vendredi 6 juillet 2007

Entre parenthèses

Illustration tirée d'une édition Qing du Huajian ji 花箋記

Le rideau,
essai en sept parties

(Gallimard, 2005) de
Milan Kundera (1929-)
[le prochain Prix Nobel de Littérature ?]
est un livre rare qu'il faut avoir lu au moins une fois
si l'on aime la littérature et surtout si on a en charge
d'en explorer une parcelle et/ou qu'on se risque à l'enseigner.
Pour preuve, ce simple paragraphe extrait de la deuxième partie,
« Die Weltliteratur » [(pp. 43-72), p. 51] :
(Et les professeurs de littératures étrangères ? N'est-ce pas leur mission toute naturelle d'étudier les œuvres dans le contexte de la Weltliteratur ? Aucun espoir. Pour démontrer leur compétence d'experts, ils s'identifient ostensiblement au petit contexte national des littératures qu'ils enseignent. Ils adoptent ses opinions, ses goûts, ses préjugés. Aucun espoir : c'est dans les universités à l'étranger qu'une œuvre d'art est le plus profondément embourbée dans sa province natale.)
Deux citations supplémentaires seront les bienvenues pour mieux envisager cette incise dont on a tous, à un moment ou un autre, vérifié la justesse, et qui est présentée, sublime élégance, entre parenthèses :
« Il y a deux contextes élémentaires dans lesquels on peut situer une œuvre d'art : ou bien l'histoire de sa nation (appelons-le le petit contexte), ou bien l'histoire supranationale de son art (appelons-le le grand contexte). » (p. 49)

« Ce que je viens de dire, c'est Goethe qui l'a formulé pour la première fois : « La littérature nationale ne représente plus grand-chose aujourd'hui, nous entrons dans l'ère de la littérature mondiale (Weltliteratur) et il appartient à chacun de nous d'accélérer cette évolution. » Voilà, pour ainsi dire, le testament de Goethe. Encore un testament trahi. Car ouvrez n'importe quel manuel, n'importe quelle anthologie, la littérature universelle y est toujours présentée comme une juxtaposition de littératures nationales. Comme une histoire des littératures ! Des littératures, au pluriel ! » (p. 50)
Les mots de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) – « Nationalliteratur will jetzt nicht viel sagen, die Epoche der Weltliteratur ist an der Zeit und jeder muß jetzt dazu wirken, diese Epoche zu beschleunigen. » -, ont été rapportés par Johann Peter Eckermann (1792-1854) à la date du mercredi 31 janvier 1827. Ils apparaissent après un passage souvent cité par maint sinologue dans lequel le « plus grand écrivain allemand », le « Sage de Weimar », l'auteur des Souffrances du jeune Werther (1774), des Affinités électives (1809) [voir la traduction française de la Barone Aloyse Christine de Carlowitz (1797-1863), ici] et de tant d'autres chefs-d'œuvre, annonce à son visiteur qu'il n'a pas vu de quelques jours, avoir « beaucoup lu, notamment un roman chinois » sans en donner le titre.

Selon les commentaires et celui qui les prodigue, il s'agirait du Haoqiu zhuan 好逑傳 disponible dans la médiocre version anglaise de Wilkinson depuis 1761, du Yu Jiao Li 玉嬌梨 qui venait d'être traduit en français par Abel-Rémusat (Les deux cousines, Moutardier, 1826) [c'est l'option retenue par Jean Chuzeville dans sa traduction : Conversations de Goethe avec Eckermann, Gallimard, 1943, pp. 156-158], ou, comme le propose André Lévy [dans sa préface à Rainier Lanselle (trad.), Le poisson de jade et l'épingle au phénix, Gallimard, 1987, p. 8], le Huajian ji 花箋記 , non pas un 'roman' comme les deux autres, mais une ballade cantonaise publiée dans la « balbutiante traduction de Thoms » en 1824. La question mérite, vous en conviendrez, un examen attentif même si sa résolution relève plus du petit contexte que du grand. Vous devriez donc en entendre reparler, ici ou lors d’un certain colloque qui devrait se tenir en septembre 2008 et auquel notre équipe sera associée. (P.K.)

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