lundi 22 décembre 2008

Mo Yan, l'enfant d'or de la littérature chinoise

A propos de
Beaux seins, belles fesses
de Mo Yan.
Traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait. Editions du Seuil, 2004.

Chapitre 41 : «[Elle] leva son pistolet et appuya le canon sur sa tempe.
Shangguan Jintong décela en elle une séduction toute féminine.
Elle avait levé son bras unique, révélant son aisselle duveteuse,
sa taille était fine, ses fesses brillantes reposaient sur ses talons,
comme ouvertes par une explosion. » (Trad., p. 571)

Ecrivain prolixe et prolifique, Mo Yan 莫言 a choisi un pseudonyme qui semble à contre-emploi. En chinois, son nom signifie littéralement «ne pas» (Mo) «parler» (Yan). Mo Yan explique qu’il oppose ainsi la parole libre, spontanée qu’on peut tenir dans le cercle familial restreint, et la parole impossible, sauf à se travestir pour éviter la censure, qu’on tient au-dehors, celle qui est soumise au joug social et politique. Ce livre a d’ailleurs été censuré en Chine, et est paru dans une nouvelle version en France. Mo Yan, ce ne serait donc pas exactement, comme les interviewes le traduisent, «celui qui ne parle pas», «celui qui garde le silence», mais plutôt celui qui se situe dans l’interstice entre la parole du dedans, l’inépuisable fécondité des légendes familiales qui nourrit l’imaginaire d’un individu, et la parole du dehors, celle de la contrainte, de la violence imposée par l’histoire, la politique, les autres. C’est de ce hiatus, dans cet interstice, entre Mo et Yan, que se glissent les 800 pages de la saga prolifique de Beaux seins belles fesses.

MO

«ne-pas» : la négation de l’individu, la violence du dehors, l’éparpillement dans l’Histoire. C’est qu’en effet, le XXe siècle chinois a de quoi laisser sans voix, tant il est cruel et brutal, à l’image d’un des tortionnaires les plus zélés, le sourd muet, Sun pas un mot, et d’une des victimes les plus étranges, Han L’Oiseau, qui a perdu la parole après avoir vécu en sauvage avec les loups et les ours. Défilent l’invasion japonaise et la libération des années 40, la guerre civile entre les nationalistes du Guomintang et les communistes, les «cent fleurs» et les grandes famines des années 60, la Révolution culturelle de 65, le néo-capitalisme et la corruption organisée des années 90. On a peine à croire que tant de démesure et de bouleversements puissent avoir été vécus par une même personne, mais c’est bien à l’échelle d’une simple vie, celle du narrateur, qu’est retracé cet impressionnant panorama historique.

Beaux seins, belles fesses, le titre est prometteur. Ce sont les attributs, avantageux, communs aux huit filles de Shangguan Lüshi. Elles sont toutes belles, et toutes passionnées, et toutes beautés horribles, suivant jusqu’à la mort ou la folie leurs amants. Shangguan Lüshi perd une à une ses filles, emportées par des hommes qui incarnent l’Histoire: brigand et résistant aux japonais passé à l’ennemi, seigneur de guerre généreux et sanguinaire, américain introduisant le cinéma dans le village, communiste méthodique, opportuniste de tous bords, capitaliste rusé et vaguement mafieux, la famille s’affilie par ces alliances amoureuses avec tous les mouvements rivaux et se retrouve ainsi ballotée, tantôt protégée, tantôt persécutée au gré des renversements et des trahisons de l'Histoire. Passive, d’une patience christique même, la famille Shangguan traverse les famines et les inondations, les batailles rangées, les exécutions sommaires, les massacres collectifs, les expéditions punitives, les tortures et les tribunaux arbitraires, les viols, les camps, les morts violentes et les humiliations publiques.

Avec, émergeant de ce chaos confus de cadavres, de corps mutilés et de corbeaux, quelques scènes silencieuses particulièrement frappantes. Le marché des enfants, où Shangguan Lüshi va vendre deux de ses filles pour survivre. L’exécution publique des deux petits jumeaux, parce qu’ils sont dit-on fils de traître, le front perforé par la balle de deux chevaliers de l’apocalypse. Le viol de la septième sœur, sous la lumière blafarde de la lune, fascinée par la blancheur d’un petit pain que lui tend pour l’appâter le cuisinier de la ferme d’état où tous meurent de famine. A échelle d’homme, il y a de quoi perdre le fil, vraiment, et subir en silence: « inutile de parler » « et même si on avait eu dix yeux, on ne serait pas arrivé à tout voir, et même avec dix bouches, on n’aurait pas pu tout raconter ». MO YAN, ne pas parler.


YAN

Pourtant, les excès de l’horreur donnent à ce roman-fleuve toute sa verve et sa puissance chaotique, l’histoire glisse à force de démesure dans le loufoque ou dans le fantastique, et on dévore avec un appétit cannibale ces visions d’apocalypse, ces prouesses guerrières grotesques autant qu’héroïques, ces histoires d’hommes et de fantômes. A l’image de cette légende des ancêtres, cette première bataille livrée contre les allemands, dont les habitants pensaient qu’ils n’avaient pas de genoux, qu’ils ne supportaient pas la saleté et qu’il suffirait pour les tuer de les entraîner dans la neige, et de les bombarder d’excréments soigneusement amassés. Bien sûr, le stratagème échoue, les allemands n’aiment pas puer mais ils ont des genoux, et aussi des fusils, et ils déciment les rebelles éberlués. Après enquête, il appert que ces rumeurs infondées sur l’hygiène et les genoux des étrangers seraient sorties des cuisses d’une prostituée qui les avaient reçus…

Car si les hommes sont du côté de MO, de la négation, de l’histoire guerrière et de sa dispersion, les femmes sont du côté de YAN, du centre, du dedans, et de la parole féconde, débridée, profondément réjouissante. L’histoire est immense, mais l’espace dans lequel elle se déroule est minuscule, tout entier contenu dans le village de paysans pauvres de Dalan, dans «le canton au nord-est de Gaomi». Au centre de ce centre, il y a la maison familiale, que la mère refuse de quitter, coûte que coûte, comme une des seules vérités que lui a apprise la vie. Au centre de ce centre, il y a Shangguang Lushi, mater dolorosa et mère pélican, droite, inébranlable. Au centre de ce centre, il y a le sein de Shangguang Lushi, plein du lait nourricier qui nourrit les vivants, symbole de cette même fécondité de la femme et de la nature, de cette régénération perpétuelle plus obstinée encore que l’histoire et ses morts. Les sœurs meurent toutes pour avoir quitté le nid et s’être laissé emporter par les hommes dans l’Histoire. Mais chaque fois, elles confient à leur mère, mère des mères, de nouveaux enfants.. Et c’est cette puissance infatigable de la terre des paysans et de la mère, confondues dans le personnage de Shangguan Lushi, qui est le centre du livre, sa source vive: «Tantôt elle parlait sur un ton joyeux, tantôt sur un ton triste et désespéré. Seigneur, sainte mère, anges, démons, Shangguan Shouxi, pasteur Maroya, oncle Fan, Yu les Grandes Paumes, tante, deuxième oncle, grand père, grand-mère… Démons chinois et dieux étrangers, vivants et défunts, histoires connues ou ignorées de nous, sortaient de sa bouche à jet continu et devant nos yeux, se déroulaient, se devinaient, se jouaient, se métamorphosaient… comprendre les délires de ma mère dans sa maladie revenait à comprendre l’univers entier, recueillir ses délires revenait à noter toute l’histoire du canton du Nord est de Gaomi »

Les femmes désirables, beaux seins, belles fesses, se transforment en oiseau, en renarde, en serpent. Ces métamorphoses disent la continuité des vivants et de la nature, et la permanence dans la transformation, dans l’inépuisable vitalité du désir sexuel et de la reproduction, contre la dénaturation tragique des hommes. Toujours, les comparaisons avec végétaux et animaux, systématiques comme des épithètes... de nature, disent cette proximité, qui peut faire des hommes des bêtes mangeant des racines, ou au contraire des esprits ignorant la loi de mort.

