jeudi 22 juillet 2010

L'inaperçu de l'Inaperçu

Tout en se réjouissant qu'une œuvre chinoise soit primée, ce billet veut, en toute impartialité et sans esprit polémique, attirer l'attention sur un détail qui semble être passé inaperçu aux yeux du jury littéraire qui a distingué l'ouvrage en question.
Cette mise au point, ou plutôt cette mise en exergue d’un problème lié à l'attribution de prix à des œuvres des littératures d'Extrême-Orient et à leur accessibilité en langue française, me paraît suffisamment intéressante pour être portée en débat ici ; elle dépasse, en effet, le cadre très précis de ce prix particulier et de la traduction qu'elle honore.
Voici de quoi il s’agit.

Tout récemment, les jurés du « Prix de l'Inaperçu 2010 » ont primé dans la catégorie « Inaperçu/Etranger », Pingyuan 平原 de l'écrivain chinois Bi Feiyu 毕飞宇 ou, pour être plus précis, sa traduction par Claude Payen parue aux Editions Philippe Picquier sous le titre La Plaine. L'année dernière, le même jury avait, notons-le, retenu La Chambre solitaire de Shin Kyong-sku, traduit par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot également chez Picquier ; l’année précédente, lors de la première édition, l’auteur chinois Wang Gang figurait dans la liste des nominés pour son English (Picquier), c’est dire l’attachement que porte ce jury aux littératures d’Extrême-Orient et aux productions de l’éditeur qui en est le principal défenseur chez nous.
L'ouvrage primé cette année, paru en août dernier, n'avait guère reçu de critique, sauf ici et sur internet : c'est justement ce qui le prédisposait à être inscrit avec quatre autres titres sur la liste des ouvrages candidats, pour un prix l’« Inaperçu/Etranger », qui comme son nom l'indique, s'attache à révéler un ouvrage en traduction « passé inaperçu des critiques et des lecteurs » mais qui mérite d’être connu et lu.
Le prix, remis le 25 mai lors d’une soirée festive au Café de l’Industrie à Paris en présence de l'éditeur a, selon Livres Hebdo, eu pour effet immédiat que « Bi Feiyu et Eric Vuillard [le lauréat français] ne passent plus inaperçus ». La preuve ici.
Le site de l'académie conduite par un comité à la tête duquel se trouve Nils C. Ahl, journaliste, auteur et traducteur, qui travaille à donner aux littératures d'Extrême-Orient toute leur place dans le paysage contemporain notamment par ses critiques du Monde des Livres, offre tous les éléments pour bien comprendre et envisager dans toute sa complexité l'angle d'approche et la méthodologie mis en œuvre une fois par an, et aussi ses limitations, lesquelles, pour faire court, sont essentiellement linguistiques.

Pour en prendre la mesure, posons les éléments du problème :

