dimanche 12 avril 2009

De la traduction du chinois… en Turquie

Je me souviens que, quand j’étais enfant, on m’avait raconté une blague, tout droit tirée de l’Almanach Vermot. Au moment de son exécution, on demandait à un condamné à mort quelles étaient ses dernières volontés. Celui-ci répondait que son seul et ultime désir était d’apprendre à parler le turc et le chinois avant de mourir… Aux yeux de l’humoriste, ces deux langues étaient donc les deux langues au monde les plus longues et difficiles à apprendre. J’ai bel et bien appris le chinois (au mois d’octobre 2009, je fêterai le quarantième anniversaire de mon apprentissage du chinois en me remémorant mes débuts à l’université de Provence sous la direction de Patrick Destenay qui nous initiait aux charmes des quatre tons, avant de commencer l’apprentissage des caractères dans la méthode américaine de Yale University, le fameux et excellent manuel de John DeFrancis), mais le turc m’est resté totalement inconnu. Il me faudrait sans doute encore une bonne quarantaine d’années avant de le maîtriser aussi bien que Marie-Hélène Sauner-Leroy, maître de conférences au département d’études moyen-orientales de l’université de Provence, actuellement en détachement à l’université de Galatasaray à Istanbul, qui m’a permis d’effectuer une mission dans le cadre des échanges Erasmus. Ce fut l’occasion de rencontrer des passionnés de traduction d’Istanbul, à l’occasion de conférences à ce sujet dans son université. La chaleur de l’accueil des autorités de l’université de Galatasaray – le professeur Kenan Gürsoy et le professeur Osman Senemoglu – n’a rien d’étonnant dans un pays aussi hospitalier que la Turquie et la qualité des discussions qui ont entouré les conférences a bien montré que, quelles que soient les langues traduites, du turc au français ou du chinois au français, les difficultés sont les mêmes.

Nous nous sommes demandé au passage comment s’était faite la traduction en turc de La Montagne de l’Âme et du Livre d’un homme seul de Gao Xingjian : à partir du chinois, du français… ou de l’anglais ? J’ai présenté aux collègues turcs et à leurs étudiants la méthode que nous pratiquions dans nos traductions : ni ciblisme, ni sourcisme, mais avant tout un pragmatisme qui permet de résoudre les difficultés du chinois au cas par cas, en respectant le texte original autant que faire se peut tout en soignant le style de la langue d’arrivée, dans le souci que le lecteur francophone profite au mieux de la lecture d’un texte de Mo Yan, Gao Xingjian, A Cheng, Su Tong ou Han Shaogong

Une autre conférence m’a permis de présenter Gao Xingjian, un auteur encore peu connu en Turquie, mais dont les deux principaux romans sont traduits. Les critiques qui ont été formulées après que le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 2000 n’étaient pas sans rappeler à mes auditeurs turcs celles qui étaient apparues dans les milieux littéraires stambouliotes lorsque Oran Pamuk avait obtenu le même prix en 2006. L’évocation du rôle de passeur que Gao Xingjian a joué au début des années 1980 en Chine, quand il présentait à ses collègues écrivains l’œuvre de Ionesco ou celle de Prévert, et jetait les bases d’une réflexion sur l’« art du roman moderne » a manifestement reçu un fort écho auprès des enseignants de français de Galatasaray qui ont expliqué à quel point la littérature française a été influente en Turquie, depuis les grands classiques jusqu’au Nouveau Roman.

La découverte d’un pays réserve toujours des surprises… Sur le plan linguistique, si le turc m’a plutôt fait penser aux structures du coréen (la question ne semble pas tout à fait tranchée par les linguistes), l’influence au niveau du vocabulaire se manifeste ici et là. Nous avons en effet savouré de délicieux mantı (avec un i sans point), de petits raviolis dont le nom rappelle celui des mantou chinois. Le mot turc su pour l’eau semble bien venir de shui en chinois… et la porcelaine cini indique bien ses origines. Malheureusement, nous n’avons pas pu voir la collection de porcelaines chinoises conservée au palais de Topkapı (encore avec un i sans point) dont on dit qu’elle est une des trois plus grandes au monde. L’aile du palais où elle est exposée était en réfection… Une bonne raison de retourner à Istanbul.

Si M. Barack Obama se trouvait à Istanbul au même moment, ce n’est certes pas pour assister à des conférences sur la traduction, mais plutôt pour affirmer à quel point il estime nécessaire que la Turquie soit intégrée à l’Union européenne. Et le peu de temps où nous sommes restés en Turquie nous a prouvé que c’était certainement une bonne idée tellement ce pays paraît ouvert et prêt à se tourner vers l’Europe.

Noël Dutrait


samedi 11 avril 2009

Traduit du coréen (005)

La vie rêvée des plantes
de LEE Seung-U (이 승 우)

Paru en 2007, chez Zulma, dans une traduction de Choi Mikyeong (최미경) et Jean Noël Juttet, La vie rêvée des plantes (식물들의 사생활) est le deuxième livre traduit en français de Lee Seung-U. Le premier étant L’envers de la vie, (생의 이면) 2000, chez Zulma, traduction Ko Kwang-Dan (고 광단) et Jean-Noël Juttet.

Le titre de l’éditeur La vie rêvée des plantes, clin d’œil sans doute au film presque éponyme La vie rêvée des anges, a été préféré au titre des traducteurs, pourtant plus littéraire, La vie intime des plantes.

Il y a tout d'abord, au début, Kihyeon ce frère jaloux de Huyeon, photographe heureux et amoureux de la belle Sunmi, qui lui chante toujours la même chanson lancinante, en s'accompagnant à la guitare.

Kihyeon, ne parvenant pas à se faufiler au milieu de la relation amoureuse de son frère, quitte la maison familiale et dérobe, en partant, l'appareil photographique de son frère, pour le revendre à un magasin d'occasion, à Séoul. Mais dans l'appareil, la pellicule est restée. Et sur cette pellicule, défile l'histoire contemporaine de la Corée, car le photographe Huyeon n’est passionné que par le reportage « il prenait des clichés sous l'angle de la morale, il leur voulait une fonction militante » dira plus tard son frère.

Mais la dictature est là et la police partout rôde. Une descente dans le magasin photo, une saisie de l'appareil et de la pellicule, et Huyeon est emprisonné puis enrôlé de force dans l'armée. Au cours d'une manœuvre, une grenade explose à proximité. Huyeon a les deux jambes sectionnées. Il revient chez lui et avec lui l'enfer d’une vie gâchée. Même la belle Sunmi ne peut plus rien pour lui.

Dans la demeure familiale, l’apparente banalité de la vie est remplacée par la détresse de Hueyeon et le départ de Kihyeon. Il reste le père, asphyxié par la vie, qui regarde toute la journée la télévision retransmettre d'interminables parties de Go. Il est le seul à savoir parler aux plantes. Reste aussi la mère, comme la plupart des femmes coréennes, une mère courage, qui va jusqu’à transporter son fils infirme sur son dos, pour l'accompagner au bordel et lui éviter les crises de démence, au cours desquelles il déborde d’une vigueur sexuelle incontrôlable.

