Masque funéraire Kitan en bronze [Empire des Liao 遼 (946-1125)]
Ancienne collection Michael Steinhardt. (Source : site commercial)
Ancienne collection Michael Steinhardt. (Source : site commercial)
Mes lectures de vacances étaient, en apparence tout au moins, bien éloignées des écrits du vénérable maître Kong. Elles étaient, je peux l'avouer maintenant – il y a prescription -, sous la stimulante influence du Visage vert dont il a été déjà question sur ce blog.
La revue a, vous le savez sans doute déjà, emprunté son nom au Das grüne Gesicht de Gustav Meyrink (1868-1932) qui fut non seulement un grand traducteur – celui de Dickens et de Kipling notamment -, mais aussi et surtout un grand romancier, auteur de tant de livres qui, c'est heureux, ne sont pas sans avoir quelque rapport occulte avec la littérature de l'Empire du Milieu. Rappelez-vous la fin de l'avant-propos que Jacques Dars donnait à son recueil de traductions de nouvelles chinoises des Ming (1368-1644), En mouchant la chandelle (Gallimard, « L'imaginaire », 1986) :
« Mais l'œuvre de Qu You [瞿佑 (1341-1427)] parvint même, incognito pourrait-on dire, jusqu'en Europe ! En effet, l'histoire des lanternes-pivoines, la préférée des Japonais, fut reprise par le passionné de folklore nippon qu'était Lafcadio Hearn (1850-1904) dans son recueil fantastique, parfois glaçant et épouvantable, Kwaidan. Les lecteurs de langue anglaise ignoraient sans doute qu'ils se délectaient à une histoire chinoise du début des Ming, comme le firent des lecteurs de langue allemande quand Gustav Meyrink, l'auteur du Golem, traduisait l'œuvre de Hearn. » (p. 17)On aura donc raison de se plonger avec délices dans les volumes déjà parus – quinze au total – de cette revue unique ; étant un converti de la dernière heure, je ne connais que la dernière formule et donc les deux derniers volumes uniquement (14 & 15) qui m’ont particulièrement ravi.
L'appétit communicatif du Visage vert pour les textes oubliés et curieux, n'a pas mis longtemps à aiguiser le mien dans deux directions qui se rejoignent dans le même goût pour le fantastique :
1/ L'une m'a conduit vers des œuvres de notre vieille Europe. Aussi à peine avais-je quitté le château d'Udolphe, que j'entamai le Manuscrit trouvé à Saragosse du fascinant Jean Potocki (1761-1815). Mais je n'avais déjà plus le temps de m'enfoncer plus avant sur les chemins inquiétants et infestés de brigands et de démons des Alpujarras. J'en étais à peine arrivé au moment où les deux sœurs Emina et Zibeddé se rapprochaient d'Alphonse Van Worden, le narrateur. Le jeune capitaine des Gardes wallonnes, qui se demande s'il a affaire à « des femmes ou bien avec d'insidieux succubes » écrit à ce moment : Chacune d'elles prit une de mes mains. Emina demanda si je me trouvais mal. Je la rassurai. Zibbedé me demanda ce que c'était qu'un médaillon qu'elle voyait dans mon sein et si c'était le portrait d'une maîtresse. « C'est, lui répondis-je, un joyau que ma mère m'a donné, et que j'ai promis de porter toujours : il contient un morceau de la vraie croix ... » A ces mots, je vis Zibeddé reculer et pâlir. « Vous vous troublez, lui dis-je, cependant la croix ne peut épouvanter que l'esprit des ténèbres. » ...
Combien de mois va-t-il me falloir patienter avant de pouvoir retrouver Alphonse et le suivre à travers les trois éditions récentes [Le livre de Poche, 2007 & GF, 2008 : deux volumes sous coffret] qui rendent dans sa forme la plus complète la grande œuvre que son auteur, ami et soutien de l'orientaliste allemand Julius Heinrich Klaproth (1783-1835), qualifiait de « roman bizarre » ?
2/ L'autre chemin suivi dans le sillage du Visage vert m'a mené vers ces recueils de récits à faire frémir qui parcourent la longue histoire de la littéraire chinoise, et invité à sortir d'une pile de vieilleries un peu négligées au fil des ans quelques ouvrages d'outre-tombe. Parmi eux, quelque peu défraîchi par 20 ans de négligeance coupable, mon premier livre en chinois acheté à Bordeaux dans cette curieuse succursale depuis longtemps fermée des douteuses amitiés Franco-chinoises à deux pas de la place de la Victoire. Il portait un titre évocateur : Bu pa gui de gushi 不怕鬼的故事 (Pékin : Renmin wenxue, 1978). Ce microscopique choix établi en 1961 par le laboratoire de recherche en littérature de l'Institut des Sciences Sociales de Chine [Zhongguo shehui kexueyuan wenxue yanjiusuo 中國社會科學院文學研究所] pour affermir le matérialisme ambiant avec un lot d'histoires dans lesquelles on n'a [même] Pas peur des fantômes - il venait d’être réimprimé en 1978 -, reprenait justement 11 récits tirés du livre qui retint mon attention aussitôt retombée l'émotion causée par la rencontre d'un vieil ami de presque 30 ans.