Entre les hommes de la guerre et les femmes de la terre, s’est glissé pourtant un être hybride, le narrateur, Jintong, l’enfant d’or. Fils unique après huit sœurs, couvé par sa mère comme un miracle parce qu’il est né mâle, il ne sera pourtant jamais tout à fait un homme. Bâtard d’un pasteur suédois, souvent lâche et même veule, peut-être surdoué aussi, impuissant et obsédé par les seins, il tête le lait de sa mère jusqu’à 7 ans avant de têter un pis de chèvre. Il fait quinze ans de camp pour avoir violé le cadavre d’une femme, qui l’avait presque elle-même violé de son vivant, puis trois ans d’hôpital psychiatrique pour avoir brisé une vitrine, fasciné par les seins des mannequins exposés. Il est initié par la vieille Jin au sein unique, et palpe des centaines de paires de seins, au marché de la neige et avec des prostituées. Il devient directeur d’une fabrique de soutien-gorges. Toujours ruiné et démuni par ses incursions dans le monde du dehors, toujours il revient se réfugier dans les seins de sa mère. Complètement passif, presque impotent, incapable d’avoir prise sur sa vie d’homme inachevé, errant dans l’histoire des hommes, des vrais, tout entier soumis à l'histoire des femmes, à la pulsion érotique et nourricière des seins, «qui étaient l’amour et la poésie, l’immensité céleste infinie et les grandes terres prospères où ondulent les vagues jaunes d’or du blé», c’est un piètre héros. Mais c’est lui qui raconte. Entre Mo et Yan, dans l’interstice entre «ne pas» et « parler », s’est glissé l’enfant d’or, et croyez moi, il sait écrire.

Aude Fanlo (Collaboratrice de Radio Grenouille, 88,8 FM)

Dix ans pour reprendre la parole

A propos de Beijing coma, de Ma Jian,
traduit de l’anglais par Constance de Saint-Mont,
Flammarion, 2008.

Tian'anmen, place amnésique

Beijing coma est le dernier roman de l'écrivain dissident Ma Jian 马建. Le titre, anglais, est le symptôme d'une paresse éditoriale déplorable de plus en plus répandue qui consiste à traduire d'une traduction anglaise et non de la version originale. Cependant, son ambiguïté a l'avantage de pointer l'enjeu du roman : il s'agit du coma, à Beijing, dans lequel est plongé le héros et le narrateur du roman, Dai Wei ; et c'est aussi le coma de Beijing elle-même. Deux expériences traumatisantes sont ainsi placées en regard l'une de l'autre: la survie de ce corps quasi-mort est une image clinique, biologique, de l'inertie d'un pays et d'un corps politique, celui de la Chine toute entière.

La place Tian'anmen est au coeur de Beijing. Là se dresse la Cité sans âge des Empereurs et, comme en surimpression, l'immense portrait de Mao, rouge et lisse. L'immensité vide de la place, sa monumentalité un peu kitsch, pour un occidental du moins, résument et suspendent les métamorphoses de l'Histoire du pays. Tian'anmen évoque aussi, pour beaucoup, l'image d'un étudiant faisant face à un tank qui l'a pris pour cible. Mais pas pour les internautes chinois, qui n'ont le droit d'y voir qu'une place grandiose offerte à la déambulation tranquille des familles et des touristes. Ni pour tous ceux qui ont oublié le massacre de la place Tian'anmen au profit de la grand-messe récente des Jeux Olympiques. Car les états policiers ont pour eux une arme plus puissante encore que la terreur, c'est l'amnésie collective. Un événement rayé de nos mémoires n'a jamais eu lieu.

Dai Wei, corps de mémoire

Dai Wei, lui, se souvient; la mémoire est même tout ce qui lui reste. 4 juin 1989. Etudiant insurgé, il était là quand l'armée a attaqué les civils qui occupaient la place. Il y a laissé un morceau de son cerveau, stocké depuis lors dans un réfrigérateur d'hôpital. Malgré les apparences, c'est en fait une chance: d'abord parce qu'il n'est pas mort, ensuite, parce que le coma dans lequel il reste plongé durant dix ans lui permet d'échapper à la répression contre les survivants qui a suivi le massacre pour l'effacer des mémoires – exils, internements psychiatriques, mesures punitives à l'encontre des familles, reniements, autocritiques. La police surveille certes Dai Wei, soigné en cachette par sa mère, mais sa vigilance est moindre puisqu'il est considéré comme moins dangereux encore qu'un mort.

Le livre retrace ainsi les dix années de coma de Dai Wei. Son immobilité parfaite est inversement proportionnelle aux mutations spectaculaires de Beijing, et à l'accélération de l'Histoire: libéralisation de l'économie, spéculations immobilière frénétiques, invasions des téléphones et de la télévision, expulsions des pauvres hors de centre-villes aseptisés. Dix ans, c'est aussi le temps qu'il a fallu à Ma Jian pour écrire ce roman, politique au sens large, parce qu'il résume et inscrit dans un corps, la métaphore et le paradoxe d'un pays. Enfermé dans sa « tombe de chair », Dai Wei reconstitue patiemment les événements qu'un pays anesthésié, muet, et privé de sa mémoire a choisi d'oublier. Son corps silencieux et carcéral reste le seul espace possible de subversion. L'écriture est la trace muette de ce cheminement vers la parole qui guette et survit, au fond de Dai Wei, prête à surgir.

Autopsie d’un massacre

Cette autobiographie fictive d'un jeune étudiant chinois est ainsi construite sur l'alternance de deux récits. L'un, au passé, retrace rétrospectivement les souvenirs de Dai Wei, de l'enfance jusqu'au jour du massacre. Dai Wei retrouve sa propre histoire qui est aussi celle de la Chine, mais à échelle humaine: suicide de son grand-père dépossédé de ses biens pendant la Révolution culturelle; déportation de son père accusé de droitisme, et qui revient brisé des camps, après avoir connu la torture, la famine et le cannibalisme. Ses enfants le méprisent, mais l'institutrice les trouve tout de même trop souriants pour des fils de droitiste. La mère de Dai Wei est quant à elle une fervente du parti, mais la réputation de son mari a ruiné sa carrière de chanteuse d'opéra, et elle vit dans l'amertume de ses rêves déçus. Puis ce sont les années à l'Université, la lecture du journal intime du père, les discussions dans les dortoirs, les premières femmes, la participation aux manifestations de soutien aux réformistes, puis l'engagement contre la politique réactionnaire de Deng Xiaopping, jusqu'au siège de la place Tian'anmen. Les contestataires s'organisent, et se divisent presque aussitôt dans des querelles intestines. Dai Wei, lui, se méfie des rhétoriques trop ronflantes, des engagements trop ambitieux, il se tient à l'écart de la course au pouvoir. Responsable de la sécurité, il se contente de veiller avec une lucidité détachée et bienveillante à la logistique, aux manifestants, et parmi eux à sa fiancée. Avec lui, on suit le déroulement heure par heure des événements. Les grèves de la faim, les manoeuvres stratégiques, les négociations, les tentatives d'infiltration des espions, l'attente angoissée des représailles et le silence des autorités, l'euphorie naïve et la ferveur unanimiste des manifestants, les poèmes qui circulent, les discours qui s'échauffent, les grandes envolées lyriques et les problèmes de logistique à résoudre. Puis l'attaque des tanks, l'extermination à l'aveugle des occupants, l'évacuation des blessés dans la panique : la ruine d'un rêve.

Parallèlement à ce roman d'apprentissage et de politique-fiction, on suit le récit, au présent, de la décennie qui a suivi le jour du massacre, récit du quotidien effarant de Dai Wei immobile sur son lit de malade, mais dont l'esprit continue de fonctionner à l'insu de tous : les escarres, les bribes de conversation perçues, le bassin d'urine à vider, les perfusions de glucose, toutes les thérapies tentées. Pressée de le voir mourir, la mère soigne son fils avec une opiniâtreté sans tendresse; persécutée finalement au même titre que les dissidents, elle est une citoyenne ordinaire, à la fois docile et têtue, qui plie sans cesse et finira par casser, malgré l'adage. Progressivement, le corps s'effrite et se nécrose; la mère vend l'urine puis le rein de son fils, pour payer les soins, une infirmière puis un étudiant libidineux font l'amour à ce demi-cadavre. Ici aussi, « le burlesque côtoie le tragique », comme dans Nouilles chinoises [Trad. Constance de Saint-Mont, Flammarion, 2006], un autre roman de Ma Jian dont le héros a monté une petite entreprise de vente de sang, très lucrative mais bien peu sanitaire à l'heure du Sida.

