mardi 4 novembre 2008

Kǔmutonèla et cetera

Avant tout, je tiens à remercier Vincent Durand Dastès (INALCO) dont l'ouvrage La Conversion de l'Orient : une pérégrination didactique de Bodhidharma dans un roman chinois du XVIIe siècle (Leuwen : Peeters / Bruxelles : Institut Belge des Hautes Etudes Chinoises, coll."Mélanges chinois et bouddhiques" n° XXIX, 2008, X-437p.) vient de sortir, de m'avoir signalé l'existence de ce sympathique projet mené depuis la Bibliothèque Universitaire des langues et civilisations (BULAC) de l'INALCO qui porte le titre de

La page d'accueil du site qui permet d'en feuilleter les premières pages le présente ainsi :
Le Dictionnaire des Intraduisibles est un projet, ouvert à tous, qui vise à célébrer de manière ludique la diversité des langues. Chaque personne peut proposer un ou plusieurs mots choisis dans sa langue de prédilection et qui, pour des raisons culturelles, résistent à l'exercice de la traduction. Chaque mot doit faire l'objet d'un article éclairant la singularité de ce mot. Attention ! Ces articles ne sont pas destinés à des scientifiques mais à un public plus large, simples lecteurs curieux des cultures du monde. Les textes doivent donc être imaginés comme des invitations au voyage ; il est essentiel de les rédiger avec un esprit de jubilation, sans jargon technique.
La procédure pour participer est simple et clairement expliquée. Au terme d'un processus de mise en ligne des articles, ceux-ci seront publiés sous le titre de Dictionnaire des Intraduisibles. L'ouvrage sortira en librairie à l'automne 2010.

Voici, afin de stimuler des vocations, deux exemples de mots intraduisibles qu'on pourra y trouver :
  • Celui-ci, publié le mercredi 22 octobre 2008, a été proposé par Annie Montaut, professeur de hindi et de linguistique générale à l’INALCO et traductrice :
Tout le monde voit ce que c’est mais personne ne parvient à le traduire. C’est en tout cas un terme dont le sens est loin de s’épuiser dans « illusion » et ses connotations négatives.
Māyā préside à la construction du monde contingent, celui-là même où l’homme est amené à exercer sa tâche d’homme (dût-elle consister à transcender māyā). Il est cela même dont les artistes refusent de se détourner car māyā conditionne la création artistique (par opposition à la trajectoire mystique, qui prêche volontiers le détournement par rapport à māyā)...
  • Celui-ci, mardi 28 octobre 2008, a été proposé par Marcel Courthiade, maître de conférences à l'INALCO :
Faire comme une fourmi qui tourne dans tous les coins pour rapporter des provisions à la maison.
Kǔmutonèla i kiri kaj naj la muj, na o manuś ! / « Même la fourmi qui n'a pas de bouche (qui est un animal) elle "kǔmutone", à plus forte raison l'homme ! »
A vous de jouer : qui n'a pas dans son enfer personnel quelqu'intraduit ? (P.K.)

7 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est une superbe idée. Je connaissais le principe en ce qui concerne les philosophies européennes ( Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles, de Barbara Cassin, au Seuil, 2004), mais le fait d'en parler sur un ton ludique est nouveau. La meilleure façon de mon point de vue de rendre en français un mot "intraduisible" ou "traduisible à moitié", c'est de "ne pas le traduire", quand cela est possible (ex. dao, Jianghu etc). L'occasion de créer des néologismes, puisque chaque langue est vivante et évolue (voir http://www.cilf.org/pub/294-dico.fr.html, et surtout le site de l'Académie française http://www.academie-francaise.fr/dictionnaire/index.html, où des "mots étrangers" ou "d'origine étrangère" sont acceptés chaque année dans la langue française.
S.C.

Anonyme a dit…

En effet, excellente idée. Dans le même genre, je connaissais un ouvrage grand public intitulé TINGO, d'Adam Jacot de Boinod (traduit de l'anglais, chez 10-18), qui propose entre autres nombre de mots intraduisibles (ou du moins nécessitant des périphrases), dans des langues aussi variées que l'indonésien, le yiddish, le maya ou le rapanui...
J'aime beaucoup le mot tchèque "litost" : "tourment suscité par la soudaine prise de conscience de son propre malheur", ou encore le "tingo" du titre, qui signifie : "emprunter une à une les affaires d'un ami jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien chez lui" en indonésien...
Merci pour ce lien, en tout cas, que je garde précieusement.

Pierre Kaser a dit…

Merci Blandine pour ce commentaire dont la prolongation se trouve sur votre excellent blog, juste à l'adresse suivante coupée en deux pour la bonne cause :
http://blongre.hautetfort.com/archive/
2008/11/06/d-une-langue-a-l-autre.html

Anonyme a dit…

Merci, Pierre, pour le lien...
En revanche, j'ai fait erreur : le terme "tingo" n'est pas de l'indonésien, mais du rapanui... (j'ajoute que je ne parle ni l'une, ni l'autre de ces langues!)

Pierre Kaser a dit…

Ne parlant, également, pas plus indonésien que rapanui, ceci m'avait effectivement échappé : merci pour la précision.

Anonyme a dit…

On m'avait offert le livre intitulé "Tingo" et le sujet me ravissait. Pourtant, un examen attentif du livre dans le seul domaine que je connaissais un peu, le chinois mandarin, m'a beaucoup déçu et a éveillé ma suspicion sur
les mots cités dans d'autres langues. Par exemple, on peut y lire à la page 18 que "tao" en chinois signifie : "C'est la vie" !!! Ou encore page 99 que le mot "fangfeng" signifie : "laisser sortir les prisonniers pour qu'ils fassent de l'exercice ou qu'ils se soulagent" (ce mot désigne simplement la récréation des prisonniers).... et bien d'autres mots chinois carrément inventés ou livrés sans la moindre explication. Page 72, on nous dit que "zhengrong" signifie "s'apprêter ou recourir à la chirurgie esthétique", ce qui n'a rien d'extraordinaire. Je trouve que ce genre de livre, au lieu de nous rapprocher des langues étrangères, nous en éloignent en en faisant de purs produits exotiques. De toute façon, ce genre de livre devrait bénéficier d'une rigueur scientifique pour être tout à fait crédible.

LEO2T a dit…

Ne manquez pas le mot ajouté le 7 novembre par Vincent Durand-Dastès (maître de conférences en langue et littérature chinoise anciennes à l'INALCO), 'jian', Fantôme de fantôme.
Diable, on en frémit. (P.K.)