samedi 28 mars 2009

Thuân au Phénix

Il a été récemment plusieurs fois question de littérature vietnamienne sur ce blog et il en sera à nouveau question bientôt avec un compte-rendu de la visite de Duong Thu Huong à Aix-en-Provence. C'est la réception d'une invitation qui me donne aujourd'hui une nouvelle fois l'occasion de la mettre à l'honneur. La voici :

vous convient à une conférence-débat

« Exil et amour »

autour du roman
Chinatown de Thuân
avec la participation de l'auteur,
Hélène Fieschi (agrégée de lettres),
Nguyên Ngoc Giao
(rédacteur en chef de la revue Dien Dan Forum)
Doan Cam Thi (traductrice et maître de conférences à l’Inalco).

Le samedi 4 avril à 17 h

Librairie le Phénix, 72 boulevard de Sébastopol, Paris 3e
Merci de confirmer votre présence au 01 42 72 70 31 - contact@librairielephenix.fr



Le message d'invitation portait également une présentation du roman – j'en fais l'économie et vous renvoie à l'excellent billet que nous a offert dernièrement Doan Cam Thi, traductrice de Chinatown -, et un lien vers un article de Jean-Claude Pomonti, « Les écrivains vietnamiens s'attaquent aux tabous », paru dans Le Monde Diplomatique (Décembre 2007, p. 27). Du même auteur, on peut lire « Deux écrivaines, deux regards vietnamiens contemporains » paru en janvier dernier dans Cambodge Soir Hebdo (n° 67, 22-28/1/2009), article dont la première partie est consacrée à Duong Thu Huong pour Au Zénith, la deuxième à Chinatown de Thuân. En voici, grâce à Doan Cam Thi que je remercie, un extrait :
Thuân, que je n’ai jamais rencontrée, plonge le lecteur dans l’universel. Chinatown trouve son inspiration dans un épisode obscur de l’histoire contemporaine du Vietnam : le drame que les Chinois de ce pays ont vécu au tournant des années Soixante-dix et Quatre-vingts, au faîte du divorce – marqué par une guerre frontalière sanglante – entre Pékin et Hanoï. Les Hoa – ainsi appelle-t-on les Chinois du Vietnam – sont au ban de la société. La narratrice raconte son amour, éternel, pour Thuy. Il est Chinois, donc paria. Au lycée, dans ces années terribles, il est tenu à l’écart, comme tous les Chinois qui ne sont pas partis. Tout le monde assure cette quarantaine, les élèves, les enseignants, la Jeunesse communiste… Les deux amoureux en souffrent. Les parents de la narratrice désapprouvent cette liaison, ils ont tout investi dans leur fille, ils ne comprennent pas, ils détestent les Chinois. Elle devra se rendre en Russie y suivre des études supérieures. Mais ces longues années de séparations ne changent rien. Ils se marient au bout du compte. Un garçon naît de leur union, Vinh. Le début de la fin se noue peu après cette naissance. Thuy finit par fuir Hanoï après tant d’humiliation. Thuy s’ennuie, pour des raisons obscures. Leur univers se désintègre. La narratrice en prend acte. Elle le voit s’éloigner sans pouvoir le retenir, lui parler, le retrouver. Elle s’en va donc, accompagnée de son témoin, Vinh, qui grandira à Belleville. Elle n’a pas envie d’oublier Thuy, pas un seul instant, à en perdre l’envie de le voir, de lui écrire, de lui parler. Sans paragraphes, sans chapitres, le récit est d’une étonnante limpidité, encouragée par des reprises de phrases fortes et les deux extraits, qui le jalonnent, d’un autre roman, I’m yellow. En racontant cette errance avec une grande fraîcheur, l’auteur promène son regard sur la France, la Russie, Hanoï, les Chinatown, – de Belleville au XIII° arrondissement, en passant par Cholon. Elle décrit l’évolution de ces mondes à l’heure de la fin de la Guerre froide, jusqu’aux années 2000. Ce qui les lie, ce qui les sépare. De la vie au jour le jour à Hanoï la socialiste à l’ex-Union soviétique au temps de Gorbatchev ou à ses trois heures de trajet quotidien pour rejoindre le collège de la banlieue parisienne où elle enseigne. Regard de Vietnamienne, regard d’étudiante, regard d’immigrée. Dans le métro, Vinh, douze ans, rêve du « pays le plus étendu du monde » – une « Chine sans frontière, tous les Chinatown confondus ». Il s’endort la tête contre l’épaule de sa mère, la narratrice, laquelle se demande ce que fait Thuy à Cholon au même moment. Et s’il l’aime encore.
On peut télécharger l'article complet en format pdf à partir d'une page du Dien Dan Forum et également le lire en vietnamien en cliquant ici. Vous n'avez que l'embarras du choix. (P.K.)

