jeudi 13 mars 2008

Réponse à la devinette (011)

Une fois de plus vous m'avez surpris, agréablement surpris. Postée le 18 février, les interrogations de la onzième devinette avaient trouvé pour un tiers leur solution le 26 par un commentaire de Françoise P., et complètement, le jour même par la remise d'un post-it qui anticipait l'arrivée sur le blog d'un commentaire, judicieusement retenu jusqu'au 1 mars. Bravo, à nos deux expertes, car une fois de plus, ce n'était pas facile. Vous pardonnerez, je l'espère, mon retard à valider l'ensemble de ces réponses ; j'attendais pour le faire l'arrivée d'ouvrages sans aucun doute riches d'informations dont je voulais vous faire profiter, mais ceux-ci tardent à me parvenir. Il me faudra donc revenir à la charge dans un avenir que je souhaite assez proche et me contenter, pour aujourd'hui, de l'essentiel.

Or donc, la triple identification aurait dû - je le pensais -, vous tenir en haleine un peu plus longtemps. En effet, le texte soumis à la sagacité générale n'est plus en librairie depuis belle lurette et qui se souvient que son auteur, William Somerset Maugham (25 janvier 1874-16 décembre 1965), présenté par ses biographes comme « le mieux payé de son époque », « né et mort en France » comme le souligne Liliane D., respectivement à Paris et à Nice, se rendit en Chine entre 1919 et 1921 et qu'il en ramena On a Chinese Screen, collection de portraits publiée en 1922 [en octobre à New York, Doran et en novembre à Londres, William Heinemann, réédité fin 2007 chez Kessinger Publishing, Whitefish (MT)].


Couverture de l'édition française du Paravent chinois,
Texte français de Madame E. R. Blanchet.
Paris : Les Editions de France, 1933, 248 pages.
« Le philosophe », pp. 148-160.


Je n'ai trouvé qu'une seule édition en ligne du texte original. Elle figure sur le China History Forum et ce depuis le 14 novembre 2005, grâce à un internaute basé à Singapour portant le pseudonyme de Snowybeagle. Celui-ci a utilisé l’édition d’Oxford University Press de 1985 dont un exemplaire figure au catalogue de la Singapore Polytechnic Library. Que ses efforts soient remerciés. Ils ont suscité des réactions dont l'une d'entre elles, datée du 4 août 2006, livre la synthèse des informations fournies par Lydia Liu dans un ouvrage consultable partiellement grâce à GoogleBooks : The Clash of Empires. The Invention of China in Modern World Making. Cambridge : Harvard U.P., (2004) 2006, 334 p.

Pour elle, comme pour Hu Shui-Qing 胡水清 qui défend la même thèse dans un article intitulé « Zai Zhongguo pingfeng shang zhong de Zhongguo wenren »《在中国屏风上》中的中国文人 (The China's Scholars in On a Chinese Screen) (Zhangzhou shifan xueyuan xuebao (Zhexue shehui kexue ban) 漳州師範學院學報(哲學社會科學版), vol. 20, n° 1 (mars 2006), pp. 79-83), le « philosophe » de Maugham n'est autre que Gu Hongming 辜鴻銘 (1857-1928), alias Kou Houng Ming, Kou-Houng-Ming ou Ku Hung-Ming.

Ceux qui connaissent un peu ce personnage étonnant pour l'avoir lu en français lors de la réédition en 1996 aux Editions de l'Aube de la problématique traduction française que P. Rival donna en 1927 (Librairie Stock, Delamain et Boutelleau) de The Spirit of the Chinese People (1915) sous le titre L'esprit du peuple chinois ou grâce à Pierre Palpant qui a eu la bonne idée d'intégrer cet ouvrage dans son irremplaçable collection de matériaux sur la civilisation chinoise en ligne, ne devraient pas remettre en cause cette théorie. On retrouve dans ce seul texte presque tous les traits de caractère esquissés par le fin observateur britannique. Un des rares clichés que l’on conserve de Gu confirme la description qu’il en fit, voyez plutôt :

Gu Hongming 辜鴻銘 (1857-1928)

Vous en conviendrez, je l'espère, le personnage méritait bien une telle attention et assurément plus que deux lignes à la fin d'un billet. Du reste, la masse de documents le concernant ne cesse de grandir et impose de prendre le temps de l'analyse après celui de la collecte. En effet, son pays d'accueil - car ce Chinois-là n'est pas né sur la terre de Confucius, mais est un métis polyglotte qui a grandi en Malaisie, étudié en Europe avant de s'installer définitivement en Chine en 1885, après avoir un temps travaillé à Singapour et plus tard au Japon -, le redécouvre : une demi-douzaine de livres lui ont été consacrés ces dernières années et internet rend abondamment hommage à certains aspects de sa personnalité et encensent certains de ses engagements, mettant l'accent sur l'extraordinaire parcours qui fut le sien. Moqué de son vivant, puis dénigré jusqu’à il y a peu encore à cause de sa fidélité indécrottable à la dernière dynastie impériale et aux préceptes du sage de Qufu, serait-il en passe de devenir un repère pour une Chine qui en a tellement besoin ?