La traduction d'abord : grâce à l'éditeur, on peut, sans engager le moindre frais ou se rendre à la bibliothèque, se faire une idée de l'ouvrage et en en lisant les pages 7 à 29, soit le premier chapitre en entier duquel je vais extraire les deux premiers paragraphes (page 7) --- on sait combien les auteurs y apportent toute leur attention, les traducteurs ne sont pas en reste : on peut donc penser que le passage suivant est particulièrement représentatif de l’ouvrage entier, et en constitue en quelque sorte la quintessence :
Encouragée par le soleil de juin, la terre avait enfin revêtu sa parure dorée. L’orge était mûre. Entre les diguettes, entre les villages, entre les norias, entre les sophoras, le sol avait disparu. Tout n’était plus qu’or et lumière. Pas de hautes montagnes, pas de vallées profondes. D’un seul regard, on embrassait la plaine du Nord du Jiangsu qui ondulait à l’infini dans la chaleur de l’été. L’odeur qui flottait dans l’air était l’appel de la terre. L’orge était mûre. Il fallait commencer la moisson.
Les yeux mi-clos, la bouche entrouverte, les paysans contemplaient l’immensité dorée, heureux de respirer le parfum de l’orge mûre, et ils sentaient les barbes de ses épis leur chatouiller délicieusement le cœur. La récolte de l’an dernier était depuis longtemps épuisée. Il était temps que la nouvelle récolte arrivât. Cette orge représentait leurs galettes, leurs mantou [note : Petits pains cuits à la vapeur.], leurs nouilles, leurs trois repas quotidiens. Elle était sur leurs tables les jours de noces ou de funérailles. En un mot, c’était leur vie.
Voici, à n’en pas douter, une bien belle entrée en matière qui invite à la lecture ... Pourtant dans son article sur Bi Feiyu et ses ouvrages disponibles en français - tous traduits par Claude Payen chez Picquier - Bertrant Mialaret (Rue89.com) émet des réserves sur le style du jeune auteur de Xinghua 兴化 : « Ce n'est pas un paysan comme Mo Yan ; on le constate dans ses descriptions de la campagne, des cultures et des récoltes : on ne sent pas le riz pousser…» Certes, Bi Feiyu n’a pas le métier de son aîné du Shandong, mais le lecteur attentif de tout ce qui se publie en littérature chinoise, ne se trompe-t-il pas de cible ? Un coup d’œil sur le texte source pourrait n’en doutons pas nous aider à trancher.
麦子黄了,大地再也不像大地了,它得到了鼓舞,精气神一下子提升上来了。在田垄与田垄之间,在村落与村落之间,在风车与风车、槐树与槐树之间,绵延不断的 麦田与六月的阳光交相辉映,到处洋溢的都是刺眼的金光。太阳在天上,但六月的麦田更像太阳,密密匝匝的麦芒宛如千丝万缕的阳光。阳光普照,大地一片灿烂, 壮丽而又辉煌。这是苏北的大地,没有高的山,深的水,它平平整整,一望无际,同时也就一览无余。麦田里没有风,有的只是一阵又一阵的热浪。热浪有些香,这 厚实的、宽阔的芬芳是泥土的召唤,该开镰了。是的,麦子黄了,该开镰了。
庄稼人望着金色的大地,张开嘴,眯起眼睛,喜在心头。再怎么说,麦子黄了也是一个振奋人心的场景。经过漫长的、同时又是青黄不接的守候之后,庄稼人闻到了新麦的香味,心里头自然会长出麦芒来。别看麦子们长在地里,它们终究要变成苋子、馒头、疙瘩或面条,放在家家户户的饭桌上,变成庄稼人的一日三餐,变成庄 稼人的婚丧嫁娶,一句话,变成庄稼人的日子。[source]
Pour qui lit le chinois, ce début est, me semble-t-il, mais je ne suis pas un spécialiste, bien trempé, et caractéristique du style de l’auteur qui transcrit quelque chose de la beauté et de la vigueur de la nature de ce petit coin du Jiangsu. Frappé par le décalage entre les deux textes, j’ai alerté mes camarades sinisants de l’équipe Leo2t qui n’ont pas manqué de réagir.

Je souscris totalement à ce qu’une lectrice aussi attentive qu’avertie des problèmes de traduction que nous réserve le chinois, a pris la peine de noter : « Au premier coup d’œil, on se rend compte d’une incohérence formelle, à savoir : le rendu en français est plus court que le passage original en chinois (ce qui a priori est impossible puisqu’une traduction représente environ 1,5 du texte chinois). Confronté au texte chinois, les craintes s’avèrent fondées : l’ordre des phrases est parfois inversé, des passages sont supprimés (soit morceaux de phrases, soit phrases entières), on note quelques faux sens, l’interprétation est trop libre. On semble plus face à une réécriture que face à une réelle traduction. C’est d’autant plus dommage que le texte français se lit bien, avec des tournures agréables, et reste cohérent pour un lecteur non sinisant. »

