mardi 7 août 2007

Réponse à la devinette (006)

Nous voici arrivés au cœur de l'été. Ceci explique sans nul doute et excuse pour une part au moins le nombre très réduit de billets sur ce blog (6 en juillet et sans doute encore moins en août) ; cela signifie aussi : moins de visites - en moyenne un peu moins de 20 par jour, avec une agréable surprise : un pic de fréquentation le 29/7 avec 34 visites et 63 pages consultées !. Vraisemblablement vous accédez à ce blog depuis votre lieu de vacances avec les moyens du bord : à la liste des lieux habituels, j'ai l'honneur et le plaisir d'ajouter Tôkyô, Séoul, Taipei, Macao - mais toujours pas de ville de RPC ! -, mais aussi Djibouti, Buenos Aires, Stockholm, les USA avec Seattle, Ithaca et Wolfeboro (NH) - mais oui ! -, et, entre autres, Alger, Namur, Charleroi, Genève, Corte, Marly-le-Roi, Orange et Avignon. Merci à toutes et tous pour votre fidélité et votre curiosité.

Le moment est enfin venu de donner la solution de notre sixième devinette qui a une nouvelle fois été trouvée par Françoise X que je félicite pour sa sagacité et sa ténacité. M'est avis que d'autres avaient également la réponse mais étaient privés des moyens de répondre. Ce sera pour la prochaine fois, s'il y en a une. Mais venons-en au fait.

Je m'en suis avisé un peu tard, mais, une fois de plus le texte qui constituait notre sixième devinette était disponible sur internet et - ceci n'étonnera plus ses admirateurs et ses fidèles -, grâce à Pierre Palpant. Celui-ci a, en effet, saisi une partie des écrits du grand voyageur que fut le Père Evariste Huc (Caylus, 1813 - Paris, 1860), savoir L'Empire chinois (1854), et l'a mise en ligne sur le site de l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) [ici]. Qu'il en soit remercié. On peut également trouver les deux tomes de l'édition Gaume (Paris) de 1879 sur Gallica (BNF, Paris) [Tome premier, tome second]

L'ouvrage est, fort heureusement, également disponible en format traditionnel. Il faut dire qu'après avoir disparu pendant de nombreuses années, les écrits du Père Huc ont été souvent réédités ces derniers temps, notamment par les Editions du Rocher (1980), Kimé (1992), les Editions Saint-Rémi et les Editions Pyrémonde/Princi Neguer (2004). J'utilise pour ma part l'édition compacte suivante : Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie et le Thibet suivis de L’Empire Chinois. Paris, Éditions Omnibus, 2001, 1148 pages. L'Empire chinois occupe les pages 577 à 1148. [C'est celle que Pierre Palpant a utilisée pour saisir L'Empire chinois. Il n'a pas jugé bon de retenir l'intéressante préface de Francis Lacassin (pp. I-XXX) ]

L'extrait retenu y figure pages 1121-1123. Le nom du domestique est Wei-chan. Une de ses lectures favorites n'est pas ce qu'on pourrait appeler une « production éphémère du facile pinceau d'un lettré ». Il semble bien en effet qu'il s'agisse du Jinghua yuan 鏡花緣 (Destinées des fleurs dans le miroir ou Le destin des fleurs au miroir ou Fleurs dans un miroir selon les sources et en attendant mieux) de Li Ruzhen 李汝珍 (1763-1830). Ce roman en cent chapitres que Huc a raison de comparer aux Voyages de Gulliver (1726) de Jonathan Swift (1667-1745) est une des œuvres majeures de la période. J'aurai bientôt l'occasion de vous en reparler, car c'est lui que j'ai choisi pour illustrer le thème du voyage dans le premier numéro de la revue en ligne dont j'évoquais la naissance récemment.

Mais restons un moment encore avec le célèbre lazariste qui (résume Pierre Palpant) « embarque en mars 1839 à destination de la Chine. En 1844, avec Joseph Gabet, un autre lazariste, il part pour la Tartarie et le Tibe, pour, comme l’a dit leur supérieur, aller « de tente en tente, de peuplade en peuplade, jusqu’à ce que la Providence leur fasse connaître l’endroit où elle veut qu’ils s’arrêtent pour commencer ». Après de longues pérégrinations, le 20 janvier 1846, les Pères Huc et Gabet, costumés en lamas, sont les premiers Européens à pénétrer dans Lhassa. Les deux voyageurs sont frappés par la ressemblance entre les rites lamaïques et ceux du culte catholique. Cela facilite leur mission jusqu'au jour où le représentant du gouvernement chinois les fait expulser. Suit un long chemin de retour à Canton. Sa santé s’altèrant, É. Huc rentre en France, devient professeur de séminaire, puis s’installe à Paris où il rédige ses souvenirs, qui restent un témoignage plein d'humour sur la Chine, puis un ouvrage historique, le Christianisme en Chine, qui paraît en 1957. Frappé d’apoplexie un dimanche de 1860, E. Huc meurt deux jours après. »

