mardi 5 juillet 2011

Miscellanées littéraires (003)

Dans notre série des « Miscellanées littéraires », voici en écho inversé du précédent item, un nouvel extrait retenu par Thomas Pogu de ses récentes lectures. Il provient d’un ouvrage qui a suscité d’abondants commentaires dont de fines analyses qu’on peut lire dans Le supplice oriental dans la littérature et les arts, édition préparée par Antonio Dominguez Leiva et Muriel Détrie (Paris : Les éditions du Murmure, 2005, 352 p.) savoir l’article de Florence Fix, « La ‘constellation Mirbeau’ : supplices chinois dans le roman populaire fin-de-siècle » et, plus en phase avec ce qui suit, celui de Sébastien Hubier, « Peines exquises. L'érotique du supplice dans Aphrodite de Louÿs et le Jardin des Supplices de Mirbeau ».
« Vois comme les Chinois, qu’on accuse d’être des barbares, sont au contraire plus civilisés que nous ; comme ils sont plus que nous dans la logique de la vie et dans l’harmonie de la nature !... Ils ne considèrent point l’acte d’amour comme une honte qu’on doive cacher… Ils le glorifient au contraire, en chantent tous les gestes et toutes les caresses… de même que les anciens, d’ailleurs, pour qui le sexe, loin d’être un objet d’infamie, une image d’impureté, était un Dieu !... Vois aussi comme tout l’art occidental y perd qu’on lui ait interdit les magnifiques expressions de l’amour. Chez nous, l’érotisme est pauvre, stupide est glaçant… il se présente toujours avec des allures tortueuses de péché, tandis qu’ici, il conserve toute l’ampleur vitale, toute la poésie hennissante, tout le grandiose frémissement de la nature… »

Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices (1899).
Paris, Gallimard, « Folio classique », n° 1899, p. 162.
J’invite ceux qui seront séduits par cette belle envolée à profiter de l’été pour explorer deux sites dévoués à cet auteur. Dans le premier - http://mirbeau.asso.fr/ -, on apprendra, entre autre, qu’en chinois, Le Jardin des supplices a été rendu par Mimi huayuan 秘密花园 ; grâce à l’autre, le Dictionnaire Octave Mirbeau et ses 1500 entrées, on pourra poursuivre l’exploration de la vision de la Chine de Mirbeau.

Le prochain billet devrait nous ramener à des préoccupations moins dérangeantes et, on le verra bientôt, pas loin de notre point de départ. Merci encore à Thomas et aux commentateurs éventuels de ce billet illustré d’une gravure qui apparaît page 89 d’un roman de Pajol-Alard intitulé Les contrebandiers d'opium que publia la Librairie parisienne en 1884 et qu’on peut lire grâce à Gallica. Sa légende est : « Fanny prit vivement un revolver...»

lundi 4 juillet 2011

Le Pavillon de l'Ouest en Avignon

Qu'on se le dise, le Xixiangji 西廂記 ou « Pavillon de l'Ouest » de Wang Shifu 王實甫 (milieu du XIVe siècle) est, avec « Les quatre rêves de Yumintang » (Yumintang simeng 玉茗堂四夢) de Tang Xianzu 湯顯祖 (1550-1617) et les écrits « sérieux » de Yuan Mei 袁枚 (1716-1798), inscrit depuis de nombreuses années dans la liste des « lacunes éditoriales en littératures étrangères » pour le chinois établi par le Centre National du Livre (CNL) et, semble-t-il, attend toujours son traducteur.

