mercredi 12 décembre 2007

Devinette (009)

Deuxième illustration du chapitre 43 du Sanguo yanyi 三國演義
dans l’édition intitulée Li Liweng piyue Sanguozhi 李笠翁批閱三國志 (1680)

[Li Yu quanji 李漁全集, Hangzhou : Zhejiang guji, 1991, vol. 10-11]

Cette devinette est dédiée avant tout à tous ceux qui sont privés de l'occasion de donner toute la mesure de leurs compétences et qui en sont contrariés.

La situation actuelle faite aux étudiants de l'Université de Provence, par exemple, et à leurs maîtres par la même occasion, renvoie immédiatement à une formule que l'on trouve chez le Sima Guang 司馬光 (1019-1086) du Zizhi tongjian 資治通鑑 (Miroir complet sur l'illustration du gouvernement), fresque historique retraçant la période de l'histoire de Chine qui court entre 405 av. J.-C. et l'an 959, dont Zhu Xi 朱熹 (1130-1200) donna un abrégé fameux - le Tongjian gangmu 通鑑綱目, qui servit de base au Français Joseph-Anne-Marie de Moyriac de Mailla (1669-1748) pour établir son Histoire générale de la Chine ou Annales de cet Empire traduites du Tong-Kien-Kang-mou en treize volumes publiés entre 1777 et 1785. Cette formule, la voici : yīng xióng wú yòng wǔ zhī dì 英雄無用武之地. Malgré sa nature et sa longueur, elle figure dans tous les dictionnaires de chengyu 成語 et accepte la traduction littérale suivante : « le héros n'a pas de champ de bataille pour faire la démonstration de ses talents militaires ». (Le pluriel est également possible)

Sima Guang l'a puisée dans le Sanguozhi 三國志 (Chronique des Trois Royaumes) de Chen Shou 陳壽 (233-297) où elle figure sous une forme légèrement différente [yīng xióng wú sǔo yòng wǔ 英雄無所用武, « Zhuge Liang zhuan » 諸葛亮傳 {4: 911-937}, Beijing : Zhonghua shuju, p. 915]. On la retrouve tout naturellement au chapitre 43 du roman, le Sanguo yanyi 三國演義 (Beijing : Renmin wenxue, 1985, p. 374), où ce passage de la biographie de Zhuge Liang 諸葛亮 (181-234) est repris assez fidèlement.

On la rencontre encore dans bien d'autres romans anciens pour exprimer l'incapacité de faire montre de ses dons, comme le Général Li Meng 李蒙 dans le huitième conte du Gujin xiaoshuo 古今小說 (1620) qui sera placé en onzième position du Jingu qiguan 今古奇觀 d'où il a été traduit [R. Lanselle, Spectacles curieux d'aujourd'hui et d'autrefois, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p 409 : « Le général Li Meng, bien que vaillant et crâne, ne pût, hélas ! en ces circonstances, donner toute la mesure de ses talents guerriers », 李都督雖然驍勇。奈英雄無用武之地。, passage que le Marquis d'Hervey-Saint-Denys (1822-1892) rend piteusement dans « Véritable amitié » (Six nouvelles nouvelles chinoises. Paris : Bleu de Chine, 1999) par « Li Meng était brave ; mais il comprit que la bravoure ne lui servirait plus de rien » (p. 101) !]. Mais, on le voit, grâce notamment à Li Yu 李漁 (1611-1680), on peut employer cette citation dans un contexte plus léger. Au chapitre six du Rouputuan 肉蒲團 (Chair, tapis de prière, 1658), il la place dans une réplique de Weiyangsheng 未央生 à son mentor qui l'interroge sur la taille de son « arme », les mots suivants : 如今祇為沒有婦人。使英雄無用武之地。[Taibei : Daying baike, « Siwuxie huibao », vol. 15, p. 237] que Patrick Hanan, auteur de la meilleur traduction disponible de ce chef-d'œuvre du roman érotique chinois, rend finement par : « I have no woman at present, so I'am a warrior without a battlefield. » (The Carnal Prayer Mat. New York : Ballantine, 1990, p. 96). Dans le même esprit, Li Yu y a de nouveau recours dans le « Shijin lou »十巹樓, huitième récit des Shi'er lou 十二樓 (1658)] dont il est question ici.