Un autre collègue encore mieux placé pour fournir un avis, a même obligeamment proposé, avec les réserves dues aux contraintes de l’exercice et au temps qu’il avait à lui consacrer, sa propre traduction que je vous livre ci-dessous avec son autorisation :
Le blé était jaune, la terre ne ressemblait plus à la terre, elle avait été stimulée et son énergie était montée d’un coup. Entre les levées de terre, entre les villages, entre les norias, entre les sophoras, les champs de blé à l’infini et le soleil du sixième mois rivalisaient de rutilance, partout débordaient des rayons dorés aveuglants. Le soleil était dans le ciel, mais c’étaient les champs de blé du sixième mois qui lui ressemblaient le plus, les barbes drues des épis tels des rayons étroitement serrés. Partout brillait le soleil, les terres s’étendaient rutilantes et splendides. C’étaient les vastes terres du Nord-Jiangsu, pas de hautes montagnes, pas d’eaux profondes, toutes plates, à perte de vue, embrassées d’un seul coup d’œil. Dans les champs de blé, pas un souffle de vent, seules montaient par moments des bouffées de chaleur odorantes. Ces fortes fragrances à l’infini, c’était l’appel de la terre : l’heure des moissons avait sonné. Oui, le blé était jaune, l’heure des moissons avait sonné
Les paysans contemplaient les vastes terres dorées, bouche ouverte, les yeux mi-clos, la joie au cœur. En fin de compte, le blé jaune était aussi une scène stimulante pour le cœur des hommes. Après une longue attente, après la pénurie entre les deux récoltes, quand les paysans sentaient l’odeur du blé nouveau, en eux poussaient spontanément les barbes des épis. Même si le blé poussait dans la terre, il finirait par devenir galettes aux herbes, petits pains à la vapeur, boulettes ou nouilles, il apparaîtrait sur la table de chaque maison, chez les paysans il deviendrait repas trois fois par jour, chez les paysans il accompagnerait fiançailles, mariages et enterrements, bref, chez les paysans il deviendrait la vie même.
Qui dit mieux ? Vos propositions, amendements et surtout vos réflexions, seront les bienvenues ; vous pouvez, si le cœur vous en dit, nous les communiquer dans un commentaire.

Il ressort de cette confrontation plusieurs interrogations que l’on ne peut pas occulter, au premier chef desquelles celle-ci : comment justifier le décalage entre le texte source et le premier rendu en français ?

Certes, on peut arguer que le traducteur n’a pas utilisé le même texte original que nous [savoir une version en ligne, laquelle est conforme à la version papier de l’édition Jiangsu wenyi, Nanjing, 2005, 432 p., pp. 1-2 (Cote 895.1b BIF au SCD Université de Provence) également consultée], mais il n’en reste pas moins que certains choix ne sont pas dus à un texte source inconnu ou inédit ; on peut dès lors se demander : si le texte finalement publié a, ou non, été revu par l’éditeur soucieux de livrer un texte moins volumineux donc moins onéreux, voire plus conforme à l’idée qu’il se fait de la littérature chinoise ; si le traducteur renoue consciemment ou non avec la tradition des « belles infidèles » ; s’il travaille en tandem avec un « lecteur source » peu scrupuleux, ou d’une « traduction relai » ; s'il s'agit, in fine, d'une commande à honorer rapidement ; que sais-je encore ? Quelque soit l’explication, notre petit examen a, je crois, déjà montré son utilité en indiquant que le jury du Prix de l’Inaperçu 2010 a primé un ouvrage quelque peu distordu par rapport à l’original.

Reste aussi entière la question de savoir s’il vaut mieux avoir un « Bi Feiyu allégé et primé » que « pas de Bi Feiyu du tout », question qui, naturellement, peut se poser avec tous les auteurs traduits à ce jour -- rappelons pour information que Claude Payen a livré en moins de 10 ans une bonne quinzaine de titres de littérature chinoise contemporaine et moderne dont cinq de Lao She 老舍, deux de Yan Lianke 阎连科, quatre de Bi Feiyu, pour la plupart parus aux Editions Philippe Picquier.

