mercredi 29 août 2007

Quelques lectures de l’été qui s’achève

Affiche de l'adaptation cinématographique du
Vieux Jardin
[오래된 정원 Orae-doen jeongwon]


Pour qui veut connaître la mentalité d’un pays et de sa population, une tranche de son histoire, ses habitudes, voire ses rites sociaux, rien de mieux qu’un roman mettant en scène des acteurs de la vie politique et sociale de ce pays. Si en plus l’auteur parvient, à partir de la réalité qu’il évoque, à faire naître l’émotion et créer un sentiment esthétique grâce à la qualité de son style et à sa manière d’appréhender le réel, le lecteur est alors comblé et dans sa mémoire s’impriment de manière quasi indélébile les images qui ont défilé dans son cerveau tout le long de la lecture de ce roman. C’est le cas avec le livre de Hwang Sok-Yong, traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot, publié en 2000 en Corée et en 2005 dans sa traduction française aux éditions Zulma. Depuis que j’ai achevé la lecture du Vieux Jardin, je suis hanté par les figures de O Hyônu, emprisonné dix-huit ans en raison de son activisme politique contre la dictature militaire en Corée du Sud, et Han Yunhi, une femme artiste et professeur. Tous deux se sont aimés un très court laps de temps et resteront séparés à jamais du fait de l’emprisonnement de l’homme et, plus tard, du décès de la femme, dû à une maladie. Le combat politique mené par tant de Coréens contre la dictature militaire en Corée du Sud au début des années 1980, les souffrances qu’ils ont endurées, la désillusion qui apparaît après la chute du mur de Berlin en 1989, les transformations profondes de la société coréenne à partir de la démocratisation du régime, tout cela est évoqué magistralement par l’auteur, mais en plus, on a dans ce roman une saisissante description de la mentalité des Coréens, de leur attachement à leur pays et à ses coutumes et aussi… à leur nourriture. Dans les moments les plus durs que vivent les personnages, un bol de nouilles sautées et un peu de kimchi sont souvent tout ce qui reste pour reprendre un peu espoir.

Une préface de Jeong Eun-Jin permet de bien situer le contexte historique de l’œuvre et un jeu de notes guide le lecteur dans les particularités de la société coréenne, ainsi qu’un glossaire très utile pour comprendre, si l’on n’a pas séjourné en Corée, ce que sont kimbap, soju, maru, sundae, et bien d’autres particularités culinaires ou non (la recette du pibimbap figure même à la page 358 !). Mon faible niveau de coréen m’empêche de porter un quelconque jugement sur la traduction, mais je trouve qu’elle se lit très bien. Une remarque, cependant : les traducteurs n’hésitent pas, sans doute pour rendre l’atmosphère quotidienne de la Corée, à conserver certains mots coréens très courants comme Aïgo, p. 140, qui devient Aïgu p. 169, mais sans explication… Le lecteur peu habitué à la Corée s’y retrouvera-t-il ? Il en est de même pour les onomatopées et les exclamations : les traducteurs les conservent le plus souvent telles quelles, sans chercher d’équivalent en français. On voit ainsi curieusement coexister les exclamations Hyuu (p. 151), Pfft (p. 167 ou 168) ou Waouh (p. 333). On trouve aussi la phrase : « K’aa ! a-t-il fait avant de s’emparer de la bouteille et de boire au goulot » (p. 124). Ou : « Les herbes et les feuilles flottent au vent : poruru lorsqu’il est souffle, sallang sallang quand il est brise et elles se couchent ou se tortillent hwich’ông hwich’ông lorsqu’il forcit » (p. 208). Un choix qui peut se discuter… et pourrait faire l’objet d’une journée d’étude de notre équipe… ou d’une discussion sur ce blog.

Dans sa postface, datée d’avril 2000, Hwang Sok-Yong écrit :
« Lorsque je pense aux souffrances, au gâchis et aux désespoirs qu’a engendrés le siècle dernier, je me pose la question que d’innombrables personnes ont déjà posée : y a-t-il encore de l’espoir ? »
L’existence de ce roman et de sa traduction constitue en soi un espoir…


En littérature chinoise actuelle, Amour dans une petite ville de Wang Anyi constitue un des livres de la rentrée littéraire. Traduit par Yvonne André, il raconte les amours impossibles d’un couple de danseurs à l’époque de la Révolution culturelle. Ce qui frappe le plus dans ce roman, c’est l’aspect totalement négatif de cet amour contrarié, considéré comme une faute grave, un véritable péché, mais aussi l’atmosphère dans laquelle se déroule l’histoire : la saleté, la pauvreté, et surtout la chaleur étouffante qui fait transpirer les corps et pourrir les détritus… On comprend que ce texte ait pu faire scandale à sa parution en 1986… et l’on peut se demander comment il sera reçu aujourd’hui par le public francophone… La conclusion en est très noire puisque la faute commise par les deux amants les condamne (surtout la femme) à être rejetés par la société : « Quand on parle d’elle, on crache trois fois par terre pour chasser la souillure et conjurer le mauvais sort qui s’attachent à elle. En vérité, une fois libérée de la frénésie du sexe, elle est plus propre et pure qu’elle ne l’a jamais été. Hélas ! personne n’a conscience de cela, même pas elle qui persiste à se sentir inférieure. » (p. 146.) Pierre Kaser a déjà évoqué ici (et ) la couverture « aguichante » du livre. Une couverture qui risque de décevoir le lecteur s’il pense lire un texte érotique à la gloire de l’amour physique. Il est plus question ici de pulsions non maîtrisées, de honte, de secret, de peaux couvertes de boutons de chaleur et de sueur, de saleté, d’odeurs fortes, de promiscuité…

Signalons aussi la parution d’un livre au titre appétissant aux éditions Bleu de Chine : Dés de poulet façon mégère, de Liu Xinwu, traduit par Marie Laureillard. Ce sont de courts récits savoureux dont chacun porte le nom d’un plat, galerie de portraits des petites gens de Pékin au début de ce siècle. Des dessins amusants accompagnent les textes, mais on ne nous dit pas qui en est l’auteur.


Enfin, la page consacrée au traducteur de Jim Harrison dans Le Monde du 1er août montre que le métier de traducteur littéraire est reconnu à sa juste valeur par ce quotidien.
« Traduire, dit Brice Matthieussent, c’est une invasion. Il faut prendre en charge les personnages, savoir comment ils se comportent, se fatiguent, mangent, font l’amour, quels sont leurs rêves. » [Article de Raphaëlle Rérolle - encore ! - en ligne ici]
Cet été, ce sont les personnages du roman Les Quarante et Un Canons de Mo Yan, que je traduis en ce moment avec Liliane Dutrait, qui m’ont envahi. Ils ont été obligés de cohabiter dans ma tête avec ceux des romans que j’ai lus, qu’ils soient traduits du chinois, du coréen ou écrits directement en français… (N.D.)

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