« Une des plus belles choses, c’est le chameau.
Je ne me lasse pas de voir passer cet étrange animal
qui sautille comme un dindon et balance son col comme un cygne. »
qui sautille comme un dindon et balance son col comme un cygne. »
Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet (Le Caire, 1er décembre 1849)
Un des rares clichés du chameau rieur de Tartarie emprunté au très surprenant
site des Incroyables aventures du comte Van der Bilout.
site des Incroyables aventures du comte Van der Bilout.
Vous connaissez tous le Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert (1821-1880) et avez sans doute en tête quelques unes de ses entrées, telles que :
- LITTÉRATURE : Occupation des oisifs.
- LIVRE : Quel qu'il soit, toujours trop long.
- POÉSIE (la) : Est tout à fait inutile : passée de mode.
- POÈTE : Synonyme noble de nigaud ; rêveur
- ROMANS : Pervertissent les masses. Sont moins immoraux en feuilletons qu'en volumes. Seuls les romans historiques peuvent être tolérés parce qu'ils enseignent l'histoire. Il y a des romans écrits avec la pointe d'un scalpel, d'autres qui reposent sur la pointe d'une aiguille.
- PROFESSEUR : Toujours savant.
- SAVANTS : Les blaguer. Pour être savant, il ne faut que de la mémoire et du travail.
- MÉMOIRE : Se plaindre de la sienne, et même se vanter de n'en pas avoir. Mais rugir si on vous dit que vous n'avez pas de jugement.
- PYRAMIDE : Ouvrage inutile.
- PHÉNIX : Beau nom pour une compagnie d'assurances contre l'incendie.
- CHAMEAU : A deux bosses et le dromadaire une seule. Ou bien le chameau a une bosse et le dromadaire deux (on s’y embrouille).
Si vous voulez relire ce revigorant ouvrage en ligne, rien de plus facile grâce à ce site personnel (choisi parmi d'autres) lequel vous propose « Un petit voyage dans une "encyclopédie de la bêtise humaine" ? » ou sur Wikisource, ou encore, comme ici, sous la forme d'un livre pdf ; vous pouvez également opter pour une bonne vieille édition papier -- il y a en a pour toutes les bourses.
Mais, ne vous laissez pas abuser, car celui qui illustra si brillamment la formule de Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort (1740-1794) : « Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçues, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre » (Maximes), a suscité depuis 1913 bien des vocations et des imitations de valeur inégale, tels (pour m'en tenir aux plus récentes) le Dictionnaire politique des idées reçues de Gustave Fôblert [alias Pierre Belfond](Editions Gutenberg, 2008), le Dictionnaire des idées reçues en matière économique (Presses universitaires de Lyon, 1979) dans lequel Daniel Chabanol, son auteur, livre une de ces idées reçues qui a la peau dure encore trente après sa formulation : « Les Universités doivent s'adapter aux besoins de l'économie ». On pourra aussi faire un détour par Alain Schifres et son Nouveau dictionnaire des idées reçues, des propos convenus et des tics de langage (1999) dont le résumé fourni par son éditeur (Lattès) offre matière à réflexion : « La bêtise est une énergie renouvelable et, un plaisir sans fin, la paresse du langage, le confort du poncif, le moelleux du convenu. » Tout récemment,Marie-Laurence Dubray a édité un Grand livre des idées reçues - Pour démêler le vrai du faux de quelque 950 pages (Le cavalier bleu, 2008) ; plus léger est le Petit dictionnaire des idées mal reçues de Ghislain de Diesbach (Via Romana, 2007) dont la présentation claironne qu'il « ravive la flamme de l'esprit critique et du bon goût, celui de l'esprit français » ! sans avoir peur d'user pour l'occasion d'un poncif qui semble de plus en plus creux. Toujours en ligne, et, semble-t-il récemment réactualisé, le Petit dictionnaire des idées reçues dans l'ESR, sur le site du Collectif Papera (Collectif pour l'abolition de la précarité dans l'enseignement supérieur, la recherche et ailleurs) fournira à ceux qui en manqueraient de belles formules propres à stimuler des réactions. Voici deux de ses nombreuses entrées, dont une en hommage au Maître ès idées reçues :
- ENSEIGNANT-CHERCHEUR : fusionner avec. Avantages : ne sont pas évalués et resteront fonctionnaires quel que soit le système mis en place. Désavantages : nécessité de faire deux métiers à plein temps, sans qu’aucun d’eux ne soit reconnu.
- FLAUBERT (Gustave) : plagiaire. Surtout ne pas relire Bouvard et Pécuchet en ce moment.
Mais laissons de côté ces dérivatifs dont l'effet le plus déplorable est sans aucun doute de nous détourner de l'Asie lointaine qui nous ravit tant par l'étendue de ses richesses, à laquelle nous avons tous dédié, amoureux que nous sommes de l'immensité et de l'épaisseur de ses cultures, notre vie ; l'Asie mystérieuse et sensuelle à laquelle nous consacrons chaque moment que nous laisse l'écrasante mission de la formation morale et intellectuelle des malheureux qui ont eu l'imprudence de s'égarer à l'université.