Territoires imaginaires du corps

Parfois, Dai Wei échappe à son corps, comme la pensée parfois échappe au totalitarisme. Le roman est ainsi traversé de passages en italiques qui sont autant d'échappées, en contrepoint, vers un espace libre et imaginaire. Dans sa première vie, celle qui a précédé le coma, Dai Wei était étudiant en biologie, et il lisait assidûment un recueil de légendes merveilleuses, le Livre des Monts et des Mers. Il voulait parcourir la Chine d'aujourd'hui pour retrouver cet itinéraire de légende, et donner un nom, dans la réalité, aux espèces chimériques qui peuplent cet ouvrage. A présent immobilisé, Dai Wei parcourt minutieusement cette cartographie imaginaire, et lui substitue un voyage intérieur, sur la carte de son propre corps: vie des tissus, dégénérescence des cellules, coagulation et circulation sanguines, communications nerveuses, remontée des sensations, éblouissements éphémères, l'anatomie est une topographie fabuleuse. Les interpolations en italiques sur cette vie infime et silencieuse des lambeaux du corps, et les citations du Livre que récite de mémoire Dai Wei, assurent les transitions entre les deux récits principaux, et sont sur le même plan. Le passé légendaire, les tératologies et les fantasmagories rejoignent les noms fantaisistes de la médecine – cochlée, cortisol, oxygène – qui innervent ce corps hybride devenu aussi improbable que les chimères d'un pays de nulle part. Se lient ainsi deux univers hors du temps, soustraits à l'Histoire et plus puissants qu'elle, dans ce double langage absolument libre et muet, archaïque et organique. La mémoire de Dai Wei et celle de la Chine circulent ensemble dans ce corps comme l'écoulement sanguin, les souvenirs fermentent et s'échappent par bulles, et la vie revient avec l'imagination.

Mort et résurrection

Les deux récits, celui des événements politiques qui ont conduit au massacre, et celui du coma dans lequel a depuis vécu Dai Wei, convergent ainsi vers un même point culminant, une même apocalypse, conférant au roman la tension narrative d'une tragédie, dans l'attente d'une fin inexorable qui est une révélation: le moment où la balle pénètre dans le cerveau de Dai Wei, le jour du massacre, qui anéantit l'espoir de renouveau d'un pays, coïncide avec le moment où Dai Wei sort de son coma, pour renaître. Mort et résurrection. Dans Beijing coma, les vivants sont ainsi trop occupés à courir vers la mort, ou vers la fortune, pour se souvenir. Mais Dai Wei, lui, incapable de communiquer, se réapproprie lentement son être et revient à la vie par la mémoire et l'imagination qui circulent en lui, et presque malgré lui. Alors, et alors seulement, il retrouve la parole. Et cette parole devient témoignage, de son histoire, et devant l'Histoire.

Aude Fanlo (Collaboratrice de Radio Grenouille, 88,8 FM)

Indisponible (001)

A quelques jours de Noël, je m'enhardis à lancer une nouvelle rubrique qui pourrait,  c'est du moins ce que je souhaite, susciter des vocations. Qui, en effet, ne s'est jamais retrouvé dans la situation de désirer offrir un livre introuvable en librairie ? Ces « indisponibles » signaleront donc des livres épuisés chez l'éditeur que l'on souhaiterait voir réédités afin de pouvoir les partager avec d'autres.

Le premier de ma série est la traduction par

Jean-Pierre Diény du
Jiashu 家書 de Zheng Banqiao 鄭板橋


La Versanne : Encre de Chine, (1960) 1996.

Zheng Xie 鄭燮 (1693-1765), plus connu des historiens de l’art sous le nom de Zheng Banqiao 鄭板橋 ou «Zheng-du-pont-de-planches», fut un magistrat exemplaire à la carrière tardive et expéditive, un peintre apprécié pour ses bambous et un calligraphe fort recherché. Les poèmes qu’il nous laisse et surtout ce choix de seize lettres rédigées pendant ses années de service (1742-1753) prouvent qu’il était non seulement un lettré de grande valeur, mais aussi un homme sensible et profond. Destiné à l’origine au fils d’un frère cadet, Zheng l‘intégra dans son œuvre complète sous le titre de Lettres familiales (Jiashu) sans manquer de signaler que bien que « familiers et touchant uniquement les affaires courantes de la vie quotidienne, [ces textes] ouvraient parfois sur de vastes perspectives ».

On pourra se faire une idée de la clarté de sa pensée dans un extrait fourni par l'éditeur sur son site internet qui confirme que le bel ouvrage proposant en regard de la magistrale traduction de J.-P. Diény, la belle écriture de Zhang Banqiao, est épuisé. Pour vous mettre encore plus l'eau à la bouche, je reproduis ci-dessous deux pages de l'original, suivies de leur traduction :

A mon frère cadet Mo, de Weixian, quatrième lettre.

« Qui entreprend des études ne peut être assuré du succès. Mais si, acceptant la possibilité de l’échec, on estime cependant l’étude indispensable, la décision essentielle est prise : si le succès ne vient pas, du moins l’instruction me restera acquise, et l’affaire en somme ne sera pas déficitaire. On peut dire aujourd'hui que ton frère aîné a fait son chemin ; les gens, d'un commun éloge, me trouvent doué pour l'étude. Or je me demande, en fin de compte, combien de livres je pourrais tirer de mon esprit. Je n'ai jamais su que prélever et emprunter, que remanier et compléter : ainsi ai-je attrapé ma réputation et trompé mes contemporains. S'il arrive aux hommes de trahir les livres, jamais les livres ne trahissent les hommes. On demanda autrefois au vice-président Shen Jinsi (1) quel était le meilleur remède contre la pauvreté. « L'étude », répondit Shen. Son interlocuteur trouva la méthode inadéquate. En vérité elle ne l'est pas. Plutôt que de courir à droite et à gauche, de perdre son temps et sa peine, de gâcher en vain ses qualités, pour se retrouver enfin sans ressource, ne vaut-il pas mieux se livrer à la lecture ? Alors, tandis qu’on ne songe plus au gain, le profit est à portée de la main ! Si l’on se fie à ce conseil, on sera riche et honoré ; sinon, on sera pauvre et méprisé. Le tout est de montrer du discernement, et aussi de la décision et de la persévérance. »

(1) Shen Jinsi (1671-1728) : bouddhiste dans sa jeunesse, il se convertit plus tard au confucianisme et devint un admirateur de Zhu Xi [(1230-1300)]. Il fit une belle carrière de fonctionnaire et a laissé des ouvrages de critique littéraire et de philosophie. (Lettres familiales, pp. 155-156)
Le même éditeurJacques Neyme – qui officie depuis La Versanne (Loire, Rhône-Alpes) a également publié en 2007 une édition augmentée des traductions de poèmes chinois par Jean-Pierre Diény :

Jeux de montagnes et d’eaux
(quatrains et huitains de Chine) (2001), 272 pages.

Un choix admirablement dosé de poésies finement rendues par un amoureux des chemins escarpés et peu visités de la littérature chinoise, avec, cette fois encore, le texte chinois en regard – et celui-ci n'est pas épuisé. (P.K.)

jeudi 18 décembre 2008

Résultats du 2e concours de littérature coréenne

A l’initiative du
Korean Litterature Translate Institute (KLTI) de Séoul
et organisé conjointement par la
Jeune équipe de recherche
Littératures d’Extrême-Orient, textes et traduction ,
Les Etudes Coréennes de l’Université de Provence et
l’Association France-Corée d’Aix-en-Provence,
le concours de comptes-rendus du roman de
LEE Chang Dong

Nocheon
vient de se terminer par la remise des prix aux sélectionnés.
La KLTI a souhaité que ce concours international se déroule à Aix-en-Provence et son organisation a été confiée à
Kim Hye-Gyeong, enseignante de coréen à l’Université de Provence.

Ce concours destiné l’an dernier aux étudiants des universités de l’académie et aux adhérents de l’Association France-Corée a été étendu cette année à tout le territoire français. Concours très relevé, avec 80 inscrits et 41 candidats, étudiants, professionnels, gens de plume, enseignants…

Le jury était composé de six enseignants universitaires en littératures orientales et traduction. Ils ont travaillé séparément, sur des copies anonymes et ont rendu des avis dans l’ensemble très homogènes.

