L'événement est suffisamment rare, et réjouissant, pour être noté dès qu'il intervient sans même avoir pris le temps d'en évaluer l'impact réel. Cet événement est la publication, le 22 mars 2007, d'un nouveau volume de la 'Série chinoise' de la collection « Connaissance de l'Orient » aux Editions Gallimard, prestigieuse collection créée par Etiemble (1909-2002) et dirigée par Jacques Dars. [Je reviendrai prochainement (?) sur cette collection et sur ses autres séries qu'on peut, en attendant, découvrir sur le site de l'éditeur.]
Le précédent numéro de la série est le très remarquable volume consacré aux Elégies de Chu [Chu ci 楚辭], attribuées à Qu Yuan 屈原, Song Yu 宋玉 et autres poètes chinois de l'Antiquité, IVe siècle av. J.-C. - IIe siècle apr. J.-C., traduites, présentées et annotées par Rémi Mathieu (vol. 111, 2004, 306 pages).
Ce dernier numéro en date donne la vedette au poète des Tang, "poète maudit" ou "poète fantôme" comme on voudra, Li He 李賀 (791-817) :
Li He, Poèmes. Traduit du chinois par Marie-Thérèse Lambert. Préface et notes de Guy Degen. Paris : Gallimard, « Connaissance de l'Orient », n° 115, 'Série chinoise', 206 p. :
Li He, Poèmes. Traduit du chinois par Marie-Thérèse Lambert. Préface et notes de Guy Degen. Paris : Gallimard, « Connaissance de l'Orient », n° 115, 'Série chinoise', 206 p. :
Qu'un poète au destin aussi tragique que celui de Li He (791-817) ait eu pour troisième nom Li Changji (« Infaillible Bon Augure »), voilà qui tient de la gageure. Pourtant les meilleurs auspices semblaient réunis : une bonne famille – le poète descend du clan impérial – et un vrai talent – le célèbre lettré Han Yu, qui deviendra ministre, lui accorde son appui après avoir admiré ses poèmes. Son destin s'éclaire-t-il alors ? Non, puisqu'on lui refuse jusqu'au droit de se présenter au concours de « lettré avancé » pour des raisons onomastiques. Il obtient à grand-peine un poste subalterne au Bureau des Rites, insuffisant pour les nourrir, lui, sa mère et son jeune frère. De Changgu, sa ville natale au Henan, à Chang'an, la capitale, il promène son tragique destin.
L'homme inquiète par sa silhouette squelettique, ses cheveux blancs, ses sourcils d'un seul tenant et ses ongles démesurés. Cultive-t-il son air de fantôme (les Chinois le nomment « poète fantôme » ou « fantôme parmi les poètes »), on ne sait, mais ce n'est pas étonnant que les anthologies l'aient boudé et que les lecteurs l'aient fui. Trop de malheur ! Il ne se nomme guère dans ses vers, mais tout parle de lui, tout est lui : ministre évincé, favorite oubliée, palais déserté... jusqu'à l'armoise qui l'envahit.
Peut-on encore ignorer quel génie fut Li He ? Donnons-lui auprès des Li Bo et Du Fu la place qu'il mérite. [Présentation de l'éditeur]
L'ouvrage propose, me semble-t-il, l'œuvre complète, soit quelque 243 poèmes. C'est beaucoup plus - et sans doute encore mieux -, que les 58 déjà disponibles dans Li He, Les Visions et les jours. Choix de poèmes traduits du chinois et présentés par Marie-Thérèse Lambert et Guy Degen. Paris : Editions de la différence, coll. « Orphée », n° 191. 1994, 123 p. Certes, ce petit volume était une édition bilingue très utile, mais, il n'est plus guère trouvable en librairie. Sa confrontation avec ce jeune frère de 13 ans son cadet sera très instructive pour suivre l'évolution de la traduction par M.-T. Lambert et Guy Degen de ce poète aussi fascinant qu'attachant. On en reparlera donc ici, ou ailleurs, mais si vous avez un avis, n'hésitez pas à laisser un commentaire. (PK)
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