Kyhyeon, honteux décide alors de revenir et de consacrer sa vie entière à réparer sa faute. Il offre à son frère un nouvel appareil qui restera, une bonne partie du temps sur l'étagère de sa chambre. Huyeon n'a plus le goût à la photographie, car il ne trouve plus d’autres fonctions à la photographie que la fonction documentaire et réaliste qu’il lui accordait avant son accident. Il ne trouve pas le ressort esthétique de la photographie. A quoi sert le « beau » dans un pays au régime autoritaire.

Pour Kyhyeon, le temps de la repentance est arrivé en même temps qu'une enquête qu'il va mener sur sa propre mère, enquête financée par un mystérieux commanditaire. A son tour, il va s’occuper de son frère et se substituer à la mère dans l’ingrate tâche de lui trouver, préventivement à chaque crise, une fille pour quelques instants.

La présence chaste de Sunmi remplit de poésie la lugubre maison et bientôt Kyhyeon va tomber amoureux d'elle et se mettre à détester ce frère à qui Sunmi reste fidèle. Commence alors, pour chacun des protagonistes, une quête aux itinéraires multiples et aux résultats surprenants, dont la découverte de l'amant de la mère, son véritable amour.

La vie rêvée des plantes est un roman coréen assez inhabituel, au sens où il privilégie davantage les situations psychologiques et les interactions qu’elles peuvent avoir entre elles. Les problèmes existentiels se règlent à coups de symboles, particulièrement les symboles de plantes et d’arbres, dont plusieurs espèces parcourent l’histoire. La forêt de Lee Sang U accorde aux arbres communs ou arbres rares à l’abri desquels les personnages peuvent rêver, exhumer des profondeurs de l’inconscient, ce qui se joue à l’abri des regards et qu’aucun d’entre eux ne peut mettre en mots. Comme ce père qui a commandité l’enquête et qui établit le lien entre le monde humain et le monde végétal.

Roman coréen ? Assurément dès lors que l’histoire politique de la Corée sert d’arrière plan au roman, mais une Corée effacée, toutes en nuances, teintes au pastel, des couleurs puisées dans la connaissance de la culture occidentale de l’auteur.

Dans ce roman, le point de vue adopté est celui de Kyhyeon. C’est aussi le point de vue de la culpabilité et du désir de rachat. Il traverse tout le roman et nous fait penser à toutes les formes de culpabilité éprouvées par les Coréens, aux périodes critiques de leur histoire. C’est aussi le geste le plus significatif de Kyhyeon, lorsqu’il offre un appareil photo à son frère, pour photographier le beau, après la laideur de la période politique et prouve que l’esthétique, le sens du beau sont encore possibles après l’horreur. :

« Au fait, en regardant tes photos, je me disais qu’il y manquait quelque chose. Je ne savais pas quoi au juste, mais maintenant je sais, il y manquait les fleurs, les arbres, les nuages, la mer. J’étais d’accord avec toi en général, mais j’aurais bien aimé que tu te places du point de vue du sens et de l’imagination et pas seulement du point de vue de l’éthique… reprends ton appareil, regarde à nouveau le monde à travers l’objectif. Sers t-en pour nous montrer que le monde est beau. Comme cela, je me sentirais un peu moins coupable. Fais comme je te dis, fais le pour moi, s’il te plaît ». Pathétique supplique du coupable et invocation faite à la victime de nous montrer encore les raisons d’espérer dans une autre recherche des formes esthétiques.

Et ce roman le prouve, dans l’art d’écrire. D’un abord facilité par la qualité de la traduction, l’intrigue s’étire et serpente au milieu des symboles issus de la mythologie gréco-romaine, plutôt que de la mythologie coréenne, étrangement absente d’ailleurs. L’intrigue passe régulièrement au second plan. De l’enquête mystérieuse qui est menée, on ne sait presque rien, tout au long du roman. Lee Sang-U préfère une narration plus conceptuelle, plus évocatrice que descriptive. Dans une littérature romanesque mondialisée où sont souvent privilégiées les peintures de personnages et de caractères, les descriptions de situations, l’intrigue, Lee Sang-U s’échappe de cet étroit corset, même s’il reconnait qu’il faut que son écriture abstraite évolue « mais ce n’est pas facile », avoue t-il dans le même temps.

Lee Seung-U, né en 1959 dans le sud de la Corée, a débuté sa carrière grâce à une expérience religieuse qui le mènera vers des études de théologie, abandonnées quelques temps après, au profit de l’écriture. Ce passionné de culture occidentale se réfère plus souvent à Dostoïevski, Kafka ou Gide plutôt qu’aux auteurs coréens. Dans une interview donnée à la revue Littérature.com, Lee Seung U ne cache pas son statut de professeur à l’université, titulaire d’un cours de littérature et d’un autre cours « L’art d’écrire », l’équivalent coréen de nos ateliers d’écriture.

C’est un rapport étrange que l’on peut entretenir avec La vie rêvée des plantes. Des personnages qui deviennent vite familiers, une intrigue qui se déroule mollement sans grands bouleversements ni rebondissements et des situations que l’on peut définir par des procédés de « relief en creux ». Ajouté à cela, une vraie qualité d’écriture, parfaitement restituée par la traduction et vous avez quelques recettes simples du plaisir de lire.

Hye Gyeong Kim et Jean-Claude de Crescenzo


vendredi 10 avril 2009

De blog en blog (05)

Vous le savez déjà depuis le 11 février dernier, grâce à un billet intitulé « Les habits neufs de Leo2T », le site de notre équipe a revêtu ses nouveaux atours. Depuis peu, ils sont visibles dès la page d'accueil de notre université, savoir dans le bandeau défilant appelé « Fenêtres sur l'UP » qui permet de prendre la mesure de la richesse des sites et des blogs des diverses formations et équipes de recherche de l'Université de Provence, et, par la même occasion, d'accéder d'un seul clic de souris à ces nombreuses dépendances. Nous y apparaissons de la manière reproduite ci-dessus, en tête de liste, à la sixième position.

Pour nous le changement avait été motivé par la mise en conformité de notre image avec la nouvelle physionomie et le nouveau nom de notre équipe anciennement « Littérature chinoise et traduction » (les nostalgiques peuvent encore se rafraîchir la mémoire avec une vue de notre ancien bandeau). Malheureusement, ces modifications n'ont pas encore produit d'effets notables sur le contenu de notre site : nous allons devoir y travailler d'arrache-pied.