vendredi 27 mars 2009

Arrêt de bus

Gao Xingjian en 1988
[Source : capture d'écran tirée d'un document Antenne 2 de 3 mn 37 s
consultable gratuitement sur le site de l' I.N.A.]

Si vous avez plus de 12 ans, 15 $ en poche, que vous êtes amateur de théâtre et curieux de celui de la première période de la création dramatique de Gao Xingjian, vous serez sans doute heureux d'apprendre que le Theatre Han va donner The Bus Stop, version anglaise de Chezhan 车站 dans la mise en scène de Samantha Shechtman.

Ah, j'oubliais de vous dire, cela se passe entre le 26 mars et le 19 avril 2009, au Sanford Meisner Theatre de.... New York !

L'événement, puisque s'en est un, il s'agit rien de moins que de la création de l'œuvre dans cette ville, a été annoncé plusieurs fois et avec force détails sur le site Broadway World auquel je vous renvoie (voir ici et ).

Cette pièce, qui a été comprise comme une dénonciation de l'inefficacité du gouvernement communiste et qui a été crée en 1983 à Pékin avant d'être rapidement interdite, sera donnée dans la traduction de Shiao-Ling Yu qui est accessible sur son site personnel. Il existe au moins une autre traduction anglaise par Kimberly Besio, qu'on trouvera entre les pages 3 et 59 de Theater & Society: an Anthology of Contemporary Chinese Drama (Yan Haiping (ed.), M.E. Sharpe, 1998). Par contre, L'arrêt de bus est encore, selon le désir de l'auteur et comme une partie des autres pièces de cette période, inédit en français.

A ceux qui, comme moi, ne feront pas le voyage, j'offre gratuitement une solution de repli avec la lecture d'un long article, « Fleshing out the Dramaturgy of Gao Xingjian », dans lequel Claire Conceison évoque la pièce et sa mise en scène, notamment à l'occasion d'une représentation donnée à l'Université du Michigan en mars 2001, dont 10 clichés permettent de se faire une idée. (P.K.)


