« A beggar and his baby in a basket in old China »
From a group of 1895-1935 hand-colored and black & white glass lantern slides of old pre-WW2 China (Galerie de Okinawa Soba sur http://www.flickr.com/)
From a group of 1895-1935 hand-colored and black & white glass lantern slides of old pre-WW2 China (Galerie de Okinawa Soba sur http://www.flickr.com/)
Sans détour intempestif, voici la deuxième de nos « Miscellanées littéraires » ; elle concerne encore la Chine. Nous la devons à nouveau à Thomas Pogu qui l’a pêchée dans La Philosophie dans le boudoir (Gallimard, coll. « Folio classique », respectivement pp. 77-78 et p. 247) de Sade (2 juin 1740 - 2 décembre 1814). Les deux passages retenus proviennent respectivement du « Troisième dialogue » et du « Cinquième dialogue » qui est le pamphlet « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » lu par Le Chevalier :
- Dolmancé : « Un des premiers vices de ce gouvernement consiste dans une population beaucoup trop nombreuse, et il s'en faut bien que de tels superflus soient des richesses pour l'État. Ces êtres surnuméraires sont comme des branches parasites qui, ne vivant qu'aux dépens du tronc, finissent toujours par l'exténuer. Le Chinois, plus sage que nous, se garde bien de se laisser dominer ainsi par une population trop abondante. Point d'asile pour les fruits trop honteux de sa débauche : on abandonne ces affreux résultats comme les suites d'une digestion. Point de maisons pour la pauvreté : on ne la connaît point en Chine. Là, tout le monde travaille : là, tout le monde est heureux ; rien n'altère l'énergie du pauvre, et chacun y peut dire, comme Néron : Quid est pauper ? »
- « Dans toutes les villes de la Chine, on trouve chaque matin une incroyable quantité d'enfants abandonnés dans les rues ; un tombereau les enlève à la pointe du jour, et on les jette dans une fosse ; souvent les accoucheuses elles-mêmes en débarrassent les mères, en étouffant aussitôt leurs fruits dans des cuves d'eau bouillante ou en les jetant dans la rivière. À Pékin, on les met dans de petites corbeilles de jonc que l'on abandonne sur les canaux ; on écume chaque jour ces canaux, et le célèbre voyageur Duhalde évalue à près de trente mille le nombre journalier qui s'enlève à chaque recherche. »
Qui aura la patience d’aller vérifier que Jean-Baptiste Du Halde (1674-1743), qui livra, en 1735, sa Description géographique, historique, chronologique, politique, et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise. (Paris, P. G. Lemercier) s’est effectivement exprimé de la sorte ? C’est, pour ceux qui en auront la curiosité et le temps, possible toujours grâce à Pierre Palpant qui a fourni de l'ouvrage une version en ligne sur son site « Chine ancienne », ici.
C’est de Du Halde que Voltaire écrivit en 1756 (Le Siècle de Louis XIV), « Quoiqu'il ne soit point sorti de Paris, et qu'il n'ait point su le chinois, [il] a donné, sur les mémoires de ses confrères, la plus ample et la meilleure description de l'empire de la Chine qu'on ait dans le monde ». On ira aussi puiser bien des informations dans La Preuve par la Chine : la Description de J.-B. Du Halde, jésuite, 1735, d’Isabelle Landry (Paris, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 2002).