Pour ce qui est du site du Service Commun de la Documentation – Bibliothèques de l'Université, les modifications apportées ne sont pas que de façade. Si elle affirme d'emblée l'appartenance de ce site à la famille des sites de l'Université de Provence, la nouvelle interface facilite grandement l'utilisation à distance de cet outil indispensable autant à l'étudiant, qu'à l'enseignant et au chercheur. La qualité du travail réalisé par les équipes qui ont œuvré sur cette refonte est particulièrement remarquable, vous en rendrez compte très rapidement. De plus, un accès direct au catalogue figure sur la page d'accueil ; un lien permet aussi de s'abonner à une lettre d'information dont les numéros déjà parus sont tous téléchargeables : je vous recommande le bulletin n° 5 dans lequel Jean-Luc Bidaux propose un « Retour sur … Gao Xingjian à la BU d'Aix (2 et 3 avril 2008) ». Autre nouveauté notable, une fenêtre de la colonne de gauche fait défiler les dernières actualités.

L'une d'entre elles mérite toute notre attention car elle concerne la création d'un blog, Blog'UP, dont la vocation est affirmé dans son premier billet publié daté du 3 avril 2009 :
« Ce blog, nous l’espérons, vous permettra d’être plus au courant de ce qui se passe dans nos bibliothèques. Nous voulons construire avec vous un outil réactif, convivial et participatif (puisque nous vous invitons à nous laisser des commentaires !), un outil qui mette en valeur le travail que nous faisons et qui, surtout, vous aide à gagner un temps précieux dans vos recherches. »
Souhaitons le meilleur à cette excellente initiative dont on sait quelle est coûteuse en temps et en énergie. Merci donc à ceux qui sacrifient de leur temps pour nous en faire gagner.


« Faire gagner du temps » à autrui n'est déjà pas une opération très simple, « rattraper le temps perdu » en est une encore plus périlleuse. C'est pourtant ce fol espoir qui m'a poussé à créer les deux blogs dont il va être question maintenant.

Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons depuis une dizaine de semaines s'avèrent, in fine, un excellent stimulant pour concrétiser un projet en gestation : je tiens, de ce point de vue, à remercier les services du Pôle TICE et notamment Mlle Lucie Fayolle pour leur implication, leur disponibilité et leur savoir faire. Or donc, voici deux blogs qui vont remplacer, un peu dans l'urgence, mon ancien site internet que je ne suis plus en mesure d'entretenir pour des raisons techniques ; ils vont également me permettre de mieux séparer les deux pans de mon activité, celle de chercheur d'une part, avec un site personnel qui devra s'adapter d'ici le début du mois de juillet à de nouvelles données techniques, et d'autre part, celle d'enseignant du Département d'Etudes Asiatiques d'UP.

C'est ainsi que le premier blog, « Pik UP Licence » (y accéder en cliquant sur le bandeau ci-dessus), s'adresse principalement aux étudiants de niveau licence ainsi qu'à ceux, de plus en plus nombreux, qui s'inscrivent au Diplôme universitaire de chinois, et traitera en priorité des cours de culture chinoise ancienne (histoire, littérature ancienne, système des examens) de première et deuxième années, alors que le second blog, « Pik UP Master » (y accéder en cliquant sur le bandeau ci-dessous), est entièrement dédié aux étudiants de niveau Master : ce versant sera sans doute encore plus propice que le précédent à accueillir des contributions autres que les miennes. Je compte, en effet, sur l'implication de ces apprentis chercheurs qui pourront y présenter les résumés des mémoires qu'ils préparent dans le cadre de ce diplôme, voire plus, s'ils en ont la volonté.

Inévitablement, les billets qu'on y trouvera intègreront des renvois vers mes contributions au blog de l'équipe qui, vous l'avez sans doute noté, s'est considérablement étoffé ces derniers temps avec pas moins de 20 billets pour le seul mois de mars - un grand merci à ceux qui ont ainsi permis de dépasser de deux billets le précédent record des 18 billets du mois de novembre 2007 -, ce qui porte à 275 le nombre de billets publiés depuis son ouverture en novembre 2006, et à quelque 44000 le nombre de visites reçues, la plupart de France ou de pays francophones, mais aussi, dans une proportion de plus en plus grande, des lointaines contrées (Chine, Taiwan, Japon, Vietnam, Corée, Thaïlande, Inde) de cet Asie qui nous réunit.


Avant conclure cette revue des nouveautés printanières, je voudrais vous signaler deux adresses à ne pas négliger tant elles remplissent bien la fonction principale qu'on attend d'un blog de cette nature. Il s'agit d'Electrodoc et des Actualités scientifiques du CECMC.

L'année dernière, je vous avais déjà signalé l'existence d'Electrodoc, blog de l'EHESS tenu par Jacqueline Nivard. Toujours aussi prompt à rendre compte de l'activité de la recherche sinologique, ce blog vient de changer de présentation et a fait évoluer la deuxième partie de son intitulé en « Chine-Occident : veille documentaire ». On le retrouve avec un grand plaisir sous le bandeau ci-dessous.

Un menu copieux vous y attend. Voyez plutôt à titre d'exemple : l'annonce du 24 mars 2009 d'une conférence de Viviane Alleton, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, sur « L'apparition des idéogrammes », conférence donnée à la Cité de Sciences, le 28 janvier 2009 ; le 3 mars 2009, était annoncé la mise en ligne de plusieurs articles de chercheurs du CECMC sur le site de l’AFEC (Association française d’études chinoises) ; le 24 mars, on apprenait que « La revue Études Mongoles fondée en 1970 par Roberte Hamayon, [était] maintenant disponible sur la base de données Revues.org. » ; le 21 février, on lisait que « Dans le but d’élargir son audience, l’Association of Asian Studies propose le téléchargement gratuit de certains articles de sa revue Journal of Asian Studies sur le site de Cambridge Journals » ; le 29 décembre 2008, on était averti que « Le Centre pour l’édition électronique ouverte va accompagner la mise en ligne de vingt-deux nouvelles revues acceptées par le comité de rédaction depuis la rentrée. Parmi les nouvelles revues, il y a Extrême-Orient Extrême-Occident. Perpectives chinoises et sa version en anglais China perspectives étaient déjà présentes sur le portail. », ... Est-il besoin d'en rajouter pour vous prouver qu'on ne peut se passer d'Electrodoc et qu'il est impératif de s'abonner sans tarder à ses fils RSS.

Le même jugement pourrait être porté sur l'autre blog tenu par Jacqueline Nivard - Actualités scientifiques du CECMC - mais cette fois, je vous laisse tout loisir de le parcourir vous-même après vous avoir dit que CECMC veut dire Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine. Le CECMC a aussi sa page d'actualités et, bien entendu, son site, site dont la responsable n'est autre que Jacqueline Nivard !

Je suis d'autant plus heureux d'insister sur ce point qui n'est pas un détail, que j'ai pour cette webmistress infatigable une très grande reconnaissance pour m'avoir prodigué des encouragements pour ce blog qui, de plus, se trouve en bonne place dans les liens permanents d'Electrodoc, mais aussi une indéfectible admiration pour une des premières à s'être intéressée à l'internet en Chine, et avoir senti l'importance que cet outil prendrait pour la recherche sinologique. Il n'est que de relire son « Chine et internet. Comment constituer une bibliographie ? » paru dans la Revue bibliographique de sinologie en 2002 (pp. 21-42) qui avait été précédé dans le volume de l'année 1997 de la même défunte revue dont l'absence se fait, me semble-t-il terriblement sentir, d'un non moins pertinent « Chine sur Internet. L'apport de l'Internet Guide for China Studies » (pp. 29-33).