En guise de conclusion provisoire, j'invite les différents acteurs de la diffusion des littératures d'Extrême-Orient dans notre langue - savoir traducteurs, éditeurs, critiques, libraires, bibliothécaires, universitaires et lecteurs - à engager une réflexion sur leurs responsabilités respectives, réflexion qui pourrait aboutir un jour prochain à la création d'un label, d'une charte de bonne conduite ou de critères d'évaluation qualitative. Notre équipe apportera sa contribution, notamment dans les travaux préparatoires à son projet d'Inventaire des traductions françaises des littératures d'Extrême-Orient (ITLEO) dont il sera souvent question l'année prochaine ici et sur notre espace Netvibes. D'ici-là, je vous souhaite d'agréables vacances ponctuées de lectures stimulantes. (PK & co).

 
Complément du 28 avril 2013 : Ce billet publié le 22 juillet 2010 a déjà suscité  quatre commentaires, que vous pouvez lire en activant le lien suivant > http://jelct.blogspot.fr/2010/07/linapercu-de-linapercu.html < ou en cliquant > ici <, mais aussi une demande de droit de réponse par l'auteur de la traduction, Monsieur Claude Payen. Vu sa longueur, il n'est pas possible de le glisser dans un commentaire, aussi nous avons choisi de le proposer ci-dessous. Le voici :