jeudi 26 mars 2009

Trois royaumes, deux traductions, un film

Celui qui se décide à aller au cinéma pour y endurer un déluge d'hémoglobine pendant une bonne partie des 145 mn qu'il devra consacrer à l'adaptation par John Woo [Wu Yusen 吳宇森, 1946-] d'un épisode fameux de la version romancée de la Chronique des Trois Royaumes, a, selon moi, tout intérêt à relire au préalable la notice que consacrait au Sanguozhi yanyi 三國志演義, source d'inspiration du cinéaste, Roger Darrobers dans le Dictionnaire de littérature chinoise (André Lévy (ed.), Paris, PUF, « Quadrige », 2000, pp. 259-261) ; il devrait aussi gagner des éléments de compréhension en se penchant à tête reposée sur le chapitre « Les Trois Royaumes ou le roman rattrapé par l'histoire » qui occupent les pages 173 à 207 de La Chine romanesque. Fiction d'Orient et d'Occident de Jean Lévi (Seuil, « La librairie du XXe siècle », 1995). Bien d'autres lectures, pour la plupart en chinois et en anglais, lui seraient tout autant profitables pour pouvoir juger de la nature et de la qualité de cette méga-production qui va s'exposer dans le monde entier sous des titres différents : quand le titre chinois – Chibi 赤壁 – et le titre anglais – Red Cliff -, font référence à un épisode bien précis de cette trame narrative riche en péripéties, le titre retenu pour le public français, ne fait pas dans le détail, et vous offre rien de moins que Les 3 Royaumes --- quand bien même le site officiel dirige notre attention vers l'épisode de la bataille de la Falaise rouge autour duquel la scénario a été bouclé après, nous dit-on, beaucoup d'hésitations :
En 208 après J.-C., l'empereur Han Xiandi règne sur la Chine pourtant divisée en trois royaumes rivaux. L'ambitieux Premier ministre Cao Cao rêve de s'installer sur le trône d'un empire unifié, et se sert de Han Xiandi pour mener une guerre sans merci contre Shu, le royaume du sud-ouest dirigé par l'oncle de l'empereur, Liu Bei. Liu Bei dépêche Zhuge Liang, son conseiller militaire, comme émissaire au royaume de Wu pour tenter de convaincre le roi Sun Quan d'unir ses forces aux siennes. A Wu, Zhuge Liang rencontre le vice-roi Zhou Yu. Très vite, les deux hommes deviennent amis et concluent un pacte d'alliance. Furieux d'apprendre que les deux royaumes se sont alliés, Cao Cao envoie une force de 800 000 soldats et 2 000 bateaux pour les écraser. L'armée campe dans la Forêt du Corbeau, de l'autre côté du fleuve Yangtze qui borde la Falaise Rouge où sont installés les alliés. Face à l'écrasante supériorité logistique de Cao Cao, le combat semble joué d'avance, mais Zhou Yu et Zhuge Liang ne sont pas décidés à se laisser faire... Dans un déluge de puissance et de génie tactique, la bataille de la Falaise Rouge va rester comme la plus célèbre de l'Histoire et changer le destin de la Chine pour toujours.
Chacun appréciera selon son goût pour ce qu'est devenu le septième art en ce début de XXIe siècle, cette nouvelle adaptation du million et demi de caractères répartis en 120 chapitres de l'édition courante. Je m'en tiendrai pour ma part à signaler que parallèlement à la sortie d'un film qui prend – comme le décrit par le menu une excellente fiche Wikipedia en anglais – des libertés avec le Sanguozhi yanyi, sa source principale, les éditions Flammarion ressortent en trois gros volumes la traduction française publiée en sept volumes entre 1987 et 1991. Sous une présentation plus maniable mais pas moins onéreuse, elle propose, sans changement apparent, la même version qui combine la première traduction partielle française due à Nghiêm Toan et Louis Ricaud (chap. I-XLV) parue à la fin des années 1950, et la traduction de la suite et de la fin par Angélique et Jean Lévi. Nous voici, enfin, tirés d'affaire ! En effet, le lecteur forcément passionné par cette fresque captivante était souvent contrarié dans sa découverte par l'absence d'un des volumes – certains étaient épuisés depuis des lustres.

Mais reconnaissons que l'ouvrage, de par sa taille et sa nature, a de quoi rebuter au premier abord. Il n'est pas évident de lire ce chef-d'œuvre datant de la fin du XIVe siècle ou du début du siècle suivant, revu si souvent par la suite jusqu'à recevoir sa version la plus aboutie au début de la dynastie Qing (1644-1911) grâce à Mao Lun 毛綸 et son fils Mao Zonggang 毛宗崗. Quoi qu'il en soit, l'avis que formulait en 1912, un Georges Soulié de Morant (1878-1955) n'est sans doute plus conforme aux capacités et aux attentes du public français :
« Les fables merveilleuses du taoïsme interviennent à tout propos ; d'innombrables récits de batailles alourdissant la lecture de cet ouvrage qui fait les délices des lettrés. On en a tiré des pièces de théâtre dont le succès est éclatant. Les aventures des trois héros Lieou-pei, Kouan-yu et Tchang-fei, n'intéresseraient qu'à demi les lecteurs européens. » (Essai sur la littérature chinoise. Paris : Mercure de France, 1912, p. 263)
Ce qui pouvait, alors qu'il n'en existait encore aucune traduction, détourner le lecteur de ce mastodonte avec ses si nombreux personnages – dans sa traduction anglaise parue initialement en un seul beau volume de 1096 pages [Three Kingdoms. A Historical Novel. Berkeley, Los Angeles, Beijing : Universitty of California Press/Foreign Languages Press, 1991], Moss Roberts dresse une liste des 115 personnages principaux - devrait justement le faire saliver d'envie aujourd'hui s'il n'a pas encore goûter à la cuisine de l'histoire à laquelle s'était livré Luo Guanzhong 羅貫中 (vers 1330-vers 1400). Mais que le gourmand s'avise avant de passer à table que ce roman considéré naguère comme « intraduisible » est doublement présent dans nos librairies.