On peut aussi relire aujourd'hui avec attention et admiration l'article que Danielle Elisseeff donna au même RBS 2002, « La sinologie et le web. Outils d'aujourd'hui, outils de demain » (pp. 3-20). En voici le dernier paragraphe : « Cependant, sur un plan technique, tout est possible, ou presque ; c'est à l'expert du champ d'étude concerné qu'il appartient de marquer des limites, de définir des projets. En un mot, il faut que chacun garde son métier : sinologues, exprimez vos souhaits ; aujourd'hui ou demain, les mathématiciens-informaticiens les réaliseront pour vous offrir les outils dont vous rêvez, mais qui a jamais prétendu que rêver était simple ? ». Rêvons donc les yeux grands ouverts. (P.K.)

jeudi 9 avril 2009

In memoriam Henri Meschonnic

Je viens d'apprendre, grâce au billet que lui a consacré aujourd'hui 9 avril 2009, Pierre Assouline dans sa République des livres, la triste nouvelle de la disparition d'Henri Meschonnic qui vient de mourir à l'âge de 77 ans. Pour saluer le « théoricien du langage et de la littérature, traducteur, poète » (Fabula.org), cet « esprit rare » (P. Assouline) dont l'œuvre va continuer de rayonner encore longtemps, je reproduis ci-dessous un court passage de son « Introduction », à Poétique du traduire (Paris : Verdier, 1999, p. 85).



Henri MESCHONNIC

(18 septembre 1932 – 8 avril 2009)

« S’il n’y a pas, selon chaque œuvre, une modification corrélative dans le traduire, il y a ce qu’on peut définir comme la mauvaise traduction. La bonne est celle qui fait ce que fait le texte, non seulement dans sa fonction sociale de représentation (la littérature), mais dans son fonctionnement sémiotique et sémantique. Ainsi les critères de bon ou du mauvais ne sont plus des critères simplement philologiques définis par la bonne connaissance de la langue : [Jacques] Amyot [(1514-1593)] et Beaudelaire ont fait des fautes, mais leur traduction est bonne. Une traduction sans faute peut être mauvaise. Les critères ne sont plus des critères subjectifs, esthétiques, l’accomplissement d’un programme idéologique, des goûts d’un individu, d’un groupe, d’un moment. Ce sont les critères pragmatiques de la réussite historique, c’est-à-dire la durée, qui n’est rien d’autre qu’un fonctionnement textuel, une activité discursive de relais. Les exemples ne sont pas si rares. Les traductions mauvaises sont certainement plus nombreuses, comme les mauvais livres plus nombreux que les bons. Mais les bonnes sont exemplaires en ceci que, contrairement au caractère périssable donné pour inhérent à la traduction - comme si la traduction était dans son essence identifiée à la mauvaise traduction - elles montrent que la traduction réussie ne se refait pas. Elle a l’historicité des œuvres originales. Elle reste un texte malgré et avec son vieillissement. Les traductions sont alors des œuvres - une écriture - et font parties des œuvres. Qu’on puisse parler du Poe de Beaudelaire et de celui de Mallarmé montre que la traduction réussie est une écriture, non une transparence anonyme, l’effacement et la modestie du traducteur que préconise l’enseignement des professionnels. »

mercredi 8 avril 2009

Le Tao du web

C'est sous ce titre que Rebecca MacKinnon a récemment présenté une conférence au Berkman Center for Internet & Society (Harvard University). Pour être plus précis, le titre de son intervention était « The Tao of the Web: China and the Future of the Internet ».

Si vous êtes intéressé par les développements de l'internet en Chine, je vous conseille vivement de regarder les 53 mm du document vidéo accessible à partir de cette dépendance de l'Université de Harvard. Voici ce dont il y était question ce 3 mars 2009 :
« Most English-language discussions about « the future of the Internet » approach the subject from an Anglo-American and European perspective. But what if you take China - now with the world's largest number of Internet users, fast-growing technology sector, and a strong voice in global Internet governance debates - as your starting point for thinking about where the global Internet is headed? What are the implications for global free expression? Rebecca MacKinnon explores these questions and others in this lunch series. »
L'exposé de Rebecca MacKinnon, abondamment et pertinemment illustré, réactualise avantageusement certaines données et ouvrira de nouvelles perspectives aux plus blasés des surfeurs sinophiles. Il faut dire que nul autre ne semble mieux placer qu'elle pour aborder aussi clairement ce sujet et présenter aussi finement ses implications actuelles et futures. Pour l'heure assistant professor au Journalism and Media Studies Centre de l'University of Hong Kong, Miss MacKinnon, qui a eu jusqu'à présent une vie professionnelle et académique brillante, est également la co-fondatrice avec Ethan Zuckerman du site internet Global Voices.

Depuis 2005, Global Voices a pour vocation d'aider « individuals and media professionals around the world [to] gain access to the diverse voices coming from citizen media. [Global Voices ] base [its] coverage on the words, images, and videos of ordinary people across the globe who use the internet to communicate and broadcast their thoughts, analysis, and observations. » C'est devenu un passage obligé pour qui s'intéresse à ce qui se passe en Asie ou dans le reste du monde online. On peut lire ce qu'y propose une communauté de bénévoles en 17 langues dont le français. On peut même apporter son soutien à cette entreprise devenue indispensable.

Jugez-en par vous-même en consultant le dernier billet en anglais publié sur la Chine. On le doit à Owan Lam : « Psychiatry with Chinese characteristics ». Pour le français, c'est « Le communiqué franco-chinois au G20, une glorieuse défaite ? » qui est la traduction française par Suzanne Lehn (5/04/09), du billet anglais « China-France communiqué and G20, a glorious defeat ? » de Bob Chen (3/04/09). De lui, je vous recommande également un billet très différent publié le 9 mars : « Most wanted fugitive now blogging ? » (9/03/09). Incredible. (P.K.)


dimanche 5 avril 2009

Devinette (020)

Emblème de charge administrative chinoise de niveau 2A
sous la dynastie Qing 清 (1644-1911) [Source].