Le premier prix - un ordinateur portable Sony Vaio -
a été décerné à l’unanimité à
Damien VALFREY


Damien Valfrey est né le 21 juillet 1971.
Il habite à Rochefort du Gard (30650).
Professeur certifié de français au collège « Le Mourion » de Villeneuve-lez-Avignon, il prépare actuellement un Master 2 « Asie Océanie », Section Inde, après avoir obtenu un Diplôme Universitaire en hindi. Littéraire de formation il a obtenu en 1999 sa Maîtrise de Lettres Modernes en soutenant son mémoire : « La Quarantaine de J.M.G Le Clézio - Un trajet mythologique ».

Les 2 prix suivants – un iPod - ont été attribués à
Alexandra DOURVER et Stéphanie COURTEILLE

Alexandra DOURVER est née le 1985 et habite à Montreuil. Diplômée en Lettres Modernes, en Cinéma et en Français Langue Etrangère, Alexandra est actuellement inscrite en Licence 3 de coréen à Paris 7 et en Master 1 de Cinéma à Paris 3 (Sorbonne Nouvelle), tout en travaillant pour la Mairie de Paris dans le cadre de l'opération Coup de pouce pour aider les enfants de CP en difficulté d'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Stéphanie COURTEILLE est née en 1975 et vit à Rouen. Après des études à l'université de Limoges, où elle obtient une maîtrise de Lettres en 1997 (elle travaille sur les oeuvres de Michel Tournier) avant de passer l'agrégation. Elle est aujourd’hui professeur de lettres classiques dans un lycée.

Les 3 prix suivants – un appareil photo Pentax – ont été attribués à
Frédéric BARBE
, Laurent BRUGUEROLLE et
Emmanuelle IGNACCHITTI


Laurent BRUGUEROLLE, après Hyphokâgne à Lille, poursuit ses études à l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix où il rédige notamment un mémoire sur « La vision du temps et de l'histoire chez Milan Kundera », et obtient ensuite un DESS « Nouvelles technologies de l'information et de la communication » en 1995 à l'Ecole de Journalisme et de Communication de Marseille. Après s’être occupé de la promotion de chercheurs universitaires, il entre à la Caisse Primaire des Bouches-du-Rhône (CPCAM), où il est désormais responsable du service « Emplois & carrières » au sein de la Direction des Ressources Humaines.

Emmanuelle IGNACCHITTI est née en 1987 et habite Aix-en-Provence. Etudiante en Lettres Modernes, en Licence Cinéma et en Etudes Coréennes. Elle est passionnée de cinéma coréen, particulièrement les films du réalisateur BONG Joon-Ho

Frédéric BARBE, est âgé de 43 ans et habite la région nantaise. Géographe à l'université de Nantes, il est aussi auteur d’ouvrages (dont Made in Korea) et de pièces de théâtre. Son dernier livre paru est « Hier, monsieur Lee » aux éditions l'Act-Mem.

Monsieur CHOE Junho, Directeur du Centre Culturel Coréen et Noël DUTRAIT, Directeur de l’Equipe de Recherche Littératures d’Extrême-Orient, Textes et Traduction ont remis les prix aux lauréats le 17 décembre 2008.

En partant de la gauche : Damien Valfrey, Choe Junho, Emmanuelle Ignacchitti,
Kil Hye-Hyoung, Jean-Claude de Crescenzo, Liliane Dutrait, Noël Dutrait,
Kim Hye-Gyeong, Laurent Bruguerolle,
Pierre Kaser, Michel Dolinski.


Nous reproduisons dans le billet ci-dessous l’intégralité
du compte-rendu de Damien Valfrey.

Nokcheon par Damien Valfrey


Sombres destinées sous le 38e parallèle

Un nouveau clivage social prenait vie sous son regard.
Julien Gracq


Nokcheon (1992) est le seul ouvrage traduit en français (Seuil, 2005) de l’écrivain sud-coréen Lee Chang-dong (1), aujourd’hui plus connu pour ses réalisations cinématographiques (2) que pour ses talents littéraires. La première nouvelle, « Nokcheon » (3), évoque les brèves retrouvailles de deux frères après dix ans de séparation. Dans le quartier de Nokcheon, leurs destins divergents s’entrechoquent durant quelques jours. « Un éclat dans le ciel » raconte les déboires d’une jeune femme de vingt-trois ans qui, un mois après avoir quitté Séoul pour « un village minier au fin fond du Kangwon », est subitement embarquée par la police pour subir un interrogatoire. Plus que des convergences thématiques par trop évidentes, c’est assurément l’unité de ton de ces récits qui emporte la sensibilité du lecteur. L’auteur, en effet, esquisse des personnages immergés dans des lieux sombres et hostiles, « comme si ce décor avait été crayonné au fusain ». S’il est vrai que cette comparaison s’applique précisément au village minier, il ressort de l’ensemble du livre un effet d’atmosphère inquiétante qui empreint les personnages d’une obscurité diffuse. Loin d’être prolixe, l’écriture, du moins ce que la traduction nous en restitue, se déploie toute en sobriété, en croquis – les personnages acquièrent ainsi un caractère quelque peu fantomatique –, sans jamais chercher à épuiser le sens par le discours, ce qui lui confère une indéniable profondeur poétique. Tous les écueils de la littérature politique et sociale sont ainsi évités. Pour qui ignore presque tout de son histoire contemporaine d’avant 1987, on comprend que la Corée du Sud a été sous le joug d’un « régime fasciste », qui bafouait le « droit des peuples ». L’oppression, la déliquescence sociale et familiale sont dès lors au cœur de ces récits.

Dans « Nokcheon », le frère de Hong Joonsik, Kang Minwoo, dissident, renvoyé dans sa jeunesse de « l’Université la plus réputée de Corée », semble à la dérive lorsqu’il réapparaît auprès de Joonsik, prétextant « une période difficile après quelques échecs dans les affaires ». Figure même du déclassé, Minwoo révèle, une semaine après l’emménagement dans un « vrai chez-nous », la précarité de l’existence de son frère (« une illusion édifiée sur des déchets »), qui est pourtant la conformité même et consiste à « accepter la réalité ». Ce sont donc des valeurs tout à fait contrastées qu’incarnent les deux personnages.

La seconde nouvelle est plus manifestement politique à travers le personnage de Chung Shinhye, ancienne étudiante militante, exclue elle aussi de l’Université, qui après l’expérience de la vie ouvrière, se retrouve serveuse dans un bar. Son passé ainsi que sa prétendue relation avec un mineur émeutier en 1980 la conduisent à être l’objet de suspicion de la part de la police. Lors de l’interrogatoire, elle aperçoit la photographie du tyran et les slogans ineptes du régime, « plaisanterie absurde ». En outre, la teneur et l’objet de ce terrible interrogatoire confinent à l’abject ; par là même, l’horreur et la perversion de cette dictature sont dénoncées.

Loin de relever au sens strict de la littérature engagée, Nokcheon est surtout centré sur des êtres humains en proie aux miasmes d’une société viciée. Les odeurs, « véritable pestilence », au début et à la fin de « Nokcheon », prennent une valeur allégorique, connotant une société nauséabonde et étouffante. En définitive, tous les rapports humains sont irrémédiablement corrompus par la pesanteur de l’Histoire, « avec sa grande Hache » écrivait Georges Perec qui, en son temps, s’est attaché à écrire sur le totalitarisme. L’existence de ces individus est sous la tenaille d’un régime autocratique, qui nie toute espèce de singularité.

Le récit de la première nouvelle se fonde sur une circularité : elle s’ouvre sur l’arrivée des deux frères à la gare et se clôt dans ce même lieu (4), lorsque Minwoo est « raccompagné ». Entre ces deux moments, nous sommes témoins de cette étrange relation et de son incidence sur le couple. Après six années de vie commune, ce « mariage scellé un peu au gré des circonstances » révèle toute son inconsistance, si bien que l’épouse passe à un aveu d’une crudité sans détours : « Nous avons fait semblant de vivre en conservant les apparences ! Je viens seulement de comprendre que j’avais renié une trop grande part de moi-même… » Comme dans « Un éclat dans le ciel », la condition de la femme traverse l’œuvre en filigrane et ainsi, soulève la question des rapports entre les sexes : femme frustrée, femmes objets dans les bars, femme dégradée au cours de l’interrogatoire, femme mère omniprésente par le souvenir. À cet égard, l’acquisition de « l’aquarium en verre pour des poissons rouges » et ce qu’il en adviendra constituent une authentique métaphore du désir de l’épouse. Enfin, la visite d’un inspecteur de police aura de lamentables conséquences, dont le lecteur curieux découvrira toute l’infamie.

