Nombre d’entre vous ont dû m’entendre parler du roman de Mo Yan 莫言, Sishiyi pao 四十一炮, Quarante et un coups de canon, depuis avril 2004, date à laquelle, Liliane Dutrait et moi avons signé un contrat de traduction avec les éditions de Seuil. À l’époque, on s’en souvient peut-être, Mo Yan avait participé au Salon du livre de Paris où son roman Beaux seins belles fesses 丰乳肥臀 (traduit aussi par nous-mêmes) avait remporté un franc succès. Le Seuil avait alors confié à Chantal Chen-Andro la traduction du terrible Supplice du santal 檀香刑 qui est paru en 2006 et nous avait demandé de traduire ces Quarante et un coups de canon. Le temps a passé, Chantal Chen-Andro a même avancé la traduction du dernier roman de Mo Yan, Shengsi pilao 生死疲劳 (à paraître en 2009), tandis que nous plongions dans le très foisonnant Quarante et un coups de canon avec délices. Malheureusement, cette traduction a avancé moins vite que prévu… Quelques responsabilités qui m’ont été confiées à l’université de Provence ont retardé cette traduction, ainsi que des événements d’ordre plus personnel, et ce roman a dû attendre jusqu’à maintenant pour pouvoir enfin paraître en français (en octobre prochain). Il faut souligner la patience des éditions du Seuil et saluer la belle persévérance de cette maison qui « suit » Mo Yan en publiant quasi systématiquement ses « gros romans ». C’est un fait assez rare dans le domaine de la littérature chinoise contemporaine, où l’on voit souvent des écrivains éparpillés chez plusieurs éditeurs, et leur œuvre traduite de façon fragmentaire, voir incohérente… Il ne me semble pas que d’autres auteurs chinois contemporains aient déjà une quinzaine de titres publiés en traduction française…
Réglons d’abord la question du titre. Après une longue période de réflexion, après Les Quarante et Un Canons – titre que nous avons utilisé tout au long des discussions sur ce travail –, nous avons définitivement opté pour Quarante et un coups de canon. C’est que dans ce roman, on verra qu’il y a à la fois un « enfant-canon », 炮孩子 – un enfant qui aime raconter des histoires, le plus souvent totalement imaginaires –, quarante et un chapitres – qui sont autant de coups de canon pao 炮 –, et… quarante et un véritables (?) coups de canon, sishiyi pao 四十一炮… Deux récits s’entremêlent : le monologue intarissable sur des faits réels ou imaginés que débite le narrateur à un vieux moine impassible, narrateur qui désire devenir moine lui-même, et le récit de faits de sa jeunesse, racontés dix ans après à travers ses yeux d’enfant. Tout cela se déroule pendant les dix dernières années du XXe siècle, dans le grand tourbillon que connaît la société chinoise depuis cette époque. Au centre du roman, la viande de boucherie, objet de convoitise, objet de passion et objet hautement lucratif ! Une fois de plus, Mo Yan fait raconter par un enfant, comme dans Le Clan du Sorgho et dans de nombreuses nouvelles que l’on peut lire en français dans une traduction de Chantal Chen-Andro, réunies sous le titre Enfant de fer (éditions du Seuil).
On sort de la lecture de ces Quarante et un coups de canon sonné, abasourdi, émerveillé, dégoûté, voire révulsé, mais on a le net sentiment d’avoir parcouru un incroyable voyage dans un monde de plus en plus déréglé. Quand on le traduit, c’est encore plus fort puisque nous avons passé des mois en compagnie de ce Liu Xiaotong, de son père et de sa mère, de sa sœur, la gentille Jiaojiao, de la tante Mule Sauvage, du grand moine et de Lao Lan, le chef du village, de Lan l’Ancien et de bien d’autres encore... En 442 pages en chinois (780 feuillets en traduction française), Mo Yan déverse son torrent de langage et prouve bien, comme il le dit dans sa postface que pour lui « 诉说就是一切 », « la narration, c’est tout » !
