samedi 6 juin 2009

Réponse à la devinette (021)

Alain Rousseau, fidèle parmi les fidèles de cette chronique et des autres, s'est encore brillamment illustré et a fait une nouvelle fois preuve d'une remarquable perspicacité. Si vous n'avez pas encore lu ses déductions dans le seul commentaire reçu depuis la mise en ligne de cette 21ème devinette, les voici – elles sont d'une précision qui fait plaisir à lire et je n'ai pas grand chose à ajouter entre crochets :
L'indice visuel nous emmène cette fois-ci sous la dynastie des Song [宋 (960-1279)], et plus précisément au 12ème siècle, sous le règne de l'empereur Xiaozong [ 孝宗 (r. 1163-1189)]. L'auteur à identifier est donc soit l'empereur lui-même, soit, plus probablement, un de ses éminents contemporains. Je propose donc le nom du philosophe Zhu Xi [朱熹 (1130-1200)], et quant à l'extrait cité, je le vois assez bien provenir d'un certain « Mémoire sur la situation de l'empire » (Wushen fengshi 戊申封事 ), rédigé en l'an 1188 à l'attention de l'empereur, mais n'ayant pas sous la main la traduction qu'en a donnée récemment Roger Darrobers, je n'ai pas pu vérifier.
Bravo ! Alain avait « tout juste ». Ce qu'il ne savait pas c'est que le passage dont le texte chinois occupe les lignes 11 et 12 de la page 171 [ 誠能先其所難。則其易者將不言而自辦。不先其難而徒欲僥倖於其易。則雖朝夕談之不絕於口。是亦徒為虛言。以快一時之意而已。] se trouve à cheval sur les pages 143 et 144 de l'ouvrage dont les références compètes sont : Zhu Xi, Mémoire sur la situation de l'empire (Wu-shen fengshi) 1188. Traduit du chinois, présenté et annoté par Roger Darrobers. Paris : Editions You Feng, 2008, 192 p. et dont il sera plus amplement question dans un billet de ce blog qui devrait s'intituler « Zhu Xi réactivé ». Mais rien ne vous empêche de le dévorer d'ici-là. (P.K.)

jeudi 4 juin 2009

Imprimer sans profit ?

L'intitulé du colloque qui va se tenir à l'Institut national d’histoire de l’art (Paris, Galerie Colbert, Salle Vasari) du 11 au 13 juin 2009 porte un titre qui devrait retenir l'attention de tous ceux qui s'intéressent au livre, à l'édition et à la Chine ancienne :

« Imprimer sans profit ?
Le livre non commercial dans la Chine impériale »

Voici de quoi il sera question :

« Les recherches sur l'histoire du livre en Chine ont connu, au cours de ces dernières années, un remarquable essor, marqué par la publication de plusieurs études faisant d'ores et déjà autorité. Mettant le plus souvent l'accent sur les éditions à caractère commercial et s'inspirant des sciences sociales et des travaux sur la bibliographie matérielle qui transformèrent, en leur temps, le regard des spécialistes du livre occidental (les amenant à considérer l'imprimé comme un objet indissociable des conditions sociales, culturelles et matérielles de sa production et de sa réception), elles ont permis de dépasser une approche purement érudite du livre chinois. L'irruption des sciences sociales dans le domaine historique a eu pour conséquence plus générale d'attirer l’attention sur des sujets tenus jusque-là pour mineurs. Elle a conduit les historiens de la Chine à reconsidérer le rôle des marchands et les problèmes de marché et de consommation, amenant un certain nombre d'entre eux à s'intéresser aux éditeurs-entrepreneurs et à leurs productions.

Tous les ouvrages jadis imprimés dans l'Empire n'obéissaient par pour autant à une logique marchande. On sait que les textes et les images imprimés dans les commencements n’étaient pas toujours destinés à être vendus ni même diffusés. En Chine comme ailleurs, l’impression d’une brochure ou d'un livre religieux ne relevait pas de simples considérations d'ordre économique. Elle était souvent mue par la recherche de profits spirituels. Le culte du livre et les exhortations de nombreux ouvrages bouddhiques à reproduire les textes canoniques pour s'acquérir des mérites jouèrent, assurément, un rôle considérable dans le développement de l'imprimerie.

