Comme l'énonce, on ne peut mieux, la mise en garde qui figure dans la notice « Noms chinois », porte d'entrée vers un ensemble de notices Wikipedia fort complètes sur le sujet, « le système des noms chinois est complexe ». Le versant anglais de l'encyclopédie souvent critiquée - et ce, à juste titre quand il s'agit de littérature chinoise ancienne -, commence quant à elle par une mise au point qui sera pour nous un utile rappel :
« Chinese culture follow a number of conventions different from those of personal names in Western cultures. Most noticeably, a Chinese name is written with the family name (surname or last name) first and the given name next, therefore « John Smith » as a Chinese name would be « Smith John ». For instance, the basketball player who is commonly called Yao Ming would be addressed as « Mr. Yao », not « Mr. Ming » ». [Lire la suite]
En effet, c'est en nous conformant à cette convention que nous nous efforçons tous - enseignants, traducteurs, sinologues -, de rendre compte de l'identité des Chinois, écrivains ou anonymes, personnages historiques ou de fiction que nous croisons.
Certes, cette rêgle qui impose une inversion par rapport à notre habitude occidentale est souvent mise à mal par la rencontre de noms de plume ou de pinceau, de sobriquets et d'autres appellations sociales aussi nombreuses que diverses ; mais, fort heureusement, depuis un certain temps déjà, l'usage de la transcription pinyin (拼音 pīnyīn) a considérablement simplifié le problème et on s'entendait tous pour reconnaître derrière la transcription « Yu Hua », l'écrivain chinois 余华, derrière « Gao Xingjian », le prix Nobel de littérature 高行健, et, pour faire court, derrière « Pu Songling », 蒲松齡, le maître de l'étrange de la Chine des Qing.
Dans les cas les plus délicats, comme avec Li Yu (937-978) et Li Yu (13 septembre 1611- 12 février 1680) que certains font, à tort, naître un an plus tôt et mourir trop jeune d'autant, les dates de naissance viennent à propos lever les dernières incertitudes -- ici pour distinguer le poète des Song 李煜, du 李渔 dramaturge, romancier de la fin des Ming et du début des Qing ; dans les cas extrêmes, il suffit d'être juste un peu plus précis, comme quand il s'agit de distinguer ce Li Yu (1611-1680)-là d'un autre Li Yu, 李玉, également dramaturge et que les historiens du théâtre font souvent naître en 1611 et mourir en 1680, voire en 1681, alors qu'on devrait sans doute retenir pour lui les dates moins précises de « vers 1591 » ou « à la fin de l'ère Wanli (1573-1620) » pour sa naissance et d' « après » 1671 pour sa mort. On peut alors faire apparaître les noms que chacun des deux hommes de lettres s'étaient choisis tout au long de leur vie, tout au moins les plus connus d’entre eux : ainsi, on aura le choix pour le premier Li Yu de l'appeler Li Liweng 李笠翁 ou Hushang Li Liweng 湖上李笠翁 surnom qu'il affectionnait particulièrement et qui le rattache au Lac de l'Ouest (Xihu 西湖) et à sa ville de prédilection Hangzhou 杭州 ; pour le second Li Yu, autre célébrité de la vie littéraire, mais de Suzhou 蘇州 cette fois, on retiendra l'appellation sociale Xuanyu 玄玉 ou encore le nom de cabinet Yili'an zhuren 一笠庵主人 ; dans ce domaine, comme dans bien d’autres, le plus simple est, bien entendu, de recourir, aux caractères chinois car personne ne confondra le « yu » 渔 du « pêcheur » avec le « yu » 玉 du « jade », mais les éditeurs ne sont pas toujours prêts à franchir le pas, surtout sur les couvertures des ouvrages ; la traduction du prénom, toujours possible, ne devant, me semble-t-il être envisager qu'en dernier recours !