On sort de la lecture de ces Quarante et un coups de canon sonné, abasourdi, émerveillé, dégoûté, voire révulsé, mais on a le net sentiment d’avoir parcouru un incroyable voyage dans un monde de plus en plus déréglé. Quand on le traduit, c’est encore plus fort puisque nous avons passé des mois en compagnie de ce Liu Xiaotong, de son père et de sa mère, de sa sœur, la gentille Jiaojiao, de la tante Mule Sauvage, du grand moine et de Lao Lan, le chef du village, de Lan l’Ancien et de bien d’autres encore... En 442 pages en chinois (780 feuillets en traduction française), Mo Yan déverse son torrent de langage et prouve bien, comme il le dit dans sa postface que pour lui « 诉说就是一切 », « la narration, c’est tout » !
Pour ce qui est de notre méthode de travail « à quatre mains », comme toujours, j’ai fait le passage du chinois au français en restant très près du texte (j’ai d’ailleurs expérimenté cette fois le logiciel Wenlin qui est très utile pour élaborer un premier jet), puis Liliane a fait des corrections et des propositions sur cette version brute, nous avons ensuite travaillé ensemble pour établir une version plus achevée, revérifié tout ce qui posait problème en envoyant à Mo Yan beaucoup plus que quarante et un e-mail sur des mots ou expressions qui demeuraient obscurs… Mo Yan a répondu avec la plus grande gentillesse (et rapidité) à toutes nos questions, nous expliquant aussi bien l’expression 炒鱿鱼, « se faire mettre à la porte » , que 梦梦梦, 反反正 (il arrive souvent le contraire de ce qu’on voit en rêve), et bien d’autres… A ce stade, la traduction a mûri, nous sommes devenus au fil des pages familiers des personnages et des lieux, et il arrive souvent que l’on revienne sur des choix qui avaient été faits au début. Enfin, comme toujours lorsque nous traduisons un roman, nous avons relu (chacun) à haute voix la version finale pour tenter d’aplanir les dernières aspérités. Et à présent que nous relisons les épreuves, nous avons encore envie de retoucher çà et là…
Dans un portrait de Brice Matthieussent, célèbre traducteur de John Fante ou Jim Harrison, paru dans La Provence du 8 septembre 2008 juste au moment où nous finissions notre traduction, il déclare : « Je n’ai pas vraiment de théorie sur la traduction, c’est au cas par cas, mais j’estime que 80 % du roman disparaît. » Bigre ! Cela nous a fait froid dans le dos…. Si 80 % d’un roman traduit de l’américain disparaît à la traduction, on peut supposer que 99,99 % d’un roman traduit du chinois risque de disparaître ! Est-ce le cas ? Nous n’en avons pas l’impression, mais ce sera aux lecteurs sinisants de le dire. Quant à la théorie sur la traduction, nous n’avons pas vraiment non plus de principes stricts, les questions ou problèmes sont envisagés au fur et à mesure qu’ils se posent, sans parti pris, en ayant toujours le souci de respecter le texte chinois, mais de rester compréhensible, accessible, et d’éviter de tomber dans le contresens de l’exotisme ou du mystérieux que les particularités de la langue et de la culture chinoises pourraient involontairement faire naître chez le lecteur.
Certains d’entre vous se souviennent des journées sur la traduction que nous avions organisées en février 2006, au cours desquelles nous avions étudié dans notre atelier le début du chapitre deux (Deuxième coup de canon) de ce roman. D’autres se souviennent aussi de la phrase interminable que j’avais proposée comme exemple de difficulté de traduction sur ce blog… Maintenant, nous avons tranché, nous avons fait des choix, pour affiner la traduction, au plus près du texte original, en espérant avoir restitué l’esprit et le style de ce roman, tout au moins « presque la même chose » comme dirait Umberto Ecco.
Noël et Liliane Dutrait
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