Les éditions sous la houlette impériale de classiques confucéens, d'ouvrages religieux (certains en plusieurs langues), d'histoires dynastiques ou de monographies locales étaient, quant à elles, des opérations de prestige dont le but était politique autant que culturel. Les unes étaient faites pour toucher l’empire tout entier, les autres intéressaient des régions plus ou moins étendues, une province, une préfecture, un district. D'autres publications, ne relevant pas de l'Etat, opéraient elles aussi à une échelle réduite, telles les monographies d'académies ou les généalogies familiales : généralement centrées autour d'un lieu déterminé, elles pouvaient prendre la forme d'imposants ouvrages embrassant les diverses branches et ramifications issues d'une même souche.

Les auteurs de la plupart de ces compilations étaient des lettrés qui avaient à cœur, quand ils le pouvaient, de publier leurs propres œuvres afin qu'elles assurent la survie de leur nom à travers les siècles. Les ouvrages ainsi produits étaient généralement de bonne facture, à la différence de bien des publications commerciales. Qu'ils fussent offerts à titre gracieux ou mis à la vente, ils relevaient du grand idéal des lettres qui méprisait la quête du gain matériel. Comme le proclamait un célèbre lettré éditeur du XVIIe siècle, saunier de son état, sa vocation était de « transmettre le parfum » des belles lettres, non pas de « courir après le profit ». Sans doute aurait-il pu dire la même chose des catalogues de collections ou de divers ouvrages illustrés témoignant de l'intérêt des milieux lettrés pour les choses de l'art.

Certes nul n'ignore que toute impression a un coût, et chaque ouvrage, un prix de revient. Voilà plus d'un demi-siècle que Paul Demiéville a attiré l'attention sur le prix de l'impression, au XIe siècle, de textes bouddhiques destinés au Japon. Quelle qu'ait été la part de calculs financiers dans les activités d'édition en Chine, reste que le profit économique ne fut pas le moteur principal de nombre d'entre elles et que l'offre ne cherchait pas nécessairement à susciter une nouvelle demande. Un très grand nombre d'imprimés s'inscrivaient dans une tradition et une culture profondément marquées par la valeur confucéenne du désintéressement.

Le Centre de recherche sur les civilisations chinoise, japonaise et tibétaine et ses associés organisent à Paris, au mois de juin 2009, un colloque sur les livres édités à des fins non commerciales — ou réputées telles —, qu'il s'agisse d'ouvrages servant la seule gloire de leur auteur ou de publications mises au service d'une communauté (État, région, clan, religion, etc.). Les communications porteront sur les publications religieuses ou impériales, sur les ouvrages patronnés par l’administration centrale ou provinciale, sur les généalogies de clans et autres compilations, ou encore, plus généralement, sur le large éventail des livres de lettrés. Elles auront en commun de s'interroger sur l'existence en Chine d'un système capable de rester indifférent aux considérations de marché, en montrant la diversité et l’importance de ses pratiques d’édition, d'impression et de diffusion. Elles s'intéresseront au discours du désintéressement et à la dialectique mettant aux prises deux ordres en apparence peu conciliables, le symbolique et l'économique. Des orientalistes étrangers au monde chinois et des spécialistes du livre occidental animeront les débats et aideront à mieux reconnaître les singularités du cas chinois. »

... et le détail des communications qui seront données pendant ce colloque international organisé par le Centre de recherche sur les civilisations chinoise, japonaise et tibétaine (UMR 8155) et l'École française d’Extrême-Orient (EFEO) avec le pilotage d'un comité d'organisation composé de Michela Bussotti (EFEO), Jean-Pierre Drège (EPHE), Pierre-Henri Durand (CNRS), Françoise Wang-Toutain (CNRS). :

Impressions du Palais et de la famille impériale

  • Timothy Brook, Institute for Chinese Studies Oxford, The Ming Court as Publisher in an Age of Publishing
  • Jérôme Kerlouégan, EHESS, Les éditions princières des Ming
  • Nathalie Monnet, Bibliothèque nationale de France, Les ouvrages impériaux à la Bibliothèque nationale de France
  • Han Qi, Institut d’Histoire des sciences de la nature, Académie des sciences de Chine, Working for the Emperor, Books and Compilations during the Kangxi Reign (1662-1722)

