Chaise à porteur soutenue par des chevaux
Archives photographiques, Fonds Chine (av. 1914)
- La Médiatèque de l'Architecture et du Patrimoine -
Archives photographiques, Fonds Chine (av. 1914)
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Pour certains d'entre vous, c'est une période de vacances qui s'ouvre ; d'autres en voient déjà se profiler la fin à toute vitesse ; pour d'autres encore, c'est l'accablante routine qui continue de dérouler son train-train ; pour tous, c'est le moment idéal pour tenter de trouver la solution à notre onzième devinette qui, encore une fois, a un rapport avec la Chine et un de ces plus curieux spécimens. Non, ce n'est pas Fu Manchu dont il sera question bientôt, avant ou après la suite de notre examen de l'enfer chinois et des coups de projecteur sur des livres récents dont ceux de Simon Leys et de George Steiner, un point sur Pu Songling 蒲松齡 (1640-1715) et ses traductions, la suite promise à la devinette précédente, etc. --- vous voyez le programme est chargé.
Or donc, voici un texte -- notez qu'il s'agit d'une traduction, dont j'ai juste omis le premier paragraphe, un court passage indiqué par (.../...) et la fin (savoir deux poèmes) --, pour lequel il faut : 1. trouver l'auteur et l’ouvrage dans lequel il apparaît, 2. tenter d'identifier le personnage dont il nous dresse le portrait. Il n'existe pas (à ma connaissance) en version numérisée sur internet et il n'a pas été réédité depuis sa parution française la même année que le Condition humaine d'André Malraux (1901-1976) et Un barbare en Asie d’Henri Michaux (1899-1984). Bonne lecture :
Or donc, voici un texte -- notez qu'il s'agit d'une traduction, dont j'ai juste omis le premier paragraphe, un court passage indiqué par (.../...) et la fin (savoir deux poèmes) --, pour lequel il faut : 1. trouver l'auteur et l’ouvrage dans lequel il apparaît, 2. tenter d'identifier le personnage dont il nous dresse le portrait. Il n'existe pas (à ma connaissance) en version numérisée sur internet et il n'a pas été réédité depuis sa parution française la même année que le Condition humaine d'André Malraux (1901-1976) et Un barbare en Asie d’Henri Michaux (1899-1984). Bonne lecture :
Dans cette ville résidait un philosophe réputé. C'était surtout le désir de le voir qui m'avait poussé à entreprendre ce voyage compliqué. Il faisait autorité en Chine sur la doctrine de Confucius et parlait couramment l'anglais et l'allemand. Autrefois secrétaire d'un des plus puissants vice-rois sous l'impératrice douairière, il vivait à présent dans la retraite. Pourtant, certains jours, il ouvrait sa porte à ceux qui souhaitaient acquérir la sagesse et leur commentait les enseignements de Confucius. Quelques disciples se groupaient autour de lui, mais la plupart des étudiants préféraient à son humble demeure et à ses sévères exhortations, les somptueuses universités et l'enseignement utilitaire des barbares. Cet enseignement, il le tenait en profond dédain. Tout ce que j'avais entendu dire de lui révélait un caractère. (.../...) Je me fis porter chez lui en chaise. La route me sembla interminable. A des rues très encombrées succédèrent des quartiers de plus en plus déserts. Enfin, dans une allée silencieuse, les porteurs s'arrêtèrent devant une petite porte au milieu d'un grand mur blanc. L'un d'eux frappa, et, après une longue attente, un judas s'ouvrit. Deux yeux noirs parurent. On parlementa. Puis on me fit entrer. Un jeune homme pâle, aux traits tirés, pauvrement vêtu me pria de le suivre. Domestique ou disciple ? D'une cour misérable, je passai dans une salle basse meublée d'un bureau américain, de quelques chaises d'ébène et de deux guéridons. Contre les murs, sur des étagères, s'empilaient des livres chinois, et beaucoup d'ouvrages de philosophie en anglais, en français et en allemand. Il y avait aussi des centaines de revues scientifiques. Entre les bibliothèques, des rouleaux calligraphiés, sans doute des citations de Confucius. Pas de tapis. Seul, un chrysanthème jaune dans un vase à long col posé sur le bureau égayait cette pièce nue, froide et sans confort.Les réponses seront données ou validées à la fin de ce mois de février. Bonne chance. (P.K.)
