Je ne pouvais pas partir en vacances en vous laissant suspendus à une devinette dont l'élucidation réservait comme d'ordinaire son lot de difficultés. Il n'empêche que deux fidèles de ce blog ont trouvé et se sont manifestés très rapidement :
- le premier (ou bien ne serait-ce pas plutôt, la première) a répondu en fournissant la traduction du poème que le traducteur à découvrir avait laissé de côté. Pour lui (ou pour elle), il était clair que nous avions affaire à un des contes de Ji Yun 紀昀 (1724-1805), un de ceux si bien traduits par Jacques Dars dans le volume numéro 99 de la collection qu'il dirige aux Editions Gallimard, la prestigieuse collection « Connaissance de l'Orient ». Ce gros volume (563 pages) sortit en 1998 sous le titre de Passe-temps d’un été à Luanyang (Luanyang xiaoxia lu 灤陽消夏錄) ; il correspond au premier des cinq recueils composant un ensemble appelé Yuewei caotang biji 閱微草堂筆記, Notes de la chaumière des perceptions subtiles. Ce recueil initial (et sa traduction intégrale) offre pas moins de 297 récits ou plutôt « notes prises au fil du pinceau » (biji 筆記) couchées dans une langue classique directe, sans apprêt, mirabilia surprenants, faits rares et inexpliqués, récits mettant en scène esprits et démons, réunis et publiés par Ji Yun à partir de 1789. Ce récit est le 41ème et il reçoit un titre qui donne une indication sur la tonalité humoristique de beaucoup des récits de Ji Yun, « Jours tranquilles à Urumqi » (pp. 85-87) [Je poste le texte chinois de ce récit sur le blog des étudiants de Master qui ont le plaisir de travailler sur des extraits de cette œuvre].
- Alain Rousseau fut, de son côté, mis sur la piste par la mention du lieu. Il a reconnu Urumqi [Wulumuqi 烏魯木齊] sous la transcription Oulumutsy et, en amateur praticien du Zibuyu 子不語 de Yuan Mei 袁枚 (1716-1798) et lecteur attentif des bonnes traductions, il a identifié l'auteur qui, comme nous le rappelle Jacques Dars dans son introduction (pp. II-III), avait été envoyé, en 1770, occuper pendant deux années un poste subalterne dans les Marches de l'empire mandchou. L'auteur trouvé, il restait les traducteurs. Ses sibyllins conseils laissent à penser que le problème ne lui résista pas longtemps : « Relisez les archives du blog, tout y est ! » C'était bien vu, car, en effet, j'avais à plusieurs occasions fait état des travaux de celle à qui l'on doit « Une tradition » et même signalé l'ouvrage d'où j'avais extrait ce passage révélateur de la technique propre à cette personne. Un billet du 7 juin 2008 fournit même des reproductions de mon exemplaire personnel. Le lama rouge et autres contes parut vers 1926 et à Paris, aux Editions de l’Abeille d’Or. Il est le fruit d'une collaboration entre Lucie Paul-Margueritte (née en 1886) (dont on se souvient qu'elle visita des registres aussi éloignés que la gaudriole Ming et le catéchisme néo-confucéen) et Tcheng-Loh [Chen Lu] 陳籙, « Ministre Plénipotentiaire de Chine à Paris », né en 1877.
On reparlera donc assez rapidement de Ji Yun et aussi des différentes façons de s'y prendre avec la littérature chinoise des temps anciens – assurément le passage retenu est le prototype de la plus mauvaise d'entre elles. En attendant, je vous invite, pour redresser la barre, à vous rendre à Luanyang avec Jacques Dars ; on ne peut rêver meilleure compagnie en la circonstance. Bonnes vacances à tous. (P.K.)
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