Droit de réponse 
   
Par le plus grand des hasards, je tombe sur ce blog et je découvre que je suis violemment attaqué. Je ne comprends d’ailleurs pas les motivations de mes détracteurs. Je leur rappellerai seulement un de mes proverbes anglais préférés : « He who lives in a glass house shouldn’t throw stones ».
    Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa, j’ai commis une faute que je ne m’explique pas. En effet, j’ai un peu élagué la traduction de la première page. Je ne me souviens pas dans quelles circonstances. Peut-être, en relisant, ai-je trouvé une phrase ou deux un peu lourdes que j’avais l’intention de modifier et que j’ai effacées sans les remplacer. En tout cas, je ne crains pas d’affirmer que je n’ai pas trahi l’auteur, comme le font les traductions proposées sur ce blog. Il est moins grave de mal décrire une voiture que de déclarer qu’elle fonctionne au gazole, alors qu’elle fonctionne à l’essence. C’est pourtant ce que font ceux commettent une grosse faute factuelle dès le premier mot de leur traduction.
  "Ne pas connaître les cinq céréales", signifie, si je ne m'abuse en chinois "être un peu idiot". Je ne suis pas, et de loin, le meilleur traducteur, mais je peux me targuer d'être un des plus qualifiés pour la traduction des descriptions de la vie des paysans pauvre. Pourquoi? Parce que j'ai été élevé chez les paysans du Morvan pendant la guerre (la deuxième guerre mondiale) et j'ai travaillé dans les champs depuis l'âge de cinq ans, avec les femmes, puisque les hommes étaient prisonniers en Allemagne. J’ai porté dans mes bras des gerbes de blé et d’orge et j’ai avalé la poussière en tournant la manivelle du tarare. Je connais donc la différence entre le blé et l’orge et je sais ce qu’est un tarare.
  La critique de ma traduction n’est pas ce qui m’a affecté le plus, puisque je peux facilement démontrer que d’autres ne sont pas meilleurs que moi. Noël Dutrait a d’ailleurs bien voulu reconnaître que certaines de mes remarques étaient « convaincantes. »
   J’avais un jour déclaré à Brigitte Duzan qui tenait à m’interviewer qu’un proverbe chinois dit que « L’homme craint d’être célèbre comme le cochon craint d’engraisser » Or, un anonyme ( ?) se précipitant comme les mouches sur… (étant plus poli que lui, je le laisse terminer la phrase) sur une remarque de Brigitte Duzan me qualifiant de traducteur « compulsif », m’accuse carrément d’être un fumiste. Or, Brigitte Duzan qui est parfaitement anglophone a employé le mot au sens anglais qui n’a rien de péjoratif. (Vous pouvez lui demander confirmation). « A compulsive smoker », c’est simplement un fumeur invétéré. Pour ma défense, s’il en était besoin, je dirai que, lorsque j’ai pris ma retraite après avoir travaillé toute ma vie près de quinze heures par jour, je me suis retrouvé assis devant mon bureau du matin au soir, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas pu traduire deux pages de roman par jour, sans traduire à une vitesse excessive. D’autres traduisent autant que moi tout en travaillant et en écrivant des articles.
      Je crois avoir retenu aussi que vous souhaitez (comment ?) attribuer un label de qualité aux traductions, comme pour le saucisson ou le fromage. Ce label existe déjà dans les pays totalitaires qui vont même plus loin en interdisant la publication. C’est le cas de la Chine, dans des conditions qui ne sont pas très claires. Il existait aussi l’imprimatur du Pape (je ne sais pas si elle existe encore).
    Je vois deux traductions, l’une d’un collègue « qualifié » (Qui ?), l’autre d’une étudiante. Le collègue a bien regardé le texte, mais il a omis de se renseigner (comme je l’ai fait) auprès de l’auteur, si bien qu’il commet une énorme faute dès le premier mot de sa traduction.
    Quand j’ai commencé la traduction du livre, j’étais en Chine et j’ai rencontré plusieurs fois Bi Feiyu. Il a bien insisté sur le fait qu’il fallait traduire  麦  par « orge ». Pour qu’il n’y ait pas de confusion possible, il connaissait même le mot anglais « barley ». Le blé, c’est  小麦  comme l’a bien traduit Sylvie Gentil au début de « Bon baisers de Lénine ». (Ligne 8 du texte chinois : « 小麦已经满熟  呢 ». Ligne 12 de la traduction : « Le blé était à maturité ».)   C’est grave pour la suite, car même s’il existe peut-être des variétés de blé possédant des barbes, c’est surtout l’orge qui est célèbre pour ses barbes. 风车 : La traductrice (félicitée par le professeur pour sa traduction) a remplacé mes « norias » par des « tarares ». Plus prudent, le collègue devait savoir que les paysans ne pouvaient pas laisser leurs tarares passer l’hiver pour pourrir dans les champs. Je n’insisterai pas sur d’autres détails qui me semblent discutables.
    Bref, je me suis permis de déranger un peu l’ordre des choses en ne collant pas mot pour mot au texte. Mon expérience (très longue) me permet de donner un conseil aux étudiants : « Quand vous faites une version, attention ! Le professeur est en embuscade. Une traduction lourde montrant que vous avez bien compris vous vaudra un « md » (mal dit), ce qui vaut mieux qu’un « cs » (contresens) » Je mérite des « md ». J’ai essayé de faire une introduction agréable à lire, j’ai réussi puisque l’éditeur l’a citée en présentation du livre. Des gens mal intentionnés sur ce blog accusent Philippe Picquier de je ne sais quels noirs desseins. C’est de la calomnie et de l’idiotie pure ! L’éditeur m’a fait confiance et j’assume la responsabilité de la traduction. Je voudrais savoir si les éditeurs des autres traducteurs (présents sur ce blog) ont à leur disposition un traducteur pour relire les traductions des traducteurs. Il semblerait aussi que certains proposent une formule mathématique pour évaluer une traduction : « texte français = texte chinois x 1,5 » en oubliant de préciser l’unité de mesure. Dans le cas du livre qui nous préoccupe, nous avons : Texte chinois : 30 caractères x 28 lignes x 267 pages (237 000 caractères selon l’éditeur). Texte français : 50 lettres x 33 lignes x 476 pages = 785 400 lettres. La formule est-elle respectée ? Ne connaissant pas l’unité de mesure, je suis incapable de répondre.
    Je ne crois pas, comme le déclarent certains que les écrivains chinois soient très à cheval sur les détails de style. Le contenu est pour eux plus important que la forme. D’ailleurs, quand je lis les commentaires de lecteurs chinois, je vois qu’ils critiquent surtout l’histoire et non la forme. D’autre part, excepté pour Lao She, j’ai toujours gardé le contact avec les auteurs que je traduisais et, plusieurs fois, je leur ai signalé des erreurs scientifiques ou chronologiques et ils m’ont toujours autoriser à les modifier comme bon me semblait. Je ne publierai pas les exemples car, contrairement à certains participants de ce blog, je n’éprouve pas le besoin de ridiculiser mes semblables pour montrer mon intelligence (au cas où j’en posséderais une).
    J’ai aimé ce livre car j’y ai retrouvé une atmosphère que j’ai un peu connue et je l’ai peut-être mieux compris que d’autres car j’étais abonné au Renmin Ribao au Renmin Huabao et d’autres journaux, ce qui m’a permis de comprendre ce que des plus jeunes que moi n’ont pas bien compris.
    Ici, se termine mon plaidoyer.
                                                                               Claude Payen (23 avril 2013)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour tout le monde!!! travail comparatif intéressant même pour les néophytes!!! à bientôt. F.P

