mercredi 5 mars 2008

Le chant du sabre

Détail d'une bataille menée par l'amiral
Yi Sun Shin
이순신 [ 李舜臣, (1545-1598)]



Résultats du premier
concours international de littérature coréenne


A l’initiative du
Korean Litterature Translate Institute
(KLTI) de Séoul
et organisé conjointement par la
Jeune équipe de recherche Littérature chinoise & traduction
(future JE Littératures d’Extrême-Orient, textes et traduction) et
l’Association France-Corée d’Aix-en-Provence,
le concours de comptes-rendus du roman de
KIM Hoon
,
Le Chant du Sabre

s’est achevé fin février par la remise des prix aux sélectionnés.
La KLTI a souhaité que ce concours international se déroule à Aix-en-Provence et
son organisation a été confiée à
Kim Hye-Gyeong
, enseignante de coréen à l’Université de Provence.

Ce concours destiné aux étudiants des universités de l’académie et aux adhérents de l’Association France-Corée a tenu toutes ses promesses malgré les difficultés d’accès aux universités pendant les mois d’octobre, novembre et décembre. Les dates de remises des copies ont dû être reportées plusieurs fois. Malgré cela, le nombre d’inscriptions et le nombre de comptes-rendus remis sont excellents.

Le jury était composé de six enseignants universitaires en littératures orientales et traduction. Ils ont travaillé séparément, sur des copies anonymes et ont rendu des avis dans l’ensemble très homogènes.

Le premier prix - un ordinateur portable Sony Vaio -
a été décerné à l’unanimité à
M. Laurent BRUGUEROLLE

Ici en compagnie du Président du jury, Pr. Noël Dutrait
(Directeur de l'UFR ERLAOS, Université de Provence)

Après Hyphokâgne "S" au Lycée Faidherbe à Lille, Laurent poursuit ses études à l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix où il rédige notamment un mémoire sur « La vision du temps et de l'histoire chez Milan Kundera », et obtient ensuite un DESS « Nouvelles technologies de l'information et de la communication » en 1995 à l'Ecole de Journalisme et de Communication de Marseille. Après s’être occupé de la promotion de chercheurs universitaires, il entre à la Caisse Primaire des Bouches-du-Rhône (CPCAM), où il est désormais responsable du service « Emplois & carrières » au sein de la Direction des Ressources Humaines.

Les autres candidats sélectionnés :
2e et 3e prix : un iPod 8Go
Amandine BARBIER et
Mathieu LEMAL


4e, 5e et 6e prix : un appareil photo numérique Samsung
Marjolaine PEUZIN,
Jean-Christophe GADRAT
et
Aurore DAUCHY.

Les lauréats ou leur représentant
en compagnie de N. Dutrait, Président du Jury et de

Kim Hye-Gyeong
, organisatrice du concours,
le jour de la remise des prix, le 29 février 2008 à l'Université de Provence.



Nous reproduisons ci-dessous l’intégralité
du compte-rendu de Laurent Bruguerolle :

Le chant du sabre
Auréolé d'un double prestige, la consécration obtenue par l'attribution du prix Dongin - l'équivalent de notre Goncourt - et la publication aux éditions Gallimard, dans la prestigieuse collection « Du monde entier », Le chant du sabre est un roman intimidant.

Fresque historique, exaltation des valeurs d'un militaire dévoué à sa patrie au mépris de sa propre carrière et qui le porteront au rang de héros national, les raisons d'un tel succès ne manquent pas. J'imagine sans peine que l'histoire du Général Yi Sun Shin, destitué par l'empereur pour avoir abandonné les hommes qu'il protégeait pourtant d'un combat sans issue, condamné à mort puis rappelé aux plus hautes fonctions pour conduire le royaume à la victoire face à l'envahisseur japonais, ait pu susciter une immense fierté nationale.

Surtout, la qualité d'écriture de Kim Hoon est à ce point remarquable qu'il semble difficile d'aborder sans préjugés ce condensé de littérature. Trois cent vingt pages et quarante quatre chapitres d'un texte exhalé comme un souffle, court et tendu. Sans fausse note. La traduction fait honneur à la musicalité d'un texte dont les envolées poétiques s'accordent parfaitement à la rigueur et au tranchant du récit.

Et pourtant. Ces distinctions, mille fois méritées, ne sauraient réduire Le chant du sabre à sa seule qualité de roman. Peut-on d'ailleurs encore parler de roman lorsque l'on éprouve avec autant de force la vie et les pensées de Yi Sun Shin, qui ouvrent au lecteur des pistes de réflexion sur sa propre condition ?

Je préfère le considérer comme un diamant qui, selon l'inclinaison de la lumière qui le pénètre, renvoie des éclats chaque fois différents.

Au-delà du chant de guerre, une ode à la nature.

La première de ces facettes, celle qui m'a le plus touché, est sans nul doute la construction en contrepoint d'un texte qui oscille de façon permanente entre la description froide du conflit et une foi permanente en la vie. Yi Sun Shin relate sans émotion apparente cette absurde tradition qui veut que le vainqueur prouve sa valeur au nombre de têtes tranchées qu'il ramènera à l'empereur.