Le texte suivant, baptisé « Une tradition », est, sachez-le, une traduction réalisée directement à partir d'une langue orientale. Je vous le livre dans sa totalité et vous invite à trouver son auteur, ainsi que le nom de l'œuvre dont il est tiré, et, pour les plus intrépides d'entre vous, le traducteur :
A Oulumutsy, ma fonction était de délivrer et de viser les passeports des morts qu'on transportait d'Oulumutsy dans l'intérieur de la Chine. Sans passeport, l'âme des morts n'aurait pas pu franchir la grande muraille.
Cette tradition, imposée par je ne sais qui et datant de je ne sais quand, me parut si ridicule que j'obtins du Gouverneur Militaire l'autorisation de la supprimer. Tout le monde m'approuva. Dix jours plus tard, le bruit courut que les esprits gémissaient dans la ville. J'en augurai que les petits fonctionnaires inventaient des histoires pour ne pas renoncer au bénéfice des passeports et je ne tins pas compte de l'avertissement. Mais un soir de pleine lune et de nuit claire, me promenant dans le jardin, avec mon ami Koun, exilé comme moi, j'entendis devant la fenêtre de ma chambre d'étranges rumeurs qui semblaient s'éloigner à mesure que nous avancions. Mon ami me dit :
« Votre décision est certes raisonnable, mais l'incident de ce soir me paraît significatif. Reprenez la vieille tradition et délivrez de nouveau les passeports. Je crois que les esprits ne vous importuneront plus. »
Je suivis dès le lendemain le conseil de mon ami. Et à dater de ce jour, on n'entendit plus gémir dans la ville ni hors de la ville.
Je m'engage à vous livrer la solution très prochainement. Degré de difficulté : élevé pour tous, évident pour une petite poignée de savants qui peuvent néanmoins répondre en livrant des indices complémentaires mais sans dévoiler la solution à cette vingtième devinette. Bonne chance. (P.K.)

samedi 4 avril 2009

Objet de collection

« The IIAS Newsletter celebrates its 50th issue » ! Pour fêter l'événement, une cérémonie se déroulera le 8 avril prochain, cérémonie pendant laquelle « the first copy of the 50th issue will be presented to Prof. Mr. P. F. van der Heijden, Rector Magnificus, Leiden University » !

Vous le savez sans doute déjà, l'International Institute for Asian Studies publie sa lettre d'informations depuis 1993 à raison de trois ou quatre numéros par an. Elle est reçue par quelque 26000 chercheurs et institutions basés en Europe, en Amérique du Nord, en Australie et à travers toute l'Asie. Elle permet à la communauté des spécialistes de l'Asie et des diverses ères culturelles qui la composent de faire connaître les recherches qu'ils entreprennent, les projets qu'ils conduisent seuls ou ou en équipes, et aussi d'annoncer les différents colloques, conférences qui rythment l'année, comme de diffuser largement des appels à contribution et à communication et d'informer sur les publications savantes. Elle n'existe plus seulement sous sa forme papier qui s'apparente à un quotidien d'une quarantaine de pages en moyenne dans un format relativement maniable de 303 x 420 mm, mais aussi sous forme numérique accessible sur le site de l'IIAS. On peut la recevoir gracieusement directement à domicile, mais aussi via e-mail pour la version numérique. Rien de plus simple, il suffit de remplir le formulaire en ligne.

Si les 49 précédents numéros sont également disponibles en ligne, il vous faudra encore attendre encore un peu pour découvrir le tout dernier volume.

Curieusement, la version papier de ce numéro 50 est déjà parvenue dans ma boîte aux lettres ! Je peux donc vous en dévoiler la couverture (voir ci-contre) et le contenu. Pas tout le contenu, car comme toutes les précédentes, cette livraison est copieuse, mélangeant travaux de chercheurs confirmés et de jeunes chercheurs. Elle propose 48 pages réparties en plusieurs rubriques. Après les pages 3 et 4 qui se penchent sur le renouveau et le passé de cette publication, on découvre la partie intitulée « The Study » (pp. 5-17), dont une part est consacrée au thème du « retour » ( « Return », pp. 5-9) avec cinq contributions qui l'envisagent dans sa dimension historique et aussi en rapport avec l'actualité brûlante, comme dans « Forced return : the deportation of former Cambodian refugees from the US » (S. R. Cowan, p. 9). Suit « The Focus » (pp. 18-29), partie sur laquelle nous allons revenir brièvement, qui précède « The Review » (pp. 30-39) faisant état de publications récentes et « The Network » (pp. 40-47) fournissant des informations pratiques et le calendrier des colloques à venir. « The Portrait » (p. 48) est consacré à une exposition qui se tient en ce moment au Kunstal de Rotterdam (28 mars au 21 juin) : « Silk Stories : Taishô Kimono 1900-1940 », avec une courte présentation illustrée des kimonos du début du XXe siècle dont ceux de l'ère Taishô 大正 (1912-1926).

Mais c'est surtout le dossier qui donne son titre au numéro, « CyberAsia », qui retient l'attention, avec notamment une couverture et un bandeau très accrocheurs : « Guest Editor Chris Goto-Jones guides us through CyberAsia, a brave new world offering new technologies, new knowledge and new ways of thinking about Asia. »

Le dossier est donc placé sous un emblème qui parlera d'abord aux plus jeunes, puisqu'il s'agit de Naruto ナルト , le héros du shōnen manga 少年漫画 (manga pour adolescent) et ses diverses déclinaisons dont le film animé qui est « sans nul doute l'un des plus importants succès commerciaux de ces dix dernières années » et que l'on doit à Kishimoto Masashi 岸本 斉史 (1974-).

Son maître d'œuvre est Chris Goto-Jones (Professor of Modern Japan Studies, Department of Japanese and Korean Studies, Leiden University), directeur par ailleurs du projet Asiascape, basé à l'Université de Leiden depuis sa création en septembre 2007 :
« Asiascape.net is the home of the Contemporary East Asian Media Centre (CEAMC). It is an attempt to build a new international research coalition in the rapidly emerging fields of cyberculture (New Media, Convergence Culture, Video Games and other related media, such as fan-culture) and animanga (Anime and Manga), especially as they relate to (or originate from) East Asia. It is well known that a large proportion of this type of media emerges from the East Asian region (Japan, China and Korea), and Asiascape seeks to sponsor and organize research into the importance of these media as a series of transformative, cutting edge, transnational global commodities, and/or as a series of cultural products that reveal much about East Asia itself. There is a scattered (and growing) group of international researchers working in this field and, in addition to conducting its own original research, Asiascape aims to provide a hub for the organization and direction of this rapidly emerging field. With an international advisory board of leading scholars, Asiascape will sponsor a series of ‘state of the field’ conferences and disseminate research using new and old media, including via this website and its associated news-blog, vistas. »
On retrouve parmi les signataires des contributions du dossier « CyberAsia » , un membre de son équipe : Thomas Lamarre (University McGill, Canada) : « What is Techno-region ? » (p. 19). Les autres viennent de lieux et d'horizons intellectuels très divers :
  • Fabian Schäfer (East Asian Institute, Leipzig University) : « Animalisation, subjectivity and the Internet » (pp. 20-21)
  • Cobus van Staden (South African Broadcasting Corporation) : « Heidi in Japan: what do anime dreams of Europe mean for non-Europeans ? » (p. 24)
  • Jeroen de Kloet (University of Amsterdam) : « Bloggers, hackers and the King Kong syndrome » (p. 25)
  • Bart Barendregt (Dept. Of Cultural Anthropology and Development Sociology, Leiden University) : « In the year 2020: Muslim futurities in Southeast Asia » (pp. 26-27)
  • Jens Damm (Jens Damm, Freie Universität, Berlin) : « Chinascape: moving beyond the People's Republic » (pp. 28-29).
Chris Goto-Jones intervient à deux reprises : « Alien autopsy: the science fictional frontier of Asian Studies » (pp. 22-23) et « CyberAsia » (p. 18) qui introduit ce dossier aussi riche et stimulant que la matière qu'il ausculte : « This special issue of The Newsletter offers a variety of lenses on the question of cyberAsia. Ths expansive neologism contains : allegations of Asia's technological superiority ; imaginations of Asias's utopian relationship with digital technology; and finally analyses of the concrete ways in wich high technolgies have transformed social and cultural practices inthe region (and permitted the region to ripple around the world). Hence, the term cyberAsia is confounded one, generating myriad possible meanings and implications, both empirically and theoretically. »

