eh bien ! il faut remplacer les procédés du Chinois au moyen de quelque machine. On arrive par des machines à résoudre le problème du bon marché que procure à la Chine le bas prix de sa main-d'œuvre. Si nous parvenions à fabriquer à bas prix du papier d'une qualité semblable à celui de la Chine, nous diminuerions de plus de moitié le poids et l'épaisseur des livres. Un Voltaire relié, qui, sur nos papiers vélins, pèse deux cent cinquante livres, n'en pèserait pas cinquante sur papier de Chine. Et voilà, certes, une conquête. »
En complément à ces considérations économiques qui « font toujours écho à nos oreilles du XXIe siècle » et qu'on aura intérêt à relire dans leur intégralité, rappelons que M. l’Abbé Jean-Baptiste Gabriel Alexandre Grosier (1743-1823), qui fut chanoine de St-Louis du Louvre est aussi l’auteur d’une Description générale de la Chine ou Tableau de l’état actuel de cet empire ... datant de 1785, que l’on peut lire en ligne grâce à Pierre Palpant sur son indispensable site « Chine ancienne », et dont le chapitre V est intitulé « Papier, encre, imprimerie, &c. » (pp. 610-616).
On pourra poursuivre la recherche en identifiant le bel ouvrage dont il est fait mention au début du roman qui a été traduit en chinois à plusieurs reprises, ce qu’indique avec précision la base de données des « Livres français traduits en chinois - Fu Lei » du nom d’un des traducteurs de l’œuvre, Fu Lei 傅雷 (1908-1966) ; les deux autres furent Gao Mingkai 高名凯 (1911-1965) et Mu Mutian 穆木天 (1900-1971). On sait que Balzac fut abondamment lu en Chine et cette œuvre, connue sous le titre Huan mie 幻灭, fréquemment éditée depuis 1944, pas moins que les autres. Elle y a reçu des adaptations illustrées qui font dorénavant le bonheur des bouquinistes en ligne. Celle qui fournit les illustrations de ce billet date du début des années 1980.