mardi 8 janvier 2008

En courant, en écrivant, vite, un hommage à l’exigence littéraire

Julien Gracq s’est éteint fin décembre à l’âge de 97 ans.

Il n’est pas coutume d’aborder dans le présent blog la littérature française, mais sa disparition résonne en écho à notre travail en cours. Une analogie, certes mesurée, nous a fait songer à l’écrivain coréen JO Jong-Nae 조 정래 [趙廷來], pour lequel nous traduisons actuellement une présentation critique pour le public français.

Julien Gracq est sans doute le dernier grand écrivain français, peut-être même le dernier mythe littéraire, issu d’une lignée d’écrivains, de laquelle, chacun d’entre nous pourra ériger son propre Panthéon. Il incarne l’écrivain centré et concentré autour de la seule littérature, qu’il disait avoir à l’estomac. Au-delà du bruit et de la fureur des médias, Gracq incarnait l’écrivain pour qui, seule l’oeuvre et l’exigence du public comptent. Il était aussi l’homme du refus, refus du prix Goncourt, refus de la publication en poche, refus des honneurs de la presse et de la télévision, refus d’une littérature du laisser-aller. Son oeuvre est courte, une vingtaine de livres en 70 ans de littérature. Gracq avouait écrire lentement, la phrase longuement mûrie au cours des promenades le long de la Loire. Ses textes lui ressemblaient, ne s’offrant que difficilement à la première lecture, le mot enchâssé dans la phrase, comme pris dans un étau, mais ne souffrant jamais de ce manque de respiration que l’on retrouve parfois chez quelques uns de ses thuriféraires.

JO Jong-Nae écrit vite et revisite une histoire falsifiée de la Corée au travers de 3 grandes oeuvres majeures, La Chaîne des monts Taebaek (태백 산백), Arirang (아리랑) et Le fleuve Han (한강) reliées entre elles, chacune couvrant une partie de l’histoire de la Corée d’abord une, puis divisée. JO Jong-Nae s’est retiré du monde, durant près de 20 ans, pour entreprendre des recherches historiques et écrire ce qu’il considère comme l’oeuvre de vérité. Cas unique de la littérature coréenne et de la littérature mondiale, il a consacré sa vie entière à une oeuvre monumentale, 32 volumes publiés en 20 ans et près de 10 millions d’exemplaires vendus. Un livre de 350 pages tous les 9 mois environ, qui pourrait laisser songer à une performance sportive mais montre avant toute chose unepratique de l’écriture quasi continue. Dans un pays saccagé par l’occupation japonaise durant 35 ans, suivie par 3 ans d’une guerre intestine et d’une dictature qui a duré près de 35 ans pour s’éteindre à l’orée des années 90, JO Jong-Nae incarne le refus. Refus de voir l’histoire officielle écrite par ceux qui ont mis le pays à genoux, refus d’échapper au devoir de vérité, refus de laisser les victimes dans l’oubli, refus de laisser les fruits de l’essor économique échapper aux plus démunis, refus de laisser les intellectuels en proie au silence quand tout le pays résonne d’un infini besoin de comprendre. JO Jong-Nae s’attelle à la tâche et produit une oeuvre en 3 parties, 12 000 pages, 1250 personnages et 100 ans de l’histoire troublée de la Corée.

Julien Gracq et JO Jong-Nae, chacun dans un registre différent ont tenu à distance la vie publique et sociale, considérant l’oeuvre à faire comme pouvant suffire à une vie. Ici s’arrête sans doute le parallèle entre l’oeuvre de JO et celle de Gracq. Mais dans la rencontre du triste évènement et des délicieuses affres de la traduction, des fils invisibles nous ont apparus se tisser autour de l’exigence littéraire.

KIM Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo

La photo ci-dessus provient de la page d'accueil du site internet de JO Jong-Nae, voir ici. [Les oeuvres de JO Jong-Nae, traduites par Byeon Jeong-Won et Georges Ziegelmeyer, sont publiées en France aux éditions L’Harmattan]

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