En effet, pendant que les éditions Flammarion tardaient à rééditer leur version (ou attendait l'occasion d'un événement planétaire), les Editions You-Feng, sortaient en toute discrétion une version nouvelle baptisée L'épopée des Trois Royaumes. La traduction de Chao-ying Durand-Sun a été livrée pour moitié, à raison d'un volume par an depuis 2006 [vol 1 : chap. I-XXIV ; vol. 2 (2007) : chap. XXV-XLVIII]. Le troisième volume (2008) « s'ouvre, nous dit l'éditeur, sur la grande bataille de la Falaise Rouge ».

Nous sommes donc armés pour affronter le déferlement d'images chic et choc, auquel, sait-on jamais, un Luo Guanzhong, grand vulgarisateur de l'histoire chinoise, aurait peut-être eu recours s'il avait été encore des nôtres. A vous de dire si John Woo est la réincarnation ou pour le moins le bon interprète d'un des plus grands génies de la littérature chinoise. (P.K.)

Supplément du 27/03/09 : Je livrerai d'ici peu mon avis sur la traduction des Editions You-Feng qui a suscité des critiques très négatives sur certains sites de vente sur internet (voir le commentaire et l'interrogation de 'Weiyangsheng' ci-dessous, rubrique "Commentaires"). (P.K.)

mercredi 25 mars 2009

La réception de Quarante et un coups de canons de Mo Yan

Cinq mois après la sortie de notre traduction des Quarante et un coups de canons de Mo Yan, force est de constater que les articles à son sujet ne sont pas très nombreux par rapport aux innombrables recensions dont a fait l’objet Beaux seins belles fesses du même auteur paru en traduction française en février 2004. Etait-ce le titre plus accrocheur et la couverture un peu coquine de ce dernier qui a amené la plupart des quotidiens français et les hebdomadaires à encenser cet ouvrage. C’était aussi l’année où la Chine était l’invitée d’honneur du Salon du livre de Paris, salon au cours duquel Mo yan fut abondamment interviewé à la télévision et à la radio. Il est vrai que dans le cas de notre traduction des Quarante et un coups de canons, la couverture n’est pas très attirante. Cette immense carcasse de bœuf écorché, si elle peut rappeler les peintures de Soutine ou de Bacon, n’est peut-être pas des plus ragoûtantes et a peut-être gêné l’acheteur… Mo Yan, lui-même, nous a demandé par courrier électronique si cette couverture n’était pas un peu trop effrayante ! Ceci dit, les critiques littéraires ne s’arrêtent pas à la couverture des livres dont ils rendent compte. Bertrand Mialaret de Rue89, a immédiatement rendu compte de sa parution dans un article où il a indiqué : « La gloutonnerie fait suite à la faim qu’a connue Luo Xiaotong dans ses jeunes années. Le corps et l’ensemble de ses fonctions est omniprésent : torrent rabelaisien du verbe, une grande vitalité, une grossièreté joyeuse et parfois scatologique. »

Dans La Quinzaine littéraire du 16 au 28 février 2009, Maurice Mourier a écrit un long article à son sujet. Pour lui, le roman « reste de bout en bout vraiment mystérieux ». Il estime que le fait que l’enfant, Luo Xiaotong, avoue d’emblée qu’il est un enfant-canon, donc un menteur, permet au narrateur de dire de nombreuses vérités sur la société chinoise en se protégeant derrière un personnage de menteur invétéré. Il souligne aussi que : « Le tout, de plus, est souvent d’une drôlerie rabelaisienne qui, n’était le contexte franchement répugnant, ferait chaud au cœur. » Et il cite Baudelaire : « J’ai pris ta boue et j’en ai fait de l’or. » Ce long article souligne la valeur de ce « texte dont l’essence, consiste en un jeu littéraire étourdissant sur le thème de la satiété inaccessible et du plaisir de la parole

Enfin, dans la « Lettre d’Asie » qu’elle publie chaque semaine dans Le Monde, et sous le titre, jeu de mot bien trouvé : « En chair et en eau », Sylvie Kauffmann évoque ce roman en établissant un parallèle avec des pratiques de trafic de viande dans laquelle de l’eau a été injectée, dénoncées récemment lors de la dernière session de la Conférence politique du peuple chinois. Voir ici. Elle le dit justement : « La réalité dépasse la fiction » ! On peut lire l’article en entier ici.