J'ai plus particulièrement apprécié l'article de Jeroen de Kloet qui évoque les célèbres bloggeurs chinois que sont Michael Anti 安替 (Zhao Jing 趙静, 1975-), Zuola [Zhou Shuguang 周曙光, 1981-] et Wang Xiaofeng 王小峰 (1960-) que j'ai déjà évoqué sur ce blog. En conclusion, ne manquez pas ce numéro dont Henk Schulte Nordholt (Chair of the IIAS Board) dit « Don't throw this issue away, it will become a collections item » (p. 2), et, bien entendu, tous les suivants, en regrettant, malgré tout, l'absence des caractères propres à chaque langue asiatique ainsi que la taille très réduite de la police utilisée. (P.K.)

mercredi 1 avril 2009

Réponse à la devinette (019)

Comme il l'a annoncé dans le commentaire par lequel il révélait des éléments prouvant qu'il avait correctement identifié l'auteur de l'extrait retenu pour la devinette numéro 19, Alain Rousseau « n'a pas volé sa place au tableau d'honneur » des participants à notre petit jeu. Il s'y trouve d'ailleurs tout seul, car personne d'autre que lui n'a fait de proposition. Bravo et surtout merci.

Cliché pris à proximité du Temple de la Déesse Kishimojindo 鬼子母神
(
Quartier d’Ikebukuro 池袋, Tôkyô) [PK, août 2007]

Le moment est donc venu, en ce 1er avril, de révéler que l'auteur à trouver était Lafcadio Hearn, né en Grèce (Leucade) en 1850 (le 27 juin) et mort à Tōkyō, le 26 septembre 1904 sous l'identité de Koizumi Yakumo 小泉八雲, le nom qu'il s'était choisi en se faisant naturaliser Japonais en 1896. Son œuvre (quelque 25 titres dont une dizaine seulement accessible en français) incidemment évoquée à deux reprises sur ce blog, mériterait plus d'attention qu'elle n'en reçoit actuellement chez nous [Voir la notice bibliographique que lui consacre Visage vert].

On peut certes assez facilement trouver une traduction de son ouvrage le plus connu : Kwaidan ou Histoires et études de choses étranges (1904). C'est vraisemblablement la traduction de Marc Logé datant de 1910 qui est toujours au catalogue du Mercure de France, mais dans une édition allégée (collection « Le petit mercure », 126 pages). Il est encore plus facile de lire l'ensemble de ces histoires bizarres en anglais sur internet (ici et ). On pourra aussi frissonner, voire plus, en regardant le film - 怪談 - qui en fut tiré par Kobayashi Masaki 小林 正樹 (1916-1996). La bande annonce d'époque (sous-titrée en français) de ce film primé à Cannes en 1963 est accessible sur Youtube ; ne la manquer pas : attention âmes sensibles s'abstenir.

Le Serpent à Plumes (2007) propose pour sa part « une cinquantaine d'histoires recueillies par Lafcadio Hearn d'après le folklore japonais [et qui] révèlent un éventail thématique très ouvert, allant du conte de fées aux histoires d'ogres et de vampires... » sous le titre de Fantômes du Japon. La même année, les Editions Gallimard avaient remis en circulation deux courts textes extraits d'un recueil traduit en 1932 par Marc Logé et qui parut à nouveau au Mercure de France en 1960, puis en 1993. Il constitue le numéro 4668 de la collection « Folio 2 € ».

Suivi de Kizuki le sanctuaire le plus ancien du Japon, on retrouve donc Ma première journée en Orient qui fait revivre la découverte par Hearn de Yokohama 横浜 et de ses environs en 1890. Parmi les diverses évocations de ces premiers moments, j'aime beaucoup celle-ci :
« Dans chaque paire de socques japonaise, l'une des deux fait, en marchant, un bruit légèrement différent de l'autre, de même que kring est différent de krang. De sorte que l'écho des pas d'un marcheur a un rythme alterné de tons. Sur le trottoir d'une gare, par exemple, le son acquiert une sonorité immense. Et la foule se met parfois inconsciemment à marcher au pas, d'où résulte le plus drôle des sons traînants de bois imaginable ». (pp. 27-28)
Une dernière chose avant de quitter cet auteur aussi attachant et original que curieux : le passage à identifier se trouve pages 23 à 25. Le texte complet (pages 11 à 52) constitue, me semble-t-il, une excellente introduction à une œuvre sur laquelle nous ne pourrons pas ne pas revenir et une irrésistible invitation à découvrir de nouveaux horizons. (P.K.)

Confucius de retour sur Broadway

A peine remis de l'émotion procurée par la sortie d'une nouvelle adaptation cinématographique du Sangguozhi yanyi, j'apprends, grâce au site Danwei.org que je n'avais pas consulté depuis des lustres, qu'un film allait faire revivre rien de moins que Confucius.

La surprise fut d'autant plus brutale que l'acteur retenu pour personnifier le sage chinois n'est autre que Chow Yun-Fat 周潤發 (Zhōu Rùnfā 周润发) dont on fêtera les 54 ans, le 18 mai prochain. Vous avez déjà sûrement vu ce célèbre acteur qui a pas moins de 80 longs métrages à son actif, dans Tigre et Dragon (Wòhǔ cánglóng 卧虎藏龙 de Ang Lee, 2000). C'était aussi le roi Mongkut dans Anna and the King (1999) et il sera Kame Sennin (亀仙人) alias Muten Rôshi (武天老師) soit Tortue géniale dans Dragonball Evolution, long-métrage américain, réalisé par James Wong qui devrait bientôt sortir en France : il s'agit, dit-on, d'une « adaptation live du célèbre manga du même nom par Akira Toriyama ». Quelle belle mise en jambe.