L’œuvre en question est le Zi bu yu 子不語 (Ce dont le Maître ne parle pas) de Yuan Mei 袁枚 (1716-1798) que je retrouvais ainsi dans l'édition que la Shanghai guji tira à 9000 exemplaires en novembre 1986 ; deux tomes achetés au creux de mon deuxième hiver pékinois pour 4 yuan 60 ! Pas loin gisait une autre édition de la même mine d’histoires curieuses sous son titre alternatif - Xin Qi Xie 新齊諧 - parue à 9500 exemplaires en mai 1986 au Shandong (Qi Lu shushe, Jinan), en même temps que la suite donnée par Yuan Mei à sa collection de mirabilia, le Xu Zi bu yu 續子不語 : soit un des 12000 exemplaires tirés à Changsha au Yuelu Shushe.
C'était inespéré, mais ces éditions modernes en caractères simplifiées et ponctuées qui avaient alors redonné un souffle de vie à une œuvre née il y a quelque 220 ans, étaient toutes expurgées. Datant de 1788, l'ensemble de 1025 récits en langue classique dans le style de ceux de Pu Songling 蒲松齡 (1640-1715) et de Ji Yun 紀昀 (1724-1805), avait, ne l'oublions pas, rencontré la censure dès 1836. Fort heureusement, les éditions plus ou moins complètes en furent nombreuses et il est dorénavant facile de rendre son visage d'origine à ce chef-d'œuvre oublié. Il n'empêche que le travail qui reste à faire pour le présenter au public français est de taille. Seule une poignée de ces récits à faire froid dans le dos ou à faire sourire a reçu une traduction, qui plus est pas toujours à la hauteur.
Mais ceci est une autre histoire qui pourrait avoir pour point de départ une incursion chinoise dans le bel édifice du Visage Vert, sous la forme d'une douzaine de récits courts : huit traduits par Solange Cruveillé, les quatre autres par moi, suivi d’une présentation que je m’efforce de rendre vivante et pas trop 'sinologico-soporifique'.
En attendant le mois de juin 2009 pour vous jeter sur le seizième volume concocté par Xavier Legrand-Ferronnière et ses collaborateurs, allez découvrir les précédents et, si vous êtes à Paris, précipitez-vous au stand du Visage vert au 18e Salon de la revue (10 - 12 octobre 2008).
Et pourquoi n'iriez-vous pas explorer, sans plus tarder, le versant de la revue sur Facebook entretenu par Anne-Sylvie Homassel dont la succulante et élégante traduction du deuxième volume des aventures de Fu Manchu vient juste de sortir chez Zulma ? Les créatures du Docteur Fu Manchu vont me tenir en haleine tout le weed-end -- encore une lecture sous influence. Si vous voulez me voir revenir à mes anciennes occupations et tenir mes promesses, il ne vous reste plus qu'à invoquer les mânes de Kongzi et de Li Yu 李漁 (1611-1680), qui, c'est piquant à noter, partageaient le même dégoût du surnaturel. (P.K.)
2 commentaires:
Ravi de voir que je ne suis pas tout seul dans mon coin à m'intéresser à Yuan Mei et à sa passionnante collection d'histoires ! Pour ma part, j'ai commencé à me plonger dans le Zi bu yu il y a environ 3 ans, et depuis, je ne lâche plus : j'en suis fou ! Il y a quelque mois, j'ai entrepris tout comme vous de me lancer dans la traduction d'extraits de cette oeuvre étonnante : pour l'instant j'en suis (seulement) à une quinzaine d'histoires traduites sur les cent et quelque que je me suis fixé comme objectif, mais j'avance, j'avance... Lentement mais sûrement.
Il va sans dire que je suis impatient de pouvoir lire vos propres traductions ainsi que celles de Solange Cruveillé. En attendant, je vais m'efforcer de travailler d'arrache-pied à ce projet qui me passionne.
Bien à vous.
Ce qui est drôle c'est qu'au début j'avais en tête d'en réunir, comme vous, une centaine pour un petit volume. A la réflexion, je crois que je vais m'orienter vers ceux qui ont fait les frais de la censure pour un volume qui pourrait présenter une certaine unité thématique. Mais, pour cela comme pour le reste, c'est le temps qui me fait défaut. Bon courage donc pour la réalisation de votre projet ; tenez-nous au courant de sa progression : je suis impatient de vous lire, et je pense ne pas être le seul. Bien cordialement. PK.
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