samedi 1 janvier 2011

Bonne année 2011

Au nom de l'équipe Leo2t, je vous souhaite une année 2011 finement brodée et aussi radieuse que possible.

Pour relancer l’activité de ce modeste organe de communication au tout début d’une année qui sera riche en travaux et en défis pour notre équipe, je vous livre, tel que reçu le 27 décembre à 11h17, ce mail inquisiteur toujours en attente de réponse :
« bonjour,
c'est avec stupeur que je découvre votre blog.
le terme "extrême orient" est très connoté, et je m'étonne qu'il soit encore utilisé malgré sa dimension ethnocentriste.
Il a été remplacé par "asie orientale". Alors pourquoi ce choix ?
Merci de m'éclairer
cordialement
T.D. »
Je glisserai la mienne en commentaire dès que possible. N’hésitez pas à prendre part au débat et à tenter d’éclairer Tom Dupont. (P.K.)

16 commentaires:

galanga a dit…

Je pense que M. Dupont voulais sans doute parler de "dimension européanocentrée", (pour utiliser un bon néologisme bien difficile à prononcer), plutôt que "ethnocentriste" (je ne vois pas ce que les ethnies viennent faire là).
En effet, "Extrême-Orient" n'a de sens que si on prend l'Europe comme centre de la mappemonde.
Avec "asie orientale", comme le propose M. Dupont, ou "asie de l'Est", ou "asie du Sud-Est", etc., le repère n'est plus l'Europe mais le bloc continental asiatique, dans lequel on désigne la partie plutôt à l'Est et au Sud-Est (en fait un peu tout, à l'exclusion de l'Inde et la Russie).

Le titre du blog "Littératures d'Extrême-Orient" est donc bel et bien connoté par une vision (néo-)colonialiste. Le renommer en "Littératures d'Asie" serait pas mal, et en plus vous pourriez aussi traiter les littératures indiennes (Basheer, Tagore, Bulbur Sharma...).

Bonne année, bonne santé.

Pierre Kaser a dit…

Je me réjouis de constater que le débat est lancé et remercie galanga d’y avoir aussi pertinemment contribué. J’apporte ma première contribution à la réflexion avec une citation qui me passe justement sous les yeux en feuilletant le tome cinquième du Journal des Goncourt (Mémoires de la vie littéraire. Deuxième série - Deuxième volume. Paris : Bibliothèque Charpentier, 1891, p. 252), à la date du lundi 11 janvier 1876 :
« Depuis que mes yeux prennent l’habitude de vivre dans les couleurs de l’Extrême-Orient, mon dix-huitième siècle se décolore. Je le vois grisaille.» [Edmond de Goncourt]

Weiyangsheng a dit…

Personnellement, et salva pace avec tout le monde, je pense que la chasse aux sorcières contre le colonialisme participe de ce que P. Bruckner appelle "la tyrannie de la pénitence"...

Du reste, "Extrême Orient", c'est parfaitement juste comme expression: orient, en effet, c'est étymologiquement l'endroit où se lève le soleil. Soit du côté du Japon, qui a le sens, comme on sait, de "origine du soleil".
Donc, non seulement la dénomination "Extrême Orient" ne témoigne pas d'européanocentrisme, mais, en plus, elle est très flatteuse puisqu'elle avalise un état de fait admis bien admis de tous (même s'il est arbitraire): le soleil se lève du côté du Pacifique, pas à New York ou à Barcelone.

Qui plus est, même en refusant le précédent argument, je ne vois pas en quoi il y aurait ethnocentrisme de la part des Européens: parler d'extrême orient par opposition à occident et extrême occident, je ne vois pas que l'Européen se mette au centre...
Alors quoi, les appellations d'occident et d'orient ne seraient-elles pas plutôt l'expression d'un ethnocentrisme sité quelque part du côté de la mer noire? Le centre, ce ne seraient pas les Géorgiens ou les Bulgares?

Voilà ce qui arrive quand on diabolise des étiquettes commodes, pas forcément très heureuses, mais simplement innocentes et communément admises: gardons le nom de l'Extrême Orient sans fantasmer sur les calculs coloniaux qui ne s'y dissimulent que dans l'esprit de ceux qui ont pour obsession de les débusquer.

Excellent début à tous les amoureux de l'Extrême Orient, et à tous ceux aussi qui l'aiment sous un autre nom :-)

WYS

galanga a dit…

Débattons, débattons.
Plusieurs points :

1/ je ne comprends pas ce que la repentance vient faire là. D'ailleurs, je ne comprends jamais pourquoi dès qu'on parle de colonisation, il y a quelqu'un qui rétorque "Non à la repentance". Imaginez-vous un Russe d'aujourd'hui à qui on parlerait de l'URSS et qui répondrait "Non à la repentance" ?
Quand je parlais de colonialisme, je voulais dire que les expressions comme "Extrême-orient", "Proche-orient", sont liées à une vision du monde qui est celle de l'Europe des empires coloniaux, c'est-à-dire d'une Europe issue des Lumières qui se voyait le centre culturel et intellectuel (entre autres domaines) du monde, et se devait (selon elle) de rayonner sur le reste du Monde (à savoir sur les barbares, les indigènes cannibales, les sauvages, etc). Ce reste du Monde était donc défini et nommé en référence à ce centre autodéclaré qu'était l'Europe.