J'attendis quelques instants. Le jeune homme apporta une théière, deux tasses et une boîte de cigarettes américaines. A peine la porte refermée sur lui, le philosophe fit son entrée. Je m'empressai de dire combien j'appréciais l'honneur d'être reçu par lui. Il m'indiqua un siège et se mit à servir le thé.
- Votre désir de me voir m'a flatté, répondit-il. Vos compatriotes n'ont guère affaire qu'aux coolies et aux marchands. Ils rangent tous les Chinois dans l'une ou l'autre de ces catégories.
Je voulus protester. Mais je n'avais pas vu où il voulait en venir. Il s'enfonça dans son fauteuil et fixa sur moi un regard narquois.
- Ils croient qu'ils n'ont qu'à lever le doigt pour que nous nous hâtions d'accourir.
Le manque de tact de mon ami l'avait blessé. Je me trouvais pris de court et cherchai à m'en tirer par un compliment banal.
Le philosophe était un grand vieillard émacié, aux mains fines sillonnées de rides profondes et terminées par des griffes. Sous ses yeux brillants se creusaient de lourdes poches. Ses dents étaient ébréchées et jaunies. Ses cheveux pendaient en une mince natte grise. On m'avait prévenu qu'il fumait l'opium. Il portait une robe noire et une petite toque de même couleur, toutes deux très usées. Son pantalon gris foncé était serré aux chevilles. Je le sentais sur ses gardes. Le philosophe, certes, occupe une place royale parmi les intellectuels, et, selon Disraëli qui s'y connaissait, il convient d'approcher les souverains, la flatterie aux lèvres. Je le couvris donc de fleurs. Aussitôt il s'humanisa comme si après avoir posé devant l'objectif d'un photographe il eût, au bruit du déclic, repris son air naturel. Il me montra ses livres.
- J'ai passé mon doctorat à Berlin. Ensuite, j'ai étudié quelque temps à Oxford. Mais les Anglais, excusez-moi de m'exprimer si librement, n'entendent pas grand chose à la philosophie.
Malgré sa politesse, il n'était pas fâché de m'égratigner au passage.
- Nous avons eu cependant des philosophes dont l'influence n'a pas été négligeable, objectai-je.
- Hume et Berkeley ? A Oxford, de mon temps, les professeurs de philosophie tenaient surtout à ne pas choquer leurs collègues de la faculté de théologie. Jamais ils n'osaient tirer les conséquences logiques de leur pensée, de peur de compromettre leur situation dans le monde universitaire.
- Avez-vous suivi les récents développements de la philosophie en Amérique ?
- Le pragmatisme ? C'est le dernier refuge de ceux qui tiennent à croire à l'incroyable. je fais plus de cas du pétrole de l'Amérique que de sa philosophie.
Ses jugements étaient plutôt acides. Une seconde tasse de thé lui délia la langue. Son anglais un peu guindé était correct. Parfois il s'aidait d'une expression allemande. C'est surtout l'Allemagne qui l'avait marqué, autant qu'un caractère aussi entier pouvait subir une influence étrangère. Il admirait la méthode et la puissance de travail des Allemands. Le jour où dans une revue savante, il avait découvert sous la plume d'un « Herr Professor » un essai sur l'un de ses ouvrages, la subtilité de leur esprit philosophique avait éclaté à ses yeux.
- J'ai écrit vingt livres, me dit-il. c'est la seule fois qu'une publication européenne a daigné s'occuper de moi.
Mais son étude de la philosophie occidentale avait surtout servi à le convaincre que toute sagesse tient dans la doctrine de Confucius. Il l'acceptait sans réserve. Elle répondait si bien aux exigences de son esprit que l'apport de la pensée étrangère lui paraissait superflu. Cette constatation m'intéressait. Elle confirmait mon opinion : la philosophie est affaire de tempérament et non de logique. Le raisonnement n'y intervient que pour essayer de rendre plausible ce que l'instinct considère comme vrai. Si la doctrine de Confucius exerce sur les Chinois une si forte influence, c'est parce qu'elle les exprime et les explique comme aucun autre système ne l'a jamais fait.