Mais quel que soit le contexte - amoureux, militaire ou universitaire - il est question de contrariété d'où le choix du texte retenu pour cette devinette qui ne devrait pas retarder ceux qui en ont d'ordinaire l'usage de reprendre, dès que possible, le chemin des amphis et des salles de cours :
Pour tous ceux qui, sachant de quoi ils parlent, appellent contrariété une CONTRARIETE, il ne saurait en exister de pire que de passer la plus grande partie de la journée à Lyon, Lyon, la ville la plus opulente, la plus prospère de France, la plus riche en vestiges de l'Antiquité ---- et de ne pouvoir la visiter. En être empêché pour une quelconque raison, c'est déjà forcément une contrariété ; mais en être empêché par une contrariété --- c'est sans nul doute ce qu'en bonne philosophie l'on nomme

CONTRARIETE
sur
CONTRARIETE.

Je venais de lamper mes deux écuelles de café au lait (soit dit par parenthèse, ce mélange est un excellent remède contre la consomption, mais lait et café doivent être bouillis ensemble ----- sinon vous n'avez que du café et du lait) ----- et, comme il n'était que huit heures du matin, et que le bateau ne partait pas avant midi, j'avais le temps de visiter assez de Lyon pour lasser la patience de tout ce que j'ai d'amis de par le monde à le raconter. Je m'en vais faire un tour à la cathédrale, fis-je en consultant ma liste de choses à voir, et verrai donc en premier le prodigieux mécanisme de la grande horloge que nous devons à Lippius de Bâle -----
Or, de toutes les choses au monde, la mécanique est bien celle à quoi je m'entends le moins ----- je n'ai pour cela ni don, ni goût, ni tendresse particulière ----- et mon cerveau est si absolument hermétique à tout ce qui touche à la branche, que, je le déclare solennellement, je n'ai jamais réussi à comprendre le mécanisme d'une cage d'écureuil ou d'une vulgaire roue de rémouleur ----- bien que j'ai passé nombre d'heures de ma vie à contempler la première avec une attention zélée ---- et que j'aie fait le piquet auprès de la seconde avec plus de patience que n'en a jamais eu à le faire aucun chrétien -----
J'irai donc voir les surprenants mouvements de cette fameuse horloge, fis-je, c'est la toute première chose que je ferai, puis j'irai visiter la grande bibliothèque des Jésuites, où je tâcherai de consulter, si c'est possible, les trente volumes de l'Histoire de Chine, écrite (non en tartare mais) en chinois, et en caractères chinois par dessus le marché.
Or, vu que je connais pour ainsi dire aussi mal le chinois que le mécanisme de l'horloge de Lippius, on se demande bien quel prodige ces deux articles ont ainsi joué des coudes pour prendre les deux premières places dans ma liste de choses à voir ----- je laisse donc aux amateurs de curiosités le soin de résoudre ce problème, un problème comme seule sait nous en poser la Nature. Cela m'a en effet, je l'avoue, tout l'air d'une des extravagances tout à fait intentionnelles de cette capricieuse Dame, et ceux qui la courtisent ont autant d'intérêt que moi à deviner ce qui se cache derrière ses fantaisies.
Vous avez compris : il faut identifier l'auteur de ce texte. Bonne chance ! (P.K.)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

il pourrait s'agir du livre de Laurence STERNE la vie et les opinions de TRISTAM SHANDY à bientôt pour l'Histoire de Chine lundi. françoise PERROT

LEO2T a dit…

Vous avez tout juste, au R près ! Il s'agit bien de Laurence Sterne et de son désopilant Tristram Shandy, ici dans la traduction de Guy Jouvet. Mais j'y reviendrai très prochainement. Bravo ! (P.K.)