jeudi 12 novembre 2009

Sinologie, es-tu là ?

Vous le savez, car je vous en ai déjà parlé - mais il m'a semblé utile d'y revenir -, vont se tenir le vendredi 13 et le samedi 14 novembre 2009, les Assises des Etudes chinoises dont le thème est « La sinologie introuvable ? ». Notre équipe y sera représentée par son directeur Noël Dutrait qui interviendra vendredi à 16h00 dans le cadre de la session présidée par Isabelle Rabut (Inalco) consacrée aux « littératures ». Le titre de son intervention sera sauf changement de dernière minute « Littérature d’Extrême-Orient, texte et traduction : édition, réception, critique, analyse » ; elle lui permettra d'offrir à son auditoire une vision panoramique des activités de notre équipe depuis sa création et de dresser un tableau des recherches sur lesquelles elle concentre son attention.

Si vous désirez en savoir plus sur son intervention et celles des 26 autres intervenants, je vous invite à vous rendre sur la page ad hoc du site de l’Association française d’études chinoises (AFEC) qui organise ces assises : vous pourrez notamment en télécharger le programme détaillé, ainsi qu'un livret de 21 pages reproduisant non seulement l'argument de cette manifestation historique mais aussi les résumés des communications (pp. 13-23) qui permettront, nous n'en doutons pas, de dessiner les contours de la sinologie française de ce début du XXIe siècle.

Ne reste plus qu'à vous dire que le lieu de réunion de cette savante et prestigieuse académie est l'Université Paris Diderot - Amphithéâtre Buffon 15, rue Hélène Brion 75013 Paris (Métro : ligne 14 et RER C)

lundi 9 novembre 2009

Li Yu en Arles

Lors de la troisième et dernière journée des 26e Assises de la traduction littéraire en Arles dont le thème était « Traduire Eros » (6-8 novembre 2009), une quinzaine de participantes et ... deux participants avaient choisi mon atelier plutôt que celui de l’anglais, de l’espagnol, de l’hébreu, de l’italien et du latin. C’est, j’en suis conscient, plus le chinois que ma personne qui a valu à cet atelier matinal (9h-10h30) de retenir une assistance aussi remarquablement fournie -- du reste, au regard des questions posées, c’est plus la langue que la littérature qu’elle a produit, qui fascine et interroge.

Le texte mis sous les projecteurs de cette réunion de virtuoses du passage d’une langue à l’autre et de cette confrérie éphémère de curieux de la transmutation en français de ce qui s’est écrit en chinois, était le court passage [voir ci-dessous] du Rouputuan 肉蒲團 (Chair, tapis de prière) de Li Yu 李漁 (1611-1680) que je signalais à la fin d'un précédent billet ; un texte volontairement court, mais encore trop long pour être envisagé dans sa totalité dans ce cadre d’interrogation plurielle, surtout par des non-sinisants. Le peu de temps disponible restant une fois passé les prolégomènes indispensables à l’installation progressive des stagiaires n’a finalement permis que d’aborder un nombre réduit des problèmes que pose au traducteur cette prose vernaculaire du XVIIe siècle finement tissée par un maître de la narration qui n’oublie pas la théâtralité des situations imaginées, problèmes pas tous liés, il est vrai, au cas particulier qu’offre le caractère clairement érotique de l'œuvre en question : j’y reviendrai ici-même en détail dans une version allongée de ce qui constituera un jour un compte-rendu pour paraître en 2010 dans le volume des Actes des vingt-sixième assises de la traduction littéraires (Arles, 2009), chez Actes-Sud. Mais pour en dire deux mots, il fut question de l’inévitable problème que posent les noms propres que l’on peut, ou pas, envisager de traduire, les termes propres à une œuvre érotique dans la description du commerce des sexes (avec ici un benqian 本錢 (capital) qui a disparu des deux traductions existantes), le traitement à réserver à une allusion littéraire (ici, une formule de Maître Kong et de ses Entretiens [Lunyu 論語, XI.15] plaisamment détournée de son contexte d'origine, dont on ne trouve pas plus trace chez Klossowski et que chez Corniot), la traduction littérale ou pas des images (comme celle du bateau échoué qu’une vague printanière soulève et transporte pour l’arrivée salutaire des fluides ouvrant à l’amant des espaces qui lui étaient encore impénétrables un moment plus tôt), le rendu des dialogues sous une forme très directe impliquant qu'on « se mette à la place des personnages » tout comme le préconise l'auteur : il fut naturellement question, mais sans doute pas assez, de la tournure très « théâtrale » de la l'écriture romanesque de Li Yu pour cette « comédie silencieuse » aussi sensuelle que pédagogique. A chaque fois nous avons ouvert des pistes, sans - et je le regrette, mais était-ce possible en si peu de temps ? - apporter de solution.... Mais n’a-t-on pas déjà fait un grand pas dans la bonne direction en identifiant les différentes difficultés que pose au traducteur ce texte ?

Une double constatation s’est néanmoins imposée (à moi au moins) à l’issue de ce rapide survol : 1. Rouputuan est un texte qui mérite la plus grande attention et un chef-d’œuvre qui attend toujours une équitable traduction dans notre langue ; 2. Li Yu est un auteur qu'il faut (et là je m'enhardis à paraphraser Victor Hugo*) « traduire réellement, le traduire avec confiance, le traduire en s’abandonnant à lui, le traduire avec la simplicité honnête et fière de l’enthousiasme, ne rien éluder, ne rien omettre, ne rien amortir, ne rien cacher, ne pas lui mettre de voile là où il est nu, ne pas lui mentir dessous, le traduire sans recourir à la périphrase, cette restriction mentale, le traduire sans complaisance puriste pour la France ou puritaine pour la Chine, dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, le traduire comme on témoigne, ne point le trahir, l’introduire à Paris de plain-pied, ne pas prendre de précautions insolentes pour ce génie, proposer à la moyenne des intelligences, qui à la prétention de s’appeler goût, l’acceptation de ce géant, le voilà ! En voulez-vous ? Ne pas crier gare, ne pas être honteux du grand homme, l’avouer, l’afficher, le proclamer, le promulguer, être sa chair et ses os, prendre son empreinte, mouler sa forme, penser sa pensée, parler sa parole, répercuter Li Yu du chinois en français, quelle entreprise ! »


Pour ceux qui n’auraient jamais croisé ce passage inspiré que le grand Victor avait donné en préface à une traduction réalisée par son fils François-Victor en mai 1864, et qui voudrait le rétablir dans sa formulation initiale, il faut remplacer Li Yu par « Shakespeare », Chine par « Angleterre », chinois par « anglais ».

Je ne sais si Li Yu est « à la hauteur » de celui dont Hugo écrivait qu’il est « un des poètes qui se défendent le plus contre le traducteur », mais la fugace fréquentation de traducteurs en Arles aura au moins eu, sur moi, l'effet bénéfique de réactiver mon envie de me frotter avec sa si stimulante production romanesque. Qui sait ce qu'il adviendra de ce nouvel engouement pour la traduction en veilleuse depuis 2005 ? (P.K.)

* J’ai trouvé ce passage pages 41-42 du n° 31 de la revue semestrielle éditée par ATLAS TransLittérature (été 2006) qui s’ouvre sur un entretien de la série « Traducteurs au travail » avec André Lévy (pp. 3-11). J’en profite pour remercier Nathalie Campodonico pour me l'avoir offert et surtout pour la chaleur de son accueil en Arles et Hélène Henry-Safier d'avoir insisté pour que j'accepte de participer à cette session d'Atlas qui a rempli, je n'en doute pas, une part non négligeable des attentes qu'elle avait suscitées.