dimanche 23 janvier 2011

Au sujet de « Quand l’écriture se dérobe » (Le Monde, 21/01/2011)

Gao Xingjian/Noël Dutrait. BPI de Beaubourg, 17/01/11.

Nous avons signalé sur notre compte Twitter, l’article que Alain Beuve-Méry et Florence Noiville ont publié dans Le Monde du 21 janvier 2011, intitulé « Quand l’écriture se dérobe » et sous-titré : « Le fameux vertige de la page blanche n’épargne pas les écrivains confirmés. Tous élaborent des stratagèmes pour l’affronter ».

En introduction, les auteurs parlent de la page blanche comme si c’était « une maladie honteuse de l’écrivain : la panne, le blocage, le spectre hideux… ». Puis ils prennent le cas de Gao Xingjian, prix Nobel de littérature 2000, comme exemple d’un grand écrivain victime de cette « maladie ». Tout en reconnaissant que ses encres de Chine présentées à la Galerie Claude Bernard sont « magnifiques », ils affirment que Gao Xingjian n’est plus dans l’actualité pour ses écrits. « Comme si, écrivent-ils, après la magistrale Montagne de l’Ame (écrit en 1990, et paru à l’Aube en 2002 (sic), le prix Nobel qui lui a été décerné juste après le Livre d’un homme seul (L’Aube 2000), avait asséché sa créativité littéraire ».

Outre le fait que La Montagne de l’Ame n’est pas sortie en France en 2002, mais en 1995, il est inexact d’affirmer que Gao Xingjian se trouve devant une sorte de syndrome de la page blanche. En réalité, Gao Xingjian, comme il l’a dit lors de la discussion que j’ai animée à la BPI de Beaubourg le 17 janvier, a commencé à peindre très tôt et la peinture est pour lui une forme d’expression aussi importante que l’écriture littéraire, le cinéma ou l’écriture théâtrale. C’est bien mal connaître Gao Xingjian que de penser qu’il puisse « être en panne ». Hormis une courte période qui a suivi l’obtention du prix Nobel au cours de laquelle il est tombé gravement malade, il n’a jamais cessé de créer ou d’écrire, par exemple des textes théoriques au sujet de la création et du théâtre (deux volumes parus à Hong Kong et Taiwan, en cours de traduction aux éditions du Seuil). Que l’on pense au bel objet d’art qu’il a publié aux éditions du Seuil en 2002 intitulé L’Errance de l’oiseau ou au livret pour un spectacle de danse intitulé Ballade Nocturne (Paris, Sylph Editions, traduit en anglais par Claire Conceison), la pièce de théâtre Le Quêteur de la mort (Le Seuil, 2004), Gao Xingjian est loin d’être silencieux.

Loin des modes et des chapelles, il crée comme bon lui semble ; si la forme romanesque ne correspond pas à ce qu’il veut exprimer, il se consacre entièrement à la peinture, puis, lorsqu’il a achevé ses tableaux pour une exposition à Singapour, Hong Kong ou Paris, il écrit des poèmes ou des textes dans lesquels il élabore une théorie très personnelle sur l’art du comédien ou sur le rôle de la littérature. Après avoir écrit et mis en scène un magnifique opéra la Neige en août en 2003 et 2005 à Taiwan puis à Marseille, sur une musique de Xu Shuya (la musique est sans doute le seul art qu’il ne pratique pas), il se lance dans la réalisation de films totalement atypiques.

Enfin, l’article de Alain Beuve-Méry et Florence Noiville laisse entendre que Gao Xingjian souffrirait d’une situation de blocage. Je ne pense pas que le nombreux public qui est venu l’écouter à la BPI de Beaubourg ait eu cette impression. Bien au contraire, il m’a paru totalement épanoui, presque serein, lorsqu’il a expliqué comment la pratique des différentes formes artistiques lui permettait de mieux s’exprimer. Il s’agit pour lui seulement d’une question de période dans sa vie créatrice. Actuellement, c’est la période de création cinématographique, peut-être bientôt de création poétique… Gao Xingjian est à la fois écrivain, peintre, théoricien, cinéaste, metteur en scène, théoricien de la création littéraire, artistique et théâtrale… Le phénomène est sans doute trop rare pour que les critiques parviennent à l’appréhender dans sa totalité.