Pendant ce temps Mo Yan continue à engranger les prix littéraires. Après le prix de la Hong Kong Baptist University, il a obtenu le premier prix Newman de littérature de l’Université de l’Oklahoma. On peut écouter son savoureux discours de réception ici ou sur YouTube.

Au fait, le roman pour lequel il a obtenu ces prix est intitulé en chinois 生死疲劳, traduit en anglais Life and Death are wearing me out. Je ne sais quel titre portera la traduction de Chantal Chen-Andro qui doit paraître au Seuil en septembre, mais il me semble que ce n’est pas un titre facile à traduire, même si Mo Yan écrit en exergue de son roman : 佛 说 :生死疲劳,从贪欲起。少欲无为, 身心自在。Une phrase célèbre tirée du Soutra de l’éveil parfait 圆觉经。(N.D).

mardi 24 mars 2009

Devinette (019)

(Au Sankeien 三溪園 - Yokohama, 2004 - PK)

Pour la deuxième devinette depuis le début de cette année, j'ai retenu un texte qui parle du Japon – il s'agit, notez-le, d'une traduction :
Chaque fois que vous avez regardé quelque chose, une force mystérieuse vous contraint à l'acheter, à moins que, comme il arrive souvent, le vendeur souriant vous ayant invité à inspecter tant de variétés d'un seul article (dont chacun est particulièrement désirable), vous ne vous enfuyez saisi de terreur devant vos propres impulsions. Le boutiquier ne vous demande jamais d'acheter, mais ses marchandises sont enchantées, et si vous vous laissez tenter, vous êtes perdu ! Le prix modeste des articles vous induit à la ruine, car le nombre d'objets artistiques peu coûteux est inépuisable. Le plus grand navire traversant le Pacifique ne saurait contenir tout ce que vous désirez acheter. Car bien que vous ne vous avouiez pas la chose à vous-même, ce que vous désirez vraiment acheter, ce n'est pas le contenu du magasin : vous désirez la boutique et le boutiquier, et les rues de magasins avec leurs amusantes draperies et leurs habitants pittoresques, la ville tout entière, la baie et les montagnes qui la ceinturent, l'ensorcellement blanc du Fuji-Yama surplombant le tout dans un ciel sans nuages – le Japon tout entier, en vérité, avec ses arbres magiques et son atmosphère lumineuse, avec toutes ses îles, ses villes, ses temples, et ses quarante millions d'êtres les plus aimables de l'univers. Il me revient à l'esprit certaine phrase que j'entendis prononcer par un Américain pragmatique en apprenant qu'un grand incendie avait eu lieu au Japon : « Oh ! Ces gens-là peuvent se payer des incendies : leurs maisons sont bâties à si peu de frais ! » Il est vrai que les frêles maisonnettes en bois des gens du peuple peuvent être très rapidement reconstruites à fort peu de frais, mais on ne peut remplacer tout ce qui les embellit à l'intérieur, et chaque incendie est une véritable catastrophe artistique. Car ce pays est celui d'une variété infinie d'objets faits à la main ; la machine n'a pas encore réussi à introduire la monotonie et la laideur utilitaire dans la production à bon marché – sauf lorsqu'une demande de l'étranger exige des objets de mauvais goût pour des marchés vulgaires. Ainsi chaque objet créé par un artiste ou un artisan japonais diffère encore de tous les autres de la même fabrication. Et chaque fois qu'un bel objet périt par le feu, c'est un objet représentant une idée individuelle qui disparaît.
Il faut, je vous le rappelle, identifier l'auteur de ces lignes et accessoirement l'ouvrage dont est tiré l'extrait. Bonne chance. Résultats et tableau d'honneur, le 1 avril ! (P.K.)

(Cliché pris à Tokyo le 27/08/07, PK)

lundi 23 mars 2009

Ombre parfumée

Comme vous pouvez le constater en consultant la rubrique « commentaire(s) » du précédent billet, Thomas Pogu n'a pas été long à combler mes lacunes concernant l'auteur du texte publié dernièrement par les Editions Philippe Picquier sous le titre Seul demeure son parfum : moins de deux heures ! D'autres ont choisi une autre voie (e-mail, téléphone, de vive voix) pour me montrer qu'ils ont été soit plus heureux, soit plus malin, soit plus professionnel que moi dans leurs recherches : je les en remercie vivement. Voici donc un complément d'information qui fait la synthèse des différentes contributions reçues depuis la mise en ligne de ce billet provocateur.

