Le moment de révéler la solution est - enfin ! - arrivé, mais d'abord, permettez que je dresse un rapide bilan. Il tient en quelques mots : deux commentaires officiels et des propositions orales également correctes. Bravo ! Mais, venons-en sans plus tarder au fait et officialisons la réponse : l'auteur du texte soumis à votre sagacité était Anatole France (1844-1924) !
Vous avez, je suppose, apprécié comme moi la souplesse de son style, et surtout goûté ses piques à destination des savants - « d'autres savants encore dont j'oublie le nom. Qu'ils me le pardonnent, si un savant peut pardonner quelque chose. » -, son jugement pour le moins mesuré des qualités d'une figure marquante de la sinologie française, Jean-Pierre Guillaume Pauthier (1801-1873), qui, écrit-il, « savait le chinois mieux que le français » et la manière taquine avec laquelle il rappelle l'intérêt du sinologue pour l'agronomie. Son avis sur Confucius, lui aussi, ne manque pas de relief : « Ce vieil homme jaune [qui] n'avait point d'imagination, partant point de philosophie. En revanche, il était raisonnable ». Vous avez peut-être également reconnu le passage du Lunyu 論語 sur lequel il s'appuie en reformulant élégamment la traduction que Pauthier avait livrée en 1845 [« Lun-yu, ou les Entretiens philosophiques » dans Confucius et Mencius, Les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine. Charpentier, 469 p.] et qu'André Lévy qualifie de « traduction fort honorable » [Confucius, Entretiens avec ses disciples. Paris : Flammarion, « GF » n° 799, 1994, p. 253]. Jugez en vous-même avec le passage en question : « Ki-lou demanda comment il fallait servir les esprits et les génies. Le Philosophe dit : Quand on n'est pas encore en état de servir les hommes, comment pourrait-on servir les esprits et les génies ? - Permettez-moi, ajouta-t-il, que j'ose vous demander ce que c'est que la mort ? [Le Philosophe] dit : Quand on ne sait pas encore ce que c'est que la vie, comment pourrait-on connaître la mort ? » (p. 159). En 1896, Séraphin Couvreur (1835-1919) rendra le même dialogue - 季路問事鬼神。子曰。未能事人。焉能事鬼。曰。敢問死曰。曰曰。未知生曰。焉知死曰。- de cette manière : « Tzeu lou interrogea Confucius sur la manière d'honorer les esprits. Le Maître répondit : « Celui qui ne sait pas remplir ses devoirs envers les hommes, comment saura-t-il honorer les esprits ? » Tzeu lou reprit : « Permettez-moi de vous interroger sur la mort. » Le Maître répondit : « Celui qui ne sait pas ce qu'est la vie, comment saura-t-il ce qu'est la mort ? » [XI.11] Quant à A. Lévy, il opte pour cette solution : « Comme Zilu l'interrogeait sur le service des dieux et des démons, le Maître lui répondit : « Avant de savoir servir les hommes, comment peut-on se mettre au service des dieux ? » Comme Zilu le questionnait sur la mort, il répliqua : « Que peut-on savoir de la mort avant de connaître la vie ? » » [XI.12, op.cit., p. 80]. Je vous laisse poursuivre les comparaisons [selon le modèle de la réponse à la devinette 007, voir ici] et fabriquer votre version personnelle, pour avancer dans l'exploration de l’incursion d’Anatole France dans le champ des études sur la littérature chinoise.
Au terme d'une savoureuse digression sur les ananas de Pauthier, le grand Anatole France en vient à son propos, non sans avoir signalé sa curiosité pour la littérature romanesque chinoise, avouant avoir lu « comme tout le monde, les nouvelles traduites à diverses époques, par Abel Rémusat, Guillard d'Arcy, Stanislas Julien et d'autres savants ». Le premier et le dernier de cette liste abrégée de sinologues traducteurs de romans chinois vous sont, me semble-t-il, bien connus. Il a, en effet, déjà été question sur ce blog d'Abel Rémusat (1788-1832) (voir ici) et presque aussi souvent de Stanislas Julien (1799-1873) (voir ici). Quant à Guillard d'Arcy, sur lequel je sais encore si peu, il aurait été, selon certaines sources, membre de la Société asiatique créée en 1822 et a fait en 1842 « son début de sinologue » (V. de Mars., La Revue des Deux Mondes, tome 2, 1843, « Chronique de la quinzaine », 14 avril 1843) en traduisant, d'après l'anglais, le Haoqiu zhuan 好逑傳 (voir ici), sous le titre La femme accomplie (Paris : Benjamin Duprat).
« Zhong Kui 鍾馗, roi des Démons, en voyage »,
Gong Kai 龔開 (vers 1222-1304) [0,33 x 1,6 m]
Free Gallery of Art, Washington. (Voir ici)
Gong Kai 龔開 (vers 1222-1304) [0,33 x 1,6 m]
Free Gallery of Art, Washington. (Voir ici)
En fait, France, qui a publié l'année précédente son Thaïs (1890), s'apprête à rendre compte d'un ouvrage sorti chez Calmann Lévy en 1889 intitulé Contes chinois. Il s'agit d'une anthologie de 26 récits tirés du Liaozhai zhiyi 聊齋誌異 de Pu Songling 蒲松齡 (1640-1715) « traduits » par « le général » Tcheng-Ki-Tong [Chen Jitong 陳季同 (1852-1907)]. Mais il va vite dérayer pour raconter à sa manière et « de mémoire » un conte tiré d'une autre anthologie de traductions parue sous le même titre en 1827 [Abel Rémusat (ed.), Paris, Moutardier]. L'examen de cette partie de cette recension libre appelle des développements un peu longs que je vais, ne m’en veuillez pas trop !, remettre à un autre billet. Vous pouvez vous y préparer en lisant ce passage de La vie littéraire. Troisième série (Paris : Calmann Lévy, 1891, pp. 79- 91), soit à partir du fac-similé fournit par Gallica 2 (voir ici), soit sur Projet Gütenberg [ici, et chercher « Contes chinois »]. La seconde solution est de loin la plus rapide pour le moment, car comme le signale très justement Pierre de Malgachie dans « Livres sur la toile », son blog sur Bibliobs.com (« En attendant le vrai Gallica 2 »), « la fonction « recherche » [de la version bêta de la nouvelle bibliothèque virtuelle], fondamentale sur ce genre de site comme dans toute bibliothèque (...), est minimale, au moins dans un premier temps - on peut affiner ensuite. » Prenons notre mal en patience jusqu'en mars, « puisque c'est à ce moment que le site devrait être fonctionnel et ouvert (vraiment) au public ». Patience, également pour pouvoir disposer de la suite de ce billet... La patience, « la plus héroïque des vertus » pour Giacomo Leopardi (1798-1837) est aussi, c’est bien connu, un des « piliers de la sagesse » pour Frédéric Mistral (1830-1914)(Les Olivades, 1912). (P.K.)
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