Au cas où cela aurait échappé à certains, les empires coloniaux européens se sont légèrement cassés la gueule, et depuis pas mal de temps déjà. C'est du passé. Il me semble donc normal d'adopter aujourd'hui un vocabulaire qui tient compte des réalités géopolitiques actuelles, à savoir d'un monde multi-polaire, et où l'Europe n'est qu'un des pôles, avec les USA, la Chine, le Japon+Corée, le Brésil, etc. et certainement pas le centre du Monde.
Je ne vois pas en quoi c'est de la repentance que de prendre en compte les nouveaux équilibres mondiaux. De plus la notion même de repentance me pose problème: ça pue le catéchisme catho (je suis laïciste anticléricaliste).

galanga a dit…

2/ Sur l'exemple du "Japon = Soleil Levant" de Weiyangsheng, il ne permet absolument pas d'avaliser ce soit-disant "fait admis de tous" comme quoi le soleil se lèverait du coté du Pacifique. En effet, ce nom n'est apparu au Japon que par rapport à la Chine, qui alors était appelé par les Japonais le "pays du soleil couchant", dénominations logique pour des gens ne voyant rien à leur Est, et tout à leur Ouest (missive « de l’empereur du soleil levant à l’empereur du soleil couchant…»). On voit aussi là que ces dénominations (Soleil levant/couchant) étaient signifiantes dans une vision japonaise du monde où seule la Chine et le Japon existaient.
Par ailleurs, on peut noter que la Chine s'appelait elle-même (et toujours) le pays du milieu, se voyant comme le centre du monde (voire le monde lui-même, le reste n'étant que barbares). De cette vision du monde résultait, comme dans le fameux "Voyage en Occident", que l'Occident pour les Chinois, c'était déjà à partir de l'Inde.
Ainsi le proche-orient européen est un moyen-occident pour la Chine. Si la Chine, avec Zheng He, avait dominé le monde, les mappemondes d'aujourd'hui auraient la Chine au centre.
On voit bien ici que continuer à appliquer les dénominations européennes, et en plus comme "allant de soi", sont bien de l'européanocentrisme.
L'Orient est l'endroit où le soleil se lève : tout navigateur marin sait qu'il n'est pas un lieu fixe, mais une direction relative à la position actuelle. Son usage présuppose toujours implicitement une référence géographique.

galanga a dit…

3/ comme la citation de M. Goncourt l'illustre, le terme "Extrême-Orient" est aussi évocateur de la vague d'orientalisme au XVIIIeme-XIXeme, où l'Orient, "ses parfums et ses couleurs", faisait rêver et fantasmer les Européens. Il y a là une connotation supplémentaire (ou complémentaire à celle du colonialisme) d'exotisme, c'est-à-dire de ce qui est étranger, qu'on trouve étrange, qu'on ne comprends pas (mais c'est joli quand même).
(aparté: actuellement à Bruxelles et jusqu'au 9 janvier, au musée des Beaux-Arts, expo "De Delacroix à Kandinsky, l´Orientalisme en Europe" : très intéressante).

4/ Cher Weiyangsheng, je ne comprends vraiment pas pourquoi vous aussi vous parlez "d'ethnocentrisme". Je ne vois vraiment pas ce que les ethnies viennent faire là. Pour moi le "centrisme" dont il est question ici est géo-politique, pas racial (car pour moi le terme ethnie est le politiquement correct de cette notion absurde de race humaine).

5/ Bien sûr, on pourrait garder "Extrême-Orient". Comme on pourrait garder "URSS" pour parler de la Russie d'aujourd'hui, ou de "bloc de l'Est" pour parler des pays de l'Est de l'Europe, ou de Far West pour parler de la Californie. Il suffit de ne pas avoir peur d'être géopolitiquement "has been".

Note technique: j'ai eu énormément d'erreurs "URI too long".

Anonyme a dit…

J'apporte ma petite pierre à l'édifice des réponses. Savez-vous que dans chaque pays, les mappemondes sont réalisées avec en leur centre le pays dans lequel elles seront utilisées ? ... S'il faut rejeter le terme "Extrême-Orient", alors il faudra aussi supprimer celui d'"Occident", et pourquoi pas demander à la Chine de changer son nom chinois (soit "Zhongguo", "Empire du Milieu", peut-on faire mieux ?). Une bonne année à tous ! S.C.