7 commentaires:
Je me demande si Sade n'aurait pas confondu Du Halde avec un certain Jean-Nicolas Démeunier (1751-1814), homme politique et essayiste, auteur entre autres de L'Esprit des usages et des coutumes des différens peuples, ou observations tirées des voyageurs et des historiens (3 volumes, 1776), ouvrage dans lequel on peut lire ceci :
"Tous les matins on trouve un certain nombre d'enfants dans les rues de Pékin ; la plupart y meurent, ou ils sont dévorés par les animaux. Le P. Noel [déjà cité sur ce blog, me semble-t-il] dit qu'on en expose ainsi vingt ou trente mille dans une année ; et d'autres Jésuites assurent qu'en trois ans, ils en ont compté 9 702 destinés à la voirie. Un tombereau les enlève à la pointe du jour : on les jette dans une fosse, sans les couvrir de terre ; on espère que les Mahométans viendront en recueillir quelques-uns, les accoucheuses les étouffent souvent dans un bassin d'eau chaude, ou bien on les précipite dans la rivière, après leur avoir lié au dos une courge vuide." (I,275)
L'intégralité de cet ouvrage peut être consulté sur Google Livres à l'adresse suivante :
http://books.google.fr/books?id=ktFjli_ke7AC&printsec=frontcover&dq=l%27esprit+des+usages&hl=fr&ei=FjfeTcKoLc-x8QPE3_WPCg&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=3&ved=0CDUQ6AEwAg#v=onepage&q&f=false
Je tire ces éléments d'un court article signé de Georges Festa, paru en 1992 dans la Revue d'Histoire d'Histoire Littéraire de la France (vol. 92, n°5, pp. 819-827), article intitulé : "L'Orient d'Eden : Sade et la Chine", dont je livre ici le résumé :
"Dérivation singulière de la littérature de voyage, la Chine sadienne accomplit la fin d'un modèle oriental, hérité des jésuites et des physiocrates. Thème narratif, l'Orient noir de Sade, anti-populationniste et tyrannique, décompose l'optimisme des Lumières et opère le syncrétisme inédit d'un Eros noir matriciel."
et la conclusion :
"Fin d'un modèle fondateur, dont la violence contraste avec les réserves d'un Fréret ou la critique des sources chez Diderot, l'image de la Chine dans l'œuvre de Sade est-elle si étrangère à la démarche isolée, mais novatrice d'un Chénier, épris de lyrisme et défiant envers les illusions, sinon les approximations, de des prédécesseurs ? Une dimension nouvelle de l'exotisme nait avec la systématisation des thèses de La Mettrie et d'Helvétius, constitutives du code de la beauté sadienne : renversement de la mesure en jouissance de l'infini, dissolution de l'identité humaine dans le désordre d'une quête originelle et vérité de l'excès accomplissent l'Orient secret du moi. Enfer des Lumières, la Chine se métamorphose désormais en Eden des corps."
La Chine, "Enfer des Lumières" : j'avoue que la formule me plaît beaucoup et qu'elle me paraît très pertinente.
Bien amicalement.
A.R.
Merci, cher Alain, pour cet érudit commentaire qui invite à d'intéressantes lectures.
Une qui devrait prochainement retenir toute votre attention est déjà annoncée, et qui sait, peut-être bien déjà sortie : un petit volume de contes de Yuan Mei en Connaissance de l'Orient... Je compte sur vous pour un commentaire critique. Voir page 27 du Bulletin Gallimard n° 486 (janvier-février 2011). www.gallimard.fr/catalog/Html/parution/Bulletin_PDF/bulletin_486.pdf
Merci M. Kaser et à Alain Rousseau pour les liens, très intéressants.
Pour Yuan Mei, le site de Gallimard dit maintenant "En librairie en juin 2011". Il y a eu du retard à l'impression.
En cherchant rapidement sur Goût-gueule, je suis tombé sur une traduction de quelques-uns des textes du Zibuyu, traduction faite par un certain.. Alain Rousseau.
Apparemment le vaste monde des connaissances et des littératures est petit... (et je comprends mieux la requête de commentaire critique faite par M. Kaser).
http://www.scribd.com/doc/18252953/zibuyu
Je vais goûter à ce plaisir de 12 pages dès demain.