Muriel Finetin a dit…

C'est un exercice particulièrement intéressant que de comparer les versions d'une traduction et de se demander comment on aurait personnellement tenté de restituer le texte original dans sa langue maternelle : travail méticuleux et douloureusement frustrant. En effet, non seulement il incombe au traducteur de trouver le mot juste, de respecter l'idée, d'éviter le contre-sens, mais encore faut-il de surcroît qu'il n'affecte pas la tonalité de départ en se réappropriant le texte, c'est-à-dire qu'il se garde d'y ajouter ce que l'auteur n'y avait pas mis et de supprimer ce qu'il juge superflu.

(A cet égard, s'il est vrai que la traduction d'un texte chinois en français est généralement bien plus longue que le texte de départ, on remarquera toutefois que le français supprime volontiers un certain nombre de répétitions, notamment grâce à l'emploi des pronoms personnels, pronoms relatifs et subordonnées relatives, là où le chinois est parfois amené à répéter afin que l'énoncé soit plus clair ou par nécessité syntaxique. Je crois également me souvenir que nombre de traducteurs et d'éditeurs ne s'opposent pas à ce que des listes d'adjectifs qualificatifs particulièrement longues et redondantes soient écourtées en français, estimant que le texte original n'est pas pour autant trahi.)

Je me suis donc essayée à cet exercice de traduction avec beaucoup de curiosité et un certain nombre d'interrogations voire d'incertitudes, desquelles il résulte plusieurs différences sémantiques par rapport aux traductions précédentes : ainsi, je n'ai vu dans le texte ni norias, ni galettes. Il m'a plutôt semblé, compte tenu du contexte, que l'auteur parlait de vanneuses (风车,扇车; que j'ai traduit par tarares) et de jeunes pousses (苋子). J'espère ne pas m'être trop fourvoyée. Vos remarques sont les bienvenues.

Traduction proposée :

Le blé était jaune, la terre ne ressemblait plus à la terre, elle avait été stimulée et l'essence de la vie était montée d'un coup. Partout, entre les champs, entre les villages, entre les tarares, entre les sophoras, s'étalait sans discontinuer le saisissant contraste des champs de blé sous le soleil de juin, baignant tout d'une éblouissante lumière dorée. Le soleil était dans le ciel, mais les champs de blé au mois de juin ressemblaient encore davantage au soleil, comme si la barbe foisonnante de leurs épis dardait des myriades de rayons de soleil. La lumière inondait tout, la terre resplendissait, rutilante et magnifique. Telle est la terre du Nord du Jiangsu, sans hautes montagnes ni eaux profondes, si parfaitement plane qu'un regard suffit à embrasser et contenir tout l'horizon. Pas un souffle de vent sur les champs de blé, juste des vagues d'air chaud déferlant l'une après l'autre. Des vagues d'un air chaud parfumé, de cette fragrance lourde et généreuse qui porte l'appel de la terre quand vient le temps de la moisson. Oui, le blé était jaune, le temps de la moisson était venu.