Il n'éprouve pas plus de remords à exécuter tous ceux, ennemis ou traîtres, qui entravent sa marche en avant vers la victoire. La mer elle même est le réceptacle d'innombrables cadavres que plus personne n'est capable d'identifier comme coréen ou japonais. Tout semble n'être que chair en décomposition, décapitations et exécutions publiques.

Pourtant, les atrocités de la guerre que décrit Kim Hoon avec une froide rigueur sont systématiquement contrebalancées par les descriptions d'une nature fougueuse et pleine de vie.
Comme si chaque élément de mort était emprisonné dans la langueur d'une existence qui continue de s'écouler au rythme des saisons.

Le compte-rendu des batailles en est un exemple frappant. La tactique que déploie Yi Sun Shin pour terrasser ses ennemis figure sans nul doute en bonne place dans les manuels de stratégie militaire navale. Limpide et implacable. Mais Kim Hoon n'est pas Sun Tzu et son art du récit confirme cette croyance profonde en la nature. Les métaphores animales sont omniprésentes. Tantôt la reconstruction de la flotte est comparée au poisson dont la qualité des écailles détermine la force qu'il éprouvera ; tantôt les mouvements des navires commandés par le commandant en chef de la marine des trois provinces sont comparés aux tentacules d'une pieuvre, ou aux ailes d'un oiseau qui, chaque fois se déploie pour mieux fondre sur les ennemis.

Je veux retenir que tout est vivant au milieu de l'anéantissement et de la désolation. J'ai pris plaisir à éprouver les bruits et les odeurs de ce récit. J'ai vu avec Yi Sun Shin l'éclat du soleil se lever sur la mer derrière les îles qui masquaient la retraite des ennemis ; j'ai ressenti les douleurs qui, chaque nuit, provoquent des sueurs froides. Avec lui j'ai senti les parfums du marché au poisson comme les odeurs d'une femme sale qui ne se lave pas. J'ai aimé ces impressions mélangées, ces témoignages simples d'humanité.

Au-delà d'une méditation sur les conditions d'un homme d'armes, une réflexion sensible sur le sens de la vie.

Le chant du sabre est le récit d'un militaire qui jamais ne cherchera à se défaire de sa mission, à se départir du rôle que lui a assigné l'empereur, en dépit des épreuves qui lui sont données. Yi Sun Shin est avant tout un homme déchu et réhabilité, que jamais le sentiment d'injustice ne prendra en défaut. Il est un militaire. Un homme droit et impassible comme en témoignent les multiples condamnation à mort prononcées à l'encontre d'ennemis comme de ses propres compatriotes ayant trahis. Un homme fidèle à l'empereur comme l'exige sa fonction, qui n'hésitera pas à s'engager comme simple soldat après avoir été déchu de ses fonctions d'amiral de la marine coréenne, condamné à mort puis absous sans que jamais sa dignité lui ait été rendue. Comment ne pas éprouver de haine pour le Généralissime Gwon Ryul qui l'a fait condamner pour de sombres motifs de politique interne. Celui-là même qui viendra lui donner pour mission de trouver une solution à la défaite totale. Cette absurdité, Yi Sun Shin l'éprouve sans y donner prise, parce qu'elle est contraire à sa condition même d'homme d'armes. Comme il n'éprouvera pas non plus de ressentiments à la suite de ses blessures, de la mort de sa mère, du décès de son fils au combat ou de l'assassinat d'une Kiseng dont il s'était épris, Yeojin. La tristesse passe sur lui comme elle doit passer sur un bon soldat.

Là encore, pourtant, Kim Hoon donne à penser que ce militaire n'obéit pas aveuglément à sa condition. Sa fidélité sans faille n'est pas exempte d'une conscience accrue de l'absurdité de ce conflit, comme des motivations politiques qui peuvent pousser la cour royale à vouloir chercher des coupables ou éliminer des innocents. Bien sûr, Yi Sun Shin se bat pour l'empereur. Mais il combat aussi pour donner du sens, pour « chercher du sens dans ce monde qui n'en a pas ». C'est ici que la métaphore du sabre prend toute sa valeur. L'enseignement premier des écoles militaires réside dans un commandement aussi simple que vital : ton arme est ta vie. Le général n'échappe pas à la règle. Le sabre est sa raison d'être, un prolongement de lui même. Et c'est à lui qu'il va prêter des sentiments qu'il ne peut éprouver en tant que soldat. C'est par le sabre, par ses chants et ses pleurs que se construit sa croyance dans la vie.

Le chant du sabre s'achève comme prend fin la vie de Yi Sun Shin. Une disparition paisible et sereine malgré, ou, sans doute, grâce à l'évidence d'un destin dont la voie était tracée depuis toujours.

Quiétude et colère. Ces sentiments contradictoires m'envahissent en même temps que je referme l'ouvrage. Je préfère retenir une formidable leçon d'espoir, persuadé que, tant que des hommes d'armes entendront, eux aussi, le chant du sabre, ses pleurs et ses craintes, la guerre aura tout à craindre de ses propres serviteurs.