Or donc, tout semblait aller pour le mieux dans le monde le plus harmonieux qui soit, celui où le nom de personne chinois faisait apparaître dans la transcription pinyin adéquate, le patronyme suivi du prénom, pour le plus grand bonheur des apprentis sinologues, de la grande majorité des journalistes, de l'ensemble des bibliothécaires, que sais-je encore !
Mais voilà que le monde de l'édition, par la volonté d'éditeurs pionniers épousant des tendances venues d'Outre-Manche et d'encore plus loin - nos amis Chinois en sont également victimes -, sont en passe de ruiner ce bel équilibre en inversant l'ordre naturel pour imposer aux noms chinois une présentation « à l'occidentale », du type « prénom-patronyme » !
J'en veux pour preuve le cas déjà rencontré ici de 郭小櫓, que par la grâce des Editions Buchet Chatel, on trouve dorénavant de plus en plus souvent dans le sens Xiaolu Guo au lieu du Guo Xiaolu d'origine ; plus récemment et grâce aux Editions du Seuil, c'est l'écrivain 叶兆言 qui se voit présenter « à l'envers de l'endroit » dans l'ordre Zhaoyan Ye au lieu du naturel, de l'évident Ye Zhaoyan ; ceci sur la jaquette et la couverture d’une récente publication, sur le site de l'éditeur -- sauf, curieusement, dans sa notice biographique et sur la page de garde du roman en question !
Peu importe !, me direz-vous. Certes, vous avez raison : mieux vaut avoir beaucoup de bons auteurs avec l'identité « tête-en-bas » qu'une flopée d'écrivaillons droit dans leurs bottes patronymiques ! Mais une question s'impose : que va-t-il se passer pour les autres auteurs du catalogue de cet éditeur, qui, de plus en plus souvent, prouve son intérêt pour les lettres chinoises ? Mo Yan 莫言 , qui est le nom de plume de Guan Moye 管谟业, ne devrait-il pas se retrouver sans dessus dessous – certes « Mo » est bien un nom de famille, mais « Yan » un bien curieux prénom ; idem pour Ha Jin 哈金, nom de plume de Jin Xuefei 金雪飞 ; les couples de deux caractères ainsi formés résisteront-ils aussi bien que le Xi Xi 西西 pseudonyme de Zhang Yan 張彥 (1938-) qui peut, avantage certain en ces temps incertains, être bousculé sans aucune conséquence et ceci même en chinois ? Du reste, ne devrions-nous pas le transcrire Xixi, comme écrire Moyan, Hajin, Bajin 巴金 pour le nom de plume de Li Yaotang 李堯棠 (19005-2005), Laoshe 老舍 pour celui de Shu Qingshun 舒庆春 (1899-1966), Luxun 魯迅 pour celui de Zhou Shuren 周樹人 (1881-1936), etc. ? Les experts, souhaitons le, se prononceront un jour sur ce qui n'est pas qu'un détail.
Au sujet d’inquiétude : que faire quand d'aventure se présentera un auteur doté d'un patronyme composé de deux syllabes, un Chunyu 淳于, un Sima 司馬 ou un Ouyang 歐陽 --- aurons nous droit à un Qian Sima, au lieu de Sima Qian 司馬遷 (145-86), à un Xiu Ouyang, au lieu de Ouyang Xiu 歐陽修 (1007-1072), voire à un Xiangru Sima, au lieu de Sima Xiangru 司馬相如 (179-117) ? Souhaitons que cette révolution soit réservée aux seuls auteurs modernes et contemporains !
Est-il déjà trop tard ? Comme Ye Zhaoyan, Liu Sola 刘索拉 (1955-), a déjà subi, bien que partiellement [Voir illustration ci-contre], les outrages de la tendance actuelle (La grande île des tortues-cochons. (Sylvie Gentil, trad.), Le Seuil, « Cadre vert », 2006) ; quant à Zhang Ailing 張愛玲 (1920-1995), elle avait voici bien longtemps contribué à semer le trouble en se gratifiant du prénom Eileen pour devenir Eileen Chang, échappant miraculeusement à la pinyinisation globale... Mais, sans la protection de son ange gardien français - Noël Dutrait - Gao Xingjian résisterait-il à la tendance à la francisation de son nom ? La confusion règne déjà sur le site du magazine Lire.fr, plus par erreur, il est vrai, que par volonté de normalisation.