L'auteur est 冯华 [ 馮華 en graphie traditionnelle] :
patronyme FENG, prénom Hua.

La transcription de son ouvrage n'est pas, comme l'indique la page 2 du pdf, Ruxing suixing mais Ru ying sui xing pour le titre 如影随形 dont le texte est accessible en ligne ici et . Quant au sexe de l'auteur, une recherche Google sur les images que l'on peut obtenir avec 冯华 donne des garçons et des filles, des jeunes et des vieux. L'image reproduite ci-dessous [couverture de droite] apparaît sur la première page des résultats et renvoie à un site de vente en ligne de livres qui offre pour ¥13.60 l'édition qui a sans aucun doute servi de base à la traduction publiée par les Editions Picquier. Le commentaire attaché à cet article fait référence à l'auteur avec le pronom personnel « » [ta féminin, elle] : FENG Hua est donc une femme. La page associée à l'auteur sur le même site de vente permet de découvrir pas moins de huit ouvrages d'elle parus chez le même éditeur. Jojo 卓越 (l'amazon.com chinois), propose, quant à lui, 如影随形 dans une autre édition (Qunzhong chubanshe 群众出版社) [voir la couverture reproduite en bas à gauche].

On pourra dès lors élargir la recherche en lisant (!) les cinq livres de Feng Hua que propose Yifan.net, ou se concentrer prioritairement sur les deux points suivants :
  • la traduction du titre Ru ying sui xing 如影随形 (qui signifie « inséparable – comme l'ombre suit le corps ») en Seul demeure son parfum. NB. Le titre anglais figurant sur la couverture de l'édition de la maison Jiangsu wenyi est The Shadow.
  • la traduction du texte et l'emploi du passé composé.
Si vous avez des idées à faire partager, merci d'user en priorité des « commentaires » -- tout le monde pourra ainsi en profiter et réagir. Je ne vous quitterai pas sans vous lancer un nouveau défi : trouver une photo de Feng Hua. (P.K.)

dimanche 22 mars 2009

Sans dessus et sans dessous

« Chen Ke, Fire N°1, Hand-coloured on Black & White »

Les plus fidèles lecteurs de ce blog se rappellent sans doute le billet du 25 mai 2008 dans lequel je me plaignais de la manière cavalière avec laquelle les éditeurs français se sont mis à traiter les noms des auteurs chinois qu'ils font traduire et éditent : il s'intitulait « L'envers de l'endroit » et avait suscité d'intéressantes réactions. Celui-ci n'a pour unique vocation que de vous faire part de mon désarroi face à une nouvelle publication des Editions Philippe Picquier --- ce faisant, je romps le serment fait ici-même, de ne plus toucher à la littérature contemporaine, domaine qui m'est cruellement étranger ; je compte donc sur le savoir des plus avancés dans la matière pour combler mes béantes lacunes.

La source de mon émoi est la lecture d'une chronique de Marjorie Alessandrini sur Bibliobs. Mise en ligne le 20/03/09 sous le titre « Le parfum de la dame à la fleur de prunier », elle a pour objet (je cite) :
« Seul demeure son parfum » de Feng Hua. Traduit du chinois par Gilles Moraton et Li Huong (Editions Philippe Picquier).
Le premier paragraphe a particulièrement retenu mon attention. Le voici :
« Drôle de polar, qui nous vient de Chine. Et drôlement traduit, tout au moins pour les non-sinophones. Le récit, presque entièrement au passé composé, surprend d'abord, comme une maladresse, quand on attendrait plutôt le passé simple, ou même le présent. Et puis quand on a réussi à se couler dans ce roman noir et gris, en demi-teinte, on est emporté par le charme de ce policier mélancolique. Le temps composé donne à la narration un côté curieusement distancié qui s'avère tout à fait approprié à l'histoire et aux personnages, eux aussi décalés. »
Intrigué, je me suis aussitôt rendu sur le site de l'éditeur qui procure à l'occasion des extraits des ouvrages qu'il lance sur le marché ; en un clic, m'y voici. Mais, première déconvenue, l'ouvrage, pourtant paru en février, n'est déjà plus sur la page « Nouveautés ». Je me retrouve alors dans l'obligation de partir à sa recherche et démarre ma quête, quoi de plus logique ?, par le nom de l'auteur, ou ce que je crois pouvoir identifier comme tel, Feng, soit le relativement fréquent , ou les plus rares , ,,,et quelques autres. Mais, nouvelle surprise, pas de FENG Hua ! Seuls figurent, dans la liste des auteurs en « F », Alexander FRATER, Aude FIESCHI, FANG FANG, FURUI Yoshikichi, Maït FOULKES et Yveline FÉRAY. Que me réserve, de son côté, le « H » ? 16 noms dont « Feng HUA ». J'en déduis donc que Feng est le prénom de l'auteur, et son patronyme HUA, soit (pour s'en tenir aux plus courants) ou 化, 滑 ou encore 花. Ayant cliqué sur « Feng HUA », j'accède aussitôt à une page qui m'invite à un nouveau clic pour « En savoir + ». C'est justement ce que je désire.