Dans la seconde nouvelle, le passé de Chung Shinhye refait surface à un double niveau. D’une part, pendant l’interrogatoire visant à l’investigation de son supposé passé d’opposante au régime (5) et d’autre part, à travers l’actualisation de certains épisodes de sa vie. Le récit alterné est brillamment mené, sans cheville entre les deux temporalités : la fluidité est telle que le lecteur est parfois pris au dépourvu. Ce régime narratif instaure une continuité absolue, comme si tout le passé de Shinhye était fatalement lié à cet interrogatoire. À ce titre, le premier épisode de l’histoire, véritable Urszene narrative, relate l’entretien de recrutement dans une école privée en présence de sa mère. D’emblée, les instituteurs demandent à l’enfant de sept ans, fille naturelle, le nom de son père. La suite de l’examen achoppe à la question : « Le sel est-il amer ou sucré ? » L’enfant, terrifiée par cette alternative qu’elle sait fausse, reste muette : l’entretien tourne court, véritable avanie pour la jeune fille. La question de l’identité est ici cruciale : « On me soumet encore aujourd’hui à des questions auxquelles je ne trouve pas de réponse. / Vous me demandez maintenant qui je suis. Mais je ne peux rien vous répondre. Je ne sais qu’une chose : vous m’obligez à être autre chose que moi-même. » Qu’il s’agisse du système éducatif ou de la police politique, le mépris de l’identité jusqu’à l’humiliation est constant. Aussi, lors de l’arrivée au village, un crachat sur son visage est perçu par Shinhye « comme le sceau qui l’intronisait membre à part entière de ce village » ; tout est dès lors symptomatique d’une société en désagrégation, dans laquelle les rapports humains semblent presque totalement dénaturés.

Il subsiste de cette lecture une tonalité pathétique, voire tragique, représentative des années noires de la Corée du Sud, qui culmine dans ces ultimes lignes de « Nokcheon », quand Joonsik, errant, atterré, esseulé, se résout à « vivre constamment dans l’humiliation, sans dignité, sans pureté […] après avoir foulé des pieds tous les détritus, la haine et les rêves abandonnés ».

Damien Valfrey

----Notes----

1. On signalera la nouvelle « Les papiers sacrificiels », recueillie dans Anthologie de nouvelles coréennes contemporaines, Picquier, tome 2, 1995.
2. Notamment Milyang (Secret Sunshine), pour lequel le prix d’interprétation féminine a été décerné au Festival de Cannes 2007.
3. Dès lors, on différenciera l’italique pour le titre du recueil et les guillemets pour la première nouvelle.
4. La seconde nouvelle se termine dans la gare du village que Shinhye a décidé de quitter. Les personnages sont donc inéluctablement en partance, sans attaches, comme exilés dans leur propre pays.
5. « […] elle ne connaissait pas la différence exacte entre le communisme et le socialisme » (p. 125).

mercredi 10 décembre 2008

Le Clézio au Viêtnam

Après un aperçu sur les réactions coréennes, puis chinoises,
à l'obtention par Jean-Marie Gustave Le Clézio
du Prix Nobel de littérature 2008,
Nguyen P. Ngoc
nous fournit ci-dessous des échos en provenance du Viêtnam.


Pour les lecteurs viêtnamiens, Le Clézio est un auteur assez connu grâce aux traductions de quelques nouvelles et de son roman Désert traduit par Huỳnh Phan Anh et édité en 1997 aux éditions de l'Association des Ecrivains du Viêtnam. Dans le milieu universitaire, l'œuvre de l'écrivain français est également l'objet d'articles, de mémoires de master, et même d'une thèse de doctorat soutenue par Nguyễn Thị Bình en 2006 à l'Institut de Littérature (Académie des Sciences Sociales).

A l'ère de l'internet, l'annonce du prix Nobel de littérature 2008 a été relayée immédiatement par la plupart des journaux et revues viêtnamiens. La vie et l'œuvre de l'écrivain français ont été racontées avec une grande profusion de détails. Il n'en reste pas moins que les lecteurs devront encore attendre un peu pour lire ses œuvres en viêtnamien, car au Viêtnam les éditions restent très peu de temps sur les rayons des librairies et les éditeurs ne les suivent pas. La seule possibilité pour obtenir des exemplaires des traductions déjà parues reste d'explorer les bibliothèques privées.

En attendant, le lecteur curieux peut quand même lire une traduction en viêtnamien de la nouvelle « Trois aventurières » (du recueil Cœur brûle et autres romances, Gallimard, 2000) par Hoàng Ngọc Biên sous le titre « Ba cô gái phiêu lưu » --> ici.



Ce qui est intéressant de noter, c'est que l'annonce du prix Nobel de littérature 2008 n'a pas provoqué au Viêtnam de vague d'enthousiasme comparable à celle qui avait salué l'attribution du même prix à Gao Xingjian, huit ans plus tôt. Si dans la presse destinée au grand public, Le Clézio est encore nommé « le dernier géant de la littérature française » (« Le Clézio: Người khổng lồ cuối cùng của văn chương Pháp », sur vietnamnet.vn, 10 octobre 2008), le site du Studio du Film de l'Association des Ecrivains du Viêtnam apporte un autre son de cloche en affirmant que Le Clézio est « un écrivain qui ne souffre pas de l'absence de la reconnaissance, mais n'est pas non plus un candidat bien solide ».

On rappelle aussi qu'après Claude Simon (1985), la France dut attendre 23 ans pour avoir un autre prix Nobel de littérature, car Cao Hành Kiện, Gao Xingjian, est en fait un écrivain chinois vivant en France. Sur evan.com (un site consacré à la littérature au Viêtnam), Thanh Huyền explique, dans un article datant du 24 novembre, que « même les Français trouvent que Le Clézio n'est pas digne de recevoir le prix de Nobel ».

Vu du Viêtnam, la littérature française semble ne plus être cette grande littérature appréciée de nos parents et nos grands-parents -- qui s'ils n'acceptaient pas l'idée d'avoir des« ancêtres Gaulois », n'en aimaient pas moins profondément la France des Lumières. Face aux best-sellers de langue anglaise qui occupent la plus grande la place dans les librairies et sur les pages internet, et face au besoin nécessaire du renouvellement de la littérature viêtnamienne contemporaine, je tiens à saluer le travail patient de quelques éditeurs, dont la jeune maison Nhã Nam qui édite des œuvres d'écrivains contemporains dont Hạt cơ bản (Les particules élémentaires) de Michel Houellebecq, et qui va publier dans quelques jours Những kẻ thiện tâm (Les Bienveillantes) de Jonathan Littell, tous deux traduits remarquablement par Cao Việt Dũng, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure à Paris. (Nguyen P. Ngoc)

mardi 9 décembre 2008

Tous au Collège

Heureux qui, comme tous les Parisiens curieux de la pensée chinoise, pourra se rendre au Collège de France, jeudi 11 décembre 2008, à 18 heures à l'amphithéâtre Marguerite de Navarre, 11, place Marcelin Berthelot (Ve arr.) pour écouter la leçon inaugurale de

Anne Cheng

qui va y occuper la chaire d'Histoire intellectuelle de la Chine.

Il faudra attendre le 14 janvier prochain,
pour se presser à son cours qui, jusqu'au 8 avril 2009,
aura pour thème

« Confucius revisité :
textes anciens, nouveaux discours
».

En plus de ces cours du mercredi (à 11 heures), nombreux seront ceux qui désireront participer du 15 janvier au 9 avril 2009 aux séminaires du jeudi (17 h), pour des lectures de textes et des exposés en relation avec le sujet du cours.