Les paysans contemplaient les terres dorées, la bouche ouverte et les yeux plissés, le cœur en joie. D'une façon ou d'une autre, le blé jaune offrait toujours un spectacle stimulant. Après une longue période d'attente, lorsque la récolte précédente était épuisée et que la nouvelle était encore en herbe, les paysans humaient l'odeur du blé nouveau et dans leur cœur poussait déjà spontanément la barbe des jeunes épis. Ils ne voyaient pas les blés en terre, mais bientôt changés en jeunes pousses, en petits pains cuits à la vapeur, en pâtes ou en nouilles, posés sur la table de chaque foyer, c'étaient leurs trois repas journaliers, c'étaient toutes les occasions pour lesquelles la famille se réunit, en un mot, c'était leur quotidien.


Comme il m'a fallu lutter pour ne pas écrire à la fin du dernier paragraphe, « en un mot, c'était leur pain quotidien » !

Pierre Kaser a dit…

Notre débat de l'été n'a guère retenu l'attention ---- que Muriel soit remerciée pour son intéressante contribution.
Il pourra naturellement continuer même après la prochaine reprise, ici ou ailleurs.

J'y contribue à nouveau en livrant un jugement sur les traductions de Claude Payen formulé par Brigitte DUZAN :

"Il y a des traducteurs compulsifs comme il y a des lecteurs compulsifs : Claude Payen en est un, et, qui plus est, méticuleux, toujours à la recherche du mot juste, on se demande où il trouve le temps de traduire autant, et aussi bien, car, en lisant ces «écrits de la maison des rats », on en finirait presque par oublier qu’il s’agit quand même de littérature chinoise."

Pour lire la suite, prière de vous rendre sur son site 'Les meilleures nouvelles chinoises modernes et contemporaines' à la page : http://www.chinese-shortstories.com/Actualites_16.htm

Vos commentaires, avis et jugements seront, vous le savez, les bienvenus.

galanga a dit…

Article très intéressant (pas lu avant).

J'avais été très déçu à la lecture de l'Opera de la Lune. Je mettais ennuyé profondément, et n'en avait rien retiré, au point que je ne me souviens de rien, ni dans l'histoire ni dans les mots. (Et pourtant, à titre de comparaison, j'ai adoré, et j'adore, lire Oreiller d'herbes de Soseki, et pourtant, comme dit ma tata Josie : "c'est bien écrit, mais il ne se passe rien").

De cette lecture, j'en avais retiré la conclusion que Bi feiyu n'était pas pour moi.

Avec cet exemple éloquent que vous montrez ici, je découvre que c'est peut-être M. Payen qui a chié dans la colle en faisant la traduction, avec les hypothèses nombreuses que vous exposez pour l'expliquer. Je trouve cela bien dommage, je pensais que Picquier était une maison sérieuse.

Par ailleurs, les deux traductions proposées, l'une dans l'article, l'autre en commentaire, me font découvrir que même en respectant au plus près le texte original, il y a une latitude forte qui reste au traducteur / à la traductrice.

Je me doutais bien de tout cela, mais cela ne m'était pas apparu comme pouvant aller aussi loin.

D'un autre coté, rester collé au texte original n'est pas forcément gage de respect de l'esprit de l'œuvre, c'est-à-dire de l'impact émotionnel ou intellectuel sur le/la lecteur/trice. Je pense à la lecture qui a tenu du supplice pour moi de la traduction horripilante de "Le pauvre coeur des hommes" de Soseki par Georges Bonneau qui apparemment a voulu respecter l'ordre syntaxique japonais et une soit-disant exacte correspondance des temps. Le résultat trahi l'œuvre originale tout autant que "l'élagage" de M. Payen avec Bi feiyu, car la syntaxe japonaise utilisée fait sans doute ressentir un style fluide au lecteur japonais, mais devient un style ampoulé "Pompadour-madâââme-la-marquise" pour un lecteur français comme moi.
Pareil, je me suis juré de ne plus acheter/lire dans la collection "Collection de l'Orient".

Tout l'art de la traduction est bien dans le fait que c'est un art.