jeudi 30 octobre 2008

L'empire du désir ou l'empreinte d'un éditeur

Annoncé de longue date par son éditeur sous le titre
d'Histoire de la sexualité chinoise de Dalin Liu,
l'ouvrage qui fait l'objet de ce billet vient finalement de sortir
sous un nouveau titre et un nouveau format (20x22 cm).
Thomas Pogu (Master « Monde chinois », 2ème année)
a lu pour vous
L’Empire du Désir
.

Cet ouvrage, récemment paru aux éditions Robert Laffont (2008, 202 pages), est la traduction française d’un livre chinois paru en 2000 à Hong-Kong [Illustrated Handbook of Chinese Sex History], puis en 2003 en Chine continentale sous le titre de Zhongguo xingshi tujian 中國性史圖鑒 (Manuel illustré d’histoire de la sexualité chinoise [Changchun : Shidai wenyi, 345 p. et 600 ill.]). Son auteur, Liu Dalin 劉達臨, célèbre sociologue – et sexologue – chinois, avait eu le mérite de proposer au grand public de son pays le premier ouvrage retraçant la très riche et originale histoire de la sexualité en Chine. Cette parution s’inscrivait alors dans le cadre de ses efforts pour faire tomber les tabous entourant encore de nos jours les choses du sexe en Chine, et qui avaient notamment abouti en 1999 à l’ouverture du premier Musée du sexe chinois. Cette traduction, au titre aguicheur et à la séduisante présentation, saura, n’en doutons pas, exciter la curiosité des lecteurs désireux de mieux connaître les mœurs sexuelles d’une civilisation trop souvent – et à tort – considérée comme pudibonde.

Mais si l’existence de cet ouvrage reste salutaire pour le plus grand nombre, elle ne pourra pleinement satisfaire le lecteur averti. Car d’« histoire de la sexualité chinoise », tel qu’annoncée en sous-titre, il n’en est pas tout à fait question. L’organisation du livre ne suit en effet pas toujours une ligne chronologique mais privilégie un traitement thématique en dix chapitres (culte de la sexualité, unions collectives, monogamie ; art de la chambre à coucher ; homosexualité ; perversions sexuelles ; oppression sexuelle des femmes ; eunuques ; art et littérature érotiques ; sexe et religion ; éducation sexuelle), opérant parfois d’hasardeux allers-retours historiques et littéraires. Tout ceci n’est d’ailleurs pas facilité par la traduction « adaptée du chinois » (sic) de Jean-Claude Pastor, qui donne parfois plusieurs versions du titre d’un seul et même ouvrage chinois. Si le propos général reste d’assez bonne qualité, on regrettera néanmoins les approximations historiques, un manque de rigueur éditoriale, l’insertion d’illustrations (à la qualité parfois très moyenne) n’ayant que peu de rapports avec le contenu du texte environnant, l’absence de notes, de traductions de titres d’ouvrages chinois ou au contraire, l’absence du titre chinois lorsque celui-ci est traduit. Même un lecteur novice, pour autant qu’il soit un minimum exigeant, ne pourra tolérer ces légèretés et préfèrera se référer à la courte bibliographie pour y trouver l’ouvrage souvent cité de Robert van Gulik, La vie sexuelle dans la Chine ancienne (Gallimard, coll. « Tel », 2004). L’ouvrage, déjà ancien, publié en 1961 (en 1971 pour la France), et qui accuse pourtant certaines des marques de son temps, restera encore la seule étude fiable (bien qu’encore imparfaite) pour quiconque souhaite mieux connaître et comprendre les spécificités et l’évolution de la sexualité chinoise à travers son histoire.

Il n’y a plus qu’à espérer de la part de l’éditeur qu’il se montre un peu plus respectueux envers ses lecteurs ainsi que de cet auteur, en publiant l’un de ses nombreux ouvrages à la fois plus complets et plus sérieux, tels que Zhongguo gudai xing wenhua 中国古代性文化. The Sex Culture of Ancient China [Yingchuan : Ningxia renmin, (1993) 1994, 1041 pages] ou Xing yu Zhongguo wenhua 性与中国文化 (Sexe et culture chinoise) [Beijing : Renmin, coll. « Zhongguo wenhua xinlun congshu », 1999, 619 pages], qui fourniront un bien meilleur aperçu de la qualité des travaux de Liu Dalin.


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2 commentaires:

Pierre Kaser a dit…

Thomas Pogu a bien exprimé ce qu’éprouve un lecteur face à cette publication : une grande déception. Je la ressens d’autant plus que l’annonce de la publication m’avait fait espérer qu’un juste hommage serait rendu au travail de Liu Dalin et qu’on aurait enfin dans notre langue l’ouvrage chinois de référence sur ce sujet. Passé l’émotion, il me reste en main plusieurs feuillets de notes rageusement griffonnées pendant la lecture et que je me propose de mettre en forme avant de vous les livrer : une belle collection d’erreurs en perspective. Merci à Thomas d’avoir répondu avec une remarquable promptitude à mon vibrant appel du 21 octobre. A qui le tour ?

Anonyme a dit…

Je n'ai pas encore lu cet ouvrage, qui doit cependant apporter quelques minces informations sur le sujet, venant compléter la référence (Van Gulik). Je ne saurais que conseiller aux gens intéressés de jeter un oeil au "Palais du printemps", consacré aux peintures érotiques de Chine (éditions Findakly, Paris musées, collection Bertholet, 2006), qui contient une longue introduction d'André Lévy sur l'érotisme dans la civilisation chinoise, ainsi que son grand frère "Les Jardins du plaisir, érotisme et art dans la Chine ancienne", de Ferdinand Bertholet (éd. Philippe Rey, 2003), avec une longue introduction de Jacques Pimpaneau. Les deux articles ont le mérite d'être de qualité, agréables à lire, et bien qu'ils se basent sur des peintures érotiques, ils nous informent aussi sur les habitudes sexuelles en Chine à l'époque ("l'érotisme" en Chine étant beaucoup plus "large" que "l'érotisme" en Occident). (S.C.)