Les projections les plus raisonnables, dont notre illustration ci-dessus rend compte, font redouter le pire. Mais les avis seront à nouveau très partagés et chacun pourra le moment venu évaluer la validité de ce nouvel avatar moderne du Maître de Qufu. Rien ne dit que le film sera distribué dans notre pays, mais nous ne perdons rien à nous y préparer en lisant ce billet dont le titre pose une partie des questions que cette initiative va immanquablement générer : « Exploiting Confucius For fun and profit ». Il offre la traduction anglaise - « Filming Confucius for Cash or for Myth are Both Mistakes »- d'un article que Xie Xizhang 谢玺璋 a fait paraître dans le Beijing Daily (Beijing ribao 北京日报) du 20 Mars 2009 : « Laoqian he zaoshen pai Kongzi you wuqu » 捞钱和造神拍孔子有误区. [NB : Les allergiques à l'anglais pourront le lire directement en chinois et même télécharger la page en format pdf]

Mais ne manquez surtout pas le préambule de ce billet dans lequel le réalisateur se veut rassurant : « My Confucius will not know Shaolin kungfu. However, the Confucius of history was not merely a moral teacher, a bookworm who only knew how to read and preach. He was a living person, a vibrant person, a humorous person. He could drive a chariot, he could handle a bow on horseback, and he once directed a battle. His disciples Zilu and Ranyou were swordsmen and archers of the highest caliber. You can find all of this in reliable history texts. »

Il est aussi touchant d'apprendre que « Chow [Yun-Fat] was reportedly « moved to tears » by the script, which has gone through 23 revisions ». L'avenir dira si la version finale sera ou non en mesure de nous émouvoir aux larmes. Je ne sais si Anne Cheng se penchera sur elle dans l'examen minutieux et passionnant auquel elle se livre pendant ses leçons au Collège de France. Les huit premiers cours de « Confucius revisité : textes anciens, nouveaux discours » sont déjà disponibles en podcast. Il serait stupide de s'en priver.

NB : On peut y accéder par la page ad hoc du site du Collège de France : choisir « Histoire » et laissez iTunes faire le reste, ou bien partez d'iTunes, entrer dans l'iTunes Store (en toute confiance car il ne vous en coûtera pas un seul centime d'euro), choisissez « Podcats », puis dans les « Catégories », optez pour « Enseignement ». A partir de là, vous allez trouver plusieurs icônes « Collège de France » , sélectionnez celui qui vous intéresse – pour Anne Cheng, c'est « Histoire » -, et maintenant vous vous abonnez aux séries de votre choix (je vous conseille aussi celle de Pierre-Etienne Will, « Ingénieurs, philanthropes et militaristes dans la Chine républicaine (suite) »). Visez les huit premiers éléments du cours « Confucius revisité : textes anciens, nouveaux discours » et cliquer sur le bouton « Obtenir l'épisode », laissez charger et écouter. Tout est dit, à vos manettes. (P.K.)

Du poisson, encore du poisson

Le 1er avril est vous le savez, chers habitués de ce blog, l'occasion d'y fêter les poissons. En 2007, c'était avec un passage du Zhuangzi ; l'année dernière, c'était avec l'évocation des écrits de Simon Leys dont Le bonheur des petits poissons. Lettres des Antipodes (Paris, J.-C. Lattès, « Essais et documents », 2008, 214 pages) venait de paraître. C'est à nouveau avec cet auteur que je tiens à saluer ce grand rendez-vous annuel. L'occasion m'en est fournie par la réédition récente du Bonheur des petits poissons (LGF, 2009, 147 p.) en format de poche, avec une nouvelle couverture qui met bien naturellement le poisson à l'honneur.

Mais, Simon Leys/Pierre Ryckmans est aussi présent dans l'actualité de la revue Textyles. Revue des lettres belges de langue française dont le n° 34 annoncé de longue date a été récemment publié. Je n'en connais pour l'heure que le sommaire. Voici en attendant plus, une idée de la portion concernant notre homme providentiel :
Pierre PIRET, « Introduction »
Philippe PAQUET, «Le grand Tisonnier »
Sebastian VEG, « Simon Leys et la Chine : dedans et dehors »
Matthieu TIMMERMAN, « Les Essais sur la Chine: le frivole et l'éternel »
Jacques DEWITTE, « Culture et humanité »
Laurent SIX, « Aux origines d'Ombres chinoises : une mission de six mois au service de l'ambassade de Belgique en République populaire de Chine »
Nicolas IDIER, « Présence chinoise et réflexion sur l'art dans l'œuvre de Simon Leys»
Pierre PIRET, « Conditions et fonctions de l'écriture chez Simon Leys »
Simon LEYS, « Dans la lumière de Simone Weil : Milosz et l'amitié de Camus »
Bibliographie de Simon Leys

Simon Leys mérite d'être, également, évoqué en cette circonstance car il n'a pu s'empêcher de réagir à la récente publication aux Editions du Seuil des Carnets du voyage en Chine de Roland Barthes (2009, 245 p.). C'était dans La Croix. Le dernier paragraphe de cette intervention magistrale, à lui seul, vaut toutes les critiques et polémiques sans substance suscitées par cette publication inutile :
Dans le dernier numéro du Magazine littéraire, Philippe Sollers estime que ces carnets reflètent la vertu que célébrait George Orwell, « la décence ordinaire ». Il me semble au contraire que, dans ce qu'il y tait, Barthes manifeste une indécence extraordinaire. De toute manière ce rapprochement me paraît incongru (la « décence ordinaire » selon Orwell est basée sur la simplicité, l'honnêteté et le courage ; Barthes avait certainement des qualités, mais pas celles-là). Devant les écrits « chinois » de Barthes (et de ses amis de Tel Quel), une seule citation d'Orwell saute spontanément à l'esprit : «Vous devez faire partie de l'intelligentsia pour écrire des choses pareilles; nul homme ordinaire ne saurait être aussi stupide.»
Ce 1er avril 2009 est également le jour du 80ème anniversaire de Milan Kundera dont sort ces jours-ci Une Rencontre (Gallimard, 203 pages). Si vous désirez marquer l'événement , ne manquez pas ce document en accès libre et gratuit sur le site de l'I.N.A., soit 9 minutes et 21 secondes pendant lesquelles « Milan Kundera, tout en se balançant dans un fauteuil gonflable, parle (en français) de son premier roman La plaisanterie ». C'était le 31/10/1968. (P.K.)

lundi 30 mars 2009

Duong Thu Huong à la Méjanes

Mercredi 25 mars, le public est venu nombreux à la Cité du Livre pour la rencontre organisée avec l’écrivain vietnamienne Dương Thu Hương qui recevait le prix 2009 des lycéens et apprentis de la Région Paca pour Itinéraire d'enfance (Voir l'annonce). Publié à Hanoi en 1985 et traduit en français en 2007, ce roman raconte « les tribulations d'une gamine espiègle et entreprenante, au Viêtnam, à la fin des années cinquante ».

Je tiens à remercier les organisateurs qui m’ont donné
l’autorisation de filmer cette rencontre animée par
le journaliste Renaud Prat, dont vous pouvez
regarder deux extraits de respectivement
3mn59s
(extrait 1) et 3mn44s (extrait 2)
Dương Thu Hương est très connue en France qui lui a décerné le titre du Chevalier des Arts en 1994 et où elle s’est installée finalement en 2006 pour se consacrer à l’écriture. Elle vient de publier un autre roman chez Sabine Wespieser, Au Zénith, qui bénéficie d’un très bon accueil à la fois des médias, comme on peut le voir dans l’article de Claire Devarrieux paru dans Libération, des professionnels du livre (voir à ce propos la note de lecture par Mathias Roux), mais aussi des lecteurs ordinaires, comme le montre la réaction enthousiaste de bloggeurs : voir ici et . Au Zénith (dont la version vietnamienne Đỉnh cao chói lọi a été téléchargée des milliers de fois) raconte une histoire d’un homme et d’un peuple – un peuple « malchanceux » comme Dương Thu Hương a indiqué plusieurs fois lors de la rencontre aixoise.