Anonyme a dit…

ouah!!!! que 2011 commence bien avec cette joute sémantique. Bonne année à tous. En ce qui concerne le sujet à polémique, je note tout simplement que la terre est ronde, on est donc toujours l'extrême de quelqu'un. A suivre.... F.P

Alain Rousseau a dit…

Bonne année à toutes et à tous. 2011 commence fort, en effet. C'est bon signe, pourvu que ça dure !

Alors, Extrême-Orient ou Asie orientale ? J'avoue ne pas trop savoir qu’en penser, d’autant que d’après mon Petit Larousse Illustré, l’Extrême-Orient ne serait rien d’autre que « l’ensemble des pays d’Asie orientale ». Me voilà bien avancé ! Je me demande si, pour moi en tout cas, le choix de l’une ou l’autre dénomination ne serait pas avant tout d’ordre sentimental et sujet à l’humeur du jour ou du moment.

Cela dit, « Extrême-Orient » me plaît bien, notamment à cause de l’École Française du même nom et de son beau système de transcription du chinois, hélas abandonné au profit du pinyin. Redonner vie au système EFEO, voilà un beau combat à mener, ne trouvez-vous pas ? Tchouang tseu et Tchou Hi, par exemple, ça a quand une autre allure que Zhuang zi et Zhu Xi, non ?

A.R.

Alain Rousseau a dit…

« Ça a quand même une autre allure », voulais-je dire. Mille excuses.

A.R.

Olivier a dit…

Je ne vois pas le problème de remettre en cause l'usage de la notion d'"Occident" (on comprendra que je suis aussi contre cette notion désuète d'Extrême-Orient) aujourd'hui, on peut à mon avis se référer à Edward Said avec profit à ce sujet.
Quant à l'EFEO, certes les transcriptions "nationales" peuvent être encore utiles, mais ça n'effacera pas l'origine coloniale de cette institution. (Voir à ce sujet l'article "Des sciences pour un empire culturel" de Christophe Charle, en accès libre)

Pierre Kaser a dit…

1/3
Le ton du mail de Tom D. m'avait particulièrement irrité et j'ai bien failli envoyer sa mise en demeure à la corbeille aussitôt lue -- d'aucuns disent que c'est ce que j'aurais dû faire ! Je ne regrette pourtant pas de lui avoir assuré une certaine audience, puisque ont fleuri tant de commentaires - une quasi-première sur ce blog - qui entretiennent la controverse.

Je suis ravi de constater qu'autant Weiyansheng, que F.P. , qu'Alain Rousseau nous font toujours l'amitié de suivre ce blog qui, cela dit en passant, existe depuis déjà 50 mois, en est à son 414 billets publiés et a reçu quelque 95 000 visites. Heureux aussi de découvrir de nouveaux lecteurs qui ne dédaignent ce médium [voir http://my.opera.com/galanga/blog/] ; satisfait aussi de voir s'accumuler des arguments dont certains, il est vrai, tournent un peu courts : le xi 西 du Xiyouji 西游記 a bien peu à voir avec ce qu'évoque pour nous le terme « Occident », ce qui, une fois de plus, justifie la traduction de ce titre en La Pérégrination vers l'Ouest (André Lévy, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991) et disqualifie la plus ancienne version faisant apparaître, bien mal à propos, justement le terme « Occident » --- ce serait sans doute le moment de brandir les dernières Notes sur Tchouang-Tseu et la philosophie de Jean-François Billeter (Allia, 2010) pour interroger, sous sa pédagogique férule, l'usage abusif ou erroné que l'on fait d'un terme pour en traduire un autre ; de plus, pour ce qui est des mappemondes, c'est une truisme de rappeler que chacun voit le monde à partir de son nombril, ce qui n'a rien de surprenant, ni même de révoltant (http://www.szczw2008.com/Photo/ShowPhoto.asp?PhotoID=24) ; j'emprunte un trait d'humour à Gide (Prométhée, 1899, p. 308) pour conclure sur la futilité de la recherche des extrémités déjà relevé par F.P. : « Je supputais le juste milieu − sans comprendre que les extrêmes se touchent, que qui se couche très tard rencontre qui se lève très tôt. »

Pierre Kaser a dit…

2/3
Pour ma part, et pour en revenir au futile point de départ de ce déferlement somme toute modéré de commentaires et conscient de tous les inconvénients que cela implique et des critiques que cela suscitera de la part des plus susceptibles de mes lecteurs, notamment Olivier, je reste hostile à la normalisation moderne en Asie Orientale qui, pour indolore et non encore connotée, colle si mal avec mon domaine d'exploration - la littérature, qui plus est chinoise et ancienne.