En attendant, ils pourront lire ou relire la magistrale Histoire de la pensée chinoise (Le Seuil) qu'Anne Cheng livra en 1997 [réédité en poche chez le même éditeur dans sa collection « Points/Essais », n° 488, 2002] et pour laquelle elle avait retenu en exergue le passage du Laozi 老子 suivant :
Qui se hisse sur la pointe des pieds ne tient pas debout
Qui met les enjambées doubles n'arrive pas à marcher
Qui se pousse aux yeux de tous est sans lumière
Qui se donne toujours raison est sans gloire
Qui se vante de ses talents est sans mérite
Qui se targue de ses succès n'est pas fait pour durer
企者不立。跨者不行。自見者不明。自是者不彰。自伐者無功。自矜者不長。
[道德經, 24]


* Sur le même sujet, voir l'article de Bertrand Mialaret sur Rue89.com (18/12/08)

lundi 8 décembre 2008

Les mystères des codes éditoriaux chinois

La Chine n'a adopté que récemment le système international de codage des livres ISBN - International Standard Book Number - entré en vigueur en 1972. Ce n'est en effet qu'en janvier 1987 qu'apparaissent les premiers ISBN chinois (国际标准书号), définitivement appliqués un an plus tard, en janvier 1988.

Jusque-là, et ce depuis 1956, on utilisait le Tongyi shuhao 统一书号 (système de numérotation national unifié des livres), qui se trouve à la même place que les actuels ISBN, soit généralement sur la quatrième de couverture.

Il est constitué la plupart du temps de deux parties : un premier groupe de quatre ou cinq chiffres séparés d'un second groupe de chiffres par un point. Cela nous donne trois types d'indications, fort utiles pour les maisons d'édition, mais aussi pour la recherche ou le catalogage en bibliothèque. Les trois chiffres qui précèdent le point de séparation représentent la maison d'édition (chaque maison d'édition ayant son propre code), tandis que le second groupe concerne le numéro interne du livre dans ladite maison d'édition. Quant aux premiers chiffres (un ou deux), ils nous indiquent à quel domaine le livre se rattache :
  • « 1 » concernera le marxisme et les oeuvres sur Mao ;
  • « 2 » la philosophie et la dialectique ;
  • « 3 » les sciences sociales et politiques ;
  • « 4 » l'économie ;
  • « 5 » les affaires militaires ;
  • « 6 » le droit et la législation ;
  • « 7 » l'éducation ;
  • « 8 » les arts ;
  • « 9 » le langage et l'écriture ;
  • « 10 » la littérature ;
  • « 11 » l'histoire et l'histoire de la révolution ;
  • « 12 » la géographie ;
  • « 13 » les sciences naturelles ;
  • « 14 » la médecine et les sciences sanitaires ;
  • « 15 » les ouvrages de construction et les techniques ;
  • « 16 » l'agriculture et l'élevage.
Par exemple, l'ouvrage «刘伯承指挥艺术 » porte pour numéro le 5185 . 35 (« 5 » indiquant les affaires militaires, « 185 » étant le code la maison d'édition), tandis que l'ouvrage «中国民族古文字研究 » commence par le chiffre 9. Enfin, les lettres K, R, T et M etc, positionnées devant le numéro, indiquent le public destinataire (enfants, collégiens, vulgarisation, minorités linguistiques ...). Avant même de lire le titre d'un livre, on peut donc, rien qu'en regardant les premiers chiffres du numéro d'identification, savoir de quoi il parle.

Le passage à l'ISBN s'est fait dans le même esprit, et a donné naissance à un nouvel identifiant chinois (中国标准书号). On trouve à présent le numéro international, composé de l'identifiant du pays (组号 « 7 » pour la Chine), suivi du code de la maison d'édition (出版者号, différent de celui du 统一书号 / par exemple la maison d'édition Renmin wenxue de Beijing porte le numéro 02 pour un ISBN alors qu'elle a le numéro 019 pour le Tongyi shuhao), puis du numéro interne à la maison concernant la publication du livre 书名号, et enfin du code clé de vérification 校验码, soit un total de 10 chiffes, comme pour la plupart des ISBN (passés aujourd'hui à 13).

Si la clé de vérification équivaut au chiffre 10, il se transforme alors en la lettre « X », et s'il atteint 11 en la lettre « O », pour ne pas dépasser le nombre réglementaire de l'ISBN. Chaque partie est séparée par un tiret. Enfin, la maison d'édition peut si elle le souhaite rajouter le code pour le public visé, soit «民文 » pour les ouvrages écrits dans les langues des minorités ; «儿 » pour les enfants ; «课» pour les ouvrages de didactique et d'enseignement.

Généralement juxtaposé à l'ISBN (séparé par une barre oblique), on trouve l'indication du catalogage 中国标准书号, composée d'une ou deux lettres indiquant le domaine (sciences, littérature etc), suivies du numéro de parution interne à la maison d'édition pour ce type d'ouvrage (les deux étant séparés par un point ou un point d'interrogation). On retrouve alors les mêmes catégories que précédemment :
  • « A » pour le marxisme et Mao ;
  • « B » pour la philosophie ;
  • « C » pour les sciences sociales ;
  • « D » pour la politique et le droit ;
  • « E » pour les affaires militaires ;
  • « F » pour l'économie ;
  • « G » pour la culture et l'éducation ;
  • « H » pour le langage et l'écriture ;
  • « I » pour la littérature ;
  • « J » pour les arts ;
  • « K » pour l'histoire et la géographie ;
  • « R » pour la médecine etc.
Ainsi, un ouvrage intitulé 白话聊斋 portera l'ISBN 7-80665-136-5 et le code I.535, tandis qu'un dictionnaire 新华词典 consulté au hasard portera le code H.823.

L'édition chinoise a ainsi su s'adapter au numéro d'identification international tout en gardant ses codes de catalogage propres. Au lecteur de voir à présent si cette introduction au codage des livres chinois pourra être utile ou non à ses recherches. [Pour plus d'informations : « 中国标准书号 »] (S. C.)

mardi 2 décembre 2008

La création contemporaine dans le théâtre coréen

le Département d'Etudes Asiatiques de l'Université de Provence et
sa section d'Etudes coréennes

vous convient à une conférence de
M. CHOI Jun-Ho
Professeur à la Korean National University of Arts (Séoul)
Directeur du Centre Culturel Coréen (Paris)
sur le thème de

La création contemporaine
dans le théâtre coréen
et
sa diffusion en France


Mardi 16 décembre 2008
à 17 h 30
Salle des Professeurs (2e étage)
Centre Schumann
Université de Provence
29, avenue Robert-Schuman - 13621 Aix-en-Provence cedex 1

samedi 29 novembre 2008

Réponse à la devinette (017)

Certains l'avaient trouvé :
la source de la devinette n° 17 était ce monument laissé par le
Père Henri Doré S. J. (14 août 1859 - 4 décembre 1931),
Recherches sur les superstitions en Chine
[Zhongguo minjian xin yang] 中國民間信仰.

C'est comme il l'écrit lui-même dans un avant-propos daté du 24 mai 1910 - « En la fête de N.-D. Auxiliatrice, patronne du Kiang-nan » [Jiangnan 江南] -, le fruit « [d']une longue expérience et plus de vingt années de relations quasi-quotidiennes avec les païens », situation extraordinaire qui l'a mis « dans des conditions très favorables pour connaître leur mentalité et toutes leurs croyances ».

Le résultat est en ensemble très copieusement illustré que les Editions You-Feng (Paris) ont eu l'excellente idée de publier en fac-similé en 1995. On peut donc se procurer les 18 volumes auxquels ont été ajoutés une Table analytique et un Index de 440 pages établis par Gilles Faivre qui explique l'utilité de son travail et sa difficulté dans une introduction en forme d'avertissement (pp. 7-10). On ne peut, en effet, faire l'économie de ce volume pour s'orienter dans la masse impressionnante de notations et d'appréciations ainsi réunies -- ce sont, finalement, les premières qui primeront sur les secondes très teintées de l'esprit missionnaire du Père Doré qui découvrit la Chine en 1886, soit un quart de siècle avant l'écroulement du régime impérial.