Certes ce qui compte, et finalement je vous rejoins, c'est - qu'importe l'emballage -, qu'on puisse lire de bonnes traductions françaises de bons livres chinois. Je ne saurais vous dire si celle qui m'a soufflé ce billet d'humeur sera à placer dans cette catégorie.
C'est, à ma connaissance, la troisième de cet auteur du Jiangsu que ses amis, son éditeur chinois, ses lecteurs, et les officiers de l'état-civil, etc., appellent Ye Zhaoyan 叶兆言, né en 1957 à Suzhou. On le connaît donc chez nous grâce à deux titres dont le premier est annoncé « indisponible » par son éditeur :
C'est, à ma connaissance, la troisième de cet auteur du Jiangsu que ses amis, son éditeur chinois, ses lecteurs, et les officiers de l'état-civil, etc., appellent Ye Zhaoyan 叶兆言, né en 1957 à Suzhou. On le connaît donc chez nous grâce à deux titres dont le premier est annoncé « indisponible » par son éditeur :
- La jeune maîtresse (Nadine Perront, trad., Arles : Editions Philippe Picquier, « Picquier Poche », n° 105, (1996) 1998) : ce roman « se déroule dans les années vingt, dans une petite ville du Sud de la Chine, s'ouvre sur la mort, au cours d'ébats amoureux, du vieux seigneur Zhen, un vieillard débauché qui laisse derrière lui une grande fortune. Autour d'une jeune et riche héritière excentrique, capricieuse, libidineuse et opiomane, une galerie de personnages corrompus et pervers, entraînés par leur passion, le désespoir ou la haine, pousseront à la ruine le clan familial. »
- La Serre sans verre (Jiann-Yuh Wang, trad., Paris : Editions Bleu de Chine, 2006, 341 pages) comporte selon l'éditeur « de nombreux éléments autobiographiques, même si l'auteur s'en défend. L'histoire se déroule au sein d'une petite université, l'Ecole théâtrale, au plus fort de la tempête de la Révolution culturelle (...) vue à travers le regard faussement candide d'un enfant. »
Le nouvel opus disponible en français est
Yijiusanqi nian de aiqing 一九三七年的爱情.
Il a été traduit en anglais par Michael Berry (Faber, 2002)
sous le titre
Nanjing 1937. A Love Story et,
du chinois en français, par Nathalie Louisgrand-Thomas
sous le titre
Nankin 1937, une histoire d'amour
(Paris : Le Seuil, « Cadre vert », 2008, 348 p.)
Yijiusanqi nian de aiqing 一九三七年的爱情.
Il a été traduit en anglais par Michael Berry (Faber, 2002)
sous le titre
Nanjing 1937. A Love Story et,
du chinois en français, par Nathalie Louisgrand-Thomas
sous le titre
Nankin 1937, une histoire d'amour
(Paris : Le Seuil, « Cadre vert », 2008, 348 p.)
Voir (ci-dessous) ce qu'en dit l'éditeur sur son site :
Les spécialistes, les critiques littéraires et les amateurs nous diront bientôt, je l'espère, ce qu'il faut en penser. (P.K.)
Complément du 11/06/08 : Voici le commentaire apporté à ce billet par Anne Sastourné des Editions du Seuil que je remercie pour ses intéressantes précisions :
Depuis que je m'occupe, au Seuil, des romans d'Asie (il faut entendre par là des ouvrages traduits des langues d'Extrême-Orient) ce problème reste quasi insoluble. A l'intérieur du livre, pas de problème, je maintiens l'ordre habituel des langues d'origine - généralement « nom » « prénom » - en veillant à utiliser des petites capitales pour le «nom », voire à préciser l'usage à l'aide d'une note. Sans compter qu'in texte les noms des personnages restent bien entendu dans le bon ordre.