Laissons les donc pour découvrir une aimable initiative conduite par Régis Poulet qui signe un Dictionnaire des idées reçues sur l’Asie et l’Orient :
L'Asie, conclut-il, « n’est souvent qu’un prétexte pour l’Occident à parler de lui-même en dressant devant lui un adversaire (l’Orient) contre lequel s’appuyer au bord du vide qu’il ressent. Presque toute nouvelle perception de l’Asie en vint assez vite à se conformer au schéma binaire d’attraction et de répulsion. Ainsi l’Orient est-il une projection imaginaire dont l’Occident s’est servi au cours de l’Histoire pour donner le change à ses angoisses ou pour entretenir un espoir idéalisé, celui d’une identité réelle : la sienne. »
On ne pouvait mieux dire, car, en effet, ce relevé qui pourrait être complété – il le sera sûrement – est fort « plaisant ». Vous pouvez le vérifier sans tarder en vous rendant sur Lulu.com qui le propose en téléchargement gratuit et chez qui vous pouvez également en commander une édition papier. L'éditeur – Les Editions du Zaporogue, dirigées par Sébastien Doubinsky et dont le catalogue mérite d'être convenablement exploré -, a choisi ce biais pour défendre des auteurs « qui ne trouvent pas leur place chez les éditeurs commerciaux ». Il n'y a pas à hésiter une seconde.
Voici, en guise de mise en bouche, un choix très personnel fait dans la liste des 289 (?) termes, notions et sujets qui occupent les pages 11 à 71 du dictionnaire entre « Aïkido [ça commence mal, on a déjà mal avant d’avoir rien fait. Plein le dos des Japonais !] » et « Zouave [fantassin en chéchia et culotte devenu masseur au pont de l’Alma] » :
Laissons les donc pour découvrir une aimable initiative conduite par Régis Poulet qui signe un Dictionnaire des idées reçues sur l’Asie et l’Orient :
« Il ne se passe pas une semaine, dans les médias ou dans la culture, sans qu’il ne soit question de l’Orient ou de l’Asie. La politique, les arts, la littérature y trouvent un combustible éprouvé, et les conversations s’emparent de façon plus ou moins désinvolte de sujets très délicats. Cela n’empêche pourtant pas de nombreuses personnes, souvent parmi les moins informées, de donner doctement leur avis voire de pérorer comme des cuistres. Et chacun de transmettre avec plus ou moins de bon sens ces idées reçues ou préconçues qui ont souvent un rapport partiel avec la vérité — ce qui rend leur élimination plus délicate encore. »L'ouvrage, nous explique encore l'auteur, « n’est pas destiné au spécialiste, encore qu’il puisse à notre avis s’y divertir, mais à quiconque est intéressé par le sujet et souhaite vérifier s’il est à son insu la proie de préjugés. Avec cet « honnête lecteur » nous voulons, de plaisante façon espérons-nous, mettre en évidence les clichés colportés sur l’Orient, l’Oriental(e), l’Asie, l’Asiatique, clichés qui nuisent autant à une claire compréhension des enjeux relatifs aux rapports de l’Europe et de l’Asie qu’ils nuisent à la réputation de ses peuples et de ses cultures. Ainsi, sans envisager une chasse à la bêtise souhaitons-nous néanmoins dénoncer des caricatures plus ou moins mal intentionnées à l’égard de peuples et de cultures que, pour notre part, nous apprécions beaucoup et aimerions dégager de cette gangue d’incompréhension. »
L'Asie, conclut-il, « n’est souvent qu’un prétexte pour l’Occident à parler de lui-même en dressant devant lui un adversaire (l’Orient) contre lequel s’appuyer au bord du vide qu’il ressent. Presque toute nouvelle perception de l’Asie en vint assez vite à se conformer au schéma binaire d’attraction et de répulsion. Ainsi l’Orient est-il une projection imaginaire dont l’Occident s’est servi au cours de l’Histoire pour donner le change à ses angoisses ou pour entretenir un espoir idéalisé, celui d’une identité réelle : la sienne. »
On ne pouvait mieux dire, car, en effet, ce relevé qui pourrait être complété – il le sera sûrement – est fort « plaisant ». Vous pouvez le vérifier sans tarder en vous rendant sur Lulu.com qui le propose en téléchargement gratuit et chez qui vous pouvez également en commander une édition papier. L'éditeur – Les Editions du Zaporogue, dirigées par Sébastien Doubinsky et dont le catalogue mérite d'être convenablement exploré -, a choisi ce biais pour défendre des auteurs « qui ne trouvent pas leur place chez les éditeurs commerciaux ». Il n'y a pas à hésiter une seconde.