Un de ses dirigeants actuels et pas des moindres, savoir le premier ministre Wen Jiabao 溫家寶, a récemment fait preuve d'érudition en le citant. C'était à l'occasion de la visite du rédacteur en chef du Figaro, Pierre Rousselin et de son correspondant à Pékin Jean-Jacques Mével. L'échange qui remonte au 3 décembre 2005 est piquant car, me semble-t-il, plein de sous-entendus incompréhensibles pour qui n'a pas souvenir du livre dont les propos sont tirés. La seule trace que j'en ai gardé provient d'une page du site de la Mission of the People's Republic of China to the European Union qui le transcrit, hélas !, en anglais :
« It is a great pleasure for me to be interviewed by Le Figaro. The newspaper enjoys a long history and significant influence around the world. The next year marks the 180th anniversary of the creation of your newspaper. I would like to congratulate on the occasion. Meeting with French friends, I cannot help thinking of a saying by Gu Hongming, a renowned Chinese thinker at the end of the 19th century. He said, « It seems that only the French people could understand China and the Chinese civilization because the French share an extraordinary quality with the Chinese, namely, delicacy. » So when I meet French friends including the two of you, I do not feel there is estrangement between us. »
Wen Jiabao à l’occasion de sa visite à
l’Ecole polytechnique de Paris, le 6 décembre 2005.
Cliché Y. Deng mis en ligne sur Flickr.com


La citation en gras provient de ce Spirit of the Chinese People que Gu composa en 1915, en anglais justement. Vous la retrouverez dans le passage entier que je vous laisse méditer tranquillement, et longuement, en attendant que je trouve à nouveau du temps à consacrer au « dernier philosophe de la Chine » :
« Les Américains, qu'on me permette de le dire, ne comprennent pas facilement les Chinois parce que si, dans l'ensemble, ils ont l'esprit étendu et simple, ils manquent de profondeur. Les Anglais ne peuvent pas comprendre la Chine : leur esprit est profond et simple mais il manque d'étendue. Les Allemands, eux non plus, ne peuvent pas nous comprendre car, surtout lorsqu'ils sont cultivés, ils possèdent la profondeur et l'étendue, mais n'ont pas la simplicité. Je crois que ce sont les Français qui ont le mieux compris les Chinois, qui sont le plus aptes à apprécier la civilisation chinoise. Les Français, il est vrai, n'ont pas la profondeur des Allemands, ni la largeur d'esprit des Américains, ni la simplicité des Anglais ; mais ils ont à un degré tout à fait supérieur une qualité qui manque aux trois autres peuples que nous avons mentionnés, une qualité nécessaire avant tout pour comprendre la Chine, c'est la délicatesse. Car aux trois traits principaux de la civilisation chinoise, je dois en ajouter un quatrième, la délicatesse, qui est le plus caractéristique. Cette délicatesse, les Chinois la possèdent à un degré si éminent qu'on n'en trouve nulle part l'équivalent, excepté peut-être chez les anciens Grecs.
D'après ce que j'ai dit, on peut comprendre que les Américains, s'ils étudient la civilisation chinoise, manqueront de profondeur, que les Anglais manqueront de largeur d'esprit, et les Allemands de simplicité et qu'en outre ces trois peuples manqueront d’une qualité qu'ils ne possèdent pas à un degré éminent : la délicatesse. Quant aux Français, ils manqueront tout à la fois de profondeur, de largeur d'esprit et de simplicité ; ils manqueront même d'une certaine délicatesse d'un ordre encore supérieur à celle qu'ils possèdent actuellement. Aussi, je suis amené à penser que l'étude de la civilisation et de la littérature chinoises sera certainement profitable à tous les peuples d'Europe et d'Amérique. »
Mais, vous, qu'en pensez-vous ? Merci d'avoir la délicatesse de nous en faire part dans un commentaire. (P.K.)

1 commentaire:

LD a dit…

Cela fait plaisir de trouver la solution à la devinette, mais on attend toujours avec impatience "la réponse à la devinette" de Pierre Kaser qui vient compléter et surtout clarifier ce qu'on a pu glaner çà et là... Et, comme chaque fois, on enrichit et élargit, de façon vivante et originale, notre "culture chinoise"...
Liliane D.