Canons religieux et laïcs : internationalité et plurilinguisme
  • Jean-Pierre Drège, EPHE, Des charmes aux canons
  • Peter Kornicki, Cambridge University, La diffusion des textes canoniques chinois dans le monde sinisé
  • Vladimir Uspensky, Université de Saint-Pétersbourg, Tibetan-Mongolian bilingual books printed in Beijing under the auspices of Prince Yunli (1697-1738)
  • Xiong Wenbin, Centre de recherche tibétologique, Pékin, Impressions de textes bouddhiques en tibétain sous le patronage de la famille impériale pendant la dynastie des Yuan
  • Françoise Wang-Toutain, CNRS, L’édition impériale en quatre langues de « Toutes les dharanis du Canon bouddhique »

Imprimé et religion

  • Chen Jie, Institut national de Littérature japonaise, Tokyo, L’impression et l’édition des monastères chan sous les Song
  • Lucille Chia, University of California, Riverside, Privately published Buddhist works of Ming-period China
  • Vincent Durand-Dastès, INALCO, Préfaciers divins et canonisation des hagiographies vernaculaires à la fin de l’époque impériale
  • Joachim Kurtz, Emory University, Opening Up the Well of Reason: Li Wenyu (1840–1911) and his Religious Writings for the Jesuit “Imprimerie de T’ou-sè-wè”

Éclairages locaux : administration, académies et familles

  • Cynthia Brokaw, The Ohio State University, Regional Publishing and Late Imperial Scholarship: The Zunjing shuyuan of Sichuan and Scholarly Publication in the Late Qing
  • Joseph Dennis, Davidson College, The Printing, Distribution, and Circulation of Local Gazetteers in the Song, Yuan, and Ming Dynasties
  • Zhai Tunjian, Bureau des monographies locales de Huangshan, Histoires locales de Huizhou et Shexian sous les Ming et les Qing
  • Michela Bussotti, EFEO, Quelques généalogies de Huizhou
  • Joseph McDermott, Cambridge University, From Collection to Archives: the Life of Family Imprints in Huizhou, 1500-1700
  • Dai Lianbin, University College, Oxford, Household publication in the Ming Society (Zhejiang)

Les lettrés et leurs livres : circuits et cas particuliers

  • Ankeney Weitz, Colby College, The Private World of Illustrated Art Catalogues of the Song and Yuan Dynasties
  • Hilde De Weerdt, Oxford University, The Production and Circulation of ‘Written Notes’ (biji)
  • Pierre-Henri Durand, CNRS, Pour l'amour bien compris des belles-lettres. Un lettré éditeur de la fin du XVIIe siècle : Zhang Chao à Yangzhou
  • Rui Magone, Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte, Berlin, Eight-Legged Universes: Liang Zhangju's (1775-1849) Zhiyi conghua (Collected words on examination genres) and Its Functions in Qing Publishing Culture.

Gageons que l'on pourra lire un jour prochain l'ensemble de ces savants exposés ; souhaitons que le gros livre qui en découlera ne sera pas trop onéreux, ou même - rêvons un peu - qu'il sera offert en accès libre et gratuit sur internet, vecteur idéal de la diffusion « sans profit » et presque « sans coût ». (P.K.)

dimanche 31 mai 2009

Devinette (021)

Voici pour finir un mois de mai épuisant, et avant de commencer un mois de juin qui ne devrait pas l'être moins, une petite devinette - la 21ème - dont la teneur soutiendra, je le souhaite, les efforts de ceux qui comme l'auteur de ces lignes et son talentueux interprète - qu'il faut identifier -, ne se satisfont pas de palabrer à longueur de journée :

« C'est lorsqu'on est authentiquement capable de commencer par le plus difficile, que le plus facile se réalise spontanément, sans qu'il soit nécessaire d'en parler. Refuser de commencer par le plus difficile, en souhaitant inopinément gagner le plus facile, fût-ce en en parlant sans cesse du matin au soir, se ramène à de vaines palabres, justes bonnes à satisfaire les idées du moment. »

La réponse, qui tombera aussi vite que possible, me permettra de rattraper un retard coupable dans le suivi des publications récentes sur la Chine ancienne. (P.K.)