Mon hôte alluma une cigarette. Sa voix, faible et lassée au début de la conversation, se haussait à mesure qu'il s'échauffait. A présent il parlait avec véhémence. Le sage impassible avait fait place au polémiste. Il exécrait la tendance individualiste moderne. A ses yeux, l'unité est la société dont la famille forme la base. Il demeurait fermement attaché à l'ancienne Chine et à la vieille école, à la monarchie et au rigide canon de Confucius. son ton se faisait amer et âpre pour parler des étudiants revenus d'universités étrangères et assez téméraires pour porter une main sacrilège sur la plus vénérable civilisation du monde.
- Mais vous autres, savez-vous ce que vous faites ? s'exclama-t-il. En vertu de quel principe vous proclamez-vous supérieurs à nous ? Nous avez-vous dépassés dans les arts et dans les lettres ? Nos penseurs sont-ils moins profonds que les vôtres ? Notre civilisation est-elle moins complète, moins complexe, mois raffinée ? Allons donc ! Vous habitiez encore les cavernes, vêtus de peaux de bêtes que nous étions déjà un peuple cultivé. Savez-vous bien que nous avons tenté une expérience unique dans l'histoire ? Nous avons cherché à gouverner cet immense pays non par la force, mais par la sagesse. Et pendant des siècles, nous y sommes parvenus. Quelles raison le blanc a-t-il de mépriser le jaune ? Je vais vous le dire : il a inventé la mitrailleuse. Voilà la supériorité. Nous sommes un troupeau sans défense et vous avez des crocs pour nous déchirer. Qu'avez-vous fait du rêve de nos penseurs qui voulaient assujettir le monde à l'ordre et à la loi ? Et à présent, vous initiez nos jeunes gens à votre secret. Vous nous avez imposé vos inventions odieuses. Mais ignorez-vous que nous sommes des mécaniciens-nés ? Ne vous rendez-vous pas compte qu'il y a en Chine 400 millions d'hommes, les plus adroits et les plus industrieux de la terre ? Croyez-vous que nous mettrons longtemps pour apprendre ? Que deviendra la supériorité du blanc le jour où le jaune fabriquera d'aussi bons fusils et connaîtra la manière de s'en servir ? Vous en avez appelé à la mitrailleuse ; par la mitrailleuse, vous serez jugés.
A cet instant, nous fûmes interrompus. Une petite fille entra sans bruit et vint se blottir contre le vieillard. Elle fixait sur moi des yeux étonnés. C'était le plus jeune enfant du philosophe. Il l'entoura de ses bras et la caressa en lui murmurant à l'oreille des mots de tendresse. Elle portait une blouse noire et un pantalon qui découvrait ses chevilles. Sur son dos pendait une longue natte. Elle était née le jour où l'abdication de l'empereur avait mis fin à la révolution.
- Je croyais assister à l'aube d'une ère nouvelle, me dit-il. C'était hélas ! la dernière fleur de l'automne d'un grand peuple.
Il prit dans un tiroir de son bureau quelques pièces de monnaie et les donna à l'enfant, qu'il congédia.
- Vous l'avez remarqué, je porte encore la natte, observa-t-il en saisissant ses cheveux tressés. C'est un symbole. Je suis le dernier représentant de la vieille Chine.
Il se lança ensuite, d'un ton radouci, dans une longue dissertation sur les philosophes d'autrefois. Ils erraient de province en province, suivis de leurs disciples et enseignaient quiconque semblait digne de recevoir leurs leçons. Les rois faisaient appel à leurs lumières et leur confiaient le gouvernement des villes. Son érudition était grande et son éloquence prêtait une vie intense aux épisodes de l'histoire chinoise. Je ne pouvais m'empêcher de lui trouver quelque chose de pathétique. Il se sentait capable d'administrer l'Etat, mais il n'y avait plus de roi pour lui confier pareille charge ; il avait accumulé un stock énorme de connaissances et brûlait d'en faire part à des disciples nombreux ; seuls quelques fidèles venus des provinces les plus obscures suivaient ses cours.
Une ou deux fois, j'avais par discrétion, fait mine de me lever, mais il m'avait retenu. Enfin je dus partir. Il me prit la main.