Le passage retenu apparaissait dans le Tome XIV (p. 605), en conclusion du dernier chapitre de sa présentation de la « Doctrine du Confucéisme ». Pour être équitable, je devrais citer bien des passages concernant les autres « sectes » de la Chine ; je n'aurais en fait que l'embarras du choix. Je vais me contenter de celui dans lequel, à la toute fin de l'« Historique du Bouddhisme. Chine. Depuis les T'ang jusqu'à nos jours » (Partie III, Tome XVII pp. 307-309), Doré évoque (au prix de quelques imperfections pardonnables) un roman pour lequel certains s'enthousiasment encore en ce début de XXIe s. : le Xiyouji 西遊記 [traduit en français par André Lévy sous le titre de La Pérégrination vers l'Ouest (Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991 (2 tomes)] :
« Entre tous les romans bouddhico-taoïstes, le plus célèbre est sûrement le roman intitulé : Si-yeou-ki Annales du voyage au paradis de l'Ouest. L'auteur de ce roman est, dit-on, l'écrivain K'ieou Tchang-tch'oen [Qiu Changchun] 邱長春, qui vivait sous la dynastie des Yuen [Yuan] 元 .
Imagination féconde, style imagé et toujours alerte , étude approfondie des croyances et pratiques bouddhiques, le romancier a mis toutes les ressources d'un merveilleux talent au service d'une cause qui ne méritait que l'oubli. Son ouvrage est d'une lecture si séduisante, qu'on peut dire sans exagération que presque tous ceux qui connaissent les caractères chinois l'ont lu, sinon en entier, du moins en partie. Le Si-yeou-ki a été, il est encore de nos jours un des grands organes de popularisation du Bouddhisme. Ce roman est un tour de force imaginative, et un petit chef d'œuvre de littérature populaire. Seul le point de départ est un événement historique. Sous le règne de T'ang T'ai-tsong [Tang Taizong] 唐太宗, le bonze Hiuen-tsang [Xuanzang] 玄奘 partit pour son célèbre voyage dans l'Inde, et en rapporta quelques livres bouddhiques. C'est cette base historique que le romancier a élevé la structure de son récit. »
[Suit un micro-résumé de 28 lignes que je ne reproduis pas ;
une note renvoie à la partie II, Tome VIII, « Le panthéon chinois (suite) »
où l'on trouve (pp. 342-359) une notice sur les personnages principaux du roman]

« Le romancier a su y consigner sous, une forme piquante et inoubliable, toutes les cérémonies et pratiques des bonzes dans les diverses péripéties de la vie humaine. (...) Ce roman pourrait s'intituler : le Bouddhisme en légendes. C'est un des premiers que se procure le lettré débutant, pour se distraire par une lecture intéressante, et c'est en même temps un modèle de style romanesque, que les meilleurs écrivains du genre essaient d'imiter. Il ne serait peut être pas exagéré de dire que le nombre des exemplaires du Si yeou ki doit avoir atteint le million, si même il ne l'a point dépassé. »
Voilà qui servira aussi de mise en bouche pour de prochains billets qui parleront de moines bouddhistes peu recommandables, ceux de différents romans coquins, bien différents de ceux qui mettent en scène l'admirable Bodhidharma acteur d'une « pérégrination didactique », ressuscitée par Vincent Durand-Dastés.

Ah ! J'allais oublier de vous donner la traduction (« II : Lecture du talisman ») apportée par Doré au talisman reproduit Tome II (p. 178, figure n° 110) et traduit Tome V (p. 68). Voici tout d'abord, recopiée le plus scrupuleusement possible la « Disjonction des constituants du talisman » (je mets un tiret au lieu d'aller à la ligne ; mes interventions sont entre crochets) :
« 刺令 Tch'e ling De par ordre d'En haut, que - Je le soleil - Yué la lune - 星辰 Sing tch'eng les étoiles (Sur le talisman le dernier caractère de cette expression est seul écrit.) Donc que tous ces astres lumineux éclairent les idées de ce pauvres délirant. - 七星 Ts'i sing que les esprits des sept étoiles de la Grande Ourse - 罡 Kang et les bon esprits T'ien kang [Tiangang] 天罡 viennent à son secours. -Yeou qu'il en soit ainsi ! »
[Ci ling ri yue xing chen qi xing gang you 刺令日月星辰七星罡由]

« II. Ordre suprême est donné au soleil, à la lune et aux étoiles d'éclairer les idées de cet homme en délire. Que les esprits de la Grande Ourse et ceux des bonnes étoiles T'ien kang 天罡 viennent à son secours. Qu'il en soit ainsi ! »
Qui dit mieux ? (P.K.)

vendredi 28 novembre 2008

Dans la limite des places disponibles

« Entrée libre dans la limite des places disponibles » :
c'est ce qu'indique la page du site de de
l'Institut national d'histoire de l'art (INHA)
qui avertit que
Mardi 2 décembre
, à 18 heures,
à l'Auditorium de la Galerie Colbert
[2 rue Vivienne, Paris, II., accès 6 rue des Petits Champs, voir le plan],
se tiendra un Dialogue entre

Gao Xingjian,
peintre, cinéaste, prix Nobel de littérature en 2000
et
Thierry Dufrêne,
professeur à l’université Paris X - Nanterre,
Directeur du Centre de Recherche en Histoire de l'Art et Histoire des Représentations
(CHAHR), spécialiste reconnu de l'œuvre d'Alberto Giacometti.

Le Dialogue sera précédé de la projection en avant-première du film
Après le déluge
réalisé par Gao Xingjian en 2008,
'film-peinture' dont on peut se faire une petite idée à travers quelques clichés
de la danseuse
Francesca Domenichini
qui a participé au tournage,
déposés sur son portail MySpace.
Je lui ai emprunté celui qui illustre ce billet-annonce
d'un rendez-vous à ne pas manquer,
dans la limite des places disponibles.

jeudi 27 novembre 2008

Cuisine et politesse

Zaojun baojuan [Livre précieux du Dieu de l'âtre, 1884].
Source
: Institut of History and Philology (Academica Sinica, Taipei)

Nous vous invitions il y a quelques mois à lire l'ouvrage d'Henri Lecourt, La cuisine chinoise 中華食譜裝法入門 (Pékin : Albert Nachbaur, 1925 ; Paris : R. Laffont, 1968), bénévolement mis en ligne par Pierre Palpant. Ces recettes de cuisine chinoise dont la publication était alors inédite ont été transmises par « les meilleurs des célestes maîtres queux ». Devant la multitude de parutions actuelles, on peut hésiter à ouvrir ce livre : ce serait une erreur, car il y a là des trésors culinaires datant de la fin des Qing (1644-1911).

Après une introduction sur le Dieu de l'âtre [Zaojun 竈君], Henri Lecourt nous présente les différents ustensiles de la cuisine chinoise ainsi que les principes fondamentaux à garder à l'esprit, notamment un code de civilité « puérile et honnête », dont la place attribuée aux convives (places occupées selon l'âge ou le rang). Suit la présentation des produits, et enfin les « formules et secrets ». Toutes les sortes de viandes y passent, tous les modes de cuisson également, avec des mets des plus rustiques aux plus raffinés. On apprendra notamment que les boissons se composaient de liquides tirés du riz, du sorgho, et qu'on buvait aussi de « l'eau acidulée au vinaigre, ou avec le jus des prunes sûres ».

Pour les plus courageux, nous invitons à compléter cette lecture par celle du Liji 禮記 (Le Livre des rites -- pour cela on se rendra encore à la page consacrée par Pierre Palpant aux Classiques chinois, et on lira les traductions de Séraphin Couvreur (1835-1919), parues sous le titre : Li Ki, Mémoires sur les bienséances et les cérémonies), qui nous livre également quelques secrets de cuisine.

