jeudi 20 décembre 2007

La poignante mélancolie des choses

C’est depuis Hanoi où elle se trouve en cette fin d’année que Nguyen P. Ngoc nous a fait parvenir ce billet sur un ouvrage de Minh Tran Huy (1979-) qu’elle nous invite à lire :

Pour vos vacances, voici une nouvelle du Vietnam. La princesse et le pêcheur (Actes Sud, 186 p.), le premier roman de Minh Tran Huy (actuellement rédactrice en chef adjointe au Magazine littéraire) est certes écrit en français, mais raconte une histoire imprégnée de l’histoire et de la culture vietnamiennes.

Je dois avouer que j’ai été curieuse, en lisant des comptes rendus dans la presse, de savoir ce qui se trouve derrière ces formules vagues « de la quête initiatique » et « de la recherche d’identité » auxquelles se livre l’héroine, sans doute assez proche de l’auteur, une jeune femme « née en France mais élevée dans la tradition vietnamienne ». Je me suis donc procuré le livre, et il faut dire que j’ai été agréablement surprise.

Je ne vais pas vous résumer le roman (il faudrait le lire…), mais sachez qu’il s’agit d’une histoire d’amour. Une histoire entre elle, jeune Française d’origine vietnamienne, et lui, un « boat people » qui vient d’arriver en France. Le problème, c’est qu’elle a l’impression qu’il la considère comme une petite soeur…

Cela explique sans doute le fait que les chapitres soient introduits par les extraits en italique tires d’un conte vietnamien. Très célèbre, il est associé à des sites connus sous le nom de Hon Vong Phu, souvent un piton rocheux dans lequel la population locale reconnaît la forme d’une femme debout avec un enfant dans les bras qui semble regarder dans le lointain. La légende raconte que cette femme est montée sur la montagne pour guetter le retour de son mari (de la guerre ou d’un voyage selon les versions) jusqu’à se métamorphoser en pierre. La version choisie par Minh Tran Huy est celle qui raconte l’histoire d’un frère et d’une soeur qui sont devenus, après une longue séparation pour échapper au destin, mari et femme. Un jour, ayant vu une cicatrice sur la tête de sa femme, le mari découvre la vérité. Bouleversé, il part sans rien dire, et la femme l’attend toujours...

Le conte s’achève en même temps que l’héroïne prend conscience d’elle-même. C’est une histoire d’amour sans happy-end, et sans désespoir. On n’y trouve pas de coupable, ni de victime. Juste des choses de la vie racontées avec simplicité, avec un petit pincement au coeur.

Nguyen P. Ngoc (Hanoi, décembre 2007)


Dans l’interview qu’elle a accordée à Claire Simon pour Evene.fr en août dernier [voir ici], Minh Tran Huy parle des livres et des rencontres qui l’ont marquée, dont celle de l’écrivain japonais Murakami Haruki 村上春樹 (1949-) :
« Plus largement, le roman est un hommage à Murakami, et plus particulièrement à ce que les Japonais appellent le « mono no aware », la « poignante mélancolie des choses », et qui désigne le sentiment qui vous envahit lors de la chute des feuilles en automne, ou de la disparition de l'être aimé au détour d'un chemin... Je voulais que La Princesse et le pêcheur donne à ressentir la nostalgie de ce qui a été et n'est plus. »
On pourra donc continuer la découverte de cet espace de la mélancolie en abordant l’œuvre de cet écrivain, un temps pressenti pour le Nobel de littérature 2007 et dont pas moins de treize titres ont déjà été traduits en français, dont Kafka sur le rivage (海辺のカフカ, 2002, Belfond, 2006). On prendra garde de ne pas le confondre avec Murakami Ryû 村上龍 (1952-) également bien connu chez nous, confusion contre laquelle Marjorie Alessandrini nous met en garde dans le dernier billet - « Un Murakami peut en cacher un autre » - de son blog Impressions d'Asie sur le site littéraire de NouvelObs.com, BibliObs.com. (P.K.)