Voici ce que je découvre :

Figure en regard de la couverture, la fiche descriptive reproduite ci-dessous qui donne la totalité, ou peu s'en faut, de l'appareil critique offert au lecteur pour l'achat de ….
Feng HUA
Seul demeure son parfum
Traduit par Gilles Moraton et Li Hong
Collection Chine
352 pages / 20,50 € / ISBN : 8097-0095-4

Dans une ville de Chine, un tueur frappe les femmes en toute impunité. Longtemps ces crimes conservent pour les enquêteurs leur épaisseur de mystère. Peu à peu, pourtant, grâce à l'esprit de déduction et à l'intuition de Pu Ke, le policier chargé de l'affaire, les indices se croisent et se resserrent autour d'un seul suspect. Pu Ke est aidé dans sa quête par Mi Duo, une jeune femme rencontrée chez des amis communs, et l'histoire de leur relation va se trouver intimement liée à celle du meurtrier. Car chacun porte en lui un secret, une part d'ombre inavouée, qui est comme une clé ouvrant une porte interdite débouchant sur l'horreur. Une plongée dans les profondeurs de l'âme humaine, qui est aussi une radioscopie aux rayons X des relations entre hommes et femmes dans la Chine d'aujourd'hui.
Sortie en février 2009
Je trouve aussi ce que je cherchais, savoir la possibilité de lire un extrait du livre. J'y parviens en un rien de temps, en chargeant un document pdf de 468 ko. Je suis dorénavant possesseur des 38 premières pages du livre, savoir deux chapitres et les deux pages qui les précèdent. M'y attend une autre surprise : le nom d'auteur y figure sous la forme « FENG Hua » et non comme noté sur la couverture « Feng HUA » !

Me voilà bien avancé ! Dès lors comment vais-je pouvoir identifier avec certitude l'auteur et trouver sur internet, ou par l'intermédiaire d'une librairie réelle ou en ligne, le texte original afin de me rendre compte, par moi-même, si les curieux choix de traduction relevés par la chroniqueuse sont ou non justifiés ? Si je sais dorénavant grâce à la page 2 qu'il a été publié pour la première fois en 2007 et en Chine par la « Jiangsu Art & Literary Publishing House » [sans doute : Jiangsu wenyi chubanshe 江苏文艺出版社], la transcription du titre - Ru xing sui xing -- lequel semble assez éloigné du titre sous lequel nous est fournie la traduction - , ne me permets pas vraiment de mener à son terme mon investigation ; de plus, je ne suis même pas en mesure de définir le sexe de l'auteur !

Et vous où en êtes-vous ? Savez-vous qui est l'auteur de Ru xing sui xing ? Un homme ? Une femme ? Quel est son NOM ? Son prénom ? FENG Hua ou HUA Feng ? ---- la présence des caractères quelque part aurait permis de lever toutes les incertitudes et de trancher en faveur d'une des 215 possibilités théoriques si l'on s'en tient au choix de caractères qu'offre un dictionnaire de la langue courante : 80 pour FENG Hua et 135 pour HUA Feng !

Si vous avez des lumières, merci d'éclairer ma lanterne imprudemment sortie dans le brouillard de l'édition française de littérature contemporaine chinoise. Li Hong et Gilles Moraton, les traducteurs, ont peut-être leur idée sur la question ? Chen Feng (ou bien est-ce Feng Chen ?), le directeur de publication aussi. SVP, chers éditeurs, ayez pitié de vos pauvres lecteurs. (P.K.)