Je reste donc farouchement attaché à cet « Extrême-Orient » qui sonne avant tout à mes oreilles comme un superlatif. Je partage la même curiosité admirative pour les productions « colorées » de ce lointain espace (géographique et culturel) qui, à l'instar du bon Edmond de Goncourt m'ont détourné d'un Dix-huitième pourtant si chéri (voir citation plus haut). De plus, je revendique l'héritage des grands anciens des études de l'Extrême-Orient, les grands savants que furent les Stanislas Julien, Abel Rémusat et leurs prestigieux descendants de l'Ecole Françaises d'Extrême-Orient.

Pierre Kaser a dit…

3/3
Du reste, et puisque je ne suis pas avare de provocation, je dirais bien que j'ai (parfois) la nostalgie d'une époque dont je n'ai connu que la fin où il fallait beaucoup plus de dix heures pour partant de nos contrées stériles mettre les pieds dans cette foisonnante extrémité-là. Quand les charters imposaient à ceux qui se rendaient sur l'autre bord de la rive, des escales aussi improbables que le Bucarest, Moscou, Bagdad, Bombay... Rude était l'épreuve mais ô combien plus intense l'excitation de franchir les continents -- certes, c'était peu au regard des épreuves que surmontèrent les voyageurs des siècles précédents, mais cette approche progressive de la destination n'en était que plus douce et salutaire et donnait un peu d'épaisseur au terme « Orient » et à celui d'« Extrême »... Il est vrai que les facilités d'accès modernes rendent cette terminologie très désuète : où est l'extrême et où commence le véritable Orient quand Tôkyô, Séoul, Calcutta et Shanghai sont plus faciles à rallier en avion qu'en train la pointe extrême de la Bretagne en partant de Marseille.

Ce coming out minimaliste n'est sans doute pas la réponse attendue par notre inquisiteur de circonstance ; du reste, il n'engage que son auteur, dont ce sera l'ultime participation à ce débat sans autre enjeu que de faire vivre ce blog qui pourrait, prochainement faire peau neuve. Vous serez les premiers informés.

galanga a dit…

Pierre Kaser, merci d'avoir ainsi développé votre réponse. Je comprends que vous n'allez pas répondre, mais voici quelques points.

Si je comprends bien, vous revendiquez le terme Extrême-Orient dans son assertion "désuète". En fait, bien que je l'ai énoncé de manière peu diplomatique, je pense que l'utilisation de ce terme (ainsi que Occident, etc.) n'est bien sûr pas à bannir, mais qu'il faut avoir conscience de son périmètre historique restreint (et implicite).
En appelant "Littérature d'Extrême-Orient" votre blog, cela indique que vous ne souhaitez, dans sa ligne principale, ne vous intéresser qu'à la littérature qui donne une vision de l'Asie du point de vue occidental, c'est-à-dire de textes écrits soit par des occidentaux et ayant une vision exotique, soit des textes asiatiques mais qui ne font qu'abonder dans cette vision exotique.

C'est là bien sûr un champ d'intérêt fort vaste, et clairement passionnant. C'est votre choix le plus total de vous concentrez sur cela, c'est votre blog.
Par contre, comme vous avez évoqué dans le post suivant "La Montagne de l'Âme" de Gao Xinjiang, vous semblez de fait sortir de cette ligne principale, selon mon point de vue. La Montagne de l'Âme n'est en aucun cas un livre d'Extrême-Orient ; c'est un livre asiatique dans son lieu, mais fortement occidental dans son propos (notamment par l'individualisme qui y est très présent, y compris dans la forme, avec cet usage génial du "tu").

galanga a dit…

Sur le "voyage en Occident", j'ai effectivement fait une erreur : la majuscule. Il vaut mieux écrire "le voyage en occident". Par contre l'argument du "xi 西 du Xiyouji 西游記 a bien peu à voir avec ce qu'évoque pour nous le terme « Occident »" ne me convainc pas, puisque les Chinois disent 西方 pour Occident, c'est-à-dire littéralement "endroit à l'Ouest".
Je vous renvoie aux articles "occident" et "extrême" du dictionnaire de l'Académie Française, édition 9 en cours.
- article Extrême : L'Extrême-Orient, les parties de l'Asie les plus distantes de l'Europe.
- article Occident : II. Avec une majuscule. [...]Dans une vision fondée sur des aires de civilisation et d'héritage culturel, désigne l'ensemble des pays d'Europe et d'Amérique, par opposition aux pays d'Afrique et d'Asie.
Avec les partie que je mets en gras, ça sent trop la "guerre de civilisations" (chère à certains) à mon goût. je ne me sens nullement en opposition à l'Afrique ou à l'Asie, mais enrichit par mes lectures de textes de ces pays ; je me sens bien plus éloigné de Despentes ou de Houellebecq (tenez: essayez Jean-Joseph Rabearivelo, document n°37 de la BME).