Voici, en guise de mise en bouche, un choix très personnel fait dans la liste des 289 (?) termes, notions et sujets qui occupent les pages 11 à 71 du dictionnaire entre « Aïkido [ça commence mal, on a déjà mal avant d’avoir rien fait. Plein le dos des Japonais !] » et « Zouave [fantassin en chéchia et culotte devenu masseur au pont de l’Alma] » :
- Baguettes (pour manger) : vanter la supériorité de la fourchette. — Bien s’entraîner avant d’aller au restaurant pour épater les convives.
- Bonsaï : arbre en pot qui a été torturé. Si ce n’était pas japonais on jurerait que c’est chinois…
- Calligraphie : perte de temps à l’heure de l’imprimante (voir Encre).
- Chine : attention, elle s’est éveillée ! — Le Grand Méchant Lu, c’est fini : place à la Poule aux œufs d’or.
- Cité interdite : zone à laquelle les pompiers, la police ou le moindre pékin n’ont pas accès. — Où est le mystère si l’on peut y pénétrer ?
- Concubine : vilain mot pour un beau rêve.
- Démocratie : concept occidental qui ne s’acclimate pas en Asie ni en Orient.
- Empereur (de Chine) : centre du monde. Le dernier empereur avait un nom de vin : Pouilly ; facile de s’en souvenir ! (du Japon) : habillé à l’européenne — Il est de bon ton d’émettre des doutes concernant son attitude pendant la Seconde guerre mondiale.
- Épouse : au Japon, toujours soumise ; en Chine, a les pieds bandés ; en Inde, les veuves se font des cendres ; en pays musulman, est bâchée.
- Hong Kong : écharde post-moderne enfoncée dans la Chine post-féodale. — Une des rares occasions d’utiliser le mot « rétrocession ».
- Lao-tseu : avec Bouddha et Confucius, c’est un des trois rois mages de l’Asie. — Sa sagesse est insondable.
- Mandarins : loyaux et consciencieux. — Fonctionnaires, pourtant !
- Ping pong : seul domaine où les Chinois répondent du tac au tac.
- Sage : est chinois alors que le saint est indien. — Possède une longue barbe clairsemée et s’exprime par énigmes (lorsqu’il est aveugle, cela ajoute bien sûr à la clarté de ses pensées).
- Tai-chi-chuan : c’est du yoga chinois ? Du kung-fu mou ?
- Tao : signifie « la voie » ; a été enseigné par « le vieux » ; n’est pas « Dieu ». — Ces trois lettres font leur effet si l’on a de l’aplomb.
- Tiananmen (place) : circulation difficile pour les chars d’assaut les jours de manifestation. — Tache aveugle des gouvernements d’Occident.
- Yin-et-yang : les Laurel et Hardy de la philosophie chinoise : inséparables, sans qu’on sache qui est qui. — Forment un joli logo sur divers objets à la mode.
- Péril jaune : hordes de barbares aux yeux bridés prêtes à déferler sur le monde civilisé pour piller, violer, brûler. — Cargaisons de produits « made in Asia » prêtes à envahir le marché occidental pour dévorer (les parts de marché), humilier (l’orgueil national) et anéantir (toute concurrence).
- Supplices : toujours chinois. Ils y sont d’un raffinement inégalable. (voir Casse-tête) [Casse-tête chinois : pléonasme — Ils n’ont pas la même logique que nous.]
J'ai gardé « Péril jaune » et « Supplices » pour la fin, car quand il n'établit pas la liste des idées reçues sur l'Asie, Régis Poulet est un enseignant-chercheur particulièrement actif qu'on peut, et ceci depuis depuis 2003, lire dans La Revue des ressources pour laquelle il dirige les rubriques « Asiatiques » et « Idées ». Il est également l'auteur de L’Orient : généalogie d’une illusion (Presses Universitaires du Septentrion, 2002).
Mais ne refermez pas son Dictionnaire des idées reçues sur l’Asie et l’Orient avant d'avoir lu les pages 73 à 86 qui proposent, avec « Un peu de sérieux », un décodage savant indispensable à une saine approche du sujet ; ces commentaires salutaires sont suivis d'une « Orientation bibliographique » (pp. 87-90) dont la seule faute de goût me semble être de renvoyer ceux qui voudraient lire Le Mystérieux docteur Fu Manchu aux éditions Hachette alors que les Editions Zulma ont déjà publié deux volumes de la saga de Sax Rohmer dans la délectable traduction d'Anne-Sylvie Homassel. (P.K.)
Mais ne refermez pas son Dictionnaire des idées reçues sur l’Asie et l’Orient avant d'avoir lu les pages 73 à 86 qui proposent, avec « Un peu de sérieux », un décodage savant indispensable à une saine approche du sujet ; ces commentaires salutaires sont suivis d'une « Orientation bibliographique » (pp. 87-90) dont la seule faute de goût me semble être de renvoyer ceux qui voudraient lire Le Mystérieux docteur Fu Manchu aux éditions Hachette alors que les Editions Zulma ont déjà publié deux volumes de la saga de Sax Rohmer dans la délectable traduction d'Anne-Sylvie Homassel. (P.K.)