- J'aimerais à vous offrir un souvenir de votre visite au dernier philosophe de la Chine, mais je suis pauvre et je ne vois pas ce qui serait digne d'être accepté par vous.
Je l'assurai que le souvenir des moments passés en sa compagnie serait pour moi un trésor inestimable. Il sourit :
- La mémoire des hommes est courte, à notre époque décadente, et je voudrais vous laisser quelque chose de plus tangible. peut-être un de mes livres, mais vous ne lisez pas le chinois...
Il me regardait avec une bienveillante perplexité. J'eus une inspiration.
- Donnez-moi un échantillon de votre calligraphie, lui dis-je.
- Vraiment, cela vous ferait plaisir ?
Son visage s'épanouit.
- Dans mon jeune temps, on voulait bien m'accorder quelque habileté à manier le pinceau.
Il s'assit à sa table, choisit une grande feuille de papier et le plaça devant lui. Ensuite il versa quelque goutte d'eau sur une pierre, y frotta le bâton d'encre et prit son pinceau. D'un mouvement souple de l'avant-bras, il se mit à écrire. J'eus soudain envie de rire en me rappelant ce que l'on m'avait raconté. Le bon vieillard, quand il arrivait à mettre un peu d'argent de côté, se plaisait à le gaspiller dans les quartiers louches avec des dames de petites vertu. Son fils aîné, un notable de la ville, rougissait de ses débauches, et seul le respect filial l'empêchait de l'admonester vertement. On comprend les sentiments du fils, mais le psychologue se penche sur ces débordements sans rien perdre de son calme. Les philosophes élaborent leurs théories dans l'abstrait et portent des jugements sur la vie, qu'ils ne connaissent que par autrui. Leurs travaux n'auraient-ils pas plus de portée si ces sages étaient exposés aux vicissitudes qui sont le lot du commun des mortels ? Aussi me sentais-je enclin à une grande indulgence pour les frasques de ce vieux polisson. Qui sait s'il n'allait pas chercher là-bas le mot des plus insondables illusions humaines ?
Il avait fini. Pour sécher l'encre, il répandit sur la feuille un peu de cendre, puis l'ayant secouée, il me la tendit.
- Puis-je demander ce que vous avez écrit ? dis-je.
Je crus surprendre dans son regard un éclair malicieux.
- Je me suis permis de vous offrir deux petits poèmes de ma façon.
- J'ignorais que vous fussiez poète.
Au temps où la Chine n'était pas encore un pays civilisé, répliqua-t-il sur un ton de persiflage, tous les lettrés étaient capables de versifier au moins avec élégance.
Je pris la feuille et admirai les caractères. Leur effet décoratif était charmant.
- Ne m'en donnerez-vous pas la traduction ?
- Traduttore, traditore, répondit-il. N'exigez pas que je me trahisse moi-même. Demandez plutôt à un de vos amis anglais. Ceux qui croient le mieux connaître la Chine ne savent rien, mais vous trouverez bien quelqu'un pour vous donner une idée de quelques lignes toutes simples et sans prétention.
Avec une politesse cérémonieuse, il me reconduisit jusqu'à ma chaise. A la première occasion, je demandai à un sinologue de ma connaissance la traduction de mon autographe. J'avoue qu'elle m'a causé quelque surprise.
3 commentaires:
un sur trois c'est un début!!! le philosophe confucéen qui parlait couramment l'anglais et l'allemand et qui portait encore la natte ne serrait-il pas GU HONGMING? je cherche pour la suite. Françoise P.
Puisque la fin du mois est passée, voici la réponse que je retiens depuis quelque temps pour faire durer le suspense ! L'écrivain, britannique mais né et mort en France, est Somerset Maugham (1874-1965), et le texte est tiré de : "The Philosopher" publié dans le recueil "On a Chinese Screen" paru en 1922.
Quant au philosphe en question, je suis d'accord avec Françoise P.
Vivement la prochaine devinette !
Liliane D.
merci pour la suite à liliane D. je me démenais pour trouver sans succès. je vais aller voir ce Monsieur Maugham que je ne connais pas. et bien évidement vivement la prochaine devinette.françoise P.
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