Pour en savoir plus sur lui, on lira aussi Jacqueline Thevenet qui lui a consacré Un lama du ciel d'Occident : Evariste Huc (1813-1860) (Paris : Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 2004, 228 p.) et a établi le texte de Lettres de Chine et d'ailleurs : 1835-1860 d'Evariste Huc et de Joseph Gabet (1808-1853) aux Indes savantes (2005, 460 pages, introduction de Martine Raibaud). Il ne faut pas non plus oublier l'excellent article – « Les tribulations d'un Gascon en Chine ou les perplexités du Père Huc » - de Simon Leys (Pierre Ryckmans) dans La forêt en feu (1983) (voir Essais sur la Chine, Paris : Robert laffont, « Bouquins », 1998, pp. 596-62) dans lequel il écrit (p. 626) : « Huc, nous l'avons signalé, n'avait pas qu'une connaissance rudimentaire du chinois écrit, et il n'est donc pas un guide sûr pour la Chine classique, mais il demeure un merveilleux compagnon de route dans la Chine vivante. » et qui est, ajoute-t-il, « aussi un écrivain - c'est-à-dire, au sens plénier de l'expression, un homme qui invente la vérité. »

Voici, juste pour vous donner envie de le lire, deux passages presque pris au hasard : le premier sur les pieds bandés (pp. 1126-1128) :
« Cette mode des petits pieds est, sans contredit, barbare, ridicule et nuisible au développement des forces physiques ; mais comment porter remède à cette déplorable habitude ? C’est la mode ! et qui oserait se soustraire à son empire ? Les Européens, d’ailleurs, ont-ils bien le droit de censurer les Chinois avec tant d’amertume sur un point délicat ? Eux-mêmes ne prisent-ils donc pas aussi un peu les petits pieds ? Ne se résignent-ils pas tous les jours à porter des chaussures d’une largeur insuffisante et qui leur font subir d’atroces douleurs ? Que répondraient les femmes chinoises, si l’on venait un jour leur dire que la beauté consiste non pas à avoir des pieds imperceptibles, mais une taille insaisissable, et qu’il vaut infiniment mieux avoir le corsage d’une guêpe que des pieds de chèvre ?... Qui sait ? Les Chinoises et les Européennes se feraient peut-être de mutuelles concessions, et finiraient par adopter les deux modes à la fois. Sous prétexte d’ajouter quelque chose à leur beauté, elles ne craindraient pas de réformer complètement l’œuvre du Créateur. » (pp. 1127-28).
le second, pour justifier notre illustration - un barbier itinérant vers 1845 :
« Lorsqu’on entre dans un hameau chinois, ou qu’on approche d’une ferme, on est tout à coup saisi par d’horribles exhalaisons qui vous prennent à la gorge et menacent de vous suffoquer. Ce n’est pas cette odeur saine et forte qui s’échappe des étables des bœufs et des bergeries, et qui souvent dilate les poumons d’une manière si agréable, c’est un atroce mélange de toutes les pourritures imaginables. Les Chinois ont tellement la manie de l’engrais humain, que les barbiers recueillent avec soin leur moisson de barbe et de cheveux et les rognures d’ongles, pour les vendre aux laboureurs, qui en engraissent les terres. C’est bien là, dans toute la force du terme, l’exploitation de l’homme par l’homme. » (p. 1061)
Pour finir, voici un choix de proverbes (pp. 1122-1124) qu'on ajoutera selon son goût à la petite anthologie réunie naguère par Roger Darrobers, Proverbes chinois (Paris : Seuil, « Points / Sagesse », Sa 109, 1996) :
Le plaisir de bien faire est le seul qui ne s'use pas.

Un jour en vaut trois pour
qui fait chaque chose en son temps.


Qui veut
procurer le bien des autres a déjà assuré le sien
.
Pour conclure, notons que certains ne sont pas contentés de lire les savoureuses pages laissées par le Père Huc mais ont suivi ses traces [Voir ici]. Un bel exemple à suivre ? (P.K.)

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