A cette occasion, elle est aussi revenue sur Itinéraire d’enfance et a confié à ses lecteurs, qu'elle avait écrit d’un seul trait en très peu de temps ce roman autobiographique destiné à un public d'adolescents. Il avait, à sa sortie en 1985, été très chaleureusement accueilli par le public vietnamien qui continue de le lire en nombre à partir de sa version en ligne. Le résumé qu'en fournit Pascale Arguedas donnera, à ceux qui ne le connaissent pas encore, envie de découvrir ce lumineux roman. C'est un des six résumés consacrés à Duong qui accompagnent une interview inédite de cette auteur majeur de la littérature vietnamienne contemporaine. Bonne lecture à tous ! Nguyen P. Ngoc

dimanche 29 mars 2009

Un ovni dans le ciel littéraire coréen

La baleine (고래)
de Ch’ŏn Myŏnggwan (천 명관)
Editions Actes Sud – Novembre 2008,
traduit par Yang Jung-Hee (양 정희) et Patrick Maurus.


Rendons hommage aux Éditions Actes Sud et aux traducteurs de nous donner à lire ce merveilleux roman La Baleine, de Ch’ŏn Myŏnggwan, auteur quadragénaire, il est né en 1964, dans les environs de Séoul.

Cet épais roman de près de 500 pages, le premier livre de l'auteur à être traduit en France, nous arrive dans la magie de la nouveauté et de l'inhabituel. La Baleine est le grand roman picaresque, d’un auteur contemporain, que nous attendions depuis longtemps.

La Baleine est l’histoire de Kŭmbok, maman pas très belle de la tout aussi laide et muette Chun’hŭi. Partie de son village natal, elle va traverser quelques vies d’hommes, destins soudainement bouleversés par cette femme à l’étrange odeur, entêtante, attirante au point de transformer un puissant voyou en amoureux transi ou un colosse en légume avachi. Kŭmbok est de la race des femmes qui contestent, sans aucun discours, le statut de la femme coréenne, assigné par l’ordre confucianiste aux tâches secondaires.

La Baleine, c’est Chun’hŭi, enfant d’une corpulence et d’une force phénoménales (pensez, 7kg à la naissance !), laide, muette et demeurée. Sur ce dernier point, on ne sait pas bien, mais tout porte à le croire. Son seul ami est un éléphant, un vrai, plein de sagesse, avec qui elle fait le tour du village, chaque jour sur son dos, et qui par delà la mort continuera d’être son conseiller et son confident. Au fil du roman, Chun’hŭi se prend d’amour pour la fabrication des briques, sous la conduite de Mun, beau-père délaissé par Kŭmbok. Chun’hŭi va, jour après jour, fabriquer des briques, et sa réputation va grandir autant que sa propension à couvrir la Corée de briques de qualité, qu’elle continuera de fabriquer même lorsque le ciment de construction va faire son apparition et remplacer peu à peu la brique rouge, celle qui aura servi à reconstruire en partie la Corée d’après-guerre, sous l’influence et avec l’aide des américains. Chun’hŭi ne sait pas faire autre chose que des briques, pas plus qu’elle saura se disculper, après que, accusée à tort, cette fille simple et muette va finir en prison. Elle remplira de bonheur les parieurs, lors de tournois de force où elle gagne contre les hercules locaux, avant qu’un gardien – chef défiguré par Chun'hŭi - en fasse l’objet de son sadisme. Pendant ce temps, Kŭmbok, sa mère, trop occupée à monter des affaires, à s’enrichir et s’appauvrir consécutivement, pour s’enrichir à nouveau et construire une ville entière, dont un cinéma en forme de baleine.

Dans ce roman, les situations foisonnent, au travers de personnages très peu dépeints au plan psychologique mais qui se révèlent d’une profondeur et d’une épaisseur étonnantes, propres à nous familiariser immédiatement avec chacun d’eux. En toile de fond, l’histoire de la Corée est présente, mais en touches légères, partielles, jamais pesantes ni militantes. Histoire survolée et satirique d’une Corée passée en très peu de temps de la pauvreté à l’abondance sélective. Cette alternance de pauvreté et de richesse, exaltation de la libre entreprise, pousse Kŭmbok à entreprendre sans cesse, pour ne jamais rester pauvre. A courir après la fortune, la gloire et les hommes, qu’elle consomme sans modération, elle va devenir homme elle-même.

Ch’ŏn Myŏnggwan fait partie de cette génération d’auteurs qui n’a pas connu la guerre de Corée et qui ignore donc ce qu’est un pays divisé. De même que les dictatures militaires et la dictature du développement ne peuvent que laisser une empreinte fugitive chez l’enfant ou l’adolescent qu’il fut. Ch’ŏn Myŏnggwan ne se sent donc pas obligé d’emprunter les figures habituelles de la littérature coréenne, en abordant de front l'historique tragédie coréenne. En se séparant des conventions narratives de ses aînés, il invente une propre langue pour dire la joie et la souffrance de ce pays paradoxal. Ch’ŏn Myŏnggwan porte une littérature décomplexée, qui affranchie de l’influence formant le soubassement d’une littérature récente, avance au milieu de formes narratives nouvelles, avec un culot qui fait plaisir à lire, et qui annonce une nouvelle vague d’auteurs dont nous parlerons ici prochainement.

Ch’ŏn Myŏnggwan privilégie l’outrance, la farce, le burlesque qui pointent régulièrement au milieu des drames et des tragédies. Il promène sur un registre large de formes narratives, compilant scènes érotiques, gags, fantastique, polar, et le conte même, qu’il réinvente à sa manière. On rit beaucoup dans ce roman, même si dans les multiples fonctions du rire, celle qui consiste à désamorcer une angoisse sourde, n’est pas la moins visible. En multipliant les figures, Ch’ŏn Myŏnggwan réinvente une littérature luxuriante, abordant des horizons étranges, sur lesquels malgré tout, il ne s’attarde pas. On l'a souvent comparé à Garcia Marquez.

Mais le doute n’est pas permis, nous sommes bien dans un roman coréen, que la traduction restitue parfaitement, ne gommant rien des sons, des couleurs et des images, grâce auxquelles la coréité reste présente, bien que cette question de l’exotisme en littérature continue de faire débat, comme lors du dernier colloque de l’équipe de recherche Leo2T.

Ce roman fait partie des romans à lire à petites doses pour ne pas finir trop vite, trop tôt.

Hye-Gyeong Kim et Jean-Claude de Crescenzo