En pérégrinant vers l'ouest du site de je suis tombé sur deux livres que vous devez sans doute déjà bien connaitre:
- le livre de Henri Doré, passionnant (marrant ce rite de vaporisation du vinaigre ; j'image l'odeur...) :
http://www.chineancienne.fr/début-20e-s/doré-recherches-sur-les-superstitions-en-chine/doré-recherches-sur-les-superstitions-en-chine-première-partie/
- UNE VISITE A YOUEN-MING-YOUEN de Guillaume Pauthier : pas encore lu, mais le commentaire de Chineancienne me plait beaucoup :
http://www.chineancienne.fr/2011/02/15/guillaume-pauthier-1801-1873/
Pourquoi n'ai-je qu'une seule vie ?
C'est avec grand plaisir que je livrerai mes impressions de lecture sur ce recueil de contes de Yuan Mei en instance de parution dans la collection Connaissance de l'Orient. Mais encore faudrait-il pour cela qu'il se décide enfin à paraître : annoncé d'abord pour octobre puis pour novembre 2010, repoussé dans un deuxième temps à février 2011, voilà qu'il devrait enfin sortir dans les jours qui viennent. Espérons que cette fois-ci sera la bonne !
Merci à galanga à qui je souhaite de passer un agréable petit moment à la lecture des quelques pages que j'ai déposées sur Scribd il y a presque deux ans déjà. Je m'étais promis à l'époque de renouveler l'expérience aussi souvent que possible, mais le temps, le temps... Mais j'y pense toujours !
Bien amicalement.
A.R.
M. Rousseau, les cinq histoires que vous avez traduites sont très intéressantes : surnaturel, misogynie, bouddhisme, un peu de "Au bord de l'eau"... Et style très agréable à lire.
Cela m'a fait penser, même si cela fait longtemps que je l'ai lu, aux Chroniques de l'étrange de PU Songling.
D'ailleurs, c'est étrange (pour moi) de voir que le texte de l'éditeur P. Picquier mentionne cette expression « ce dont le Maître ne parlait pas », qui est pourtant le titre du livre de Yuan Mei.
...
Apparemment (merci wikipedia), Yuan Mei et PU Songling s'inscrivent dans la tradition littéraire des Chuanqi initié par Pei Xing, tradition et auteur que je ne connaissait pas (me coucherais un peu moins bête).
Pour la parution du livre de Yuan Mei, on verra bien Lundi : ce site indique pour date de parution le 06/06/2011.
Merci, galanga, pour l'intérêt que vous portez à mes quelques traductions d'extraits du Zi bu yu et pour la sympathique appréciation que vous en faites.
Quant à cette fameuse expression, "ce dont le Maître ne parlait pas", rien d'étonnant à ce qu'on la retrouve également appliquée à l'oeuvre de Pu Songling, puisqu'il s'agit d'une allusion à une phrase très célèbre des Entretiens de Confucius (VII,20) : "Le Maître [=Confucius] ne parlait jamais de l'étrange ni des esprits, de la force brute ni des actes contre nature" 子不語怪力亂神 (trad. d'Anne Cheng). Et comme tout le monde n'est pas Confucius...
Cela dit, sur le plan du style tout au moins, plutôt qu'à la tradition des chuanqi, je rattacherais le Zi bu yu à celle, plus ancienne, des zhiguai 志怪, ou "relations écrites de choses étranges", née aux alentours du 3ème siècle. Mais il est vrai que dans certains cas, la distinction entre les deux genres n'est pas facile à faire.
Et nous sommes le lundi 6 juin 2011, il est 22 h 36, et "Ce dont le Maître ne parlait pas" n'est toujours pas en vue ! Demain, peut-être...
Décidément, la thèse de la propension à l'infanticide qui était prêtée aux Chinois plaisait à Sade, puisqu'en 1791 déjà il l'évoquait brièvement dans son roman Justine ou les malheurs de la vertu : « Chaque jour on trouve et dans les rues et sur les canaux de Pékin plus de dix mille individus immolés ou abandonnés par leurs parents, et quel que soit l'âge d'un enfant, dans ce sage empire, un père, pour s'en débarrasser, n'a besoin que de le mettre entre les mains du juge. »
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