Noël Dutrait (23 janvier 2011)

3 commentaires:

galanga a dit…

Votre interprétation de l'article du Monde me semble aussi tendancieuse que celle que vous accusez le Monde de faire.
Vous ne tenez pas compte que l'article parle de "blocage de la page blanche", c'est-à-dire du blocage de l'écriture littéraire d'imagination dans un projet d'ampleur (roman), et non pas de blocage artistique général ou de blocage psychologique.
Vous ne tenez pas compte de la citation de M. Gao (à moins que vous ne considériez qu'elle n'est qu'invention) : "Ce prix a pesé d'un poids écrasant, reconnaît Gao. Je termine aujourd'hui une cinquième pièce de théâtre, Ballade nocturne, qui sera publiée par un petit éditeur universitaire, mais écrire un roman est devenu impossible."

L'article dit bien "Mais si Gao est dans l'actualité [...], c'est pour ses encres de Chine [...] ou pour ses films [...]. Et plus - pour l'instant - pour ses écrits. "
L'article ne dit pas qu'il n'écrit plus (il cite M. Gao qui dit "J'écris moins mais je n'ai jamais vraiment cessé") mais que ce ne sont plus ses écrits qui font l'actualité de M. Gao, car ceux-ci ne sont clairement plus du tout des écrits de l'ampleur de ses romans.

Bien sûr l'article du Monde tire une conclusion rapide de la cause de l'impossibilité de l'écriture d'un roman par M. Gao. Il ignore, par exemple, ce que j'ai entendu dire de la bouche de la galiériste qui présentait des encres de M. Gao à Bruxelles l'année dernière, à savoir que M. Gao doit refuser bien des sollicitations (coloques, invitations, ...) car sinon il n'aurait plus le temps de faire quoi que ce soit. Compte tenu de ce qu'il accepte néanmoins déjà comme invitations, il me semble assez logique qu'il n'ait actuellement pas le temps de s'atteler à un projet de longue haleine, mais seulement à des créations plus rapides (même si pas forcément plus faciles) à faire (peinture, films, sachant qu'il n'a pas vraiment de problème de production avec ses mécènes, pièces de théâtre, ...).
Mais l'explication de l'article du Monde se tient quand même. M. Gao est peut-être plus ou moins inconsciemment en panne de la page blanche.

Néanmoins, je note que vous au moins vous avez la politesse de dire "Gao Xingjian", et pas juste "Gao" comme les auteurs du Monde.

Anonyme a dit…

Merci à Galanga de donner son avis sur cette discussion. Je me souviens néanmoins que lorsque Gao Xingjian a décidé d'écrire "Le Livre d'un homme seul", il y a consacré une année de travail malgré toutes ses autres occupations, parce qu'il ressentait un besoin impérieux de l'écrire. Actuellement, il ressent un besoin impérieux de peindre et d'écrire de la poésie, tout simplement.
Je ne suis pas d'accord avec "Galenga" lorsqu'il dit que Le Monde" est impoli de parler de Gao. C'est comme si l'on parle de Camus ou de Malraux sans citer leur prénom, puisque en chinois Gao est le patronyme et Xingjian le prénom.

galanga a dit…

@Anonyme: Il me semble M. Gao a écrit ""Le Livre d'un homme seul" avant de recevoir le prix Nobel ; bien qu'il avait sans doute plein de choses à faire, c'est sans aucun doute que je pense qu'il avait beaucoup moins de sollicitations que maintenant. Lors de l'annonce de ce prix il vivait apparemment assez peinard dans un HLM de Bagnolet.

Pour la politesse, c'est juste qu'on est sensé nommer une personne soit complètement (nom et (pré/post)nom) soit avec son titre suivit du nom (M./Mr = Monsieur, Me = Madame, Mgr = Monseigneur, ...).
Les usages que vous indiquez sont ceux d'un journalisme soit paresseux, soit contraint pas la place, soit sciemment impoli ou dédaigneux: Sarkozy, Sarko, DSK, NKM, VGE, Mélanchon (avec la faute sur le e : c'est Mélenchon)...
Pour Camus et Malraux, ils sont morts : c'est plus facile de les transformer en objets. M. Gao n'est plus tout jeune, mais il n'a franchement pas l'air d'un mort.

Sur le fond, je pense qu'il n'est pas impossible que ceux qui aime écouter (et courtiser ?) M. Gao (comme cette dame qui chuchotait : "Gao n'écrit plus rien. Le Nobel l'a tué.") sont peut-être ceux qui l'empêche d'écrire du "lourd"...
D'un autre coté, M. Gao a écrit ses romans à dix ans d'intervalles chacun... Il n'entame donc que sa première année de "retard".