Inutile de revenir longuement sur un relevé que nous évoquions sur ce blog (savoir le 17 mai 2007) pour en signaler les lacunes lesquelles ont été fort heureusement réduites grâce à la publication, respectivement en 1999 et en 2007 de la traduction par André Lévy chez MF Editions, de deux pièces de Tang Xianzu (Mudanting 牧丹亭 : Le Pavillon aux pivoines et Handan ji 邯鄲記, L'Oreiller magique) et aussi la sortie sous le numéro 119 dans la collection « Connaissance de l’Orient » (Gallimard, 2010) d’une fine traduction de Claire Lebeaupin du Doupeng xianhua 豆棚閒話, Propos oisifs sous la tonnelle aux haricots ... un Yuan Mei serait aussi sur le point de sortir dans la même collection, mais il s'agit d’un choix de récits du Zibuyu 子不語 (Ce dont le maître ne parlait pas) ; d'un autre côté, et nous aurions dû sans doute en rendre compte plus en détail plus tôt, la « Bibliothèque chinoise » des Belles Lettres a poursuivi sur un beau rythme une belle aventure commencée en mars 2010 et qui compte maintenant 8 volumes bilingues de haute précision.

Or donc, Xixiangji attend toujours son heure en français quand il s’offre en anglais depuis déjà vingt ans (1991) grâce à la traduction de Wilt Idema et Stephen H. West : The Moon and the Zither. The Story of the Western Wing (University of California Press). C’est vers elle qu’on devra donc se tourner si l’on veut prendre toute la mesure d’un spectacle qui va se donner tout prochainement en Avignon.


L'événement en question, proposé par le Théâtre du Chêne Noir et son directeur, Gérard Gelas qui en assure la mise en scène et l’adaptation, est la création de Si Siang Ki ou l’histoire de la Chambre de l’Ouest de Wang Che-Fou. Ce spectacle, « en chinois, surtitré en français » qui s’appuie sur une « traduction » de Cao Lushen, est le fruit d’une collaboration déjà ancienne entre Gérard Gelas et l’Académie de Théâtre de Shanghai. Il sera donné en Avignon du 7 au 29 juillet à 11h (8 bis, rue Sainte Catherine, 04 90 86 58 11, http://www.chenenoir.fr) avant Shanghai puis Pékin.

On pourra lire le dossier de presse ou à défaut cette brève notice qui rappelle ce qu’il faut savoir et qu’on pourra très vite oublier pour se laisser emporter par la magie du tapis de scène et la maîtrise des jeunes acteurs chinois venus défendre le chef-d’œuvre de leur théâtre national.

Un temps fonctionnaire, Wang Shifu démissionna, fréquenta les milieux théâtraux et écrivit 14 zaju. Parmi les trois qui nous sont parvenus se distingue Xixiangji, composition ambitieuse en 20 actes qui rompt avec les règles du genre. Prenant appui sur l’Histoire de Yingying [« Yingying zhuan » 鶯鶯傳] de Yuan Zhen 元稹 (779-831), déjà portée sur scène par Dong Jieyuan 董解元 (XII e s.), il conte l'histoire d'amour du jeune lettré Zhang et de la fille d'un ministre, la belle Cui Yingying. Transgressant les lois sociales, ils incarnent le triomphe de l'amour sincère et de la fidélité sur les conventions et l'intérêt. La pièce fut interdite sous les Qing (1644-1911) pour incitation à la débauche. Jin Shengtan 金聖歎 (1608-1661), le « Prince des commentateurs », l’intégra en sixième et dernière position dans sa liste des œuvres les plus marquantes de la littérature chinoise, juste derrière Au bord de l’eau (Shuihuzhuan 水滸傳).

On peut aussi garder en mémoire que Stanislas Julien (1797-1873), lui-même en a fourni une traduction publiée après sa mort - L'Histoire du pavillon d'Occident (1880) -, dont une édition présentée par André Lévy a été diffusée par les Editions Slatkine (Genève, 1997, Collection « Fleuron »), traduction qui vaut sans aucun doute celle de 1928 de Georges Soulié de Morant (1878-1955) (L’amoureuse Oriole, jeune fille, roman d’amour chinois du XIIIe siècle, Flammarion) et dont, selon son préfacier moderne, le principal mérite serait d’en susciter une nouvelle, « à jour et plus précise » (p. 23). Avis aux traducteurs ; les amateurs d’émotions fortes savent déjà où se rendre.

(NB. Des places à 5 € sont à réserver auprès du théâtre directement (04 90 86 74 84) par les étudiants de chinois principalement pour les séances du 7, 8 et 9 juillet).