Native du Rat, la préparation de la cérémonie de passation de pouvoir, ce dimanche 25 janvier à 18h heure locale, m'a pris beaucoup de temps, aussi suis-je en retard pour accueillir dignement son successeur sur ce blog. Place donc au Buffle, lequel aura tant à faire pendant son règne !
En vietnamien, cette année est celle de Kỷ Sửu. Sửu veut dire « Buffle », selon une tradition bien ancienne venant du Nord, alors que le terme vietnamien est trâu : pour indiquer simplement « Je suis du signe du Buffle » dans une conversation courante, on dit « Tôi tuổi trâu » (littéralement : je – âge – buffle). Pour se souhaiter la bonne année, on dit :
Chúc Mừng Năm Mới !
(souhaiter – se réjouir, féliciter – année – nouveau)
(souhaiter – se réjouir, féliciter – année – nouveau)
Le Buffle est réputé être un ami loyal et dévoué de l'homme, travailleur et patient. Il est indispensable aux travaux dans les rizières inondées. Les enfants, même citadins, apprennent à l'apprivoiser dans les chansons telle que Trâu ơi ta bảo trâu này (Buffle, écoute-moi). L'imagerie populaire y fait souvent référence comme dans l'illustration ci-dessus. Des peintres comme Nguyễn Tùng Ngọc puisent leur inspiration du paysage serein de la campagne où l'on voit très souvent un buffle avec un regard gentil et intelligent :
Le Buffle est très présent dans la littérature populaire, en particulier dans les ca dao, poèmes populaires sous forme des vers de six pieds et de huit pieds qu'on fredonne. Par exemple :
Trâu ơi ta bảo trâu này Trâu ra ngoài ruộng trâu cày với ta Cấy cày vốn nghiệp nông gia Ta đây trâu đấy ai mà quản công Bao giờ ngọn lúa còn bông Thì còn ngọn cỏ ngoài đồng trâu ăn
Buffle, écoute-moi
Viens labourer le champ avec moi
Labourer et repiquer le riz, c'est notre métier
Je suis ici, tu es là, nous ne ménageons pas notre peine
Tant que le riz pousse
Il y a toujours de l'herbe pour toi.
Rủ nhau đi cấy đi cày Bây giờ khó nhọc có ngày phong lưu Trên đồng cạn dưới đồng sâu Chồng cày vợ cấy con trâu đi bừa
Allons repiquer, allons labourer
Le travail est dur aujourd'hui, mais viendra le jour de la prospérité
Dans le champ sec, dans la rizière profonde
Le mari laboure, la femme repique, le buffle herse
De nombreux proverbes associent cet animal aux situations diverses de la vie humaine ou aux comportements humains, comme aux relations sociales. En voici quelques-uns :
Lấy vợ, làm nhà, tậu trâu
[Les étapes importantes de la vie]
Prendre une épouse, construire sa maison, acheter son buffle.
Con trâu là đầu cơ nghiệp
Le buffle est l'essentiel de la fortune
Ruộng sâu, trâu nái, không bằng con gái đầu lòng
Une rizière profonde, une bufflesse, tout cela ne vaut pas une fille aînée.
Trâu buộc ghét trâu ăn
Le buffle attaché déteste celui qui peut aller manger.
Mua trâu xem vó, lấy vợ xem nòi
Quand on achète un buffle, on regarde ses pieds, quand on prend une femme, on vérifie sa lignée.
Trâu chậm uống nước dơ, Trâu ngơ ăn cỏ héo
Le buffle retardataire boit de l'eau trouble, le buffle niais mange de l'herbe flétrie.
Trâu bò húc nhau, ruồi muỗi chết
Quand les buffles et les bœufs se battent, les mouches et les moustiques trépassent.
L'écrivain Sơn Nam a écrit une nouvelle sur les buffles chez les paysans du Sud Vietnam, Mùa len trâu (La saison de la transhumance), nouvelle qui a été adaptée à l'écran en 2004 par le réalisateur Nguyễn Võ Nghiêm Minh. La version française a été diffusée sous le titre Le gardien des buffles :
A la saison des pluies, la transhumance permet aux buffles de survivre dans les terres plus hautes, alors que dans la plaine l'eau « pourrit tout ». Dans les années 1940, Kim, un jeune garçon de quinze ans, amène les deux buffles, le seul bien de sa famille, se réfugier loin de l'eau. Ce premier voyage est aussi un voyage initiatique qui lui apprend la dureté, mais aussi la beauté de la vie.
Dương Thu Hương
Voici pour conclure deux mots sur la rentrée littéraire vietnamienne en France. Elle est marquée par la sortie de deux romans « vietnamiens » déjà salués par la critique.
- Le premier est de la romancière Dương Thu Hương bien connue des lecteurs français. Installée en France depuis 2007, elle a, en effet, reçu le Grand Prix des lectrices du magazine ELLE en mai 2007. Son nouveau roman Au Zénith qui est sorti chez Sabine Wespieser, mais que je n'ai pas encore lu, est nous dit-on « une fresque somptueuse et passionnante » qui revient sur l'année 1973 au Vietnam et plus précisément sur Ho Chi Minh, le père de la nation vietnamienne ». Des rencontres-signatures sont organisées à Paris et en province autour de cet événement. Je me contenterai pour l'heure d'ajouter que le roman a été traduit par Phuong Dang Tran, par ailleurs traducteur du très bel Itinéraire d'enfance, un des premiers romans connus de Dương Thu Hương publié 1985 au Vietnam et sorti en mai 2007 en France également chez Sabine Wespieser.
- Le deuxième roman marquant de cette rentrée est de Linda Lê (née en 1963 au Vietnam, elle est arrivée en France en 1977). Elle vient de publier Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau chez Christian Bourgois. « Ces pages, roman d'une lectrice, sont », nous dit-elle, « des hommages aux maquisards qui ont fait œuvre délictueuse, s'assignant le but de renverser les normes, de lancer des brûlots au flanc de l'académisme, d'exorciser les peurs et de proposer au lecteur un voyage où il se débarrassera de sa pusillanimité, de ses préjugés, et se laissera emporter par une bourrasque vers des territoires inconnus ».
Souhaitons que l'année du Buffle apportera, à l'une et à l'autre, beaucoup de créativité et de succès ! Quant aux écrivains restés au Vietnam, l'année devra être aussi placée sous le signe du travail et de la persévérance. Lors du récent colloque sur « La littérature (vietnamienne) et l'intégration mondiale » (Văn học và xu thế hội nhập) organisé par l'Association des Ecrivains du Vietnam le 18 décembre 2008, l'accent a été mis sur la nécessité vitale pour la littérature vietnamienne, d'être, tout en gardant son « caractère national », plus en relation avec les autres littératures, en particulier de se faire mieux connaître à l'étranger. Mais cela sera l'objet du prochain billet.
Pour le moment, Bon printemps du Buffle (Xuân Kỷ Sửu) à tous !
Nguyen Phuong Ngoc
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