Et pour rester dans le monde des rites, Simon Kiong nous propose un ouvrage sur Quelques mots sur la politesse chinoise (Shanghai : Mission catholique, « Variétés sinologiques » n° 25, 1906), qui nous en apprend plus sur les saluts à la chinoise, l'art de recevoir, mais aussi de rendre visite, le code vestimentaire, les maisons traditionnelles, les rites maritaux et funéraires. Destiné à l'origine aux seuls missionnaires, le père Kiong a décidé de rendre la publication de ce livre publique quelques années avant la chute de la dernière dynastie impériale, en nous annonçant dans son introduction que ces quelques pages « constitueront bientôt un véritable document historique, si fort semble le courant qui emporte la Chine, loin de son passé et de ses traditions, vers les études, les sciences et même la politesse des peuples d'Occident ». En vous souhaitant bon voyage dans l'univers de la politesse et de l'art de la table chinois du début du XXe siècle.... (Solange Cruveillé)

vendredi 21 novembre 2008

De l'intégrité du traducteur


Intéressante idée que celle de l'auteur hongrois Dezsö Kosztolányi (1885-1936) d'écrire une courte nouvelle (7 pages) sur un homme atteint à un tel point du virus de la cleptomanie qu'il ne peut s'empêcher de dérober subrepticement objets et sommes d'argent dans la traduction hongroise du roman policier anglais qu'il est en train de traduire : un certain nombre de fenêtres ou de lustres disparaissent de la version originale à la version traduite, tout comme les livres sterling données par un personnage à un autre, soit cent cinquante au lieu de mille cinq cents... Et son ultime ami de faire, lors de la relecture imposée par l'éditeur, le bilan de ses forfaits traducto-littéraires : « Où les avait-il mis, ces biens mobiliers et immobiliers, qui n'existaient tout de même que sur le papier, dans l'empire de l'imagination, et quel était son but en les volant ? »

Tel est le thème du Traducteur cleptomane (traduit par Ádám Péter et Maurice Regnaut, éd. Viviane Hamy, 1994, pp. 11-17). Au-delà du plaisir qu'on prend à lire cette nouvelle surprenante et originale, on ne peut s'empêcher de penser au travail somme toute très personnel du traducteur, parfois tenté de corriger les maladresses et les incohérences qu'il trouve dans le texte original, hésitant sur le degré d'élégance de la langue cible (parfois imposé par son éditeur), optant parmi les choix de traduction d'un mot ou d'une expression pour celui qui représente le plus sa vision d'un personnage ou d'une situation, et plus encore, ses sentiments à leur égard. De ce point de vue, tout traducteur peut se voir reprocher d'être, sinon cleptomane, du moins indifèle au texte original. Tel est le défi du traducteur : traduire sans trahir ! (Solange Cruveillé)

jeudi 20 novembre 2008

Deliciouseument vôtre

ou De la mise à disposition d'un fonds évolutif de marque-pages (ou bookmarks, favoris, signets, liens internet privilégiés ... ) en rapport avec la littérature chinoise ancienne, afin d'amorcer un mouvement d’ensemble, pour qu'à terme le visiteur de ce blog soit mieux armé pour aborder les littératures d'Extrême-Orient.

Les plus attentifs d'entre vous avaient sûrement noté la présence dans nos liens internet privilégiés [colonne de gauche de ce blog, rubrique « Bibliothèques/Ressources »], d'un lien hypertexte baptisé « Favoris de P[ierre]. K[aser] ». Celui-ci est toujours présent, mais il a été déplacé dans une nouvelle rubrique appelée « Les Favoris des membres de l'équipe ».

De quoi s'agit-il ? Rien de moins qu'une extension de ce blog, qui depuis deux ans déjà a pour double vocation d'être un organe maniable d'informations sur les activités de notre équipe, et de devenir un outil convivial et réactif pour une meilleure connaissance et appréciation des littératures d'Extrême-Orient.

Cette extension, qui je le souhaite trouvera auprès des membres de l'équipe un écho favorable et un accueil pas moins chaleureux de la part de ceux qui comme vous visitent ce blog à raison d'une moyenne de 100 visites par jour - plus 33500 déjà comptabilisées - , s'imposait. En effet, le nombre de liens méritants d'être signalés à votre attention est déjà très important et ne cesse de grandir.

L'internet est devenu, il faut bien le reconnaître, un outil indispensable pour l'étude des littératures d'Extrême-Orient, surtout si l'on est basé, comme nous, à plusieurs dizaines de milliers de lis des lieux de diffusion et de conservation des matériaux de la recherche. C'est aussi un formidable outil pour les étudiants suivant nos cours et travaillant sous notre direction (Master, Thèse), dont la curiosité et l'acuité ne peuvent se satisfaire des fonds mis à leur disposition à proximité.

Qu'ils n'oublient pas, néanmoins, que la bibliothèque universitaire et son personnel mettent toute leur énergie en œuvre pour leur faciliter l'accès à l'information, directement en alimentant les rayonnages ou via le prêt entre bibliothèques ; des séances de formation et d'information leur sont régulièrement proposées -- un grand merci, au passage, à Jean-Luc Bidaux et ses collègues, pour leur implication auprès des étudiants du Département d'Etudes Asiatiques et, également à Solange Cruveillé pour avoir récemment travaillé avec la diligence et le sérieux dont elle est coutumière sur le fonds chinois. Il y a aussi l'ensemble des ressources informatiques mises en place par la Bibliothèque Universitaire à partir de son site et celles que l’Université offre par l'intermédiaire de l'Environnement Numérique de Travail (ENT). Malgré tous ces efforts, une part des matériaux reste encore hors de portée ou engoncés dans la forêt touffue de l'internet savant.

Plutôt que d'allonger avec l'inconfort que cela représente pour celui qui doit s’y atteler des listes de liens vouées à l'inertie [PiKaWeb n'a pas bougé depuis le 2 juillet 2007] -, j'ai choisi pour accomplir cette noble mission, d'utiliser l'outil le mieux adapté et le plus facile à prendre en main qui est, sans conteste possible, celui proposé par Delicious.com site de « Social bookmarking » (marque-page social) lequel vient justement de faire peau neuve.

Un blog dispensera aux plus hésitants informations et astuces - voir notamment le film du billet « Oh happy day — the new Delicious is here » -, mais c'est à partir du site que l'on peut s'inscrire et sans aucune difficulté se mettre à l'œuvre : en deux ou trois opérations très simples, vous allez vous retrouver à la tête d'une armée de liens en bon ordre de bataille prêt à l'usage et au partage - vous pouvez, en effet, charger vos marque-pages personnels directement depuis votre navigateur et même, si vous le souhaitez, choisir de gérer à plusieurs cet espace ; en plus, vous l'aurez noté, « It's free ! » : que demander de plus ?

Je fais le vœu que rapidement la liste des listes de favoris s'allonge et qu'à côté des « Favoris de Pierre Kaser », on puisse trouver les favoris des autres membres de l'équipe -- lesquels listes pourraient même un jour prochain fusionner. Ne serait-ce pas merveilleux d'avoir ces fenêtres ouvertes sur la littérature chinoise de ce siècle et du précédent grâce à Noël Dutrait, sur les arcanes du taoïsme grâce à Philippe Che, tout sur les renardes subtiles et terrifiantes qu’affectionne Solange Cruveillé, le meilleur de la littérature Coréenne grâce à Julie Kim et Jean-Claude de Crescenzo, etc.... ?

Je vous sens déjà impatient de créer votre espace aussi vais-je être bref. Un dernier mot, néanmoins, sur ma liste de favoris : elle trahit mon intérêt quasi exclusif pour la littérature chinoise ancienne et les matériaux que son étude conduit à explorer et à exploiter ; dans sa physionomie actuelle (un ensemble de 72 liens) elle est, en définitif, plus orientée vers des sujets en rapport avec la littérature narrative chinoise produite entre le Xe siècle et le début du XXe, avec un prédilection pour le roman en langue vulgaire des XVIIe et XVIIIe s.. Les étudiants de Master qui suivent mes cours sur ces sujets y trouveront notamment des pistes pour approfondir les thèmes qu'on envisage trop rapidement pendant l'année. Je m'engage à la perfectionner notamment en unifiant les mots clef en trois langues (français, anglais, chinois) - ce qui aura pour conséquence de modifier considérablement le nuage de mots clefs (« tags cloud ») ci-dessus - et, surtout, à l'alimenter régulièrement. A vous, après, d'en prendre possession : en jouant notamment sur les options de présentation, ou en découvrant, par exemple, les listes de liens de personnes qui partagent les mêmes centres d'intérêt que vous ....

C'est ainsi qu'en cliquant sur le « 7 » figurant à droite du nom de notre blog, j'ai pu découvrir que six autres personnes avait inscrit son adresse dans leur registre. Ainsi, quand vous aurez créé votre compte et commencé à organiser vos liens en fonction de vos exigences et de votre curiosité, n'oubliez pas, s'il vous plait, d'y ajouter notre blog. Merci d'avance. (P.K.)