Las, les livres paraissent dans la collection «cadre vert » dont la charte est rigide : prénom+nom et largement soutenue par les commerciaux (et les libraires). Notamment parce que toutes les bases de données, de plus en plus nombreuses, dans les maisons d'Editions sont bâties sur ce modèle (vous entrez le nom et le prénom séparément et ils «tombent » toujours dans le même ordre). Si j'impose l'ordre inverse, je complique le travail et suis à la merci d'une correction intempestive.
D'où cette solution... parfaitement ridicule, je vous l'accorde volontiers. (Pauvre Liu Sola, elle aussi).
Ne me parlez pas de Mo Yan : pour chaque livre, je refais une note visible qui accompagne le manuscrit et le dossier (pour Ha Jin, ma collègue du rayon anglophone veille de son côté)... et me suis retrouvée plusieurs fois avec un classement à Yan, ou un Yan en capitales - rattrapé in extremis sur les couvertures mais pas toujours, dans les catalogues et les bases...
La question était presque plus simple il y a quelques années : tous les
Asiatiques restaient à ce régime - et les bases informatiques étaient plus rares. Désormais de nombreux Japonais pratiquent, d'eux-mêmes, l'inversion ; elle choque donc de moins en moins. Des Chinois(es) de plus en plus souvent prennent un prénom occidental et, du même mouvement, font également l'inversion... Voilà qui ne simplifie pas la tâche!
Merci, en tout cas, pour ce tour de la question, passionnant ! Toute suggestion sera très bienvenue.
Anne Sastourné (11/06/08)
Complément du 11/06/08 : Voici le commentaire apporté à ce billet par Anne Sastourné des Editions du Seuil que je remercie pour ses intéressantes précisions :
Depuis que je m'occupe, au Seuil, des romans d'Asie (il faut entendre par là des ouvrages traduits des langues d'Extrême-Orient) ce problème reste quasi insoluble. A l'intérieur du livre, pas de problème, je maintiens l'ordre habituel des langues d'origine - généralement « nom » « prénom » - en veillant à utiliser des petites capitales pour le «nom », voire à préciser l'usage à l'aide d'une note. Sans compter qu'in texte les noms des personnages restent bien entendu dans le bon ordre.
Las, les livres paraissent dans la collection «cadre vert » dont la charte est rigide : prénom+nom et largement soutenue par les commerciaux (et les libraires). Notamment parce que toutes les bases de données, de plus en plus nombreuses, dans les maisons d'Editions sont bâties sur ce modèle (vous entrez le nom et le prénom séparément et ils «tombent » toujours dans le même ordre). Si j'impose l'ordre inverse, je complique le travail et suis à la merci d'une correction intempestive.
D'où cette solution... parfaitement ridicule, je vous l'accorde volontiers. (Pauvre Liu Sola, elle aussi).
Ne me parlez pas de Mo Yan : pour chaque livre, je refais une note visible qui accompagne le manuscrit et le dossier (pour Ha Jin, ma collègue du rayon anglophone veille de son côté)... et me suis retrouvée plusieurs fois avec un classement à Yan, ou un Yan en capitales - rattrapé in extremis sur les couvertures mais pas toujours, dans les catalogues et les bases...
La question était presque plus simple il y a quelques années : tous les
Asiatiques restaient à ce régime - et les bases informatiques étaient plus rares. Désormais de nombreux Japonais pratiquent, d'eux-mêmes, l'inversion ; elle choque donc de moins en moins. Des Chinois(es) de plus en plus souvent prennent un prénom occidental et, du même mouvement, font également l'inversion... Voilà qui ne simplifie pas la tâche!
Merci, en tout cas, pour ce tour de la question, passionnant ! Toute suggestion sera très bienvenue.
Anne Sastourné (11/06/08)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire