dimanche 9 mai 2010

Xuân Quỳnh, poétesse vietnamienne


Traduire les littératures extrêmes-orientales n'est pas une chose aisée, surtout quand il s'agit de la poésie. Je tiens à remercier chaleureusement Mme Nguyễn Minh Phương qui a eu un jour l'audace, ou la folie…, de se lancer, avec l’aide de son ami français Đặng Trần Thường, dans la traduction d'une sélection de 32 poèmes de Xuân Quỳnh réunis dans un recueil intitulé Nếu ngày mai… Si demain… qui sera publié prochainement à Hanoi en version bilingue.


Considérée comme une des figures les plus représentatives de la poésie vietnamienne moderne, Xuân Quỳnh (1942 - 1988) (voir l'article en vietnamien sur le site officiel du Ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme vietnamien) est en même temps une poétesse très populaire. Ses poèmes d'amour les plus célèbres ont été mis en chanson, comme par exemple le poème Thuyền và biển (Le bateau et la mer) dont on lira la traduction plus loin. Rémi Camus, auteur de la présentation de la poétesse sur Wikipédia estime « qu'ils abordent les éléments (la mer, le sable, le vent...), un chemin durant les années de guerre ou la ville de son enfance, les textes de Xuan Quynh transfigurent l'histoire singulière de l'auteure en expérience universelle. L'amour, la maternité, la solitude, la souffrance sont exprimés sur le ton de la confidence sincère, sans apprêts, et suscitent l'empathie du lecteur ».


Xuân Quỳnh est l'auteur de quelques centaines de poèmes publiés entre 1968 (le recueil Hoa dọc chiến hào, Les fleurs le long des tranchées) et le volume posthume Thơ Xuân Quỳnh (Poésie de Xuan Quynh) publié en 1992. Elle a expérimenté également le genre ancien de « histoire en vers » avec Truyện Lưu Nguyễn (Histoire de Luu Nguyên) publié en 1985.


Xuân Quỳnh a écrit également des « histoires pour enfants », par exemple Mùa xuân trên cánh đồng (Le printemps dans la rizière, 1981), Vẫn có ông trăng khác (Il reste encore une autre lune, 1986).


La poétesse a obtenu plusieurs prix littéraires, notamment le Prix de littérature enfantine de l’Association des Écrivains vietnamiens (1982 - 1983) pour son recueil de poésie Le ciel dans un œuf, et le Prix de poésie de l’Association des Écrivains vietnamiens (1990) pour son recueil Les fleurs de chrysopogon. En 2001 lui fut décerné à titre posthume le Prix d'État vietnamien Littérature et Arts.


Décédée le 29 août 1988 dans un accident de la route dans lequel ont péri également son mari, le célèbre auteur et metteur en scène Lưu Quang Vũ, et leur fils Lưu Quỳnh Thơ, Xuân Quỳnh est devenue en quelque sorte une icône. En 2008, la Télévision du Vietnam a diffusé un émouvant reportage intitulé Lưu Quang Vũ - Xuân Quỳnh gửi lại (Luu Quang Vu - Xuân Quynh : ce qu’ils nous lèguent).


Selon Nguyễn Minh Phương, « plus d’une génération de Vietnamiens a feuilleté avec intérêt et passion le journal intime ouvert de la poétesse – appellation qui a été donnée à son oeuvre poétique. Partie trop jeune (46 ans), Xuân Quynh nous a pourtant laissé quelques centaines de poèmes d’amour et de réflexions, dont certains ont été mis en musique et sont ensuite devenus des chansons tout aussi célèbres, d’autres sont entrés dans des manuels de littérature scolaires du Vietnam. Sa poésie a séduit les lecteurs par une simplicité remarquable et un lyrisme original qui venait directement du cœur, comme si les sentiments de la poétesse débordaient et s’épanchaient sur le papier. Plusieurs de ses poèmes trouvent une place particulière comme des reliques poétiques chez les couples amoureux : Thuyền và biển (Le bateau et la mer), Sóng (Les vagues), Thơ tình cuối mùa thu (Poème d’amour en fin d’automne), Tự hát (Chant en solitaire)... Auteure de poèmes d’amour parmi les plus ardents et les plus tendres de la littérature du pays, elle reste pourtant très peu lue, pour ne pas dire inconnue, des lecteurs étrangers. »


Souhaitons que les lecteurs francophones réservent un bon accueil à la poétesse Xuân Quỳnh et à ses traducteurs Nguyễn Minh Phương et Đặng Trần Thường.


Voici, en avant-première, la traduction de deux poèmes (le texte original en pdf, ici).

Le bateau et la mer

Je vais à l’instant te conter

L’histoire du bateau et de la mer :

« Un jour, dire lequel nul ne saurait,

Le bateau, à l’écoute de la mer,

Se laissait mener de lieu en lieu

Par les albatros et les vagues bleues.

Le bateau est plein d’aspirations,

Et la mer d’une immense affection.

Il navigue sans cesse, sans fatigue,

Elle s’ouvre toujours et encore sur l’infini.

Les douces nuits baignées de lune,

Comme une jeune fille, la mer

Vient auprès du bateau s’épancher

Au beau milieu des clapotis d’écumes.

Mais il arrive aussi que, sans raison,

La mer déchaîne ses flots sur le bateau.

(Car l’amour, comme nous le connaissons,

N’a-t-il pas toujours des bas et des hauts ?)

Le bateau est le seul à concevoir

À quel point la mer est immense ;

La mer est la seule à savoir

D’où vient le bateau, vers où il avance.

Les jours où ils ne se rencontrent pas,

La mer languit à se blanchir d’écume ;

Les jours où ils ne se rencontrent pas,

Le bateau souffre à se briser lui-même.

Si un jour le bateau s’en allait,

Il ne resterait à la mer que l’orage violent. »

Si un jour loin de moi tu partais,

Il ne me resterait que l’ouragan.

4-1963


Les vagues

Tantôt violentes, tantôt tendres,

Parfois calmes, parfois agitées,

Perplexes sur elles-mêmes, à la mer

Les vagues cherchent à se rendre.

Ô vagues d’hier, vagues de demain

Mais qui ne se distingueront point :

L’aspiration à l’amour bouillonnant

Dans les poitrines des jeunes gens !

Devant l’immensité des vagues,

Je pense à nous deux, toi et moi ;

Je pense à l’océan des eaux :

– D’où montent tous ces flots ?

Les flots sont formés par le vent ;

Mais le vent, de quoi est-il né ?

J’ignore aussi tout du moment

Où notre amour a commencé.

Ô vagues au fond des eaux,

Ô vagues en surface des flots

Qui, songeant au rivage éloigné,

Restent jours et nuits éveillés !

Mon âme, de toi languissante,

Même en rêve passe des nuit blanches.

Et que je monte vers le Nord

Ou que je descende vers le Sud,

Vers toi, vers mon unique bord,

Mes pensées vont chaque minute.

Là-bas ondulent en plein large

Des centaines, des milliers de vagues.

Elles vont toutes atteindre le rivage

Malgré l’infinité des obstacles.

La vie s’avère certes longue,

Pourtant les mois, les années passent.

De même, l’océan est bien vaste,

Les nuages volent toujours à l’horizon.

Puissé-je me briser un jour

En une centaine de petites vagues

Au milieu de l’océan d’amour

Pour clapoter à jamais sur le rivage.

La mer Diêm Diên, 29-12-1967

En guise de conclusion, signalons que le poème Thuyền và biển a été traduit par deux autres traducteurs. La traduction de Do-Hurinville Danh Thanh peut être lue ici, et celle de Jean-Claude Renoux, .

Ce poème mis en musique est devenu une très belle chanson que vous pouvez écouter interprétée par trois chanteurs différents : 1, 2 & 3.


Nguyen Phuong Ngoc Jade

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci d'avoir publier cet article. Très beau travail de traduction. Tous mes encouragements.

Jeab-Claude RENOUX a dit…

Merci infiniment pour ces traductions. 36 poèmes de Xuân Quỳnh ont été publiés en vietnamien par Nhà Xuất Bản Lao Động, ainsi que d'autres poètes. Très belle collection, je suppose que vous connaissez, sinon je peux vous fournir l'adresse à Hà Nội. Il existe une très bonne traduction en anglais de "Le bateau et la mer" que l'on doit encore pouvoir trouver sur le net. J'ai une pensée émue pour son mari, son petit garçon, décédés avec elle en 1988, et sa petite fille qui doit être une jeune femme maintenant.